Chères lectrices, chers lecteurs,
Enregistrée le jeudi 6 novembre 2024, voici la captation de la rencontre de Jean Rouaud & Nathalie Skowronek autour de leur nécessaire d'écriture, recueil de conseils à destination des jeunes romanciers écrit à quatre mains, et paru aux éditions Seghers.
Cette rencontre est animée par l'éditeur de l'ouvrage, M. Antoine Caro
Vous souhaitant de belles lectures,
L'écume
La Quatrième :
« Écrire, c'est se perdre avec l'air de celui qui semble savoir où il va, car écrire passe par cet état de perte, hors de contrôle, qu'il sera toujours temps de contrôler. Il faut accepter cet inconfort, suivre le mouvement de son texte, lui faire confiance jusqu'à gagner en liberté et ouvrir son imaginaire. Au fil des expérimentations, on cherche à trouver son propre gabarit littéraire, autrement dit, sa langue, sa forme, son propos.
Écrire, c'est aussi se confronter à un formidable catalogue d'oeuvres qui font la littérature. Si elles nous fascinent tant, c'est que nous y avons appris à voir le monde par les yeux de celles et ceux qui se sont posé les mêmes questions adaptées à leur époque » (J.R. et N.S.).
Comment Racine, Flaubert ou Proust se sont-ils « trouvés » ? Et tant d'autres, de Kerouac à Bernhard, de Woolf à Duras, en quoi leur oeuvre apporte-t-elle des réponses aux romanciers en proie à la passion d'écrire, mais aussi aux blocages, aux doutes, aux errances ? Puisant dans l'histoire des lettres comme dans la pratique des ateliers d'écriture, Jean Rouaud et Nathalie Skowronek proposent un voyage aux sources de la création, mêlé de conseils et d'exercices, pour livrer un art poétique tout personnel.
« L'écriture ne s'apprend pas, mais elle se pense et se travaille. Il se trouve qu'on a écrit avant et depuis longtemps. Ne pas s'imaginer que la littérature commence avec soi. L'"avant" de l'écrivain passe aussi par une réflexion sur la genèse de l'écriture chez les "géants". Comment se construit un livre ? Comment les prédécesseurs illustres ont-ils procédé ? Dans quelle tradition, dans quel contexte sociopolitique, culturel, historique ? Quelles leçons pour soi, son milieu, son époque ? Comment traduire une histoire, une expérience ? Comment les transformer en matière littéraire ? Les conseils, pistes de réflexion, propositions d'écriture, s'ils ne font pas les écrivains, peuvent aider à appréhender la délicate et intimidante question centrale : comment faire quand tout semble avoir été fait, quoi dire quand tout semble avoir été dit ? Pour cela, pas d'autre chemin que celui d'essayer différentes formules et tâcher de comprendre ce qui fonde profondément un texte. »
Enregistrée le jeudi 6 novembre 2024, voici la captation de la rencontre de Jean Rouaud & Nathalie Skowronek autour de leur nécessaire d'écriture, recueil de conseils à destination des jeunes romanciers écrit à quatre mains, et paru aux éditions Seghers.
Cette rencontre est animée par l'éditeur de l'ouvrage, M. Antoine Caro
Vous souhaitant de belles lectures,
L'écume
La Quatrième :
« Écrire, c'est se perdre avec l'air de celui qui semble savoir où il va, car écrire passe par cet état de perte, hors de contrôle, qu'il sera toujours temps de contrôler. Il faut accepter cet inconfort, suivre le mouvement de son texte, lui faire confiance jusqu'à gagner en liberté et ouvrir son imaginaire. Au fil des expérimentations, on cherche à trouver son propre gabarit littéraire, autrement dit, sa langue, sa forme, son propos.
Écrire, c'est aussi se confronter à un formidable catalogue d'oeuvres qui font la littérature. Si elles nous fascinent tant, c'est que nous y avons appris à voir le monde par les yeux de celles et ceux qui se sont posé les mêmes questions adaptées à leur époque » (J.R. et N.S.).
Comment Racine, Flaubert ou Proust se sont-ils « trouvés » ? Et tant d'autres, de Kerouac à Bernhard, de Woolf à Duras, en quoi leur oeuvre apporte-t-elle des réponses aux romanciers en proie à la passion d'écrire, mais aussi aux blocages, aux doutes, aux errances ? Puisant dans l'histoire des lettres comme dans la pratique des ateliers d'écriture, Jean Rouaud et Nathalie Skowronek proposent un voyage aux sources de la création, mêlé de conseils et d'exercices, pour livrer un art poétique tout personnel.
« L'écriture ne s'apprend pas, mais elle se pense et se travaille. Il se trouve qu'on a écrit avant et depuis longtemps. Ne pas s'imaginer que la littérature commence avec soi. L'"avant" de l'écrivain passe aussi par une réflexion sur la genèse de l'écriture chez les "géants". Comment se construit un livre ? Comment les prédécesseurs illustres ont-ils procédé ? Dans quelle tradition, dans quel contexte sociopolitique, culturel, historique ? Quelles leçons pour soi, son milieu, son époque ? Comment traduire une histoire, une expérience ? Comment les transformer en matière littéraire ? Les conseils, pistes de réflexion, propositions d'écriture, s'ils ne font pas les écrivains, peuvent aider à appréhender la délicate et intimidante question centrale : comment faire quand tout semble avoir été fait, quoi dire quand tout semble avoir été dit ? Pour cela, pas d'autre chemin que celui d'essayer différentes formules et tâcher de comprendre ce qui fonde profondément un texte. »
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Art et designTranscription
00:00Et Jean a été parmi les premiers auteurs à nous faire confiance.
00:04On a fait un premier livre qui s'appelait « Juge de montagne »
00:07qui était un livre très original et qui se posait déjà la question du gabarit
00:12sur lequel on va peut-être revenir ce soir.
00:18Et j'étais très heureux d'accueillir votre proposition
00:21quand vous nous avez proposé « Le nécessaire d'écriture »
00:24parce que comme vous le savez déjà, j'imagine,
00:27c'est un livre qui s'interroge sur l'origine de la création
00:31et puis aussi la manière dont on peut développer nos talents d'écriture.
00:35Et chez Sagerst, on s'intéresse notamment à la fabrique de la création.
00:39Tout ça nous a semblé fort cohérents.
00:43C'est un livre qui mêle une réflexion qu'on pourrait qualifier de théorique,
00:50sur l'origine de la création littéraire
00:56et des conseils très pratiques et même des exercices
01:02pour aider chaque apprenti ou, comme on a dit, jeune romancier.
01:08Mais jeune, ça peut être aussi parce qu'il n'a fait que commencer
01:11à développer son talent.
01:14Comment vous est venue l'idée de mélanger ces deux parties dans un livre
01:20et finalement, je suis obligée de dire,
01:22arriver à une telle osmose entre les deux, une telle unité ?
01:27On pensait qu'écrire à deux, ça prendrait moins de temps
01:30puisqu'on ferait chacun la moitié du travail.
