Pierre de Vilno reçoit Gilles Kepel, professeur des universités, spécialiste du monde arabe, dans #LeGrandRDV, en partenariat avec Europe 1 et Les Echos
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00:00Bonjour, bonjour à tous, bienvenue sur CNews et sur Europe 1.
00:05Bonjour Gilles Kepel.
00:06Bonjour.
00:07Vous êtes professeur des universités, spécialiste du monde arabe.
00:10Voici votre dernier livre qui vient de sortir, Le bouleversement du monde,
00:14l'après-7 octobre aux éditions Plon.
00:17C'est votre grand rendez-vous ce dimanche, à une semaine des un an du 7 octobre.
00:23L'armée israélienne a frappé un coup en éliminant le chef du Hezbollah,
00:28Nasrallah, au sud de Beyrouth, dans une frappe vendredi soir.
00:32Ce matin, les avions israéliens continuent les raids au Liban
00:35pour viser des positions du Hezbollah, ce mouvement terroriste.
00:38L'Iran réclame une réunion du conseil de sécurité de l'ONU.
00:43L'ayatollah Khamenei décrète, lui, 5 jours de deuil.
00:46Avec vous ce matin, nous allons faire le point et envisager toutes les options,
00:50celles d'un conflit régional, celles d'une guerre totale,
00:54sachant qu'Israël est en train de gagner la guerre pour sa survie.
00:58Plus généralement aussi, doit-on s'attendre à des temps très durs pour l'Occident ?
01:02Je reprends là les mots du général Burkhardt, il y a un mois,
01:05le chef d'état-major des armées, qui avait surpris.
01:08Était-il dans le vrai ? Avait-il des informations ?
01:11Pour vous interroger avec moi ce matin, Stéphane Dupont du journal Les Echos.
01:14Bonjour Stéphane.
01:15Bonjour.
01:16Et Mathieu Bocoté. Bonjour Mathieu.
01:17Bonjour.
01:18Ce matin, Israël continue de frapper, on l'a vu dans le journal,
01:22des cibles du Hezbollah au Liban.
01:24L'Iran appelle à une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU.
01:29La France appelle à la cessation immédiate des frappes israéliennes au Liban.
01:33Les États-Unis appellent au calme, mais Kamala Harris a dit
01:37qu'Assad Nasrallah était un terroriste avec du sang sur les mains.
01:41Moscou condamne fermement.
01:43La Chine est profondément inquiète.
01:46Les positions internationales divergent sur cette question.
01:50Est-ce que c'est grave, Gilles Kepel ?
01:53La divergence des positions internationales, malheureusement,
01:57reflète ce qu'on a vu à l'Assemblée générale de l'ONU la semaine dernière,
02:02qui était pitoyable et qui a montré,
02:05c'est un peu ce que j'essaie d'expliquer avec ce titre du bouleversement du monde,
02:10que les grandes institutions qui ont été créées après la fin de la Seconde Guerre mondiale,
02:14l'ONU créée en octobre 1945 à San Francisco,
02:18aujourd'hui ne sont plus pertinentes pour gérer le monde tel qu'il est,
02:24d'une certaine manière accouché dans le chaos,
02:27à partir de ce point de cristallisation qu'a été le 7 octobre 2023.
02:34Et les positions que vous venez de dénumérer,
02:38un peu comme un éventail en terre à la préverve, d'une certaine manière,
02:42témoignent les États-Unis, le premier,
02:45qui étaient après la chute de l'URSS et la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989,
02:53d'une certaine manière, ce qu'Hubert Védrine appelait autrefois l'hyperpuissance,
02:59sont aujourd'hui dans un état d'apesanteur,
03:03dont du reste profite Benjamin Netanyahou pour mener sa politique
03:09sans être bridé par un surmoi américain, si je puis utiliser un terme de psychanalyse,
03:14puisque la Maison Blanche, il n'y a plus personne dedans,
03:18Biden peut parler comme nous tous pouvons parler,
03:22mais ça n'a plus d'efficacité.
03:25Il a jeté l'éponge et quant à Mme Harris et M. Trump,
03:31ils le pèsent au trébuchet chacune de leurs déclarations,
03:35de peur d'aliéner tel ou tel segment de leur électorat,
03:38avec ce changement incroyable que, traditionnellement,
03:41les campagnes électorales américaines en politique étrangère,
03:45qui n'étaient jamais l'enjeu, devant le représentant des échos ici,
03:50je prononcerais cette fameuse parole,
03:52« It's the economy, stupid, it's the economy ».
03:54C'est Clinton qui avait dit ça.
03:56C'est le prix du panier de l'aménagère, les salaires qui comptent.
03:59Là, pour la première fois, les enjeux internationaux se sont invités
04:03dans la politique américaine, comme dans la politique française,
04:07la politique britannique, au travers des élections
04:10qui ont eu lieu dans nos pays tout récemment.
04:13Et traditionnellement, en politique étrangère,
04:17le candidat démocrate et le candidat républicain rivalisaient
04:21dans le soutien à Israël.
04:23Aujourd'hui, c'est beaucoup plus compliqué,
04:25avec notamment ce système particulièrement chinois,
04:28si j'ose dire, des grands électeurs,
04:31où toute chose égale par ailleurs, dans un État comme le Michigan,
04:35où il y a une population d'origine arabe très importante,
04:39et notamment des Libanais, parmi lesquels pas mal de chiites,
04:42où la voix du Hezbollah se fait entendre.
04:45Je ne veux pas dire que c'est le Hezbollah qui va décider
04:47de l'élection politique américaine,
04:49mais en tout cas, on est dans un monde qui est bouleversé.
04:52– Monsieur Keppel, Pierre de Villeneuve a listé un peu
04:55toutes les réactions internationales de ces derniers jours.
04:58Comment jugez-vous la réaction de la France ?
05:00On a entendu le ministre des Affaires étrangères hier,
05:03Jean-Noël Barreau, qui parle qu'il faut arrêter les raids,
05:06demande à Israël d'arrêter les raids sur le Liban.
05:08On n'a pas entendu Emmanuel Macron.
05:10Michel Barnier a eu quelques phrases hier lors d'un déplacement.
05:13– Il pensait aux compatriotes français au Liban.
05:15– Mais ça se limite à ça.
05:16– C'est assez réducteur.
05:17– Est-ce que ce n'est pas ce silence assourdissant de la France,
05:20depuis deux jours, ça vous surprend ou pas ?
05:22– La France, par rapport au Liban, a une histoire particulière,
05:25puisque le Liban est la création de la France.
05:29Le Liban mandataire qui avait été confié par la Société des Nations
05:33avec la Syrie du reste de la France,
05:35c'est un pays qui avait été créé par la France, découpé par la France
05:38pour permettre à ce qu'il y ait une majorité chrétienne à l'époque.
