Jeudi 31 octobre 2024, SMART IMPACT reçoit Heïdi Sevestre (Glaciologue)
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00:00Générique
00:06L'invité de Smart Impact, c'est Heidi Sevestre, bonjour.
00:09Bonjour.
00:10Bienvenue, vous êtes glaciologue, auteur de nombreux livres,
00:12je vais citer « Sentinelle du climat » qui vient de sortir en édition Poche.
00:17Et vous êtes là pour nous parler de biodiversité, de glaciers
00:20et de cette COP16 qui se déroule en Colombie, COP16 biodiversité.
00:24Conclusion attendue ce 1er novembre.
00:28Qu'est-ce que vous en attendez ?
00:30Énormément.
00:31Aujourd'hui, on sait que nous reposons sur le vivant, notre économie, notre santé,
00:36c'est capital et en Colombie, c'est un pays que je connais très bien
00:39parce qu'il y a des petits glaciers en Colombie qui sont déterminants pour la biodiversité.
00:43Si ces glaciers disparaissent, c'est la biodiversité en aval de ces glaciers
00:47qui risque de subir de plein fouet le manque d'eau.
00:50Et cette biodiversité en Colombie, c'est des plantes médicinales,
00:53des espèces endémiques et surtout des puits de carbone.
00:55On a désespérément besoin d'une biodiversité en bonne santé
00:58aussi pour absorber nos émissions de gaz à effet de serre.
01:01On va beaucoup voyager grâce à vous, mais là, je vais commencer par la France
01:05avec le glacier le plus connu au-dessus de Chamonix,
01:09le Mont Blanc pas loin, mer de glace, etc.
01:11À quel point il souffre aujourd'hui ?
01:14Oui, c'est vraiment un glacier qui est sentinel.
01:16On dit souvent que les glaciers sont les meilleurs baromètres du climat.
01:19Plus nos émissions de gaz à effet de serre augmentent, plus ces glaciers reculent.
01:23Et la mer de glace, il suffit d'y retourner pour voir à quel point elle a laissé derrière elle
01:27un canyon pratiquement vide.
01:29Aujourd'hui, il y a encore un tout petit peu de glace au fond.
01:31Et pour moi, ces glaciers, ça nous montre qu'à l'échelle d'une vie humaine,
01:34à l'échelle de générations même, le changement climatique attaque de plein fouet ces glaciers.
01:40Et en attaquant ces glaciers, c'est nos meilleurs châteaux d'eau sur Terre
01:43qu'on est en train de voir disparaître sous nos yeux.
01:45Aujourd'hui, il y a quand même 2 milliards de personnes pratiquement
01:48qui utilisent l'eau de ces glaciers.
01:49Donc, on a besoin de continuer à se battre pour ces baromètres du climat,
01:52pour ces châteaux d'eau, parce que nous, on les utilise très clairement
01:56pour produire de l'énergie, pour l'agriculture, pour notre économie.
01:58Est-ce qu'il faut leur donner un statut juridique ?
02:00Je crois que c'est l'un des enjeux de cette COP biodiversité.
02:03Oui, alors c'est vrai que c'est fait pour certaines rivières, pour certains écosystèmes.
02:06Mais pourquoi pas les glaciers ?
02:07Les glaciers sont un petit peu en reste aujourd'hui.
02:09Et je pense que ça leur permettrait d'avoir un nouveau moyen de défense.
02:12Alors pourquoi pas leur donner un statut juridique
02:15pour qu'on enlève toutes ces attaques, des bulldozers qu'on a vues sur les glaciers
02:19ces derniers temps lors des compétitions de ski.
02:21Aujourd'hui, voilà, ces glaciers, ce sont des biens communs.
02:23Donc il faut qu'ils aient un statut à l'échelle de leur importance.
02:26Ça permettrait, rentrons dans le détail, de mieux les protéger.
02:28C'est-à-dire qu'il pourrait y avoir des procédures,
02:30ça permettrait à des associations de s'opposer à des projets, c'est ça ?
02:33Voilà, exactement. En amont et en aval de ces projets qui peuvent être très destructeurs,
02:36de faire en sorte déjà que ces projets n'aient pas lieu.
