• il y a 2 mois
Pierre de Vilno reçoit le philosophe Alain Finkielkraut dans #LeGrandRDV, en partenariat avec Europe 1 et Les Echos.

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Transcription
00:00Bonjour, bonjour à tous, bienvenue sur le plateau du Grand Rendez-Vous Europe 1, c'est News Les Echos.
00:05Bonjour Alain Finkielkraut.
00:06Bonjour.
00:07Vous êtes philosophe et séiste, vous êtes grand penseur de notre temps, nous sommes ravis de vous recevoir.
00:12C'est votre Grand Rendez-Vous ce dimanche et vous publiez chez Bouquin la modernité à contre-courant.
00:17C'est un recueil de plusieurs de vos écrits précédents, on va y revenir tout à l'heure.
00:21Après vous avoir interrogé sur l'actualité, sur la situation au Proche-Orient,
00:26maintenant qu'Israël a neutralisé Yahya Sinwar, le chef militaire du Hamas,
00:31après avoir éliminé Ismail Haniyeh et Hassan Nasrallah,
00:36l'insécurité en France mais aussi dans le monde,
00:39l'avenir de l'école car ce sont nos enfants maintenant qui héritent de ce monde fracturé,
00:43et enfin la modernité à contre-courant, c'est votre livre.
00:47Comment est-ce qu'on arrive à concilier tout cela dans nos conversations,
00:50dans notre vie au quotidien et dans nos civilisations ?
00:53Pour vous interroger ce matin, Stéphane Dupont du journal Les Échos,
00:56bonjour Stéphane et Mathieu Bocoté, bonjour Mathieu.
00:59Bonjour.
01:00Nous sommes le 20 octobre Alain Finkielkraut, un peu plus d'un an a passé
01:04depuis le plus grand massacre de juifs innocents depuis plusieurs décennies.
01:09Israël, dans cette guerre nécessaire pour la survie de son état et de sa population,
01:14a en début de semaine éliminé Yahya Sinwar, l'un des plus grands et des plus cruels terroristes de tous les temps,
01:20le chef militaire du Hamas.
01:22Que change concrètement cette élimination dans le conflit entre Israël
01:26et les mouvements terroristes qui sont pour la plupart pilotés par l'Iran ?
01:30Alors oui, vous l'avez rappelé,
01:33Yahya Sinwar est le cerveau de l'opération déluge d'Al-Aqsa,
01:39c'est-à-dire du carnage du 7 octobre.
01:44Alors, il faut se souvenir que Antonio Guterres,
01:51le secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies,
01:54dont nous aurons peut-être à reparler,
01:56a osé dire que le 7 octobre n'a pas surgi du néant,
02:02il est la conséquence extrême de décennies d'occupation,
02:09de colonisation, d'oppression et d'humiliation.
02:13L'essayiste libanaise Dominique Hédé a dit que c'est le terrible exutoire de l'horreur
02:26quand toutes les issues sont bouchées.
02:28Alors, je voudrais rappeler, avant de répondre à votre question,
02:32que l'occupation de Gaza avait cessé en 2005, décision d'Arik Sharon.
02:41Les 21, je crois, colonies de gouches catifs ont été démantelées,
02:46ce qui était un traumatisme dans la société israélienne.
02:50Et si, en effet, il y a eu un blocus,
02:53ensuite, ce qui conduit par exemple Dominique de Villepin
02:57à rappeler sans cesse que c'est une prison à ciel ouvert,
03:00c'est parce que les Israéliens étaient l'objet de tirs de roquettes continus.
03:05Le Hamas est un mouvement richissime,
03:09mais tout son argent, il l'a consacré à construire des tunnels
03:14exclusivement réservés à ses combattants et à acheter des armes.
03:20Plutôt que d'aider ses populations.
03:22Bien sûr, et ce n'est pas du tout un mouvement national.
03:28Pour eux, l'unité, la communauté, ce n'est pas la nation palestinienne,
03:34c'est l'ouma, c'est la communauté musulmane.
03:37Il s'agit de purger une terre musulmane de la présence des Juifs.
03:42Donc, il faudrait maintenant que les Palestiniens eux-mêmes
03:47se félicitent de l'élimination de Yaa Yassinouar.
03:50La mainmise de l'islamisme sur la cause palestinienne
03:54est une catastrophe pour les Palestiniens.
03:57Vous parlez au conditionnel.
03:58Vous dites qu'il faudrait que les Palestiniens,
04:01et vous savez secrètement que ça n'arrivera pas.
04:05Je ne sais pas si ça n'arrivera pas.
04:07Je suis frappé, en effet, que beaucoup de Palestiniens
04:12et beaucoup de musulmans dans le monde arabe
04:15disent que Sinoua était un martyr, qu'il est mort en héros, en résistant.
04:22Ce qui est évidemment une proposition absolument effrayante.
04:27Est-ce que vous pensez que l'élimination de Sinoua
04:31peut changer la donne aujourd'hui au Proche-Orient ?
04:34Je ne sais pas.
04:35Bien sûr, je le souhaite.
04:37Hier, à Tel Aviv, il y a eu plusieurs centaines de milliers de manifestants
04:43disant que les objectifs de guerre ont été atteints
04:46et qu'il faut maintenant tout faire pour la libération des otages.
04:50Oui, mais les Palestiniens ont dit qu'il n'y aura pas de libération des otages
04:53tant que la guerre n'est pas finie.
04:55En attendant, on a visé la résidence du Premier ministre Benyamin Netanyahou à Césaray.
05:00Benyamin Netanyahou ?
05:01Mais ça, ce n'est pas le Hamas, en l'occurrence.
05:03C'est le Hezbollah.
05:04Et avec l'Iran.
05:05Mais Netanyahou lui-même dit qu'il fera tout pour libérer les otages,
05:10mais ce n'est pas vrai.
05:12Ce n'est pas vrai.
05:13Il a saboté volontairement tous les plans éventuels
05:19de cesser le feu.
05:22Il veut une victoire totale.
