SOMMET DU DROIT EN ENTREPRISE - Pénal de l’environnement : quel bilan ?

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Mercredi 9 octobre 2024, SOMMET DU DROIT EN ENTREPRISE reçoit François Jambin (Chief compliance officer, EDF) , Safia Djebbar (Directrice juridique Eau France, SAUR SAS) et Christophe Ménard (Directeur juridique et secrétaire du conseil de surveillance, Enedis)

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Transcription
00:00Bonjour à tous, bienvenue à la dixième édition du sommet du droit en entreprise.
00:05Nous commençons avec une discussion sur le contentieux pénal environnemental avec trois experts.
00:13Bonjour Christopher.
00:14Bonjour.
00:15On va parler des CEGIP, un dispositif qui a été créé depuis quatre ans.
00:19Qu'est-ce que ça change pour les entreprises concernées ?
00:22C'est vrai que les CEGIP, les conventions judiciaires d'intérêt public,
00:26sont nouvelles en droit pénal et en droit pénal de l'environnement.
00:30Elles peuvent présenter un certain intérêt pour les entreprises
00:34et donc elles peuvent être régulièrement proposées par les parquets,
00:39par les procureurs de la République ou le juge d'instruction.
00:42Et dans ce cadre-là, ça peut constituer une opportunité pour l'entreprise en droit pénal de l'environnement,
00:47notamment peut-être dans les affaires où les faits sont relativement incontestables
00:53en matière d'atteinte à l'environnement, sur un cours d'eau ou sur une destruction d'espèces protégées.
00:58Ce sont des événements qui peuvent arriver et donc dans ce type de situation,
01:03on peut avoir l'alternative entre cette CEGIP, qui est une sorte de transaction pénale,
01:08même si je pense que le terme n'est pas complètement approprié,
01:11et l'audience avec tout ce que ça comporte en termes de durée de procédure
01:16et également d'implication pour les équipes qui peuvent y être confrontées.
01:22Une fois qu'on a dit ça, le retour d'expérience que l'on peut donner en tant que praticien,
01:27c'est que les CEGIP doivent être néanmoins étudiées au cas par cas.
01:31Elles ont un intérêt indéniable, c'est l'absence de reconnaissance de culpabilité,
01:36donc ça c'est vraiment un point qui est favorable pour les entreprises,
01:40là où effectivement un procès peut emporter à condamnation des conséquences importantes,
01:47notamment en termes de casier.
01:49La différence effectivement, là où ça doit être regardé avec attention,
01:53c'est sur la partie publicité, puisque les CEGIP aujourd'hui on peut les suivre,
01:57on en a plus d'une cinquantaine, on en a parlé aujourd'hui,
02:00et donc on peut parfaitement les suivre.
02:02Il y a une publicité qui est donnée et qui peut être d'ailleurs relayée également par les médias,
02:07et donc il faut également que les entreprises puissent intégrer cet élément-là dans l'appréciation
02:13qui va les orienter soit sur une CEGIP, soit éventuellement sur une audience,
02:18soit sur une comparation sur reconnaissance préalable de culpabilité,
02:22si les faits sont, on va dire, incontestables.
02:25Il faut vraiment intégrer cela et le risque réputationnel que ça emporte,
02:29puisqu'on le voit aujourd'hui, l'ensemble des affaires de droit de l'environnement
02:34sont des sujets extrêmement médiatiques, soit dans la presse quotidienne régionale
02:38ou dans des médias nationaux.
02:40Il y a un vrai, effectivement ça fait émerger un vrai risque réputationnel
02:44qui n'est pas propre à l'environnement, mais que l'on peut observer en tant que praticien
02:48sur toutes les affaires auxquelles on peut être confronté en droit pénal de l'environnement.
02:52Donc je dirais pour conclure, outil intéressant, outil innovant,
02:56mais néanmoins à considérer et à appliquer au cas par cas,
02:59en fonction des circonstances de l'espèce.
03:03Très bien, merci beaucoup.
03:05On continue sur le contentieux lié à l'environnement
03:11avec peut-être le rapport de la Cour de cassation de décembre 2022
03:15sur lequel le magistrat François Moulins avait mis l'accent.