02:38Mais s'ils ont lieu, qui va réparer les pots cassés ?
02:41Qui va réparer justement ces dommages qui ont été faits à nos châteaux d'eau ?
02:44Donc c'est une solution qui est étudiée.
02:46Certains pays avancent ça plus rapidement que d'autres.
02:48Mais nous, en tout cas, les scientifiques, on soutient ça pleinement.
02:50Alors, je suis frappé de voir le...
02:53Alors là, nous, on en parle ici, on y consacre notre émission à cette COP biodiversité.
02:57Elles sont toujours moins médiatisées que les COP climat.
03:01Pourtant, c'est tellement important et tellement lié.
03:03Comment vous l'expliquez, ça ?
03:05Je pense qu'on a encore du mal à réaliser l'importance du vivant.
03:08Alors que tout ce qu'on fait repose là-dessus.
03:09Alors, on a besoin de vous.
03:11Et heureusement que vous êtes là pour nous donner un coup de main
03:13et mettre un coup de projecteur sur ces COP biodiversité.
03:16Nous, c'est vrai qu'en tant que glaciologues, on s'attache plus aux COP climat.
03:19Mais finalement, on se rend compte que les glaciers...
03:22Les glaciers, c'est vraiment le cadre donné à cette biodiversité au vivant.
03:26Les glaciers fertilisent les océans.
03:28Sous la banquise de l'Arctique, on a du phytoplankton qui s'accroche sous la banquise
03:32et dont la biodiversité marine des régions polaires dépend.
03:36Donc finalement, même combat.
03:38C'est vrai que moi, en ce moment, ces dernières semaines, je prépare à 3000% la COP 29
03:42qui va avoir lieu, la COP climatique qui va avoir lieu en Azerbaïdjan.
03:45Mais biodiversité et glaciers, même combat.
03:47Ça se rejoint.
03:48Vous participez au programme de surveillance et d'évaluation de l'Arctique.
03:53En quoi consistent vos missions ?
03:55Oui, alors nos missions, nous sommes en fait une organisation qui est à la frontière
04:00entre le monde académique, on travaille avec 800 experts scientifiques,
04:03et les gouvernements de l'Arctique.
04:05Et notre façon de fonctionner est très intéressante.
04:06Les gouvernements de l'Arctique viennent avec nous avec des questions
04:10et c'est à nous d'y répondre.
04:11Et un grand sujet sur lequel on travaille aujourd'hui,
04:13c'est comment le réchauffement climatique, qui est monumental dans l'Arctique,
04:17affecte les 7 millions d'habitants de cette région, affecte leur santé.
04:22Et donc nous, avec nos 800 experts, notre travail,
04:24c'est de produire la meilleure science possible
04:26et de communiquer de façon très étroite avec ces gouvernements
04:29pour un petit peu les motiver à passer à l'action.
04:31Quels sont les enjeux autour de l'Arctique dans les prochaines semaines ?
04:35Là, pour cette COP biodiversité, ensuite pour la COP climat,
04:39sont des enjeux qui sont aussi géopolitiques,
04:42qui ont trait, par exemple, à des routes maritimes.
04:45Il y a beaucoup, beaucoup d'enjeux qui sont liés au réchauffement climatique
04:49et à ses conséquences sur l'Arctique.
04:50Oui, j'ai entendu dire dernièrement que s'il n'y avait plus de banquise,
04:53il y aurait des nouvelles routes de navigation.
04:55Et ces nouvelles routes de navigation sont plus courtes.
04:57Donc c'est finalement bon pour la planète
04:58parce qu'elles auront une empreinte carbone un peu plus basse.
05:01En fait, ce n'est pas aussi simple que ça.
05:02Aujourd'hui, l'Arctique, c'est la région qui se réchauffe le plus vite sur Terre,
05:053 à 4 fois plus vite que le reste de la planète.
05:07Et le fait que l'on perde la glace de l'Arctique,
05:10la banquise, la glace du Groenland,
05:11ça affecte non seulement les 7 millions d'habitants de l'Arctique,
05:14mais ça affecte toutes les populations du monde entier jusqu'ici en France.