05:25Or, une victoire totale, ça veut dire que les otages ne comptent pas
05:29parce que pour libérer les otages, il faut évidemment négocier avec ce qu'est le Hamas.
05:34Vous avez le sentiment, parce que vous dites que Netanyahou sabote les efforts pour libérer les otages,
05:39mais on voit difficilement quels sont les buts aujourd'hui de guerre d'Israël.
05:43Est-ce que vous comprenez ?
05:45Je ne comprends pas, c'est vrai.
05:47Cela, je ne le comprends pas, si vous voulez.
05:51Netanyahou n'a pas de stratégie pour le jour d'après.
05:56Le jour d'après, ça peut être quoi en réalité ?
05:59Ça peut être à Gaza une reconstruction,
06:02notamment par les pays arabes et bien sûr l'Arabie Saoudite,
06:07le pays le plus riche.
06:09Mais cette reconstruction ne peut avoir lieu
06:12si effectivement les négociations en vue d'un État palestinien sont remues sur les rails.
06:18Or, les ministres jusqu'au boutiste de Benyamin Netanyahou ne veulent pas en entendre parler.
06:25Donc, il ne dit absolument rien du jour d'après.
06:29Et c'est déchirant, si vous voulez.
06:31Israël est uni contre ses ennemis.
06:34Israël combat sur plusieurs fronts à la fois,
06:37mais Israël est aussi une société déchirée du fait
06:41justement de l'extrémisme du jusqu'au boutiste,
06:45de ministres comme Benvir ou Smotric ou 7 ministres.
06:49Mais j'ai bien entendu Alain Finkielkraut vous dire que pour Benyamin Netanyahou,
06:53les otages, ça ne compte pas ?
06:55Je pense qu'il a fait une croix sur les otages.
06:57Écoutez, il mène une guerre terrible, ce qui n'est pas de sa faute,
07:01parce que ce sont évidemment les Palestiniens qui exposent leur population.
07:06Et qui disent d'ailleurs, c'était Ismail Haniyeh qui a dit
07:09« Nous avons besoin du sang des femmes, des enfants et des personnes âgées,
07:16parce qu'il éveille notre esprit révolutionnaire
07:21et il fortifie notre détermination. »
07:24Ismail Haniyeh.
07:25Il ne faut pas se leurrer.
07:29Il n'empêche, la guerre n'a permis de libérer aucun otage.
07:37On doit en passer par une forme de négociation.
07:41Alain Finkielkraut, transposons la question en France.
07:44Une déclaration d'Emmanuel Macron a fait beaucoup parler cette semaine.
07:48Lorsqu'il l'aurait dit, parce qu'il a ensuite encadré son propos,
07:53il a dit « Israël doit son existence essentiellement à une résolution de l'ONU,
07:57laissant entendre par là ce que l'ONU a pu faire, l'ONU pourrait le défaire. »
08:02Qu'avez-vous compris de cette déclaration ? Comment y avez-vous réagi ?
08:05Très mal, vous l'imaginez bien.
08:08En plus, Emmanuel Macron, fâché par le scandale que cette déclaration a créé,
08:15s'en est pris aux journalistes.
08:19En l'occurrence, ils ne sont pas coupables.
08:21Ce n'est même pas une déclaration d'ordre privé.
08:25C'est ce qu'il a dit au Conseil des ministres.
08:28D'ailleurs, ça a été sorti de son contexte.
08:30C'est une manière de confirmer qu'il l'a dit.
08:33Mais c'est une déclaration absolument terrible.
08:36C'est une manière de dire que la grâce d'exister a été octroyée à Israël
08:43par l'Organisation des Nations Unies.
08:46Elle pourrait lui être retirée.
08:48Et j'ai cité Guterres.
08:50Il faut voir ce que sont les Nations Unies aujourd'hui vis-à-vis d'Israël.
08:53Israël est un pays perpétuellement condamné pour l'évolution des droits de l'homme,
08:58notamment par les pays du sud global,
09:00et notamment par des empires, des dictatures et d'atroces tyrannies.
09:03C'est le bouc émissaire rêvé pour les régimes les plus venants
09:10sous le haut patronat.
09:12Est-ce qu'il n'y a pas dans la déclaration d'Emmanuel Macron
09:14cette idée qu'Israël ne s'appartient pas finalement ?
09:16Israël, son existant.
09:18D'autres peuples sur Terre dépendent d'eux-mêmes.
09:19Israël dépend d'une légitimité extérieure.
09:21Une légitimité extérieure, celle de l'ONU.
09:23D'aucune autre nation, on ne dit cela.
09:26Ça m'a rappelé la définition que Milan Kundera donne des petites nations
09:33dans son article Un Occident kidnappé, la tragédie de l'Europe centrale.
09:38Une petite nation, c'est une nation dont l'existence est sans cesse en question,
09:43et qui le sait.
09:45Israël est un pays très fort, militairement et technologiquement.
09:50Il tient tête à l'empire iranien, à tous ses ennemis,
09:55mais c'est aussi, en ce sens, une petite nation.
09:58Mais est-ce qu'en attendant, est-ce que c'est la résolution 181 de 1987
10:02qui permet l'existence d'Israël ?
10:05Ou est-ce que c'est un raccourci ?
10:07Bien sûr, c'est un raccourci.
10:08Israël, c'est une histoire millénaire.
10:11C'est un raccourci ou c'est une faute ?
10:13Est-ce que ce qu'a dit Emmanuel Macron, c'est un raccourci ?
10:16C'est un propos maladroit ?
10:17Ou c'est inexact ?
10:19C'est inexact et c'est scandaleux.
10:23Sans la guerre d'indépendance, là, Netanyahou a raison,
10:26il n'y aurait pas eu d'Israël.
10:28Donc Israël doit son existence au courage de ses habitants
10:34qui étaient pour beaucoup des survivants de l'extermination.
10:38Donc tout cela est faux.
10:39Mais le problème aussi, c'est qu'Emmanuel Macron dit
10:42que la France est un soutien indéfectible d'Israël.