05:41Il y a un état d'homogénéité chrétienne dans la région.
05:44Ça a changé énormément du fait des différentiels démographiques.
05:48Les chiites ont eu de très nombreux enfants quand les chrétiens,
05:52où il y avait une classe moyenne plus importante,
05:55en avaient de moins en moins, et aussi ont beaucoup émigré
05:58par le biais des réseaux des églises, justement au Canada, en France,
06:03aux États-Unis, en Australie et ailleurs.
06:05Et bien sûr, la France, quand elle parle du Liban,
06:09se sent d'une certaine manière une sorte de responsabilité,
06:13puisque c'est elle qui a créé les fondements de cette situation
06:17qui finalement n'a pas du tout abouti à ce que les gens souhaitaient au départ.
06:22– Mais Benjamin Netanyahou, quand il frappe à travers de sa halle
06:25certaines positions du Liban, il dit, je ne frappe pas les Libanais,
06:27je frappe le Hezbollah qui est un mouvement terroriste.
06:31Est-ce que vous comprenez la tactique du gouvernement israélien ?
06:34– Ah oui, sa tactique, sa stratégie, elles sont très claires.
06:37Il frappe effectivement le Hezbollah et du point de vue militaire,
06:42Netanyahou en ce moment est en train de remporter un succès.
06:47Alors je ne sais pas ce qui va se passer ultérieurement.
06:50– Mais là, on n'est plus du point de vue électoral de Benjamin Netanyahou,
06:53enfin je parle sous votre contrôle, on est là, Israël, je l'ai dit tout à l'heure
06:56en introduction, Israël dans cette guerre joue sa survie.
06:59– Oui, tout à fait, mais ce que je vous dis, c'est que,
07:03on parle de Netanyahou ensuite, il est Premier ministre,
07:06donc il représente l'État d'Israël en cette qualité,
07:11et c'est un succès militaire, un succès militaire qui d'une certaine manière
07:17efface ou lave, si je puis dire, l'échec du 7 octobre,
07:22l'échec du renseignement militaire et l'échec personnel de Netanyahou
07:25qui ne voulait pas croire que Sinoir allait attaquer.
07:30Sinoir qui l'avait fait libérer après 22 ans de prison,
07:33pensant un peu comme le Kaiser en voyant Lénine en Russie
07:38en train de blinder lors de la première guerre mondiale,
07:41ça ferait péter le système tsariste, effectivement ça l'a fait péter,
07:45et ensuite il y a eu la révolution bolchevique.
07:47Et donc il s'est un peu pris à ce piège-là.
07:49Mais aujourd'hui, il y a bien sûr un ciblage,
07:56ce sera quelque chose qui restera dans les annales de la guerre moderne,
08:00depuis les explosions des pêcheurs,
08:04en italien on dit cerche a persone,
08:06c'est-à-dire ceux qui cherchent les personnes,
08:08qui est parfaitement défini,
08:10qui a détruit tous les cadres moyens militaires du Hezbollah
08:14qui ont cru qu'on les convoquait,
08:16qui ont perdu un oeil, une main, l'intestin et autres,
08:20et qui du coup n'étaient pas là quand l'offensive a eu lieu pour répliquer,
08:25jusqu'à ces frappes ultra-ciblées qui ont abouti,
08:29on en reparlera tout à l'heure,
08:30jusqu'à la liquidation de Nasrallah lui-même,
08:33ce qui pose d'énormes questions sur lesquelles je vous donnerai mes hypothèses
08:37qui seront à vérifier.
08:38Frappe sur cinq immeubles.
08:39Voilà, et donc tout ça, c'est un quartier que je connais bien
08:41parce que je suis allé dans ces sous-sols du Hezbollah autrefois
08:45pour rencontrer, non pas Nasrallah lui-même,
08:47mais son adjoint Naïm Kassem,
08:49qui à ma connaissance n'est pas touché,
08:51donc qui doit être probablement le nouveau patron du Hezbollah.
08:55Et donc tout ça a eu pour conséquence que,
09:00bien sûr, il y a la destruction militaire de l'appareil du Hezbollah,
09:04ce qui est très important en termes géopolitiques,
09:06y compris parce qu'elle affaiblit considérablement l'Iran,
09:09dont c'était le fer de lance, si vous voulez,
09:12mais également vous avez des dommages collatéraux,
09:16comme on appelle ça, c'est horrible cette expression,
09:19qui font que tous les civils fuient,
09:21que des gens qui n'étaient pas nécessairement du Hezbollah
09:24se font bombarder, etc.
09:26Donc si vous voulez, on est dans une logique de guerre
09:29avec toute sa dimension.
09:32Et vous l'avez dit, nous reviendrons dans un instant
09:34sur les hypothèses autour de Nasrallah,
09:36mais pour seulement terminer l'inventaire des réactions
09:38que vous avez évoquées aux États-Unis,
09:40que vous avez évoquées en France,
09:41je me permets pour vous poser la question aussi
09:43du traitement médiatique de cette nouvelle en France.
09:46J'ai eu l'impression, en lisant certains journaux,
09:48que Nasrallah meurt, et c'est un mélange de Che Guevara
09:51et de Bob Marley et de figures spirituelles
09:54ou de Dalaï Lama qui venaient de disparaître,
09:56un traitement très positif d'un personnage
09:58qui est pourtant généralement considéré
10:00comme dangereux, sinon terroriste.
10:02Oui, effectivement, j'ai remarqué ça moi-même
10:04en lisant un quotidien sur mon téléphone ce matin
10:07qui m'a un peu surpris.
10:09Mais en effet, Nasrallah faisait l'objet
10:12d'une dévotion extraordinaire de ses adeptes.
10:16Certains disent, bon, mais Israël avait déjà tué
10:20le chef précédent du Hezbollah, Abbas Moussaoui,
10:23il y a 32 ans, et ça n'avait rien changé.
10:26Nasrallah, quand même, a construit, si vous voulez,
10:29c'est la principale figure mystico-politique
10:32du chiisme contemporain, du chiisme militant contemporain,
10:36à tel point qu'il y a même des gens qui ont cru
10:39dans les quartiers populaires de Beyrouth,
10:41les gens des chiites, qu'en fait, il n'était pas mort,
10:44qu'il s'était occulté, tel le Messie, tel le Mahdi,
10:47et qu'il allait revenir pour remplir la terre
10:50de lumière et de justice et effacer les ténèbres.
10:54Il y a cette croyance messianique qui est très présente
10:57dans le chiisme.
10:59Je l'imagine, mais en Occident.
11:01Oui.
11:03Effectivement, et ça, si vous voulez,
11:06ça nous renvoie aussi à des débats franco-français,
11:09puisque ce qui s'est passé avec le 7 octobre
11:12a pour conséquence des clivages identitaires
11:15dans la société française.
11:17Gilles Kepel, vous allez terminer votre phrase.