01:33Et en fait, ça a été un long travail de mêler nos deux voix
01:39puisqu'on a fait le choix à la fois où on devine un petit peu qui parle
01:43et en même temps, les deux voix se superposent bien.
01:49Et l'idée venait de…
01:52Jean est passionné par l'histoire littéraire
01:56et par la question de la littérature depuis des années.
01:59Moi, j'enseigne depuis maintenant huit ans l'écriture.
02:04C'est vraiment un concours de circonstances
02:06qui a fait qu'on m'a demandé un nouveau master.
02:08Et donc, je me suis retrouvée à enseigner l'écriture
02:11et à chercher des moyens, non pas d'apprendre à écrire,
02:15mais à se dire par où ça passe
02:17et comment on met des gens au travail,
02:22comment on essaye de les mettre sur la voix.
02:25Et puis, on s'est dit, tiens, on va faire ça ensemble.
02:27Et donc, on a commencé nous-mêmes à recevoir des apprentis écrivains,
02:33voire des écrivains qui avaient envie d'avoir un lieu
02:36où finalement, à ces endroits-là, on parle de la même chose.
02:39On sait vraiment de quoi on parle intimement.
02:41Donc, on a commencé à faire ça tous les deux.
02:43Et puis, on a eu envie à un moment donné de formaliser un peu tout ça
02:48et d'essayer de fixer d'une certaine manière les choses.
02:56Il y a une idée forte dans le livre
02:58qui est que, quel que soit ce qu'on a envie d'écrire,
03:03il y a quelque chose qu'on ne peut pas éluder,
03:06c'est l'avant-soi.
03:08Toute la littérature qui nous a précédés.
03:12Et est-ce que c'est une notion qui compte beaucoup ?
03:18Ça, je pense que c'est une idée forte de Jean,
03:21une notion qui compte beaucoup pour toi, Jean.
03:25C'est la notion du genre.
03:26C'est-à-dire que, quel genre est déterminé par une époque ?
03:33Et alors, il y a des époques où c'est entendu.
03:36OK, pas de problème.
03:38Tu es aux deuxièmes moitiés du XVIIe siècle.
03:42Si tu veux devenir une vedette,
03:45tu as intérêt à écrire une pièce en alexandrin, en vers, en cinq actes.
03:50Et c'est possible qu'il plaise aux princes.
03:55La notion de roman, à ce moment-là, n'existe pas.
03:57Tu as le roman comique.
03:59Ce n'est pas du tout.
04:00Tu aimes Don Quichotte,
04:03mais ce n'est pas du tout avec l'exception d'aujourd'hui.
04:07Don Quichotte, c'est un pastiche de roman
04:10déjà complètement périmé,
04:13c'est-à-dire un roman de chevalerie.
04:15C'est-à-dire, c'est un foutage de gueule.
04:17Don Quichotte, c'est aussi pour ça que ça marche.
04:19Mais quand c'est en fait, c'est écrit des romans,
04:22des livres sérieux comme les demandes des peuples,
04:25quand il fait ses pastorales,
04:28pour nous, ça nous tombe des mains aujourd'hui.
04:31Et donc, ce genre dramatique
04:35qui a duré un siècle et demi,
04:39il est repris au 18e siècle.
04:42Mais c'est déjà un genre périmé.
04:45Ça donne des tragédies nulles de Voltaire.
04:48Je sais parce que j'en ai lu quelques-unes sur Gallica,
04:51c'est formidable.
04:52On trouve, on peut lire Adélaïde du Déclin.
04:55C'est là où il y a le sien de Coussi.
04:58Et il y a le personnage qui demande,
05:01comment vas-tu Coussi?
05:02Il y a toute la salle qui s'en mettait,
05:04qui a répondu Coussi, Coussa.
05:06La pièce n'a pas duré.
05:07Et c'est vraiment nul.
05:09Pourtant, on faisait de Voltaire
05:11quelqu'un de plus grand classique.
05:13Donc, il y a cette idée que l'époque détermine un genre,
05:18mais qu'elle n'est pas forcément la plus pertinente
05:21pour dire que ce genre-là est toujours valide.
05:24On voit l'arrivée du genre,
05:27la tragédie, là, au 7e siècle.
05:31Le roman réaliste au 19e avec Balzac.
05:36En même temps, quand Balzac se lance,
05:39il y a une correspondance intéressante
05:41avec Georges Sand,
05:42ils sont à la mi-génération.
05:43La notion de littérature n'existe pas.
05:46Quand Balzac, quand Stendhal, par exemple,
05:49décide d'écrire du théâtre,
05:51parce que le théâtre est encore en vogue,
05:53c'est déjà mort.
05:55Dans son journal, il invente des tas de pièces.
06:00Ce qu'il veut, c'est comme les rock stars.
06:05Il veut de l'argent, la gloire et les femmes.
06:08C'est ça qu'il pose.
06:09La question littérature ne se pose pas pour lui.
06:11Ni pour Balzac non plus.
06:13Et on la voit arriver.
06:15Alors, il y a une autre correspondance
06:16avec Georges Sand,
06:17c'est celle de Flaubert,
06:18où Georges Sand dit à Flaubert,
06:21c'est la littérature qui t'intéresse,
06:23qui n'est absolument pas là
06:24dans la correspondance entre Balzac et Georges Sand.
06:28Donc, nous, on vit, en fait,
06:31sur un concept de la littérature
06:35dont on peut dater la naissance,
06:37quasiment la 1956,
06:40l'apparition de Madame Bovary.
06:42Nous, on vit là-dessus.
06:44Et comme ce que je disais pour la tragédie,
06:51ça fait un siècle et demi
06:54qu'on vit là-dessus.
06:56Et on peut en conclure que,
06:58comme les civilisations,
07:00les genres sont mortels.
07:01Voilà, c'est ça.
07:02Moi, c'est Madame Bovary.
07:04Et du coup, ça, dans le livre,
07:06on le vit, on le comprend
07:08à travers l'histoire très bien racontée,
07:12la manière dont de grands écrivains
07:15ont fini par trouver leur genre,
07:17mais malgré eux, en fait,
07:18puisque Estandard, et Balzac, et Flaubert,
07:21Proust, peut-être moins.
07:23Finalement, ça s'est imposé
07:25en dépit de ce qu'ils voulaient faire au départ.
07:28Je ne vais pas me négocier.
07:30L'histoire de Flaubert,
07:34enfin, on le connaît.
07:36Au début, ce n'est pas ça qu'il veut faire.
07:38Et puis, il a la tentation de s'inventoir
07:40la santé des amis, la bouillette du camp,
07:42qu'ils s'emmerdent premièrement
07:43pendant trois jours,
07:44et qu'ils disent à la fin,
07:46il y a Flaubert qui leur demande
07:47alors, qu'est-ce que vous en pensez ?
07:49Et il y a Bouillet qui,
07:51ils étaient tous les deux là,
07:53à cet essai.