10:45Au début de la guerre, vous vous en souvenez,
10:47il appelait à une coalition internationale contre le Hamas.
10:50Donc c'est la fin du « en même temps ».
10:52Le « en même temps », c'était l'art de la synthèse,
10:56le dépassement des vieux clivages stériles.
11:00C'est aujourd'hui le zigzag, c'est aujourd'hui une conduite en état d'ivresse.
11:05Alain Finkielkraut est l'invité du grand rendez-vous Europe 1C News.
11:08On revient dans un instant.
11:09On parlera immigration, sécurité et laïcité.
11:12A tout de suite sur Europe 1.
11:14Retour sur le plateau du grand rendez-vous Europe 1C News.
11:17Les échos avec ce grand livre d'Alain Finkielkraut,
11:21« La modernité a contre-courant » chez Bouquin,
11:23qui regroupe de nombreux écrits.
11:25Du philosophe qui est avec nous ce matin depuis quelques semaines,
11:29Alain Finkielkraut.
11:30L'Europe se verrouille, chacune à sa manière.
11:33L'Allemagne rétablit le contrôle aux frontières.
11:36La Pologne supprime le droit d'asile.
11:38La France promet dans un cafarnage,
11:40une nouvelle loi immigration.
11:41Ce sera la 118e depuis 1945.
11:45Et Giorgia Melloni accuse un revers politique en Italie
11:48avec l'invalidation de son système consistant à déléguer à l'Albanie,
11:52pays ultra-extra-européen, plutôt, l'accueil des immigrés.
11:56Car cette décision est par Rome jugée contraire à l'état de droit.
12:00Y a-t-il aujourd'hui une contradiction entre la démocratie et l'état de droit ?
12:05Écoutez, l'Allemagne est en train d'agir.
12:09Écoutez, je pense qu'une véritable question est posée là,
12:15sur la nature de la démocratie.
12:18Tocqueville a bien montré que la démocratie moderne
12:22reposait sur l'universalisation du sentiment du semblable.
12:29Le semblable, c'est pas, comme dans les sociétés aristocratiques,
12:32le membre de sa caste.
12:35Le semblable, c'est tout être humain.
12:37Mais certains concluent de l'égale dignité des personnes
12:43l'idée selon laquelle la distinction entre autochtones et étrangers
12:52doit être surmontée.
12:53Et quand je dis certains, ce n'est pas n'importe qui.
12:56C'est le gouvernement de François Hollande
12:58qui a supprimé le délit de séjour irrégulier.
13:03C'est plus récemment le Conseil constitutionnel, en 2018.
13:09Le principe de fraternité, nous dit-il, interdit d'ériger en délit
13:18dès lors qu'elle poursuit des fins désintéressées,
13:22l'aide à un étranger en situation irrégulière.
13:28On va dans cet esprit, au nom de l'égalité de l'universalité,
13:35vers l'abonnition des frontières.
13:38Ces défenseurs de l'universel oublient les classiques républicains
13:46et notamment Rousseau qui dit comment les hommes l'aimeraient
13:53si leur patrie n'est rien de plus pour eux que pour les étrangers
13:58et qu'elle ne leur accorde que ce qu'elle ne peut refuser à personne.
14:03Il faut ajouter que la division en nation est essentielle à la démocratie
14:11parce qu'il y a des discussions sur les modalités du vivre ensemble
14:16qu'à partir de références implicites, d'une mémoire commune
14:22et d'un même passé.
14:25Autrement dit, et j'en viens à vous répondre,
14:29la continuité historique est un bien très précieux des peuples
14:35et cette continuité aujourd'hui est en péril.
14:39En effet, d'où justement la volonté des pays européens
14:46de contrôler leurs frontières.
14:50Je vous citerai Edgar Kinney, une phrase géniale.
14:53Le véritable exil n'est pas d'être arraché à son pays,
14:58c'est d'y vivre et de ne rien reconnaître de ce qui le faisait aimer.
15:03Criminaliser ce malaise est une faute politique
15:09et risque de nous coûter très cher.
15:12On invoque l'état de droit pour dire que la continuité historique
15:18n'a pas lieu d'être dans une démocratie.
15:21Rappelez-vous, il y a quelques semaines à peine,
15:24Bruno Retailleau dit que l'état de droit n'est pas sacré.
15:27Il dit que ce n'est pas intangible.
15:29Ce n'est pas intangible, mais il y a une tempête médiatique.
15:32Ensuite, le débat prend et la définition de l'état de droit
15:35recoupe-t-elle la démocratie ?
15:37N'y a-t-il pas une tension entre ces deux concepts ?
15:40D'un côté le processus des droits,
15:42de l'autre l'expression de la souveraineté populaire.
15:46C'est-à-dire que du fait, justement, dans notre pays,
15:50de l'empilement des cours suprêmes,
15:53conseil d'État, conseil constitutionnel,
15:55cours de cassation et les deux cours européens.
16:05Ça en fait cinq.
16:07Et il est vrai que parfois ces cours s'érigent,
16:13enfin, comment dire, se substituent à la volonté populaire.
16:17La preuve en a été donnée
16:19quand le président du conseil constitutionnel
16:22a dit qu'il s'opposerait de toutes ses forces
16:25à un référendum sur l'immigration.
16:27Là, on se dit que ce n'est plus possible.
16:29C'est-à-dire qu'on ne veut même plus entendre la volonté populaire
16:33parce que, justement, on se croit dépositaires
16:36de la véritable idée de démocratie.
16:38C'est ça, l'idée.
16:39C'est-à-dire que ce n'est pas simplement parce qu'on est des juges
16:41qu'on est juges, mais la vraie démocratie.
16:43C'est l'égalisation des conditions.
16:46Et donc, ceux qui s'opposent à cela ne sont pas des démocrates.
16:50Ils résistent à ce qu'on croit être la marche de l'histoire.