11:19Alors, je vous coupe en plein milieu,
11:21mais on va parler également de l'après Nasrallah.
11:24Il y a plusieurs identités qui se font.
11:26Est-ce que le Hezbollah est une hydre
11:28à plusieurs têtes qui peut renaître ?
11:30J'aimerais ça.
11:35Gilles Kepel est l'invité du grand rendez-vous
11:37pour la sortie de son livre
11:39Le bouleversement du monde aux éditions Plon
11:41l'après 7 octobre,
11:43et cette frappe israélienne dont on parle,
11:45le terroriste chef du Hezbollah,
11:47Hassan Nasrallah, qui donc a été éliminé
11:50vendredi soir, ça a été confirmé.
11:53Est-ce que le Hezbollah est une hydre à plusieurs têtes ?
11:56Vous avez cité le numéro 2 du mouvement
11:59qui pourrait succéder à Nasrallah.
12:01On parle également de son cousin H.M. Safieddine,
12:04figure éminente qui est appelée
12:07comme un successeur potentiel.
12:10Ça, c'est une première question.
12:12Jusqu'où peut aller le Hezbollah ?
12:14Est-ce qu'il aura la même intensité qu'avant ?
12:16Et puis, la question aussi,
12:18c'est que va faire l'Iran ?
12:20On a l'ayatollah Khamenei qui déclare
12:225 jours de deuil dans le pays.
12:25Et en attendant,
12:27parce que c'est une décision que j'appelle de surface,
12:30l'Iran demande la réunion du Conseil de sécurité de l'ONU.
12:34Mais en même temps,
12:36il dit que la ligne Nasrallah se poursuivra
12:40et son objectif sacré sera réalisé
12:43avec la libération d'Al-Qods,
12:45avec la libération de Jérusalem.
12:47C'est un peu ambivalent.
12:48Ce sont des propos très maximalistes
12:50et dont la profusion même
12:52conduit à la confusion la plus totale.
12:54Et qui manifestent,
12:56j'ai regardé dans un instant,
12:58qu'aujourd'hui, ça ne va pas du tout bien
13:00au sommet de la République islamique.
13:02L'assassinat ou la mort accidentelle,
13:05c'est selon de l'ancien président,
13:07dans un accident d'hélicoptère,
13:09le fait que Haniyeh, le patron du Hamas,
13:13ait été tué dans une résidence ultra sécurisée
13:17des gardiens de la Révolution,
13:19les circonstances de la mort de Nasrallah,
13:22pour qu'on y revienne aussi.
13:23Tout ça, ça fait une consécution de faits
13:26qui est extrêmement curieuse
13:28et qui me laisse penser que
13:30la République islamique est un peu dans une situation
13:32comme celle de la Russie
13:34avant la chute de l'URS.
13:37Donc ces mouvements n'auront plus
13:38la même intensité qu'avant ?
13:39Attendez, on n'y est pas encore.
13:41Votre diagnostic ?
13:42Aujourd'hui, oui.
13:43Si c'est le cas, oui, évidemment.
13:45Parce qu'il me semble que l'Iran, bien sûr,
13:48par-delà la dimension du schisme politique exacerbé,
13:51il y a dessous une identité persane extrêmement forte
13:54et que si une partie, y compris dans l'establishment
13:58militaro-politique iranien au sommet,
14:02des responsables estiment que la politique des mollahs
14:05les amène dans le mur
14:07et qu'en conséquence, l'Iran va s'effondrer,
14:10va être dépecé par ses ennemis,
14:12ils sont prêts à jeter les mollahs par la poubelle.
14:15Selon vous, l'Iran ne va pas répliquer ?
14:18Parce que même après la mort de Haniyeh,
14:20ils avaient promis la fin du monde,
14:23il ne s'est rien passé.
14:25Et là, vous pensez qu'après l'élimination de Nasrallah,
14:27ça va être pareil ?
14:28Les mesures que Pierre de Villeneuve vient d'annoncer,
14:31telles que préconisées par Hamenei,
14:33qui vont dans tous les sens,
14:35ne donnent pas le sentiment qu'ils sont en ordre de bataille.
14:38Vous savez, mon hypothèse,
14:40j'explique ça en détail dans le livre,
14:42c'est que Sinoir les a pris par surprise.
14:45Sinoir est le dirigeant du Hamas, un parti sunnite,
14:48qui n'a pas la même allégeance absolue
14:51que Nasrallah, dirigeant d'un parti chiite,
14:54au guide de la révolution.
14:56Et lui, il avait son propre agenda,
14:58on va profiter des illusions de Netanyahou,
15:01de les fêtes surprises du 7 octobre, etc.,
15:05pour infliger des dommages à Israël,
15:07qui d'ailleurs ont probablement largement dépassé
15:09ce que lui-même pensait.
15:11Il ne savait pas qu'il y avait la fête de Nova,
15:14il a tué un nombre de personnes incroyables,
15:17près de 1 200, beaucoup d'otages,
15:20pensant qu'ils pourraient s'en servir comme arme
15:22pour faire chanter les Israéliens.
15:24Mais le paradigme a été complètement bouleversé.
15:26Il y a eu tellement de morts
15:28qu'à ce moment-là, Israël a été,
15:30d'une certaine manière, désinhibé
15:32dans sa politique habituelle,
15:34qui est celle de la riposte disproportionnée.
15:36Et de ce fait, les Iraniens et le Hezbollah
15:39ont été entraînés dans l'engrenage,
15:42alors qu'ils n'étaient pas en ordre de bataille.
15:44Leur stratégie, c'était des coups gradués
15:47pour finir par grignoter et user Israël.
15:49Et là, ils ont été pris à cause de cinoirs
15:51dans un engrenage qui n'ont pas pu,
15:54finalement, faire la surenchère militaire.
15:56Et il me semble que la mort de Nasrallah,
15:59sur laquelle j'ai quelques hypothèses à formuler,
16:03c'est quelque chose qui est une catastrophe.
16:07Oui, je pense que, je vais vous le dire,
16:09ça ne suffit pas d'avoir la connaissance
16:12de l'intelligence artificielle,
16:14d'avoir récolté toutes les données du monde.
16:16Nasrallah était introuvable.
16:19Tout d'un coup, il a été trouvé.
16:21Il a été installé dans un immeuble de la Dahye,
16:24ce qui veut dire la banlieue en arabe,
16:26avec là où étaient aussi d'autres personnes.
16:29Ça me semble très difficile à comprendre
16:32si une partie de l'establishment,
16:37disons du renseignement iranien,
16:40n'a pas été complice, du moins,
16:44n'a pas laissé faire.
16:46Je crois aujourd'hui...
16:47Les iraniens qui l'auraient livré ?
16:49Les iraniens en général, non, c'est trop dire.