07:54Bouillet qui se lance et dit,
07:56nous pensons qu'il faudrait
07:59jeter tout ça au feu
08:00et n'en plus jamais parler.
08:02Tout peur, et il parle,
08:04et c'est même Bouillet qui dit,
08:08il faut que tu écrives un roman
08:09terre à terre à la Balzac.
08:11C'est-à-dire que le genre, ça y est,
08:12le genre est là.
08:13Donc, Flaubert, il va remplir
08:15le cahier des charges
08:16qui est imposé par l'époque.
08:18Le cahier des charges,
08:19ça va donner Madame Bovary.
08:21Ce n'est pas du tout
08:23l'impulsion première de Flaubert.
08:26Donc, ce qu'on veut dire,
08:28c'est que l'époque a ses mots d'ordre
08:33qui sont parfois recevables
08:37et parfois, quand ce sont
08:39des vieux mots d'ordre,
08:41comme la tragédie de Voltaire
08:42au XIXe siècle,
08:45ça s'en fait jander.
08:49Il y a un chapitre qui s'appelle
08:50le genre oblige, je crois.
08:52Oui, c'est ça, bien sûr.
08:53Le genre oblige.
08:56Tu es éditeur.
08:59Tu es un éditeur particulier
09:02avec l'héritage chez Gers,
09:04la poésie, des genres
09:06un peu mêlés comme ça.
09:09Mais un éditeur classique,
09:11si ce n'est pas roman sur l'ouverture,
09:14à tel point qu'on appelle roman
09:16des choses qui ne sont pas,
09:17comme on est censé le considérer
09:19comme un roman.
09:22Alors, il y a une autre...
09:24Donc, ça, c'est la question du genre.
09:26Dans le livre, on parle aussi
09:28beaucoup du gabarit.
09:31C'est intéressant parce que c'est
09:32l'idée de confronter tout jeune
09:34romancier potentiel,
09:36à la fois au passé de la littérature
09:39et à sa propre époque.
09:40Mais il n'y a pas que ça.
09:41Il y a l'idée de comprendre,
09:43mais il y a l'idée de beaucoup essayer.
09:45Et à travers les exercices,
09:46souvent, on se rend compte,
09:47même si vous dites clairement
09:48qu'il n'y a pas de formule,
09:50qu'il faut quand même se frotter,
09:51recommencer.
09:52Il y a vraiment cette dimension-là
09:53qu'on trouve dans le titre,
09:55nécessaire d'écriture,
09:56quelque chose qui est de l'ordre
09:57de la persistance.
09:58Ça, c'est quelque chose
09:59que tu as remarqué dans les ateliers.
10:00Il y a une forme, effectivement,
10:02d'obstination, de nécessité.
10:06Et à la fois, on essaie d'avancer,
10:08je pense, quand on écrit
10:09à la fois en connaissance de cause,
10:11c'est-à-dire qu'on ne peut pas
10:12arriver là comme si on est
10:13le premier auteur qui prend
10:15un stylo depuis la nuit des temps.
10:17Et en même temps, il y a
10:18quelque chose qui échappe
10:19et qui est de l'ordre
10:20du lâcher prise.
10:24En fait, quand on arrive,
10:26et c'est valable pour des jeunes
10:27romanciers comme pour nous,
10:29on est pris, on est tiraillé
10:31entre deux mouvements,
10:32c'est-à-dire toute cette réflexion
10:34sur la littérature
10:35et sur se dire, voilà,
10:37où est-ce que je me mets,
10:38comment je me situe,
10:39qu'est-ce que j'ai à dire,
10:41est-ce que j'ai quelque chose
10:42à dire, est-ce que ce que j'ai
10:43à dire est utile ?
10:44Enfin, tout ce questionnement-là.
10:46Et en même temps, mon job à moi
10:48qui me passionne
10:51depuis des années,
10:52c'est de provoquer
10:56l'écriture quand même,
10:57c'est-à-dire à la fois,
10:58on n'y arrive pas complètement
11:00innocemment, sinon c'est
11:01un peu imbécile heureux.
11:02Et en même temps,
11:03si on se pose toutes ces questions
11:05qui nous animent devant
11:07l'ordinateur, le fichier ouvert
11:10ou la première page d'un carnet,
11:12on peut être sûr
11:13qu'il ne va rien arriver.
11:14Donc, comment est-ce qu'on arrive
11:15à trouver cet endroit
11:17où à la fois, on a tout un arrière-pays
11:21qui nous nourrit
11:22et en même temps, une forme
11:24de saut, de prise de risque
11:29pour y aller.
11:31Moi, j'essaie un peu
11:34de désacraliser la chose,
11:36pas pour la redescendre,
11:38mais simplement
11:39pour qu'on puisse se connecter
11:41à cette source créative.
11:44Et donc, évidemment,
11:45pas une recette de cuisine
11:46qui existe,
11:47mais il y a une espèce
11:49de travail de maïotique,
11:50c'est-à-dire envoyer à l'autre
11:52pourquoi tu es là, qui tu es,
11:53comment ça peut faire
11:55et puis essayer plein de choses.
11:56Et on se rend compte, en fait,
11:57que quelque chose de très basique,
12:00c'est que pour écrire,
12:02il faut écrire.
12:03C'est la règle numéro un.
12:06C'est la règle numéro un.
12:07Et on a bien aimé, finalement,
12:09cette réflexion à deux étages,
12:12comme ça, moi en petite fourmi
12:15qui essaye de mettre au travail,
12:17d'essayer le gabarit,
12:19comment on va se démarrer,
12:21comment on va à la fois
12:23lâcher les chevaux
12:25pour qu'un récit parte,
12:27pour qu'une langue arrive,
12:28pour que des images se créent.
12:29Et en même temps,
12:30comment derrière,
12:31on va un petit peu ficeler
12:33les choses, monter les choses,
12:35retrancher, ajouter, amplifier,
12:38condenser, déplacer,
12:40nourrir avec ce qu'on est,
12:42avec ce qu'on a vécu,
12:43avec ce que d'autres ont vécu avant nous.
12:45Au contraire, inventer.
12:46Enfin, voilà.
12:47Et il y a quelque chose comme ça
12:48qui est comme,
12:50c'est comme un garçon de café
12:52qui a deux plateaux sous les bras
12:54et plein de choses dessus.
12:56Et on essaye d'avancer avec tout ça
12:58et à la fois avec la tête,
13:01l'érudition, la connaissance
13:02et puis quelque chose
13:04de plus organique, en fait.
13:06Est-ce qu'il n'y a pas une dimension de jeu
13:07un peu aussi,
13:08parce que j'ai l'impression
13:09qu'il y a quelque chose
13:10de laborieux sans doute,
13:11et qu'il y a de l'ordre de la souffrance
13:12dans l'écriture,
13:14mais à travers tous les exercices
13:16que vous proposez,
13:17il s'agit souvent
13:18d'essayer de changer de voix
13:21ou de se mettre
13:22dans les souliers d'un autre
13:23ou de changer de perspective
13:24ou même changer de mode,
13:27de temporalité.