16:54Donc, les mouvements que décrivait Pierre Devino tout à l'heure,
16:57des différents États qui cherchent chacun leur manière
16:59de reprendre le contrôle sur l'immigration,
17:01c'est des efforts qui vous paraissent totalement vains,
17:03compte tenu de ce que vous venez de dire
17:05sur l'influence des décisions de justice,
17:08ou est-ce qu'il y a des choses...
17:11Non, bien sûr que ce n'est pas vain.
17:13Bien sûr que ce n'est pas vain.
17:15Il est très important qu'aujourd'hui...
17:18Marcel Gaucher le remarquait,
17:20parce que vous parlez toujours de démocratie.
17:22Mais le changement démographique est un des événements
17:27les plus importants de l'histoire récente.
17:30Et il n'a jamais été décidé.
17:33Il est arrivé, alors il y a eu des lois, pas des lois,
17:36mais jamais le peuple n'a été saisi de cette question.
17:40Voulons-nous plus de migrants ? Dans quelles conditions ?
17:43Faut-il ralentir ? Faut-il arrêter l'immigration ?
17:46La question n'a jamais véritablement été posée.
17:49Donc, ce qui est essentiel à la démocratie
17:51a été soustrait à la discussion démocratique.
17:56Mais ça va plus loin, si je peux me permettre.
17:58D'abord, on a contesté l'existence de changements démographiques,
18:00ça n'existe pas.
18:01Deuxièmement, on a dit c'est inévitable.
18:04Et troisièmement, on dit c'est une très bonne chose,
18:05et ça a toujours eu lieu.
18:06Bien sûr, mais vous avez raison.
18:08On dit les trois choses en même temps.
18:10Et ce qu'on entend le plus maintenant,
18:13c'est que ça a toujours eu lieu.
18:17Et il faut là encore parler de la polémique
18:21entre le ministre de l'Intérieur et le président de la République,
18:25qui, vraiment, là on peut le dire,
18:27ne sait plus tout à fait où il habite.
18:30Il a répondu à Bruno Retailleau.
18:33On peut décider qu'on aurait beaucoup mieux fait de la physique
18:39sans la polonaise Marie Curie,
18:43et qu'on aurait beaucoup mieux dansé sans Charles Aznavour.
18:47Avec ce qui se passe en France aujourd'hui,
18:51avec ce qu'énonce, en 2012, Elisabeth Ballinter,
18:57une seconde société s'impose insidieusement dans notre République,
19:03tournant le dos à celle-ci,
19:06visant explicitement le séparatisme, voire la sécession.
19:11Voilà ce qui arrive, et voilà ce que dit le président de la République.
19:15Mais si on prend les propos du président de la République,
19:17ça veut dire que si on prend Marie Curie, Skłodowska et Charles Aznavour,
19:21ça veut dire qu'on pourrait faire l'immigration choisie.
19:24Est-ce que c'est une façon de dire les choses détournée ?
19:28Ce n'est pas, à mon avis, ce qu'il a voulu dire.
19:32Et puis, de toute façon, non, parce qu'il a répondu au ministre de l'Intérieur
19:38qui se posait la question de savoir si l'immigration était une chance pour la France.
19:41Qu'est-ce que vous pensez, M. Ficalcro, de Bruno Retailleau ?
19:45On l'a beaucoup entendu depuis qu'il a été nommé ministre de l'Intérieur.
19:48Mais quelles sont réellement, selon vous, ses marges de manœuvre ?
19:51Est-ce que c'est Sancho Panza qui lutte contre les moulins à vent dans le roman de Cervantes ?
19:55Ou est-ce qu'il a de vraies chances de faire apparaître des mesures qu'il juge nécessaires pour la France ?
20:00Écoutez, je pense qu'il a des chances, d'autant plus que là, pour le coup,
20:05il semble avoir, Bruno Retailleau, un très vaste soutien populaire.
20:11Si j'en crois les sondages, 68% des Français pensent que l'immigration est trop forte,
20:20trop nombreuse en France.
20:22Donc il bénéficie d'un vrai soutien à droite comme à gauche.
20:27Et moi, sur cette question-là, un peu comme le faisait Jacques Julliard,
20:31je plaiderais pour l'union sacrée sur le modèle de ce qui se passe, par exemple, au Danemark,
20:37où ce sont des sociodémocrates qui ont mis un coup d'arrêt à l'immigration.
20:47Danemark, parce que tout le monde est d'accord, toutes les cours sont d'accord,
20:51les unes avec les autres, les juges sont d'accord avec les politiques,
20:53les politiques sont d'accord entre eux, donc c'est pour ça que ça marche, c'est ce que vous dites.
20:56Oui, et surtout, si on abandonne cette angoisse existentielle de la continuité dans le temps
21:04au Rassemblement national, alors on lui ouvre absolument les portes du pouvoir.
21:12Donc il faut le savoir, la criminalisation, la lupénisation du souci des frontières
21:21est, je le répète, une faute politique extrêmement grave.
21:25Alain Finkielkraut est notre invité sur Europe 1 et sur CNews.
21:28La suite du grand rendez-vous dans un instant.
21:30On va parler de l'école et de la laïcité.
21:32A tout de suite sur Europe 1 et sur CNews.
21:39Retour sur le plateau du grand rendez-vous Europe 1 et CNews,
21:43Les Echos avec Alain Finkielkraut qui publie la modernité à contre-courant.
21:47On vous le conseille, tous les trois, puisque c'est une compilation
21:52de plusieurs récits d'Alain Finkielkraut, il faut les lire.
21:54Question assez directe, Alain Finkielkraut, ce matin,
21:58quelle école laissons-nous à nos enfants ?
22:02C'est une vraie question qui prend aujourd'hui même une résonance tragique
22:08avec l'anniversaire de la décapitation de Samuel Paty
22:15et puis aussi il y a un an, je crois, Dominique Bernard
22:19Il y a un an, l'assassinat de Dominique Bernard.
22:21a été assassiné devant son lycée et les professeurs sont très exposés.
22:29L'école va très mal. On dit que le problème est celui de la laïcité.
22:34Sans doute, mais je n'aime pas trop ce terme.