16:51Dans les services secrets iraniens,
16:53qu'ils l'auraient livré ?
16:54Je pense qu'il y a aujourd'hui
16:56les trois morts consécutives.
16:58Celle d'Ibrahim Raisi,
17:00celle de Haniyeh,
17:02au sein du grand centre des passes d'Aran,
17:06ultra sécurisée,
17:07et celle de Nasrallah.
17:09Tout cela me semble aller dans le même sens,
17:12à savoir qu'il y a une partie
17:14de l'establishment iranien aujourd'hui
17:17qui a envie d'influer de manière différente
17:23la politique de la République islamique.
17:25Justement, revenons sur l'Iran un instant.
17:27Vous dites qu'il est possible qu'aujourd'hui,
17:29l'Iran soit dans une situation semblable
17:31à celle de la Russie avant la chute de l'URSS.
17:34A quoi pourrait ressembler
17:36la chute du régime des mollahs ?
17:38A quoi pourrait ressembler une Iran débarrassée
17:40du cycle révolutionnaire engagé par Khomeini ?
17:42Tout d'abord, on n'en est pas encore là.
17:44Mais c'est une hypothèse qui traîne depuis longtemps
17:46dans la vie publique.
17:47Cela fait même depuis la République islamique
17:49que tous les jours,
17:50vous avez des monarchistes exilés en Californie
17:53qui vous disent que c'est demain matin.
17:55Là, il y a quand même,
17:57qu'on appellerait au Québec,
17:58un game changer.
18:00C'est-à-dire qu'il y a quelque chose qui a bougé.
18:03C'est pour la taquiner.
18:05C'est pour la taquinerie.
18:07Ça ne le fait pas du tout rire.
18:11Ce qui fait que la mort de Nasrallah,
18:14c'est quelque chose d'énorme.
18:16Parce qu'il faut bien voir à quoi servait
18:18le parti de Dieu, le Hezbollah.
18:20C'est ce que ça veut dire en arabe.
18:21Ça servait de force de dissuasion
18:23pour protéger l'Iran.
18:25Si les Américains avaient voulu
18:27tirer sur les sites nucléaires
18:29de Natanz en Iran,
18:31le Hezbollah allait tirer
18:33préventivement des missiles sur Israël.
18:35À une époque où, en Israël,
18:37quand il y avait 10 morts israéliens,
18:39c'est une catastrophe nationale.
18:41Aujourd'hui, il y en a eu 1 200,
18:43le 7 octobre.
18:45Les critères ont complètement changé.
18:47Ce qui fait qu'il y a eu,
18:49en contrepartie, en rétorsion,
18:51c'est monstrueux,
18:53il y a eu 40 000 morts au moins à Gaza,
18:552 millions déplacés, 100 000 blessés.
18:57On a complètement changé de dimension.
18:59Le Hezbollah n'a pas été capable,
19:01si vous voulez, d'assurer
19:03à ce moment-là.
19:05Aujourd'hui, avec la liquidation
19:07militaire d'une grande partie
19:09de la force offensive du Hezbollah,
19:11l'Iran se retrouve en première ligne.
19:13Il n'est plus protégé
19:15par le Hezbollah,
19:17qui était à la fois un glaive,
19:19si j'ose dire,
19:21et un bouclier.
19:23Je parle aux militaires,
19:25en vous qui reconnaîtrent ça.
19:27Et donc,
19:29ça change complètement la donne.
19:31L'Iran est très exposé
19:33et les dirigeants iraniens,
19:35aujourd'hui, ou une partie d'entre eux,
19:37n'ont pas envie de se retrouver
19:39en première ligne parce qu'ils sont
19:41extrêmement fragilisés.
19:43Donc vous ne croyez pas à une escalade ?
19:45Alors,
19:47une escalade verbale,
19:49oui, vous l'avez entendu.
19:51On a quand même eu
19:53plusieurs exemples.
19:55Les Israéliens
19:57ont liquidé
19:59des généraux des Gardiens de la Révolution
20:01en Syrie. La Syrie aussi n'est pas bien.
20:03Tout le monde dit que chacun pleure
20:05au Moyen-Orient, au Nasrallah.
20:07Non. Au Liban,
20:09un certain nombre, pas seulement hors des chiites,
20:11mais parmi les chiites qui ont subi
20:13le joug du Nasrallah, ils ne pleurent pas du tout.
20:15À Damas,
20:17j'ai eu des informations toutes fraîches,
20:19l'opposition à Bachar fait la fête
20:21puisque sans les gardiens
20:23de la Révolution
20:25et sans les miliciens du Hezbollah,
20:27le régime d'Assad
20:29est extrêmement fragilisé.
20:31Mais ça veut dire, Gilles Kepel, pardonnez-moi de vous couper,
20:33parce que là, vous avez ouvert une brèche
20:35qui est très intéressante. Vous avez parlé
20:37de l'Iran qui est en première ligne. Vous avez parlé
20:39du fait que les Américains, à une époque,
20:41avaient envisagé de viser des sites militaires
20:43et nucléaires à l'Iran.
20:45Est-ce que ça veut dire que
20:47peut-être que la prochaine cible, c'est l'Iran,
20:49quelle que soit l'armée, que ce soit l'armée américaine ?
20:51Je l'en doute,
20:53mais peut-être que les Israéliens
20:55ont maintenant, vu que la voie
20:57est libre d'une certaine manière,
20:59en anticipant,
21:01peut-être, pour viser certains sites
21:03en Iran. On peut penser ça du point de vue
21:05militaire, mais politiquement, je crois que, à mon avis,
21:07ça n'est pas la peine aujourd'hui. Par exemple, il y a la question
21:09est-ce que les Israéliens vont
21:11entrer au Liban ?
21:13Des bottes sur le terrain.
21:15Netanyahou a déjà dit...
21:17Halévy a dit, on va le faire.
21:19Et on a vu des mouvements de chars
21:21qui arrivaient dans le pays.
21:23Mais tant qu'on ne les a pas vus sur le terrain,
21:25ils n'y sont pas.
21:27Pourquoi ? Parce qu'il faut bien voir qu'Israël
21:29a déjà envahi le sud du Liban
21:31et ils sont revenus à la maison.
21:33C'était une catastrophe politique et militaire.
21:35Ils ont fait partir
21:37tout le monde par les bombardements.
21:39Quel est l'objectif Netanyahou ?
21:41D'abord et avant tout, pour des raisons aussi électorales,
21:43c'est de faire revenir
21:45chez eux les habitants de la Haute-Galilée.
21:47Vu ce qui a été infligé
21:49au Hezbollah pour l'instant,
21:51je ne suis pas sûr
21:53qu'ils aient besoin
21:55de subir les réactions
21:57des gens qui seraient opposés
21:59à ce que les troupes soient arrivées.
22:01De la même manière,
22:03casser le Hezbollah,
22:05ça évite de taper sur l'Iran.