13:28Donc ça, ça s'apparente un peu
13:30à un jeu ou pas ?
13:31Oui, en fait,
13:32c'est une sorte d'inconfort
13:33absolument délicieux
13:34parce que le fait
13:36de revenir à un texte
13:38et d'aller encore l'interroger
13:39et encore chercher le tort
13:41dans une direction
13:42puis dans l'autre
13:43et puis forcément,
13:44il y a quelque chose
13:45qui émerge à partir de tout ça.
13:47Donc c'est une espèce
13:49de grand puzzle
13:50dont on maîtrise certaines pièces,
13:53d'autres pas du tout
13:54et on essaye de les assembler.
13:59Et ce qu'on a aussi essayé
14:02c'est de dépasser,
14:04en tout cas,
14:05dans ces espèces d'échauffement
14:07que propose le nécessaire,
14:08dépasser la question
14:10de quoi écrire
14:11pour se mettre au travail.
14:12Et pour dépasser quoi écrire,
14:13effectivement,
14:14on se met dans les textes
14:16des autres,
14:17on poursuit
14:18pour éviter tout ce qui est
14:22de l'ordre de l'intention
14:23de l'écriture
14:24pour que ce soit l'écriture
14:25qui arrive
14:26et pas le discours
14:27sur l'écriture.
14:28Ça, ça nous amène
14:29à une autre notion
14:30vachement importante
14:31dans les livres,
14:32c'est le lieu-source
14:33dont on parle
14:34en s'appuyant
14:35sur beaucoup d'auteurs,
14:37certains qui sont même
14:38très proches d'ici,
14:39voire là.
14:40Et plus on lit,
14:42plus on dit,
14:43il faudrait qu'on rajoute ça
14:44encore dans le nécessaire.
14:45Mais on parle aussi
14:46de Châteaubriand pour ça,
14:47au départ.
14:48Ça, c'est vachement
14:49ce que ça t'intéresse
14:50de parler de ça,
14:51Châteaubriand
14:52et du lieu-source.
14:53Il y a beaucoup d'auteurs
14:54comme ça qui sont liés
14:55à ce que j'appelle moi
14:57le lieu-source
14:58qui peut être
14:59la ville natale,
15:01mais pas forcément.
15:05Pombray, pour Proust,
15:06c'est illié.
15:08Il n'est pas né à Illier.
15:10Châteaubriand, c'est Combourg.
15:12Il n'est pas né à Combourg.
15:14Il est arrivé assez tard
15:15à Combourg,
15:16adolescent quand même.
15:18Mais il y a quelque chose
15:19qui se focalise,
15:21qui fait de ces lieux-là
15:25ce qu'on appelle
15:26le lieu-source,
15:27c'est-à-dire que c'est
15:28à partir de là
15:29que ça va germer.
15:32Dans le cas de Châteaubriand,
15:35il est dans la campagne
15:39autour du château de Combourg
15:42et il va tenter de se suicider
15:45en mettant les canons
15:46d'un fils dans la bouche
15:47et deux fois,
15:48le fils n'est pas parti.
15:51On est en 1700,
15:54donc ce n'était pas encore
15:55très perfectionné.
15:57Et Proust,
15:59quand il est dans la recherche,
16:01quand il raconte
16:03sa naissance,
16:04son désir d'écriture,
16:06parce que ce qui est intéressant,
16:07c'est que le devenir écrivain
16:11passe avant
16:14peut-être des pulsions d'écriture
16:16dont on pense
16:17qu'elle est nécessaire
16:18pour l'acte d'écrire.
16:19Et Proust écrit,
16:21il est dans la campagne à Combrais,
16:23c'est-à-dire que c'est bien là
16:25qu'il situe ça,
16:26l'histoire du désert de la mer
16:29en tant que c'est à Combrais
16:30que ça se passe,
16:31et non pas dans son état particulier
16:34à Paris.
16:37Et il écrit
16:39« Et ses rêves m'avertissaient
16:40que si je voulais être un écrivain,
16:42il serait temps de me demander
16:44ce que j'allais écrire. »
16:45C'est-à-dire que ce qui semble
16:47la chose normale,
16:49c'est-à-dire que j'écris
16:50parce que j'ai quelque chose à dire,
16:51en fait, pas du tout.
16:53J'écris parce que j'ai un désir d'écrire
16:55et non seulement un désir d'écrire,
16:57mais ce qui est beaucoup plus mystérieux,
16:59un désir d'être écrivain.
17:01Alors, qu'est-ce que c'est
17:02que cet écrivain-là
17:04qui soudain va engouffrer
17:06toute une existence ?
17:08Parce qu'écrire, c'est facile,
17:10vous pouvez tenir un journal,
17:12il y a des tas de choses,
17:13des tas de gens qui le font,
17:16et le journal,
17:18sauf si on est Gilles ou des gens comme ça,
17:21n'est pas fait pour la publication.
17:23Donc, le journal ne fait pas d'écrivain,
17:25il peut le faire après,
17:27lorsqu'on ressort des livres,
17:29des choses comme ça,
17:30mais ce n'est pas sa fonction.
17:31Or, être un écrivain,
17:33ça veut dire écrire un livre
17:35qui sera rendu public,
17:37dont le texte sera rendu public,
17:38qui sera diffusé,
17:40qui sera reçu,
17:42critiqué, aimé,
17:44tout ce qu'on veut.
17:46Donc, le pacte de départ, il est là.
17:48Être un écrivain.
17:50Et un écrivain, ça veut dire aussi
17:52s'inscrire dans une constellation
17:55d'écrivains aussi, puisque c'est un.
17:57Mais dans le cas du Dieu sourd,
17:59c'est qu'on voit que c'est là que ça gère.
18:02Le château brillant à Cambourg,
18:04c'est que le Cambourg,
18:07c'est une forteresse
18:09entre Rennes et Camalo,
18:12a été acheté par le père de château brillant
18:15après qu'il a arrêté la course.
18:17La course pour le père de château brillant
18:20qui a été le capitaine
18:22des navires et armateurs,
18:25c'est la traite.
18:27C'est-à-dire que quand le château brillant,
18:32au fond,
18:34échafaud tout son projet comme ça,
18:37littéraire et poétique,
18:39sur la citadelle de Cambourg,
18:41c'est qu'il y a une faute à réparer.
18:44Il y a quelque chose là
18:46qui, pour lui,
18:48doit être réparé.
18:50Et alors, château brillant part
18:52quand il est plus jeune,
18:54il décide d'aller aux Etats-Unis
18:56et trouver le passage du Nord-Ouest.
18:59C'était absolument impossible.
19:01On peut maintenant, parce qu'il y a la fonte de glace,
19:03mais avant c'était absolument impossible.