22:37Pourquoi ?
22:38La laïcité, c'est un règlement, si vous voulez, de la vie collective.
22:43Et avec ce mot-là, on ne saisit pas l'ampleur du problème.
22:51C'est la vie de l'esprit qui est aujourd'hui menacée,
22:56qui est aujourd'hui en cause.
22:58Et ça peut aller, en effet, jusqu'à la mort de certains professeurs.
23:03Mais il faut se reporter, par exemple, au rapport Aubin, vous vous souvenez ?
23:09En 2004, sur les signes et manifestations religieuses dans les établissements scolaires.
23:16Dans la préface de ce rapport, Jean-Pierre Aubin dit que
23:23dans certains quartiers, les élèves sont incités à se méfier
23:28de tout ce que les professeurs leur proposent,
23:32qui doit être un objet de suspicion, comme ce qu'ils trouvent dans leur assiette.
23:37Donc, ils sont engagés à trier les textes selon les mêmes catégories religieuses,
23:44du halal autorisé et du haram interdit.
23:51Et c'est terrible.
23:53On peut dire qu'on ne veut pas entendre parler des philosophes des Lumières
23:59ou bien, par exemple, d'un livre comme Madame Bovary,
24:03favorable à la liberté des femmes, etc., dont les cours sont contestés.
24:11Et puis, Jean-Pierre Aubin, dans un livre très récent, 2012,
24:15intitulé Les profs ont peur,
24:19écrit, et c'est même le début du livre,
24:22qu'un président de région a assisté au cours d'un professeur d'histoire.
24:31Et à la fin du cours, le professeur a dit,
24:34« Oui, monsieur le président, je viens de faire un cours sur Hitler et le nazisme,
24:39et je n'ai pas parlé des Juifs.
24:41Mais que voulez-vous ? Je ne veux pas avoir ma voiture vandalisée comme la dernière fois.
24:46Je dois être prudent. J'ai une femme et des enfants. »
24:49C'est ça, l'école, aujourd'hui, en France.
24:52Monsieur Fulquet-Croce, c'est ce qu'on appelait le mouvement pas de vagues
24:55dans les établissements scolaires.
24:57Est-ce que vous avez le sentiment que les choses ont un peu changé,
24:59quand même, depuis l'assassinat de Samuel Paty, de Dominique Bernard ?
25:02Est-ce qu'il y a une prise de conscience ?
25:03Est-ce qu'il y a un changement de comportement ?
25:05Ou est-ce qu'on en est toujours dans la même situation ?
25:07Je pense que dans les administrations, les choses ont changé.
25:14Mais malheureusement, les lycées, les proviseurs, les professeurs sont débordés.
25:22On en apprend tous les jours.
25:24Une enseignante giflée parce qu'elle demande à une élève d'enlever son voile.
25:32Et qui n'est pas supplie par son établissement.
25:34Oui, en plus.
25:35Des professeurs frappés, attaqués.
25:38Des parents d'élèves, en plus, qui contestent le contenu de certains cours.
25:45Et puis aussi, un problème interne lié à la démocratie dont nous parlons.
25:51La démocratie comme dynamique.
25:53La démocratie comme processus, non pas comme régime.
25:58Un processus d'égalisation des constitutions,
26:01qui en vient justement à l'affirmation que tout est égal.
26:04Donc pourquoi privilégier la haute culture, les chefs-d'oeuvre consacrés ?
26:11Et on le voit d'ailleurs même dans les politiques ministérielles.
26:15Le pass culture, ça doit s'ouvrir à tout.
26:18Tout sauf la culture.
26:20C'est-à-dire le hip-hop, le rap, sur le modèle de ce qu'avait fait Jacques Lang.
26:24Donc là encore, ça affaiblit la vie de l'esprit,
26:28qui doit être la préoccupation majeure de l'école.
26:31Justement, est-ce que l'école aujourd'hui,
26:33est-ce qu'on ne se retrouve pas dans une situation
26:34où elle ne pourrait être sauvée que dans les marges ?
26:36Je m'explique.
26:37Les parents misent de plus en plus sur le privé.
26:39Le hors contrat se développe.
26:41Donc plusieurs ne croient plus vraiment,
26:43sauf pour les établissements d'élite à l'éducation nationale,
26:45et se tournent vers...
26:47Donc autrement dit, la société survivra.
26:48La culture survivra dans l'Oasis,
26:50mais non plus au cœur des institutions.
26:52C'est possible, ce serait terrible, si vous voulez.
26:55Mais est-ce que ce n'est pas déjà un peu tard ?
26:56Il y avait des monastères au Moyen-Âge,
26:58et puis il y a eu l'invention de l'imprimerie,
27:00avec cette idée d'une démocratisation maximale.
27:03Le grand humanisme, si vous voulez.
27:05Il s'agissait pour tous de passer par le détour
27:09des signes d'humanité déposés dans les œuvres de culture,
27:12pour mieux se comprendre et mieux comprendre le monde.
27:15L'école est née de ce mouvement.
27:17Alors si on retourne aux monastères,
27:20ce serait une régression médiévale absolument bouleversante.
27:26J'espère qu'on n'en ira pas là,
27:28mais il est vrai que l'école publique
27:31est l'objet d'une méfiance de plus en plus grande.
27:34Je parlais de ce professeur qui enseigne le nazisme
27:39sans parler des Juifs,
27:40mais il faut évidemment évoquer la situation des Juifs
27:43dans les territoires perdus de la République,
27:46la Seine-Saint-Denis et ailleurs.
27:48Il n'y en a plus d'élèves juifs.
27:50Ils ont quitté l'école publique,
27:52soit pour les lycées juifs,
27:54soit même pour les lycées catholiques,
27:56parce que là, ils sont plus en sécurité
27:58et ils sont plus sûrs aussi
28:00d'avoir un enseignement digne de ce nom.
28:03Il faudrait tout faire pour enrayer cette évolution,
28:08mais peut-être sera-t-elle l'ultime salut.
28:12Où est-ce que ça se décide, ça, Alain Finkielkraut ?