22:07Ça évite du risque.
22:09Regardez la chute de l'URSS.
22:11Il n'a pas été besoin
22:13d'envoyer des missiles balistiques
22:15sur Moscou.
22:17Il a suffi que l'armée rouge
22:19quitte la khebas Kaboul
22:21le 15 février 1989.
22:23C'était devenu
22:25un tigre de papier.
22:27Le 9 novembre suivant,
22:29le mur de Berlin est tombé.
22:31Il me semble que la comparaison,
22:33en tout cas comme hypothèse de travail,
22:35est intéressante.
22:37Je ne fais pas partie
22:39des renseignements israéliens,
22:41ni iraniens, ni français,
22:43ni autres.
22:45Je n'ai pas la source.
22:47Tout ce que je peux vous dire,
22:49le seul que j'ai rencontré,
22:51c'est Naïm Kassem,
22:53le numéro 2 du Hezbollah.
22:55Il avait écrit un livre
22:57et je voulais en discuter avec lui.
22:59Il m'a reçu dans un endroit au fond.
23:01Il n'a pas le charisme
23:03de Nasrallah.
23:05Son cousin,
23:07Safi Eddin,
23:09je ne le connais pas.
23:11C'est une perte,
23:13pas seulement militaire,
23:15il n'y a plus le bouclier
23:17qui protège l'Iran,
23:19mais aussi en termes de capacité.
23:21C'était la voie arabe
23:23de l'axe de la résistance.
23:25On se retrouve dans un instant.
23:31Toujours avec Gilles Kepel
23:33qui signe le bouleversement du monde
23:35après cet octobre aux éditions Plon.
23:37On parlait tout à l'heure
23:39de la stratégie de Benjamin Netanyahou
23:41qui, d'ailleurs, a surpris
23:43certaines organisations terroristes
23:45dont le Hezbollah et le Hamas.
23:47Vous disiez qu'on n'avait peut-être pas
23:49envisagé une telle intensité.
23:51Israël joue sa survie,
23:53Israël riposte et ne mène pas la guerre
23:55puisqu'il riposte au pogrom du 7 octobre.
23:57Il y a deux ennemis frontaux,
23:59le Hezbollah, le Hamas
24:01et puis il y a les otages.
24:03La question centrale,
24:05c'est la libération,
24:07comme on veut également sur CNews quotidiennement,
24:09la libération des 101 otages.
24:11Que deviennent-ils et quelles données
24:13constituent-ils aujourd'hui dans ce contexte ?
24:15Sur les 101,
24:17probablement, bon nombre ne sont plus
24:19de ce monde, comme
24:21l'indiquent les sources
24:23israéliennes. Pour ce qui
24:25est de la guerre
24:27elle-même, je crois
24:29que le Premier ministre
24:31israélien a considéré
24:33que les otages
24:35ne devaient pas être pris
24:37en considération dans sa stratégie.
24:39Il en a libéré un certain
24:41nombre, quelques-uns de manière très spectaculaire,
24:43vous vous souvenez, il y a un peu plus d'un mois.
24:45Mais il a refusé
24:47de se laisser prendre dans cette logique
24:49qui était celle de la négociation
24:51qu'avait voulue M. Biden
24:53le 31 mai, à savoir
24:55on libère les otages
24:57en échange de concessions d'Israël.
24:59Pour lui,
25:01ça c'était la défaite.
25:03On a laissé les otages
25:05de côté, et son
25:07objectif principal, c'est
25:09d'être celui qui va
25:11détruire les principaux ennemis d'Israël.
25:13Un peu comme Josué, dans la Bible,
25:15selon le récit biblique,
25:17si vous voulez, avait détruit les
25:19cananéens à Agérico
25:21après l'épisode des trompettes.
25:23Et c'est ça qui compte pour lui,
25:25c'est aussi ça qui est très important
25:27pour assurer la cohésion
25:29de sa majorité. Il y a une très forte
25:31pression des suprémacistes
25:33ou des sionistes religieux, Ben Gvir
25:35et Smotrich, dont les partis
25:37ont 18 membres
25:39de la Knesset. Sans eux, il n'a plus de majorité.
25:41Et c'était
25:43quelque chose qui a
25:45changé la donne, parce que
25:47précisément, autrefois,
25:49Israël était tellement
25:51attaché à défendre
25:53même un de ses
25:55ressortissants. Rappelez-vous,
25:57le caporal franco-israélien
25:59Gilad Chalit
26:01avait été libéré
26:03en échange
26:05fait par Netanyahou lui-même,
26:07de 1027
26:09personnes, dont Yair Yassinoua.
26:11Et là, ça n'est
26:13plus cette logique qui prévaut.
26:15A savoir que
26:17si Hamas a pris tous ses otages,
26:19c'est parce qu'ils pensaient qu'ils avaient
26:21un levier pour faire pression
26:23sur Israël. Or, le
26:25changement de paradigme,
26:27qui s'est produit avec le 7 octobre,
26:29fait que ça n'a plus la même pertinence.
26:31Les appels au cessez-le-feu qui ont été lancés
26:33récemment par les Etats-Unis et par la France,
26:35n'ont aucune chance d'aboutir. Israël n'acceptera
26:37jamais le cessez-le-feu en contrepartie
26:39d'une libération des otages. Non, je ne pense pas que ce soit
26:41le cas. Je pense que
26:43le gouvernement
26:45israélien a décidé que
26:47la seule chose qu'il pouvait faire,
26:49c'était une stratégie
26:51de victoire éclair. Et c'est
26:53profitant, d'une certaine manière,
26:55étant à profit le fait qu'il n'y a plus
26:57de pilotes dans l'avion américain, si je puis dire.
26:59Et c'est ça qui
27:01explique, en tout cas,
27:03ce qui s'est passé
27:05au Liban, le type de stratégie
27:07et d'offensive au Liban qui,
27:09pour l'instant, du point de vue militaire,
27:11d'une certaine manière, s'est déroulé
27:13selon les plans qui ont permis
27:15de laver non seulement l'échec
27:17du mois
27:19de l'année dernière, mais
27:21on est en ce moment pendant les fêtes juives de Kipour.
27:23Et le terme de Kipour
27:25au Moyen-Orient, c'était
27:27la guerre de Kipour. C'était le rappel
27:29d'une défaite israélienne
27:31qui les Israéliens ont été surpris par
27:33les armées égyptiennes et syriennes
27:35avant qu'après il n'y ait eu une contre-offensive
27:37victorieuse. Et là, tout d'un coup,
27:39pour Netanyahou, il est celui
27:41qui renverse la signification
27:43de Kipour. Kipour, ça veut dire
27:45le moment où j'ai,
27:47moi, Netanyahou, réussi
27:49à décapiter le Hezbollah et liquider
27:51son chef. Alors, vous avez évoqué
27:53dans la première partie de l'émission
27:55l'appui des États-Unis à Israël.