19:05Et puis il arrive aux Etats-Unis,
19:07sur les herbes,
19:10il arrive aux Etats-Unis,
19:12il y a le bateau qui fait escale,
19:14dans une pique,
19:16et donc l'équipage descend
19:18pour aller se ravitailler.
19:20Et château brillant,
19:22un jeune gars,
19:24il a 22 ans,
19:2623 ans,
19:28il dit,
19:30il arrive à une ferme,
19:32c'est une petite escale noire
19:34qui m'accueille au pays de la liberté.
19:36Déjà, l'Oxymore,
19:39l'Amérique est toujours là-dessus,
19:41toujours pas réglé
19:43le problème entre la liberté
19:45et l'estavage à parfaite
19:47et l'atténuation
19:49d'une communauté.
19:51Qu'est-ce qu'il fait ?
19:53Il est chevalier,
19:55parce que dans l'ordre nobiliaire,
19:57il deviendra vicomte
19:59à la mort de son père,
20:01mais pour l'instant il est chevalier.
20:03Donc le geste chevaleresque,
20:05c'est de faire
20:07de sa dame celle
20:09pour qui on va se battre.
20:11Et il y a le jeune château brillant
20:13qui retire son foulard
20:15et qui le donne à cette petite escale noire.
20:17Voilà.
20:19C'est-à-dire qu'il répare la faute.
20:21Il dit, je t'adoube, je te fais princesse.
20:23Voilà.
20:25Et c'est
20:27l'acte fondateur qui lui permet
20:29à partir de là
20:31de véritablement
20:33développer toute son histoire.
20:35Et derrière, il y a toujours,
20:37comme chez Proust,
20:39il y a toujours quelque chose
20:41qui traîne. Et le lieu source,
20:43c'est aussi le lieu réparateur
20:45dont on va attendre la réparation,
20:47duquel on va attendre la réparation.
20:49Proust, par exemple,
20:51on ne le dit pas, mais c'est un enfant de la guerre.
20:53Il est né,
20:55il a été conçu pendant le siège de Paris,
20:57et il est né un mois après la semaine sanglante de la Commune.
20:59Or, il fait naître son personnage
21:01dix ans après.
21:03Le grand refoulé
21:05de la recherche,
21:07ce n'est pas l'homosexualité, il en parle,
21:09ce n'est pas sa judéité,
21:11il en parle aussi avec d'autres, etc.
21:13C'est la guerre. Et donc,
21:15d'où il vient, qu'il a repoussé
21:17des dix ans pour ne pas
21:19être cet enfant de la guerre.
21:21Mais quand il écrit, les cris de Paris,
21:23quand on crie, c'est qu'on a mal.
21:25C'est quoi les cris de Paris ?
21:27Donc,
21:29les cris de Paris,
21:31c'est des gens qui vendent
21:33la sauvette,
21:35les états, c'est en fait
21:37un travestissement
21:39des cris de la semaine sanglante.
21:41Paris a crié
21:43les cris du peuple,
21:45il y a Tardy qui a fait un livre
21:47là-dessus.
21:51Ce lieu source comme ça
21:53permet de débusquer
21:55les vrais
21:57détonateurs de l'œuvre.
21:59À la fin du livre,
22:01tu nous mènes même sur les sources
22:03de ta propre création en montrant comment
22:05toi aussi,
22:07tu avais cet inconscient
22:09qui précède l'écriture
22:11et qui a fait que tu as découvert seulement
22:13peut-être après coup
22:15les vraies motivations
22:17de ton premier roman.
22:19C'est-à-dire que le problème,
22:21c'est par rapport à l'intention.
22:23Donc, j'ai posé l'intention,
22:25j'avais déjà écrit ça,
22:27j'ai voulu l'écrire quand même.
22:29Mais si on m'avait reconnu
22:31depuis 20 ans que j'ai eu besoin
22:33d'écrire, j'ai signé.
22:35Ce n'est pas vrai.
22:39Et donc,
22:43à ce moment-là, il y a quelque chose qui s'est
22:45mis en marge, qui se déduisait,
22:47et en fait, on s'aperçoit
22:51avec le recul
22:53qu'on est
22:55complètement manipulé par son inconscient.
22:57Je ne crois pas que Chateaubriand
22:59sache la réalité de son geste,
23:01ni que Proust
23:03sache qu'à travers
23:05les cris de Paris, c'est les cris de la commune.
23:07C'est vrai que la guerre,
23:09il est trop fort quand la guerre arrive,
23:11parce qu'il n'y a plus qu'à la mettre.
23:13Et j'ai découvert
23:15après
23:17que toute
23:19l'histoire de Chandeleur
23:21était en fait complètement manipulée
23:23par l'inconscient,
23:25et que si j'avais été
23:27plus vigilant ou
23:31plus inacuité de ce que
23:33j'étais en train d'écrire,
23:35je n'aurais pas écrit Le Chandeleur, puisque c'est un
23:37travestissement.
23:39Il y a un Josette qui meurt,
23:41qui est dans le livre
23:43à rencontre des morts
23:45gazées en 1916,
23:47et alors
23:49qu'en réalité,
23:51il y a un Josette qui meurt
23:53dans le livre, c'est mon père,
23:55dans cette incapacité
23:57de parler de cette mort d'un homme à 41 ans,
23:59j'ai inventé,
24:01pas inventé, parce que ça existait,
24:03mais toute
24:05cette profondeur du champ, même que la première
24:07guerre mondiale, pour trouver un Josette
24:09qui meurt,
24:11à partir duquel je vais pouvoir m'étaler
24:13et dire
24:15le chagrin immense, parce que la guerre
24:17normalement ça fait
24:19beaucoup de chagrin.
24:21Etant inconscient, elle a trouvé un
24:23Joseph, le gros gazé,
24:25alors que ton père, lui, il est mort d'un cancer
24:27parce que c'était un fumeur.
24:29Trop grand fumeur.
24:31Tout était là.
24:33Tous les éléments étaient là,
24:35qui relèvent,
24:37qui pour moi, quand j'écrivais, relèvaient
24:39de mon
24:41imaginaire créateur,
24:43ce qui fait en fait une gigantesque manipulation
24:45de mon inconscient.
24:47Je suis en train de trouver des trucs,
24:49une prochaine fois,
24:51donc je me dis, mon Dieu,
24:53c'est pas possible.
24:59J'ai beaucoup écrit sur l'après-histoire,
25:01sur ce qu'on vit.
25:03Comment on appelle l'après-histoire ?
25:07Sur la tombe familiale,
25:09il y avait
25:11une petite plaque
25:13d'un arbre blanc qui marquait Pierre
25:15en 1847.
25:17C'est mon frère aîné.
25:19Il n'est pas mort, puisqu'il n'a qu'une date.
25:21Il faut deux.
25:23Donc quel est l'âge de Pierre ?
25:25Vous m'en trouvez à Chauvet
25:27et à Poussin et compagnie.
25:29Vous voyez ?