28:14Est-ce que ce sont les rectorats ?
28:16Est-ce que ce sont les ministères ?
28:17Est-ce que c'est une volonté commune ?
28:19Vous parliez, Mathieu Bockcôté, d'un oasis éventuel,
28:23mais même cet oasis était bréché
28:25quand on voit ce que devient Sciences Po.
28:27Depuis plusieurs mois,
28:29on voit que là où il y avait une volonté
28:32de créer des élites,
28:33mais également pour des enfants
28:35qui venaient de milieux extrêmement défavorisés
28:38et qui passaient des concours
28:39et qui aujourd'hui sont des chefs d'entreprise
28:41et qui ont eu gain de cause dans la société
28:45parce qu'ils ont travaillé.
28:47Est-ce qu'il y a encore une méritocratie aujourd'hui ?
28:49Est-ce qu'on encourage la méritocratie aujourd'hui ?
28:52Est-ce que tu travailleras bien ?
28:53Tu auras un bon travail plus tard ?
28:55Ou est-ce qu'on essaie de faire,
28:58comme vous le disiez,
28:59le retour de ce grand humanisme
29:01où à notre équivalente,
29:03il ne faut pas froisser un tel,
29:04il ne faut pas froisser un tel,
29:05donc finalement tout le monde
29:06ressortira avec le même diplôme ?
29:07Il est vrai que l'excellence de la France
29:13pendant très longtemps,
29:14ça a été son enseignement secondaire.
29:18L'excellence américaine,
29:20c'était l'enseignement secondaire.
29:21Et ça allait encore pour HEC,
29:22pour Polytechnique, pour…
29:23Mais justement,
29:26une nouvelle idéologie s'est emparée de l'école.
29:29On est passé de l'égalité des chances
29:31à l'égalité des résultats.
29:33On a, si vous voulez, déconstruit,
29:35comme on dit,
29:36l'idée d'égalité des chances
29:38sur le modèle de la sociologie de Pierre Bourdieu.
29:42Vous croyez qu'il y a une égalité des chances.
29:44En fait, ce sont les héritiers
29:47qui réussissent le mieux
29:49et les autres, en plus,
29:51réussissent moins bien
29:52et on leur dit que c'est leur faute
29:53parce qu'ils sont plus bêtes.
29:54Donc ça, c'était la thèse du livre
29:56de Bourdieu, Les héritiers,
29:57confirmer dans un livre postérieur
30:00la reproduction.
30:01Donc il faut en finir
30:03avec la reproduction sociale,
30:05faire la chasse aux héritiers,
30:06marginaliser la culture au sein de l'école
30:09parce que justement,
30:11elle favorise les favorisés
30:13et on en est là.
30:15Donc on a supprimé la sélection
30:18au détriment, évidemment,
30:20des élèves les moins favorisés
30:22parce que les autres,
30:23ils ont toujours le recours
30:25des leçons particulières
30:27ou bien de l'enseignement privé.
30:30Donc les bonnes intentions,
30:31là, ont fait énormément de mal.
30:33Stéphane Dupont.
30:34Pierre Devineau évoquait
30:35le cas de Sciences Po
30:36qui vient de se doter d'un nouveau directeur,
30:38Luis Vassi.
30:39Il promet de donner un coup d'arrêt
30:41à certaines dérives,
30:42notamment les manifestations pro-palestiniennes
30:44qu'on avait vues ces derniers mois à Sciences Po.
30:46Est-ce que vous pensez
30:47qu'il peut redresser la situation,
30:49changer les choses
30:50ou est-ce que là aussi
30:51ses efforts risquent d'être vains ?
30:52En tout cas,
30:54il tient un discours
30:55très ferme et très clair
30:57et il faut s'en réjouir
31:00parce que les manifestations
31:02prétendument pro-palestiniennes
31:04sont des manifestations pro-Hamas
31:07et je l'ai dit,
31:08le Hamas détruit la cause palestinienne
31:11avec une tonalité antisémite,
31:14avec un slogan
31:16« Hier Varsovie, Treblinka,
31:19aujourd'hui Gaza ».
31:21Voilà.
31:22Israël, peuple génocidaire,
31:24sioniste hors de nos facs.
31:26C'est épouvantable,
31:27c'est l'apothéose du wokisme,
31:29division du monde
31:31entre dominants et dominés,
31:33l'antisémitisme
31:34comme stade suprême du wokisme,
31:36le wokisme qui sévit
31:38dans une partie de l'élite occidentale,
31:41dans les campus
31:42et notamment à Sciences Po.
31:45Et ça, c'est vraiment terrible,
31:46c'est-à-dire refus de toute discussion,
31:49simplification effrayante de la réalité.
31:54Il est indispensable de réagir,
31:57mais la tâche va être rendue difficile
32:01par un parti politique.
32:04Ce n'est pas simplement
32:05le face-à-face de l'administration de Sciences Po
32:09et de certains élèves particulièrement excités,
32:13c'est la France insoumise.
32:14La France insoumise qui, effectivement,
32:17nourrit le feu,
32:19qui plaide que des drapeaux palestiniens
32:24recouvrent toutes les facs
32:26au lendemain de l'anniversaire du 7 octobre.
32:29Alain Finkielkraut est l'invité
32:30du grand rendez-vous européen.
32:32CNews Les Echos, à tout de suite.
32:34Dernière partie du grand rendez-vous européen,
32:36CNews, avec Alain Finkielkraut,
32:38qui publie « La modernité à contre-courant »
32:41chez Bouquin, qui, Mathieu Bocoté,
32:43est en fait une compilation
32:44de plusieurs œuvres d'Alain Finkielkraut.
32:47Alors, vous rassemblez sept livres,
32:48notamment dans « La modernité à contre-courant »,
32:51dont cinq livres d'entretien.
32:52Et c'est une part significative dans votre œuvre,
32:54les livres d'entretien,
32:55et ça nous amène à vous poser une question
32:57un peu qui devrait aller de soi,
32:59mais qui ne va pas.