03:18Il y a une certaine pauvreté dans le contentieux pénal de l'environnement.
03:22François, qu'en penses-tu ?
03:24Oui, alors François Moulins, d'abord merci à Décideur et au Sommet du droit
03:29de nous avoir invités les uns et les autres.
03:32Oui, on remarque effectivement, dans la lecture du rapport Moulins,
03:36un élément assez étonnant, c'est qu'il existe aujourd'hui
03:40à peu près un peu plus de 5000 infractions en matière environnementale.
03:45Les spécialistes ont du mal à les dénombrer.
03:48Elles sont éparses dans différents codes.
03:50Le code pénal, bien évidemment, le code d'environnement et d'autres codes.
03:55Et finalement, ces diverses infractions qui permettraient, nous dit le procureur Moulins,
03:59de réprimer les infractions les plus graves ne sont pas forcément utilisées
04:05parce que le droit, dans ce cadre-là, manque de lisibilité.
04:09On a du mal à identifier ces infractions.
04:12Premier point.
04:13Deuxième constat de la part du magistrat, c'est une pierre dans le jardin de la magistrature.
04:18C'est peut-être un manque de professionnalisation des magistrats.
04:22Et ça va mieux aujourd'hui, les magistrats se spécialisent.
04:26Mais c'est vrai que cette matière est avant tout réglementaire, technique.
04:30Et pour pouvoir manier le code pénal de l'environnement,
04:35il faut avoir une certaine connaissance, non pas seulement de la procédure pénale,
04:39mais également de l'aspect technique du droit de l'environnement.
04:43Et ça, c'est un constat de lacune.
04:47La conséquence de tout cela, c'est que finalement, même si ces infractions existent dans le code pénal,
04:53elles sont relativement peu appliquées, nous dit le rapport Moulins.
04:59Le nombre de poursuites par rapport aux infractions de droits communs est relativement modique.
05:05Le nombre de co-annations ne l'est pas moins.
05:10Et donc se pose la question, nous dit le procureur général,
05:14de l'effectivité du droit pénal de l'environnement.
05:18La France a pris un certain nombre d'engagements, notamment par les accords de Paris de 2015,
05:24en s'engageant à lutter contre le dérèglement climatique.
05:28Évidemment, les entreprises ne sont pas les uniques auteurs
05:34de ce dérèglement climatique ou de ces problématiques climatiques.
05:40Mais il y avait une volonté du législateur de pénaliser
05:44un certain nombre de comportements déviants les plus graves.
05:48Et donc aujourd'hui, devant le peu de nombre de poursuites,
05:52on arrive à ce que Christopher nous disait à l'instant,
05:56c'est-à-dire que l'on préfère utiliser finalement des modes alternatives aux poursuites,
06:00conventions judiciaires d'intérêt public,
06:03qui vont permettre, avec une certaine certitude au parquet parisien ou territoriaux,
06:10de poursuivre les infractions les plus graves en matière environnementale
06:14plutôt que de subir l'aléa d'un procès pénal.
06:20Et dernier point, les choses ont évolué depuis le rapport Molins,
06:25et les entreprises doivent de ce fait s'organiser pour répondre à ces nouvelles exigences,
06:31à ces nouveaux risques pénaux d'un genre particulier.
06:35C'est la toute nouvelle directive adoptée en 2024
06:39qui vient réprimer les atteintes à l'environnement.
06:43Cette directive qui sera transposée en droit français normalement
06:47si le délai de transposition est respecté avant juin 2026,
06:50et qui va amener pas mal de changements dans le paysage pénal environnemental
06:55avec des infractions nouvelles, mais plus précises, peut-être resserrées,
06:59des peines qui seront renforcées,
07:02le rôle des lanceurs d'alerte également qui sera renforcé,
07:05qui pourront dans le cadre de leur fonction de lanceur d'alerte,
07:09et c'est ce qu'attend le législateur européen,
07:12faire des signalements en matière environnementale.
07:16Donc pour les juristes d'entreprise, pour les avocats,
07:19ce nouveau contentieux du droit pénal de l'environnement
07:22est véritablement devant nous après ce constat du rapport de François Molas.
07:28D'accord, merci.