27:57Longtemps, il y avait une forme de consensus
27:59très fort. Or, vous avez évoqué
28:01l'état du Michigan, par exemple. Au Michigan,
28:03une communauté arabe de plus en plus présente
28:05entraîne le Parti démocrate à changer,
28:07à intégrer cette donnée-là
28:09dans la vision de la politique étrangère
28:11américaine. Est-ce qu'on peut dire que
28:13le basculement démographique de l'Occident
28:15qu'on connaît aujourd'hui à coup de
28:17vagues migratoires, est-ce que ça risque à terme
28:19de changer la nature de la
28:21relation entre le monde occidental et Israël?
28:23Oui, bien évidemment. Comme on
28:25le voit aussi en France,
28:27au Royaume-Uni, ou ailleurs.
28:29Et à l'occasion
28:31des bombardements
28:33sur Gaza et des nombres
28:35de morts, il y a eu, par exemple,
28:37au Royaume-Uni,
28:39des pressions gigantesques
28:41qui ont fait qu'une partie de la communauté
28:43juive s'est sentie
28:45très en danger, beaucoup
28:47plus du reste qu'en France,
28:49qu'on montrait autrefois au doigt.
28:51Et peut-être qu'il y a eu des débats là-dessus
28:53où il me semblait que, notamment,
28:55une intégration plus
28:57profonde, plus
28:59dense
29:01de la population
29:03originaire du
29:05Maghreb ou de l'Europe
29:07centrale de confession juive
29:09dans le tissu français a été
29:11quelque chose qui a été un facteur
29:13de protection supplémentaire, je crois.
29:15Davantage que dans les pays
29:17où les communautés sont restées dans une logique un peu plus
29:19marginale. Mais effectivement,
29:21la démographie
29:23des États-Unis reflète
29:25la démographie du monde.
29:27Et ce qui est frappant au Michigan, c'est que
29:29d'une part, est-ce que le Hezbollah
29:31défait militairement au Liman peut-être un facteur
29:33pour l'élection américaine ?
29:35On est dans le bouleversement
29:37du monde, si j'ose me citer.
29:39Mais figurez-vous, Mathieu, que
29:41il y a un certain nombre de...
29:43Par exemple, le premier maire yéménite
29:45américain dans le Michigan
29:47a fait ce qu'on appelle
29:49l'endorsement, le soutien
29:51à Trump.
29:53Parce qu'il considère qu'au fond
29:55Kamala Harris fait partie
29:57de la vice-présidente de Biden
29:59qui, la semaine dernière, les Américains
30:01ont
30:03accordé 8,7
30:05milliards de crédits
30:07de dollars de crédits militaires
30:09à Israël pour se défendre. Et donc
30:11elle est coupable d'avoir soutenu
30:13militairement Israël. Donc, si vous voulez,
30:15Trump joue
30:17alors qu'il est pourtant le meilleur ami de
30:19Bibi Netanyahou, mais joue aussi sur la dimension
30:21conservatrice de son message,
30:23le refus
30:25de l'abattement, etc.
30:27Si les démocrates l'emportent, Israël n'existe plus
30:29dans deux ans. Oui, ça c'est ce qui...
30:31Comme vous le savez,
30:33un candidat
30:35dit plusieurs choses différentes. Le problème
30:37c'est que tout le monde n'entend pas
30:39exactement la même chose. C'est pourquoi
30:41aussi, cette fois-ci,
30:43surtout, l'élection américaine se joue
30:45sur le fil. Aucun d'entre nous,
30:47ici, ne prendra le pari de dire
30:49c'est Kamala ou c'est Trump qui va
30:51gagner. Un jour c'est l'un, un jour
30:53c'est l'autre. Et le système des grands électeurs est
30:55tellement compliqué et c'est tellement
30:57perverti aujourd'hui que
30:59on peut avoir un petit groupe
31:01organisé dans un endroit, que ce soit l'Arizona
31:03ou autre, qui fait basculer
31:05l'élection, même s'il y a 4 millions
31:07de plus, pour l'un. C'est l'autre qui peut
31:09gagner. Alors Mathieu, de votre côté, parle des Etats-Unis.
31:11Moi, je vais parler de la Russie,
31:13puisque Poutine, on s'en souvient, dans la guerre en Syrie,
31:15avait soutenu Bashar al-Assad. C'est le cas
31:17encore aujourd'hui. Quand je lis les
31:19déclarations d'hier
31:21de Sergei Lavrov, le chef de la diplomatie
31:23russe, qui dit, mon impression est
31:25que certains cherchent à provoquer l'Iran
31:27pour ensuite provoquer les Etats-Unis
31:29et ensuite déclencher une
31:31guerre totale dans la région entière.
31:33Est-ce que là aussi, c'est
31:35pardonnez ma expression, de l'esbrouf,
31:37comme vous avez l'air
31:39de le dire, pour les autorités iraniennes ?
31:41Ou est-ce qu'avec
31:43l'appui aujourd'hui du Sud global, de certains
31:45pays du Sud global, on doit
31:47craindre un embrasement également ?
31:49Mais le Sud global est quelque chose de très
31:51hétérogène et fragmenté. Vous savez, par exemple...
31:53Oui, mais il suffit justement d'un
31:55déclenchement pour que...
31:57La Russie, elle est quand même bien
31:59occupée avec l'Ukraine. Leur capacité
32:01aujourd'hui à se projeter au
32:03Moyen-Orient, ça n'est plus ce que
32:05c'était. Et regardez
32:07par exemple aussi un autre
32:09morceau principal du
32:11pseudo-Sud global ou des BRICS, la
32:13Chine. La Chine est furieuse
32:15contre l'Iran, puisque
32:17quand il y a eu l'attaque
32:19du 7 octobre,
32:21donc comme je l'ai dit tout à l'heure, je pense que
32:23les Iraniens et
32:25le Hezbollah ont été pris par surprise.
32:27Le 3 novembre,
32:29Nasrallah a parlé en arabe.
32:31Les chaînes m'avaient
32:33demandé d'écouter pour dire s'il allait
32:35annoncer la 3e guerre mondiale. Quand c'était
32:37pas ça, ils étaient évacués libres.
32:39Et il a dit, bon, c'est pas nous.
32:41C'est pas nous, mais les
32:43Houthis vont le faire. Et l'Iran
32:45a envoyé les Houthis
32:47fleur au fusil, si j'ose dire, ou au missile
32:49pour tirer sur tout ce qui passait comme
32:51bateau dans la mer Rouge au prétexte qu'ils allaient
32:53sur des ports israéliens. Ce n'était pas nécessairement le cas.
32:55Qu'est-ce qui s'est passé ? La route de
32:57l'assoie chinoise a été bloquée.