33:00Sur l'importance de la conversation
33:01dans la vie publique.
33:02Donc, on connaît le débat aujourd'hui,
33:04on connaît le clash,
33:05on connaît les monologues respectés de chacun,
33:07mais la place de la conversation,
33:09vous l'avez placée au cœur de votre émission
33:11sur France Culture, « Répliques »,
33:13et c'est au cœur de ce livre
33:14qui ressemble à une partie de votre œuvre.
33:15Quelle est la part de la conversation
33:16dans la vie publique aujourd'hui ?
33:17Oui, parce qu'en plus,
33:18il y a des entretiens que j'ai eus
33:21avec des journalistes du Figaro
33:23ou du Point, etc.
33:24Donc, effectivement,
33:25c'est une partie de l'œuvre
33:26que j'ai placée au cœur de cette émission.
33:29Donc, effectivement,
33:30la part de la conversation est essentielle
33:34et je vais me référer à Montaigne,
33:38si vous le voulez bien,
33:39pour vous expliquer pourquoi.
33:42Il y a un des chapitres des Essais,
33:44absolument magnifique,
33:45dont je vous conseille à tous la relecture,
33:48c'est l'art de conférer.
33:50« Le plus fructueux et naturel exercice de notre esprit,
33:55dit Montaigne,
33:56est à mon gré la conférence. »
33:58Alors la conférence, c'est la conversation.
34:00C'est la conversation.
34:01« Quand on me contrarie,
34:04on éveille mon attention et non ma colère.
34:09Je m'avance vers celui qui me contredit,
34:12qui m'instruit,
34:14car la cause de la vérité
34:18devrait être la cause commune à l'un et à l'autre. »
34:22Je trouve cette phrase extraordinaire.
34:24Je m'y reconnais.
34:26J'ai besoin, si vous voulez,
34:28pour être arraché à mon hébétude naturelle,
34:33d'être contesté, défié, bousculé.
34:39Et donc c'est ça pour moi l'entretien,
34:44écrit ou oral.
34:46Tout d'un coup,
34:47ma pensée se met en marche
34:50sous l'effet justement
34:52d'une contestation qui peut être parfois très radicale.
34:57Donc j'ai des interlocuteurs
34:59qui me poussent dans mes retranchements.
35:01Alors, il y a une phrase très importante
35:03dans « L'ingratitude »,
35:04un des livres que vous rassemblez,
35:06c'est « On ne pense pas par soi-même de soi-même ».
35:09Elle a presque deux sens, cette phrase.
35:11D'un côté, c'est la nécessité de la culture
35:13pour sortir de ses préjugés,
35:14mais c'est aussi la nécessité de l'autre
35:16pour savoir ce qu'on en vient à penser soi-même.
35:18Exactement, exactement.
35:19Et Stuart Mill a cette phrase admirable,
35:22« Qui ne connaît que ses propres arguments
35:25connaît mal sa cause ».
35:27Ce pourrait être la devise de mon émission « Réplique »,
35:30sur France Culture, tous les samedis.
35:32Oui, je connais mieux ma cause
35:36quand on argumente contre elle,
35:39mais évidemment,
35:42la conversation, le débat aujourd'hui
35:45sont véritablement mis en danger.
35:48Rappelez-vous, début des années 80,
35:51naissance de la revue « Le Débat ».
35:54C'est un nom trouvé par Pierre Nora,
35:57mais qui est très significatif.
36:00Pourquoi ?
36:01On sort de la période satrienne,
36:03les temps modernes,
36:04c'est-à-dire non pas le débat, mais le combat,
36:06le paradigme de la guerre,
36:08le renversement de la formule de Clausewitz.
36:10Clausewitz dit « La guerre, c'est la politique
36:14poursuivie par d'autres moyens ».
36:16Non, avec la radicalité du XXe siècle,
36:19c'est la politique qui était la guerre,
36:23poursuivie par d'autres moyens.
36:25Le débat est en danger aujourd'hui, selon vous ?
36:27Le débat est en danger.
36:29Oui, le débat est en danger.
36:30D'ailleurs, la revue a mis la clé sous la porte
36:33parce que la radicalité revient.
36:36Ça a été longtemps le modèle de la lutte de classe
36:39et même de la guerre de classe.
36:41Maintenant, c'est autre chose.
36:43Maintenant, c'est une autre modulation du chiffre 2
36:49de force, de bloc, de subjectivité antagoniste.
36:53Les dominants et les dominées.
36:56Et les dominants, c'est toujours en fait l'Occident.
37:00L'Occident et son visage pâle.
37:04C'est ça.
37:05Et donc, j'en ai parlé tout à l'heure,
37:08c'est le hoquisme.
37:09Mais dans ce cadre-là, aucun dialogue n'est possible.
37:13Puisque celui qui parle au nom des dominés
37:17veut l'émancipation de l'humanité
37:19et il a face à lui des ennemis de l'homme
37:22qui empêchent cette émancipation.
37:24Donc, il ne leur parle pas.
37:27Il les dénonce, il les cancel.
37:30C'est la cancel culture.
37:33Et là, à cet égard, je voudrais citer un exemple.
37:35Donc, le dialogue de sourds ?
37:37C'est pas de dialogue du tout.
37:39C'est-à-dire, tais-toi, je ne veux pas t'entendre.
37:41Je vais donner un exemple récent, un exemple éditorial.
37:45À la rentrée littéraire est paru le livre d'Aurélien Bélanger
37:50« Les derniers jours du Parti Socialiste ».
37:53Un livre répugnant et grotesque.
37:57Grotesque, pourquoi ?
37:58Parce qu'il nous dit que le printemps républicain
38:01de Laurent Bouvet, avec son insistance sur la laïcité,
38:04a fait basculer le Parti Socialiste dans le racisme
38:09et il a livré, en fait, la France à l'extrême droite.
38:13En l'occurrence, le Parti Socialiste s'est mis
38:16sous l'autorité de la France Assoumise,
38:19parti antilaïque et antisémite.