05:18Plus la banquise de l'Arctique se retire,
05:20plus chez nous, en France, on a des événements météorologiques extrêmes.
05:23Comment c'est lié ?
05:25Alors, sans rentrer dans les détails,
05:27exactement, c'est lié en fait au vent.
05:28Les jet streams polaires, les vents,
05:30ils aiment bien les écarts de température sur Terre.
05:31Ils aiment bien qu'il fasse froid dans l'Arctique
05:33puisque l'Arctique se réchauffe beaucoup plus vite qu'ailleurs.
05:35Ses vents ralentissent, font un petit peu des méandres
05:38et en créant cette perturbation météorologique,
05:41parfois on va avoir des très grandes vagues de chaleur.
05:43En France, on les a déjà bien subies.
05:45Mais on peut avoir l'inverse aussi,
05:46des vagues de froid qui vont forcer les précipitations,
05:49qui vont aussi terriblement affecter notre agriculture.
05:51Donc finalement, si on veut vraiment donner la meilleure chance possible
05:54à notre économie, à notre agriculture, à notre santé,
05:57il faut se battre pour l'Arctique
05:58et arrêter d'aller chercher de nouvelles ressources fossiles
06:02et diminuer vraiment nos consommations d'énergies fossiles,
06:04de gaz, de pétrole et de charbon.
06:06Est-ce que ça a aussi des conséquences sur la montée du niveau de l'océan ?
06:10Complètement.
06:11Rien que ce qui se passe dans l'Arctique, on a le Groenland.
06:13Le Groenland, s'il perd sa glace,
06:15c'est 6 à 7 mètres d'élévation du niveau des mers.
06:17Mais si on regarde ce qui se passe au niveau du pôle sud,
06:19l'Antarctique, l'Antarctique contient suffisamment de glace
06:22pour augmenter le niveau des océans jusqu'à 58 mètres.
06:26Et ce n'est pas une faute de frappe, c'est vraiment 58 mètres.
06:28Donc quand on se rend compte de l'importance de ces calottes polaires,
06:31on réalise que les Hauts-de-France, la Côte-Aquitaine, l'aéroport de Nice, etc.,
06:35qu'en France, on est dans la ligne de mire de l'élévation du niveau des mers.
06:39Aujourd'hui, ces calottes polaires peuvent réagir beaucoup plus vite qu'on le pensait
06:42à l'augmentation des concentrations de gaz à effet de serre.
06:44Et ça se joue maintenant.
06:45C'est quelle décision on prend cette semaine, ce mois-ci, le mois prochain
06:49pour éviter que ces calottes polaires franchissent des points de bascule
06:53qui seraient irréversibles ?
06:54Est-ce que ce que vous décrivez en Arctique, c'est moins vrai en Antarctique
06:58ou ça reste quand même critique là-bas ?
07:00Alors ça reste quand même critique.
07:01L'Arctique, c'est trois à quatre fois plus de réchauffement que le reste de la planète.
07:04L'Antarctique, c'est deux fois plus vide.
07:06Donc c'est quand même très, très sérieux.
07:08Et pourquoi l'Antarctique nous intéresse autant ?
07:10C'est parce qu'il fait 25 fois la taille de la France.
07:13Cette calotte polaire est gigantesque.
07:15Donc si on la perd, même une petite fraction, les conséquences vont être monumentales.
07:19Et on parle vraiment de dizaines, voire de centaines de millions de personnes
07:22qui risquent d'être déplacées à cause de l'élévation du niveau des mers.
07:25Sujet très, très sérieux, l'Antarctique.
07:27C'est où le dernier glacier que vous êtes allée visiter en quelque sorte ?
07:31Non, c'est vrai que j'ai à cœur de continuer à faire des expéditions,
07:34de récolter des données sur le terrain.
07:36Il y a quelques semaines, j'ai eu la chance de parcourir les glaciers d'Ouganda.
07:40Il y a des glaciers en Ouganda à Lombo.
07:42Entre l'Ouganda et la République démocratique du Congo.
07:45Et c'est des glaciers qui font partie des sources du Nil.