25:33Juste pour
25:35peut-être vous donner une idée
25:37encore plus complète du livre,
25:39il faut dire aussi que cette alternance
25:41entre les aspects pratiques
25:43et les aspects plus théoriques,
25:45mais comme on voit aussi très personnels,
25:47à la fois parce qu'on rentre vraiment
25:49dans le parcours personnel de tous les écrivains
25:51qui sont évoqués, et puis parce que ça finit
25:53par ces passages qui concernent les chants d'honneur notamment,
25:55alterne avec
25:57un vrai
25:59trajet qui émène
26:01des tout premiers gestes de l'écriture
26:03ou du commencement même
26:05du livre jusqu'à la fin,
26:07avec des conseils très pratiques.
26:09Donc ça aussi, j'imagine, c'était voulu
26:11d'agencer les deux dimensions.
26:13Quand on a trouvé
26:15notre titre,
26:17qui est un titre définitif, mais qui au départ
26:19pouvait être un titre de travail, qui est le nécessaire
26:21d'écriture, eh bien on a vraiment
26:23trouvé la tension dans laquelle
26:25on allait avancer, parce qu'effectivement
26:27on sent toute la nécessité
26:29des auteurs, comme s'il y avait
26:31des forces mystérieuses
26:33qui tirent les ficelles derrière,
26:35et puis le nécessaire d'écriture,
26:37c'était comme un nécessaire de couture,
26:39c'est-à-dire vraiment cette petite trousse
26:41à outils dans laquelle on met plein
26:43de choses. Et donc oui, il y a un fil
26:45rouge qui est fait d'exercices,
26:47d'exemples, de
26:49chapitrages comme ça,
26:51dans lequel on met le plus d'outils
26:53possibles à l'intérieur de la trousse,
26:55sachant évidemment que tout le monde ne se servira pas
26:57de tout, mais à un moment donné, on peut
26:59sortir quelque chose et se dire
27:01voilà, je vais essayer
27:03d'avancer un petit peu.
27:05Et donc oui, c'est vraiment
27:07ce double sens
27:09de nécessaire qui a été
27:11notre boussole d'écriture.
27:13Est-ce que vous avez déjà
27:15eu des retours de lecteurs qui auraient tenté
27:17de faire des exercices et qui vous auraient
27:19dit...
27:21Oui, oui, j'ai
27:23plusieurs messages de personnes
27:25qui sont dans... Donc ça marche.
27:27Ça c'est bien aussi. Parfois on me demande
27:29les corrections, ça c'est un peu plus compliqué.
27:31Ah oui, je comprends.
27:33Et puis une idée qui
27:35m'est venue comme ça,
27:37on dit que c'est des conseils aux jeunes romanciers, mais on parle
27:39quand même de l'écriture
27:41d'une manière assez vaste et tous les écrivains
27:43dont on parle ne sont pas forcément romanciers.
27:45Tu parlais tout à l'heure
27:47de Voltaire, de Stendhal et
27:49Balzac qui voulaient écrire du théâtre. On parle aussi
27:51de Racine, donc on évoque plusieurs genres.
27:53En revanche, si je ne me trompe pas, on ne parle pas
27:55trop de poète.
27:57Est-ce que c'est parce que ça ne rentre pas
27:59sous le même...
28:01Ça ne peut pas
28:03se théoriser de la même manière
28:05l'écriture de poésie ?
28:07J'avais écrit trois livres sur
28:09Rimbaud.
28:11Ça suffisait.
28:13Le questionnement
28:15sur l'arrêt de la poésie de Rimbaud,
28:17c'est de dire que ce n'est pas Rimbaud qui arrête la poésie,
28:19c'est Rimbaud qui est suffisamment lucide
28:21pour considérer que la poésie
28:23est obtenue à cette époque-là,
28:25c'est-à-dire le parlance, cette espèce
28:27de raffinement extrême
28:29où on place d'abord
28:31les rimes pour qu'elles soient
28:33riches avant
28:35d'accéder au texte.
28:37Là, il y a Sandrin qui doit se plier à la rime,
28:39mais c'est là qu'il dit
28:43comment
28:45mettre du parlance
28:47à Germain.
28:49En ville.
28:51Est-ce que
28:53vous ne saviez pas qu'il serait temps
28:55d'abandonner Alexandrin ?
28:57Il y a une espèce de
28:59somnité,
29:01il y a une espèce de branleur
29:03qui a 17 ans qui lui dit
29:05un coup de coco ton truc,
29:07ça ne vaut plus un clou.
29:09Il lui arrête,
29:11lui-même, il n'écoutait pas la sentence
29:13parce qu'il considère qu'effectivement
29:15c'est Alexandrin au moment où
29:17c'est l'espèce d'homme associé
29:19qu'il a messuré.
29:21Alexandrin n'est plus capable
29:23de rendre compte de ça.
29:25On va voir arriver
29:27le premier
29:29grand poème de la modernité,
29:31c'est-à-dire qu'il a compris
29:33qu'il fallait intégrer tout ce monde
29:35nouveau comme ça
29:37lié à ce qu'il est,
29:39ce n'est pas qu'un idiote.
29:43C'est un poème d'été
29:45où il commence avec Alexandrin
29:47et puis normalement quand il manque des
29:49pieds, il y a une technique de rajouter
29:51des chevilles
29:53pour arriver jusqu'à d'où.
29:55Il lui comprend que ce n'est pas la peine.
29:57À un moment ça rime,
29:59puis après ça rime plus.
30:01Il est là devant ce panorama
30:03de toutes ces idées
30:05du monde entier qui échouent à Aiguille-Saint-Denis
30:07comme ça.
30:09En plus,
30:11à Pâques, avec l'idée
30:13de la passion,
30:15l'idée qu'on vit, je suis même proie.
30:17Et là, on a
30:19toute la modernité, on a New York,
30:21Pâques à New York.
30:23Pâques, c'est Jérusalem.
30:25C'est une manière de dire aussi que la nouvelle
30:27Jérusalem, c'est New York.
30:29L'élévation des tours
30:31qui sont déjà là
30:33c'est les nouvelles
30:35croix du monde. Il y a quelque chose
30:37d'une puissance politique formidable.
30:41Puisqu'on est aux
30:43Etats-Unis, on parle beaucoup
30:45d'auteurs français dans ce livre-là, mais il y en a
30:47un qui a une place
30:49importante et qui est américain,
30:51c'est Kerouac. Je crois que c'est aussi un auteur
30:53qui compte beaucoup pour vous.
30:55C'est un auteur qui a beaucoup
30:57compté pour Jean avant de compter
30:59pour moi, donc vas-y.
31:01Mais c'est un auteur
31:03qui a appris à Jean
31:05et puis Jean m'a répercuté ça après.
31:07C'est une vraie confrontation avec le réel.
31:09C'est comment
31:11se dire que tout peut entrer
31:13dans un texte. Il y a
31:15une scène dans Les Clochards célestes
31:17qui nous a fascinés, qui était
31:19un moment où ils font un bivouac
31:21et ils vont
31:23cuire des saucisses.