38:22Donc, tout ça est absurde.
38:24Mais surtout, c'est pour ça que je le cite,
38:27le livre a été encensé, fêté
38:31par tous les médias bien-pensants au grand complet.
38:35Alors que le but avoué d'Aurélien Bélanger,
38:40c'est d'invisibiliser, de canceller
38:43les gens du républicain, les gens du printemps républicain.
38:46Je veux les canceller.
38:47Pour la première fois, j'ai écrit pour faire du mal à des gens.
38:50Donc, je veux qu'ils disparaissent.
38:53Et la même presse de gauche qui vous explique
38:56que le wokisme, c'est un fantasme réactionnaire
38:59et que la culture n'existe pas, eh bien...
39:02Heureusement qu'il y a eu quelques journalistes,
39:04comme Eugénie Bastier, qui sur Europe 1,
39:06sur CNews et dans le Figaro,
39:08a mis bien mille doigts sur ce qu'étaient vraiment
39:10les cris d'Aurélien Bélanger en cette rentrée littéraire.
39:12Mais c'est bien, c'est ça, c'est foutu.
39:15Vous avez raison.
39:16Qui ? Eugénie Bastier, dans un article absolument remarquable.
39:20Alexandre Devecchio, un très beau texte
39:23sur Laurent Bouvet, malmené,
39:28calomnié horriblement par Aurélien Bélanger,
39:31dans le Figaro.
39:33Et vous parlez d'Europe 1 et de CNews.
39:35Donc, on va dire la presse boulotrée.
39:36Donc, c'est soutenu par ce qu'on appelle l'extrême droite
39:40et ça conforte les intolérants dans leur certitude.
39:45Et c'est là encore où ça rend le dialogue impossible.
39:48Vous nous obligez à vous poser une question.
39:50Vous êtes historiquement un intellectuel dit de gauche.
39:53Aujourd'hui, lorsqu'on veut vous lire sur l'actualité,
39:56on vous retrouve davantage dans les pages du Figaro
39:58que dans les pages du Monde.
40:00Qu'est-ce qui fait en sorte qu'un homme comme vous
40:02se retrouve plus à l'aise dans la presse plus conservatrice
40:05que dans la presse qui était historiquement la vôtre ?
40:07Écoutez, mon cas est comparable à celui de Jacques Julliard,
40:14que je cite pour la deuxième fois,
40:15qui était un journaliste d'exception
40:18et qui avait une vision politique extrêmement riche.
40:21Et ces dernières années, il a écrit un grand éditorial mensuel
40:29dans le Figaro.
40:30Ce n'est pas Le Monde qui est allé le chercher,
40:32alors qu'ils auraient dû se mettre à genoux
40:34pour obtenir une signature pareille.
40:36Que s'est-il passé ?
40:37Il vient de l'Obs, il vient de la deuxième gauche.
40:40Il faut interroger la gauche.
40:42Que lui est-il arrivé pour qu'elle abandonne
40:45le thème de la sécurité, le thème de la nation,
40:47le thème de la laïcité ?
40:49Oui, c'est vrai, c'est vrai.
40:51La gauche a basculé dans autre chose.
40:54Et force m'a été d'en prendre acte.
41:01D'en prendre acte, et voilà.
41:03Et maintenant, en effet, c'est dans le Figaro,
41:06avec les journalistes comme Vincent Trémolet et Edwinaire,
41:10que je me sens le plus à l'aise.
41:12Vous dites, Ferdinand Ficacote, que la gauche a basculé
41:14dans autre chose.
41:15Elle a basculé dans quoi, la gauche, selon vous, aujourd'hui ?
41:17Elle a basculé dans quoi ?
41:18Je l'ai dit, dans le wokisme,
41:26dans la division du monde entre dominants et dominés,
41:32dans un universalisme post-national, par exemple.
41:42Et ce qui a fait basculer la gauche, à mon avis,
41:46c'est la question du rassemblement national.
41:51C'est le thème de la lepénisation des esprits.
41:55La grande peur de la gauche, c'est de contribuer
42:00à la lepénisation des esprits.
42:02Et par exemple, c'est la gauche qui, aujourd'hui,
42:06criminalise la préférence nationale.
42:10Vous ne pouvez pas parler de préférence nationale, ça y est.
42:14Or, il n'y a pas de nation sans préférence nationale.
42:18Ce n'est pas possible.
42:19C'est la définition même de la nation.
42:21Mais pour la gauche, c'est un thème lepéniste,
42:23donc il ne faut pas y toucher.
42:25La gauche s'est enfermée dans l'antifascisme,
42:29alors que le fascisme est dernier en nous,
42:32qu'elle le ressuscite à chaque pas.
42:35Et ça, c'est vraiment son anachronisme coupable.
42:38Vous dites, heureusement qu'il y a le Figaro,
42:40vous dites, heureusement qu'il y a CNews,
42:41vous dites, heureusement qu'il y a Europe 1,
42:43et vous avez rajouté, c'est la presse Bolloré,
42:45donc c'est l'extrême droite.
42:46Mais non.
42:47Ça va un peu vite.
42:48Mais ce n'est pas moi qui pense ça.
42:49Alors, je suis heureux.
42:50Précisez votre propos.
42:51Je n'en parle pas.
42:52C'est perçu comme la presse Bolloré,
42:55c'est perçu comme l'extrême droite.
42:58Moi, si je vais sur CNews,
43:00ce n'est pas pour aller sur une chaîne d'extrême droite.
43:02J'y vais comme quand on m'invite à LCI ou à BFM.
43:06Je vais là où on m'invite.
43:08Donc, c'est la France Insoumise qui dit ça.
43:10Mais l'extrême droitisation de CNews
43:15vient justement de cette gauche
43:18qui refuse d'en avoir fini avec le combat antifasciste.
43:23Merci Alain Finkielkraut.
43:24La modernité a contre-courant.
43:26À lire.
43:27Absolument.
43:28C'est chez Bouquin.
43:29Très bon dimanche sur nos deux antennes.

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