07:30On a parlé du futur, et maintenant,
07:33dès ou moins un tout petit peu, en retournant sur les dix dernières années,
07:36avec toi Safia, selon toi, comment a évolué
07:39le droit pénal environnemental sur les dix dernières années ?
07:42Moi je pars d'un constat, c'est que le droit de l'environnement,
07:45on en parlait, le pénal de l'environnement,
07:47on en parlait sur les gros faits de pollution,
07:49des grosses atteintes à la faune et à la flore.
07:52Aujourd'hui ce n'est plus le cas.
07:54On voit une médiatisation croissante des faits de pollution plus mineurs.
07:59Je dirais qu'aujourd'hui, dès la moindre infraction environnementale,
08:03dès la moindre atteinte à l'environnement,
08:06ça peut s'accompagner d'un phénomène de judiciarisation.
08:09Comme l'a rappelé François il y a un instant,
08:12le rapport Molas, en mon sens, a été un déclencheur
08:15de l'intérêt des pouvoirs publics sur le sujet.
08:18Je le vois comme un point de départ.
08:20Je vais vous donner une illustration sur notre domaine d'activité,
08:23pour ce qui nous concerne.
08:25Il y a dix ans, on avait quelques faits de pollution
08:27réprimés à hauteur de 2 000 ou 3 000 euros d'amende.
08:30Aujourd'hui, on n'est plus sur des amendes à 20 000 ou 30 000 euros.
08:33C'est un constat qui remonte à à peu près deux ans.
08:37Donc aujourd'hui, on est face à ce phénomène
08:40et il est accru par l'intérêt des tiers à l'entreprise,
08:44que ce soit les établissements bancaires,
08:47que ce soit nos partenaires dans le cadre d'évaluation des tiers,
08:50que ce soit des actionnaires, etc.
08:53Tout ça s'accompagne.
08:55Nous assistons à un foisonnement des textes extrêmement complexe.
08:58Comme l'a dit François tout à l'heure,
09:00ça reste une matière très technique,
09:02avec des textes un peu dispersés au sein du code de l'environnement,
09:05mais pas que, mêlés avec du droit pénal.
09:08Donc ça nécessite quand même de maîtriser les deux spécialités.
09:11Et puis ça correspond effectivement à la consigne
09:14qui avait été donnée par une circulaire ministérielle de 2023,
09:18de pénaliser, judiciariser au maximum,
09:21dorénavant, la moindre infraction en la matière.
09:25Donc je rejoins ce qu'ont dit mes camarades,
09:28c'est-à-dire qu'aujourd'hui, on est face à un nouveau risque pour les entreprises.
09:31Il ne s'agit plus que d'encadrer des gros faits de pollution.
09:34Toutes les pollutions,
09:36toutes les atteintes à l'environnement en général, peuvent être réprimées,
09:39peuvent donner lieu à une médiatisation,
09:41peuvent donner lieu à des arbitrages en termes de procédures à suivre.
09:44Tout à l'heure, Christopheur parlait de la CGIP.
09:47Mais est-ce que c'est le bon choix ou pas ?
09:49Effectivement, on n'a pas de recul sur le sujet.
09:51C'est ce qu'on se disait au préalable.
09:53On n'a pas de recul. Est-ce que c'est la bonne solution ?
09:55Est-ce qu'il faut prendre le risque d'aller devant un juge
09:58plutôt habitué aux affaires de droit commun,
10:01du type vol, agression, etc. ?
10:05On est face à un vrai risque aujourd'hui,
10:07à la fois de la compréhension des enjeux pour les entreprises,
10:11de leur prise en compte, de médiatisation
10:14et d'accompagnement aussi en interne de nos équipes sur le sujet,
10:18que ce soit bien évidemment la direction juridique,
10:21mais aussi de nos opérationnels.
10:23Du coup, je vous adresse une question à tous les trois.
10:26Comment est-ce que les entreprises peuvent essayer de se saisir
10:29des bons outils dans ce foisonnement un petit peu de textes ?
10:34Christopher, si vous voulez rebondir.
10:36Je pense que la première préoccupation pour les entreprises,
10:40c'est d'avoir une démarche cohérente avec ses missions,
10:44avec ses obligations.