31:25Tout peut entrer dans le
31:27livre et il n'y a pas
31:29les sujets nobles
31:31et puis les sujets vils et c'est en ça
31:33qu'on dit conseil aux jeunes romanciers.
31:35Qu'est-ce qu'on entend par le roman
31:37et par le roman aujourd'hui ?
31:39C'est que le roman contemporain est la
31:41forme la plus accueillante, la plus
31:43pure et la plus hybride qui soit
31:45dans l'intérieur d'un roman, que ce soit
31:47un vrai roman ou un roman
31:49vrai et dans lequel peut entrer
31:51bien sûr du récit, bien sûr de la narration,
31:53mais bien sûr de la poésie,
31:55bien sûr du documentaire.
31:57C'est quelque chose qui est extrêmement
31:59une structure qui est extrêmement accueillante
32:01donc elle est assez passionnante pour nous.
32:05Jean avait une formule
32:07qui m'a aidée puisque
32:09il a beaucoup d'années d'avance sur moi
32:11en écriture
32:17parce que j'ai commencé tard
32:19et donc il a eu une formule
32:21qui m'a aidée énormément qui était
32:23pied sur terre
32:25et tête dans les nuages
32:27et donc c'est à la fois une dimension
32:29qui soit plus grande que
32:31cette espèce d'écriture clinique
32:33et en même temps si on est juste dans les nuages,
32:35dans les nuées, on ne sent pas
32:37et c'est là-dessus que
32:39Kerouac a ramené
32:41quelque chose de très terrien
32:43et en même temps si on n'est que dans du terrien
32:45on s'emmerde un peu aussi.
32:47C'est ce mélange constant.
32:49Et c'est vrai que...
32:51J'ai l'impression que Kerouac a quelque chose
32:53qui m'avait fasciné
32:55c'est comment il était capable
32:57de ramener des choses
32:59ignobles
33:01entendons non nobles
33:03et avec une
33:05liberté
33:07extraordinaire.
33:09Au début, dès qu'il chassait par exemple
33:11il embarque dans le train
33:13et puis il dit
33:15je ne sais pas, le train passait par pas loin de
33:17Saint-Louis-sur-Dix-Po
33:19où Charlie Parker avait été
33:21interné
33:23après avoir été un peu cinglé
33:25à force de...
33:27Et puis plus loin il rencontre un
33:29clochard, un petit clochard dans le train
33:31donc un robot
33:33qui dit une prière de Sainte Thérèse de Lisieux
33:35et soudain il y a Sainte Thérèse de Lisieux
33:37et franchement faire l'éloge de Sainte Thérèse
33:39de Lisieux dans ces années-là, il fallait être gonflé
33:41quoi. Et lui
33:43qui s'affirmait comme écrivain
33:45catholique après
33:47Saint-Louis-sur-Dix-P
33:49c'était non seulement
33:51une
33:53incitation à une
33:55vraie liberté
33:57mais sa phrase aussi qui du coup attrape tout
33:59parce que c'est ça l'idée de Kerouac
34:01mais c'est aussi
34:03une affirmation. Moi c'est
34:05ça. Et que
34:07écrire en empruntant
34:09des identités autres, c'est pas la peine
34:11c'est déjà été fait. Et donc
34:13avancer en disant moi c'est ça
34:15et en se disant mon Dieu, avec ça
34:17je devrais intéresser, ça
34:19paraît un peu
34:21quand même
34:23périlleux. Si je dis
34:25moi je m'avance en étant né à
34:27Cambon dans l'inférieur
34:29dans un magasin de vaisselle
34:31avec un père en train de prendre le commerce
34:33il m'aura 41 ans. Et de dire avec ça
34:35je vais faire
34:39l'entrée en littérature
34:41c'est périlleux. Vous voyez
34:43on vous dit que
34:45si vous demandez une carte momentaine à ce
34:47moment-là, ça va vous dire de
34:49se dire je ne sais pas
34:51c'est une chose de commerce
34:53je ne sais pas. Et donc
34:55c'est
34:57tenir sur cette affirmation
34:59là. C'est à dire que moi je fais
35:01avec ça.
35:03J'expliquais tout à l'heure le pouvoir de
35:05l'inconscient et l'inconscient qui ne s'importe
35:07pas. C'est
35:09vraiment la chose qui ne s'importe pas
35:11c'est l'inconscient. On est
35:13absolument
35:15propriétaire exclusif de son inconscient
35:17et donc c'est avec ça
35:19qu'il faut travailler, et non pas avec une
35:21identité ou autre. Et dans ces
35:23idées-là, il y a des tas de choses qui ne sont pas
35:25raccord avec ce qu'on attend.
35:27Quand j'étais chambre d'honneur
35:29j'ai parlé d'un religion
35:31au moment où c'était le tien du peuple
35:33j'ai parlé du commerce
35:35de petits commerces dans la littérature
35:37c'est des scénarios, des horreurs
35:39j'ai parlé
35:41de la guerre tout de suite et c'était
35:43le travail d'ami patrie
35:45enfin vraiment
35:47et en même temps
35:49c'était ça
35:51que je devais faire. Honnêtement.
35:53Voilà, la grande affaire
35:55c'est l'honnêteté. Tout le reste est à côté.
35:59Et alors peut-être
36:01pour terminer en beauté, à moins que vous ayez d'autres
36:03sujets que je n'ai pas pensé aborder
36:05on a beaucoup parlé des écrivains qui sont
36:07présents ici, mais il y a un peintre
36:09aussi dont vous parliez, Mathis
36:11C'est Mathis. Alors pourquoi Mathis?