32:59Tout ce qui nous est apporté ici, qu'il y a sur ce plateau
33:01qui vient de Chine, a mis 3 semaines de...
33:03Pas tout, tout à fait.
33:05A mis 3 semaines de plus en passant par
33:07l'Atlantique. Les Chinois sont furieux.
33:09Il n'y a que beau côté, il n'y a pas de Chine.
33:11Oui, mais ils traversaient le Pacifique.
33:13L'Atlantique, par contre.
33:15Et donc, le résultat,
33:17c'est que la Chine est en crise
33:19économique. Les choses s'entassent.
33:21Les tontonneurs s'entassent sur les ports
33:23de Shanghai. Furieux,
33:25ils ont cessé d'acheter du pétrole à l'Iran.
33:27Ils l'achètent à la Russie, qui en a à vendre
33:29encore moins cher. Et ils ont même reconnu
33:31la souveraineté émiratiste
33:33sur les îles du Golfe Persique que l'Iran a piqué.
33:35Ce que vous nous dites, Gilles Kepel, c'est que les grandes puissances
33:37ont plutôt envie de calmer
33:39le jeu, de faire retomber un petit peu...
33:41Y compris Poutine, ce qui serait assez étonnant.
33:43Non, lui, il a toujours envie que ça n'aille
33:45pas bien pour les Occidentaux dans la région.
33:47Mais a-t-il les moyens lui-même
33:49de souffler sur les braises ? Dans
33:51la relation irano-russe,
33:53ce sont les
33:55iraniens qui fournissent les missiles
33:57Shahed, qui tirent sur les
33:59civils de l'Ukraine.
34:01Oui, parce qu'ils ne sont pas chers, et parce que les
34:03Russes ne les fabriquent pas. Donc, on n'est pas tout à
34:05fait dans une relation de grande
34:07puissance avassale.
34:09La Russie, me semble-t-il
34:11aujourd'hui, n'a plus vraiment les moyens
34:13d'être un leader.
34:15On prend la loi qui dit que c'est la guerre totale, attention, attention.
34:17C'est plutôt de la com'.
34:19La guerre totale,
34:21pour l'instant, je n'y crois pas tellement.
34:23Gilles Kepel revient
34:25dans un instant avec nous sur le plateau
34:27du Grand Rendez-Vous.
34:33Dernière partie du Grand Rendez-Vous Europe 1,
34:35CNews, Les Echos, avec Gilles Kepel qui publie
34:37ce livre, Le bouleversement du
34:39monde, l'après-7 octobre aux
34:41éditions Plon. Après
34:43tout ce qu'on a dit d'une
34:45manière plus générale et plus globale,
34:47la question est, est-ce qu'on
34:49vient, on est en train de vivre
34:51une époque terroriste ?
34:53Je reprends une phrase
34:55du général Burkhard,
34:57qui est le chef d'état-major des armées, qui est arrivé
34:59à la réunion du MEDEF
35:01sur l'hippodrome de Longchamp, où
35:03étaient plutôt des entrepreneurs,
35:05on peut parler plutôt de déficit,
35:07de la dette publique,
35:09de la difficulté de l'entreprise aujourd'hui
35:11en France, tellement les charges sont lourdes, etc.
35:13Et puis voilà le SEMA,
35:15le chef d'état-major des armées, qui vient, et donc
35:17on imagine bien qu'il a des informations pour
35:19dire une chose pareille, il faut
35:21se préparer à des temps assez durs,
35:23sinon très durs,
35:25pour l'Occident.
35:27Est-ce qu'on en est arrivé à cela ?
35:29Et est-ce que, du coup,
35:31on doit se défendre ? Et si oui, comment ?
35:33Le facteur de risque aujourd'hui est
35:35un enjeu majeur pour le monde de l'entreprise,
35:37et notamment
35:39arriver à imaginer
35:41quelles vont être les conséquences
35:43de la situation conflictuelle au Moyen-Orient,
35:45sur les marchés,
35:47sur les investissements. On a parlé, par exemple,
35:49du trafic des marchandises
35:51pour CGA,
35:53CGM,
35:55pour Air France, qui annule
35:57ses vols régulièrement,
35:59pour le prix du pétrole.
36:01Ce sont des enjeux absolument gigantesques.
36:03Dans l'hypothèse où l'Iran
36:05reviendrait sur le marché,
36:07l'Iran,
36:09aujourd'hui, son pétrole est en embargo.
36:11Si le pétrole iranien et le gaz
36:13arrivent sur le marché, ça veut dire une baisse
36:15importante des prix du pétrole.
36:17Ça bouleverse complètement
36:19l'économie mondiale, etc.
36:21Donc, effectivement, aujourd'hui,
36:23le risque politique, dans sa version
36:25terroriste,
36:27mais aussi dans la version de la
36:29belligérance entre États, l'interruption
36:31des flux traditionnels, c'est un
36:33enjeu fondamental. Pour la Chine,
36:35je vous l'ai dit tout à l'heure, la Chine
36:37est furieuse
36:39contre la décision iranienne
36:41d'envoyer les Houthis
36:43pour tirer sur les bateaux qui passent en Amérique.
36:45Mais au-delà des marchés, est-ce qu'on ne vit pas dans une époque...
36:47Tout à l'heure, on voyait dans le journal ce cas
36:49de l'aryx au marteau
36:51dans un lycée.
36:53Est-ce qu'on n'est pas dans une époque où,
36:55pardonnez-moi, se raccourcit
36:57un peu facile, mais est-ce que chacun
36:59n'a pas parfois des vérités
37:01d'être soi-même terroriste ?
37:03Ce qui se passe aujourd'hui, enfin, c'est partie
37:05de ce bouleversement du monde que j'ai décrit dans le livre,
37:07c'est que les polarisations
37:09identitaires
37:11chassent dans nos sociétés aujourd'hui
37:13les polarisations sociales
37:15qui étaient manifestées par un
37:17système qui les gérait à travers les
37:19parlements, etc.
37:21L'opposition entre la droite et la gauche, pour aller vite,
37:23qui était reflétée
37:25sur la planète par l'opposition
37:27entre l'Est et l'Ouest.
37:29Tout ça s'est transformé avec la
37:31disparition du système soviétique.
37:33Aujourd'hui, vous avez
37:35que ce soit aux États-Unis,
37:37au Royaume-Uni, en France,
37:39des polarisations identitaires fortes
37:41dans notre système français. Vous avez d'un côté
37:43le pôle mélenchoniste
37:45qui a attiré autour de lui
37:47une gauche qui est,
37:49vous savez, Laurent Joffrin
37:51appelle
37:53le Parti socialiste le Parti
37:55soumis, PS est Parti soumis.
37:57Et donc, on voit cette polarisation
37:59identitaire avec
38:01l'islamo-gauchisme, le wokisme
38:03d'un côté, et de l'autre...