07:48Et surtout, c'est des glaciers qui ont une importance capitale pour ces populations,
07:51une importance culturelle pour le peuple Pakonzo.
07:54C'est là d'où viennent leur dieu et sa femme.
07:57Ils sont dans les glaciers.
07:58Donc, on ose imaginer pour eux ce que ça représente,
08:01la disparition de ces glaciers tropicaux.
08:03Quand les glaciers disparaissent, ils perdent une partie de leur âme,
08:06une partie de leur identité.
08:08Et c'est à nous, les scientifiques, vraiment d'accompagner ces programmes de mesures
08:11et de faire en sorte que ce soit ces populations
08:13qui continuent à faire ce travail de mesures
08:15pour qu'ils n'aient plus besoin de nous à l'avenir.
08:16Oui, il y a une dimension culturelle que vous êtes en train de nous décrire.
08:20Et là aussi, je reviens au tout début de notre conversation sur la biodiversité.
08:25Restons sur cet exemple de l'Ouganda.
08:27Si ces glaciers faiblissent, se rétrécissent en quelque sorte,
08:32qu'est-ce qui se passe ?
08:33C'est une vraie question pour l'Ouganda.
08:34On parle vraiment de forêt tropicale.
08:37C'est là où on a pratiquement le plus de biodiversité à l'hectare au monde.
08:41Donc, évidemment, si on perd ses ressources en eau pendant les périodes sèches,
08:45si on perd ses glaciers, comment est-ce que la biodiversité va pouvoir réagir ?
08:49Et le souci aujourd'hui, c'est vraiment la vitesse des changements.
08:52Ces glaciers disparaissent à la vitesse grand V
08:54et ça ne laisse pas suffisamment de temps à cette biodiversité
08:57pour pouvoir s'adapter, pour évoluer face à ces changements.
09:00Et ensuite, il n'y a pas que la biodiversité,
09:02il y a toutes ces populations humaines qui dépendent de cette biodiversité.
09:05Donc, on se rend compte que derrière chaque glacier, derrière chaque iceberg,
09:08finalement, ce sont des vies humaines.
09:10Et aujourd'hui, c'est pour ça qu'on se bat.
09:11Vous dites que ça se joue maintenant.
09:13Alors, peut-être que ça se jouait aussi beaucoup depuis quelques décennies
09:17et qu'on a pris trop de retard.
09:18Mais bon, si on réussit à prendre les bonnes décisions,
09:22qu'est-ce qui se passe ?
09:23On bloque le phénomène, on le freine ?
09:26Vous voyez ce que je veux dire ?
09:27Alors, il faut déjà le freiner.
09:28Évidemment, il faut qu'on arrête de donner autant d'avantages aux énergies fossiles.
09:31Aujourd'hui, littéralement, on sponsorise notre propre disparition.
09:35Il faut qu'on arrête d'ouvrir de nouveaux puits de pétrole, de gaz,
09:38qu'on arrête d'ouvrir des mines de charbon.
09:39Déjà, qu'on ralentisse le mouvement.
09:41Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, on réalise qu'on s'approche des points de bascule du climat.
09:44Si on franchit pendant plusieurs années, voire décennies,
09:471,5 degré d'augmentation de température,
09:49on risque de créer des conséquences irréversibles
09:52pour nos enfants, pour leurs enfants.
09:53Et ensuite, quoi que l'on fasse dans l'avenir, on ne pourra plus revenir en arrière.
09:56Donc, nous, pourquoi on se bat aujourd'hui ?
09:58C'est pour faire en sorte que l'on comprenne
10:00qu'il faut qu'on encourage toutes ces nouvelles énergies
10:02et qu'on arrête de faire des cadeaux aux énergies fossiles.
10:05Ce n'est plus possible.
10:05Le message est passé.
10:07Merci beaucoup, Heidi Seves.
10:08J'appelle le titre de ce livre « Sentinelle du climat »
10:11qui vient de sortir, qui est sorti en édition.
10:14Poche, on passe à notre débat tout de suite.
10:16On continue de parler biodiversité avec le rôle des entreprises.