10:47Pour ce qui me concerne Enedis, par exemple,
10:49nous sommes entreprise à mission au sens de la loi PACTE,
10:52donc ça implique un certain nombre d'obligations et de responsabilités.
10:55Je pense que la première préoccupation pour les entreprises,
10:58c'est d'avoir au quotidien, dans les activités opérationnelles,
11:02un exercice des activités qui correspond à ce que les parties prenantes,
11:07et j'inclue dans les parties prenantes potentiellement les autorités judiciaires,
11:11sont en droit d'attendre de l'entreprise.
11:13Je pense que c'est le premier sujet.
11:15Le deuxième sujet, on en a parlé un petit peu avec mes collègues tout à l'heure,
11:18c'est le sujet de la sensibilisation et de la formation,
11:21en particulier pour les opérationnels sur les sujets environnementaux.
11:25Ça nécessite effectivement d'accompagner nos opérationnels
11:31pour leur faire prendre conscience des risques et des opportunités associées
11:36aux sujets environnementaux, et notamment pour les risques d'atteinte à l'environnement.
11:41Ça doit aller également au-delà.
11:44Il faut embarquer tout le tissu industriel,
11:46puisqu'il y a évidemment une sensibilisation pour les opérationnels,
11:49et pour des entreprises comme les nôtres.
11:51Je pense que c'est également le cas pour mes collègues.
11:54On embarque également tous les prestataires et sous-traitants
11:57qui nous accompagnent dans nos activités opérationnelles,
12:00et il faut également sensibiliser aux risques d'atteinte à l'environnement.
12:04Pour les entreprises, c'est vraiment être cohérent avec ce que l'on est,
12:09avec nos objectifs, et puis sensibiliser nos salariés et nos parties prenantes.
12:14Embarquer l'écosystème.
12:17Je crois que Christopher a dit beaucoup de choses.
12:20Je compléterai simplement en rebondissant sur l'aspect RSE.
12:24C'est vrai que c'est très important.
12:26Finalement, la RSE, ce sont des engagements de vertu, mais pas que.
12:31C'est une manière aussi de protéger l'entreprise contre des risques,
12:36et notamment le risque de poursuite pour des violations des règles environnementales.
12:41Je rappelle que les uns et les autres grandes entreprises
12:45sont assujetties à la loi sur le devoir de vigilance,
12:48qui nous oblige, grandes entreprises donneuses d'ordre,
12:52à mettre en place un plan de vigilance qui permet de prévenir
12:56notamment les risques d'atteinte aux droits de l'environnement.
13:00Ce plan de vigilance, qui doit être porté par le plus haut niveau de l'entreprise,
13:05permet d'embarquer, comme le disait mon collègue Denedis,
13:09à la fois les parties prenantes internes, les opérationnelles,
13:13qui n'agissent pas simplement sur le coup de la peur,
13:17mais aussi par volonté d'engagement éthique et RSE,
13:22et accessoirement pour se protéger d'un risque,
13:25mais également d'autres parties internes, les salariés.
13:29Le fait d'avoir une entreprise respectueuse, vertueuse en matière environnementale
13:34est pour les DRH un enjeu.
13:37C'est-à-dire qu'aujourd'hui, les jeunes générations, on l'a vu,
13:41refusent, pour certaines en tout cas, d'entre elles,
13:44de travailler dans une entreprise assez peu soucieuse des règles environnementales.
13:48Tout cela fait un tout.
13:51Dernier point, la nécessité d'embarquer les parties prenantes externes,
14:01comme il a été dit.
14:03Les entreprises de DRH ne sont pas seules.
14:05Elles ont tout un écosystème qui doit aussi être vertueux.
14:09Le mot de la fin pour toi, Safia.
14:11Je soulignerais simplement que c'est la responsabilité de l'entreprise.
14:14C'est aussi la responsabilité des salariés en tant que personnes physiques
14:18qui peuvent être mises en cause devant des faits de pollution.
14:21Il est donc vraiment important de les embarquer dès à présent
14:24sur les enjeux et les risques liés au pénal de l'environnement.
14:28Un très grand merci à tous les trois.
14:30Merci.

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