38:05Pour des raisons électorales, d'ailleurs.
38:07Et de l'autre côté, le Rassemblement national
38:09qui a rassemblé
38:11plus de 10 millions de voix.
38:13Et au milieu, nous avons notre
38:15gouvernement qui flotte
38:17et, vu l'âge que j'ai,
38:19je n'ai jamais vu une situation
38:21pareille où un gouvernement
38:23de la République est simplement
38:25dans l'attente de savoir s'il va pouvoir
38:27ne pas être censuré.
38:29Quelle peut-être aujourd'hui l'onde de choc
38:31de l'élimination de Nasrallah au Liban
38:33en France,
38:35sur la politique française, est-ce qu'il faut
38:37craindre un regain d'attentats
38:39ou un regain de violences
38:41contre la communauté juive
38:43comme on en a connu depuis un an ?
38:45Est-ce que ça va avoir un effet chez nous, en France ?
38:47Bruno Rotailleau demande une vigilance
38:49des préfets à l'approche du 7 octobre, d'ailleurs.
38:51Oui, bien évidemment, parce que c'est
38:53un moment d'expression
38:55de toutes les frustrations. Vous voyez,
38:57cet été, je me trouvais
38:59du reste à Nîmes,
39:01j'ai fait le pèlerinage de Saint-Gilles
39:03au moment
39:05où un individu
39:07qui venait du quartier de
39:09Pise 20, ça ne s'invente pas, à Nîmes,
39:11est allé attaquer
39:13la synagogue de la Grande Motte,
39:15a essayé d'y mettre le feu.
39:17Il était un maladroit absolu, il s'est fait repérer
39:19tout de suite, attrapé par
39:21des systèmes
39:23de police en France, qui quand même,
39:25quand ils sont dans le
39:27haut du spectre, sont d'une rapidité extraordinaire.
39:29Lui a été arrêté tout de suite.
39:31Le suspect du meurtre
39:33de la jeune Philippine a été
39:35arrêté avec une efficacité
39:37du fait de l'exploitation
39:39des téléphones, c'est remarquable.
39:41Donc il faut aussi se rappeler ça, c'est-à-dire
39:43que nous avons en France
39:45une police qui,
39:47parce qu'elle a été aguerrie
39:49par la lutte contre Daesh sur notre
39:51territoire, est quand même
39:53dans une capacité de
39:55prévenir et de lutter
39:57contre ce terrorisme structurel.
39:59En revanche, le problème,
40:01c'est ce que j'ai appelé dans un autre livre, le djihadisme
40:03d'atmosphère, c'est-à-dire
40:05le fait que des gens
40:07qui ne reçoivent pas d'ordre,
40:09d'une hiérarchie, tout d'un coup
40:11décident de passer à l'action.
40:13C'est ce qu'on a vu dans des lycées autrefois,
40:15quand Samuel Paty
40:17puis Dominique Bernard
40:19ont été attaqués.
40:21Les services de renseignement savent quelque chose, parce qu'ils sont sur les
40:23dents tous les jours. Bien sûr, et ça,
40:25c'est tout à fait normal.
40:27En même temps,
40:29aujourd'hui, l'un des enjeux
40:31principaux du renseignement aujourd'hui,
40:33c'est la détection des signaux faibles.
40:35Et ça, puisque vous recevez,
40:37je crois, Nicolas Sarkozy demain
40:39pour lui poser la question,
40:41il a fermé
40:43les renseignements généraux, et
40:45ça, c'est quelque chose dont on a
40:47beaucoup de mal à se remettre aujourd'hui.
40:49Vous avez évoqué en tout début de l'émission l'idée que
40:51le système international tel qu'on l'a connu
40:53de l'après-guerre, l'ONU,
40:55est un peu défasé dans le monde multipolaire
40:57qui est le nôtre, avec la fin de l'hyperpuissance américaine.
40:59Donc, un défasage entre le système et les
41:01réalités du monde. Est-ce qu'on peut dire que même
41:03les systèmes politiques occidentaux aujourd'hui
41:05sont un peu défasés par rapport aux réalités?
41:07Donc, d'un côté, les systèmes libéraux,
41:09tranquilles, censés gérer les sociétés paisibles et
41:11prospères, et de l'autre côté, une société
41:13plus violente que jamais depuis
41:15plusieurs décennies, des sociétés tendues,
41:17hétérogènes. Est-ce qu'on voit un défasage
41:19un peu partout des systèmes politiques et juridiques
41:21et des réalités démographiques et culturelles?
41:23On en a l'expression précise, là,
41:25avec la question
41:27des grands électeurs américains,
41:29qui ne s'est pas du tout faite pour
41:31favoriser
41:33une minorité ethnique du Michigan, par exemple.
41:35On en a également
41:37l'expression au Royaume-Uni,
41:39où vous avez eu,
41:41c'est pas tellement
41:43une victoire travailliste qu'un
41:45échec des conservateurs, parce que le parti
41:47pro-Brexit l'a fait qu'ils se sont tenus
41:49second partout. Il y a eu
41:51très peu de voix.
41:53Il y a eu des candidats, Gaza,
41:55qui ont été élus contre
41:57les travaillistes au Royaume-Uni.
41:59Quand un Rwandais
42:01a tué ces jeunes filles
42:03au Royaume-Uni, il y a eu des émeutes
42:05suscitées
42:07qui ont fait brûler des mosquées, alors que la
42:09personne en question n'avait rien
42:11de musulmane. Et donc, on voit bien
42:13que vous avez une société
42:15qui est politique
42:17et une société réelle
42:19qui sont de moins en moins en face,
42:21puisque, au fond, ce qu'on disait tout à l'heure, la société politique
42:23était davantage adaptée
42:25à la gestion de
42:27l'antagonisme nord-sud, pour le dire vite,
42:29en tant qu'ancien
42:31gauchiste, entre le capitalisme
42:33et le socialisme,
42:35entre le capital et le travail, comme
42:37on disait autrefois. Tout ça, aujourd'hui,
42:39semble non pertinent.
42:41Du coup, les polarisations
42:43identitaires de la société qui se
42:45cristallisent autour des enjeux
42:47dont on a parlé, sont particulièrement
42:49importantes et elles ne sont
42:51pas traitées par le
42:53système politique institutionnel. Et c'est ça,
42:55le grand défi de nos sociétés aujourd'hui.
42:57C'est le bouleversement du monde. Nous vous quittons sur
42:59ces paroles. C'est le bouleversement du monde et c'est le grand
43:01défi auquel il faut faire face.
43:03Merci beaucoup. Gilles Kepel, je rappelle le titre
43:05de votre livre, Le bouleversement du monde, d'après
43:077 octobre, qui vient de paraître aux
43:09éditions Plon. Très bonne journée,
43:11très bonne suite sur CNews et sur Europe 1.