36:13Parce qu'on est au plus haut de la
36:15création, parce que quand on
36:17est l'idée du nécessaire
36:19c'est en même
36:21temps de nous amener vraiment
36:23dans les coulisses, dans le
36:25laboratoire, dans ce qui se passe
36:27derrière et donc on a accueilli
36:29ça m'a même posé question au moment de l'édition
36:31on a accueilli évidemment beaucoup de livres
36:33je ne connais pas un écrivain qui n'est pas
36:35d'abord un lecteur qui ne va pas chercher
36:37ses propres solutions
36:39sa propre réflexion à l'intérieur
36:41des livres qu'il lit, mais on a
36:43accueilli beaucoup de références
36:45de cinéma et de la peinture
36:47aussi et quand on voit
36:49Mathis, il se trouve que pendant l'écriture
36:51il y avait un magnifique expo
36:53à l'Orangerie qu'on est allé aussi
36:55voir sa chapelle de Vence
36:57qui nous a complètement
36:59bouleversé
37:01et on comprend une chose
37:03parce que dans la chapelle de Vence on voit toutes les études
37:05préparatoires et on
37:07refait le chemin qui est aussi le chemin
37:09de l'écriture, c'est-à-dire qu'on pense
37:11toujours qu'écrire c'est construire
37:13c'est une construction et en fait c'est le contraire
37:15quand on voit les dessins de Mathis
37:17entre autres dans cette chapelle
37:19au départ ce sont des dessins
37:21qui sont avec plein de traits
37:23et petit à petit il ne fait
37:25qu'enlever, il ne fait qu'alléger
37:27pour retrouver vraiment
37:29le cœur
37:31du cœur et
37:33il a une phrase merveilleuse
37:35qui est qu'il faut suivre
37:37sa ligne, il faut suivre la ligne
37:39il faut faire ce que demande la ligne
37:41et donc c'est à la fois
37:43toujours cette réflexion
37:45et puis cette espèce de conviction intérieure
37:47pour essayer de
37:49suivre, donc oui il a été un
37:51grand maître pour nous
37:53Et puis ce qui est intéressant
37:55c'est
37:57comment
37:59ça c'est la belle chose
38:01que les grands créateurs c'est leur trajectoire
38:03ils partent
38:05c'est le Van Gogh qui part
38:07de ses
38:09brodequins au jiu-jitsu pour arriver
38:11aux années tableaux et Mathis
38:13c'est pareil, il avait
38:15ses papiers d'équité
38:17Picasso se trouve sa gueule
38:19il prend son gilot
38:21et puis il va
38:23à la chapelle, il voit
38:25le Saint-Dominique
38:27la Vierge
38:29avec l'enfant, ok
38:31et puis il se retourne
38:33et il voit l'écritessenne de la Passion
38:35une espèce de crayonné comme ça
38:37ça ressemble
38:39presque à du graffiti
38:41on a du mal à apercevoir
38:43exactement de quoi même il s'agit
38:45et là Picasso reste bouffé
38:47parce qu'il sait que ce type
38:49qui avant a fait des dessins préparatoires
38:51où on reconnait
38:53Véronique
38:55mettant dans le linge
38:57le linge
38:59à Jésus
39:01ou l'autre qui l'aide à porter sa croix
39:03après qu'elle l'a jetée
39:05et comme c'est des dessins
39:07qui sont parfaitement identifiables
39:09ça correspond à la Passion
39:11il envoie tout
39:13sa promesse
39:15qu'il a fait
39:17d'ingérer
39:19on n'a rien de tant
39:21qu'il a passé des années à faire ces dessins
39:23préparatoires, une virtue
39:25c'est un vrai Saint-Dominique
39:27crayonné
39:29qui est aussi une espèce de chute
39:31vraiment de tout ce défait
39:33du corps
39:35on ne va pas faire l'apologie du corps
39:37lorsqu'il est martyrisé à ce point là
39:39lorsqu'on sait
39:41qu'il va devoir
39:43passer par
39:45l'extrémité de la mort
39:47d'une mort violente pour pouvoir repasser du côté
39:49et
39:51Matisse quand il fait ça
39:53il est dans son lit
39:55il a un cancer, il ne peut plus se lever
39:57il fait ses dessins
39:59comme ça en ayant accroché
40:01ses grandes feuilles mûres
40:03aidées par Lydia
40:05et son chien
40:07et le chat qui dort là
40:09et les pigeons qui roulent tout autour
40:11et donc
40:13c'est le chemin
40:15le chemin de croix là qui est tracé
40:17sur le milieu du cour de la chapelle de Vence
40:19c'est aussi la vouleur de Matisse
40:21il ne va pas nous faire croire que le corps
40:23peut échapper à cette souffrance là
40:25lui étant lui-même
40:27dans un
40:29état, en fait il souffrait
40:31énormément
40:33et c'est tout, jusqu'au bout
40:35il y a le
40:37juste avant, il fait un dernier portrait
40:39de Lydia
40:41au stylo bill
40:43il regarde et il dit ça ira
40:45il tourne un peu là
40:47donc jusqu'au bout
40:49il y a
40:51comme disait
40:53Tinger de Beckett
40:55quand Tinger
40:57a appris que
40:59Beckett était dans une
41:01maison de retraite vraiment minable
41:03vraiment minable
41:05c'est Tinger qui
41:07confie
41:09chapeau
41:11je pense
41:13que c'est le plus beau compliment qu'on puisse faire
41:15à un créateur
41:17bon cas ça
41:19bon cas ça
41:21ça c'est un autre truc
41:23que vous citez
41:25pourquoi écrivez-vous, c'est vrai que vous
41:27partez aussi de ces réponses là
41:29pourquoi écrivez-vous et la réponse de Beckett
41:31elle est
41:33on l'envie tous
41:35alors il faut l'entendre
41:37bon cas ça, ça veut dire
41:39pour le reste je suis nul
41:41effectivement Beckett
41:43n'était pas bon à grand chose
41:45mais en revanche là je suis bon
41:47c'est à dire qu'il y a aussi une affirmation
41:49c'est ce que je disais tout à l'heure
41:51cette affirmation
41:53il y a tout ce qu'on veut, là je suis bon
41:55je sais si on a entendu Beckett
41:57au moment de Baudot et compagnie
41:59ça a quand même pas été
42:01fixé immédiat
42:03mais vous avez l'inconscience
42:05sereine que c'est par là
42:07que ça doit passer
42:09et que donc
42:11là on pourra bien le dire parce que là
42:13même si tout le monde
42:15pense le contraire
42:17là je suis bon
42:19et là
42:23c'est fort l'option
42:25je crois que c'est ça
42:29bien est-ce que certains d'entre vous
42:31auraient des questions
42:33à poser à Jean et Nathalie
42:37pas de questions particulières
42:43il y a eu un superbe article
42:45de Mohamed Aissaoui dans le Figaro
42:47qui commence son article
42:49en citant les chiffres d'un sondage
42:51qui peut nous laisser espérer un très grand succès
42:53puisqu'il explique qu'il y a 12 millions
42:55de français qui souhaitent devenir écrivains
42:57et 2 millions 5
42:59et 2 millions 5 qui sont
43:01forcément publiés bien sûr
43:03sont passés à l'acte
43:05quand j'ai voulu faire
43:07paraître mon premier
43:09livre, roman qui n'est jamais
43:11paru, qui est un roman zéro
43:13je l'ai envoyé évidemment à beaucoup de
43:15maisons d'édition, il n'était pas encore prêt
43:17et je l'avais entre autres envoyé à
43:19la maison d'édition le temps qu'il le fait
43:21et puis comme je n'avais pas de réponse après quelques semaines
43:23j'ai appelé la dame en disant
43:25vous avez lu et elle m'a dit
43:27écoutez madame, je reçois plus
43:29de manuscrits que je ne vends de livres
43:33c'est une tendance, il paraît que les américains
43:37oui j'allais dire, il paraît que les américains
43:39veulent être présidents et que les français veulent être écrivains
43:41il n'y a plus de place pour les écrivains
43:43pour être présidents
43:45c'était chaud quand même
43:47pas forcément les meilleurs
43:49critiquaires et les meilleurs critiques
43:51les américains
43:53est-ce qu'on passe à la signature alors ?
43:55avec plaisir
43:57merci