Les cinq grandes peurs face à l'innovation [Christine Kerdellant]

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Pourquoi les grandes entreprises sont-elles souvent obligées, pour innover, de racheter des start-up à prix d’or, alors qu’elles auraient en interne les moyens et les talents pour inventer les produits de demain ? Les start-up ont-elles le monopole de la créativité ? Et si les dirigeants des grandes entreprises avaient inconsciemment peur de l’innovation ? [...]

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00:00Pourquoi les grandes entreprises sont-elles souvent obligées pour innover de racheter
00:13des start-up à prix d'or alors qu'elles auraient en interne les moyens et les talents
00:18pour inventer les produits de demain ? Les start-up ont-elles le monopole de la créativité
00:23? Et si les dirigeants des grandes entreprises avaient inconsciemment peur de l'innovation
00:28?
00:29On se souvient bien sûr de Kodak, dont un salarié, Steven Sasson, a inventé l'appareil
00:35photonumérique que les dirigeants ont laissé en sommeil pour ne pas cannibaliser le juteux
00:39business des pellicules et de leur développement.
00:42Au point que Kodak s'est fait doubler et qu'il en est mort.
00:45Mais entre le jour de 1975 où Sasson a inventé le numérique et la faillite de Kodak, un
00:52gros quart de siècle plus tard, pas moins de 10 PDG se sont succédés qui ont eu peur.
00:59La seule manière de surmonter ces peurs, dans l'entreprise comme en psychanalyse,
01:05c'est de les identifier et de les comprendre.
01:08James Euschner, qui a été le grand magnitou de l'innovation chez Goodyear, explique
01:14que les entreprises ont du mal à sortir de leur zone de confort et que tout se passe
01:18comme si le dirigeant s'évertuait inconsciemment à tuer dans l'œuf l'ensemble du processus d'innovation.
01:25On peut identifier cinq craintes.
01:28D'abord, la peur du chaos.
01:31L'innovation, c'est un saut dans l'inconnu, un inconnu forcément chaotique.
01:35Cette peur est au fond la peur du changement.
01:38Il faut donc expliquer et encore expliquer que ce chaos apparent est indispensable pour
01:43engendrer le progrès.
01:44Ensuite, il y a la peur de la disruption.
01:48Les équipes qui travaillent sur les innovations de rupture perturbent la mécanique bien réglée
01:52de l'entreprise, tout ce qui fait sa performance aujourd'hui.
01:56La peur d'être dépassée est forcément présente.
01:59Troisièmement, la peur de la cannibalisation.
02:03Elle est souvent justifiée.
02:06Un produit existant rentable va sans doute être remplacé par un autre, dont on ne sait
02:10pas s'il sera aussi rentable.
02:13Tout le problème est la période de tuilage entre les deux.
02:17C'est ce que n'a pas su faire Kodak, qui n'a pas su le moment venu donner à son
02:21département photo numérique les ressources dont il avait besoin pour s'imposer.
02:25Ce qui rejoint la quatrième crainte, celle de la disparition des ressources.
02:30Au début, le projet ne demande pas forcément des moyens énormes, on lui trouve toujours
02:35la queue de budget nécessaire.
02:36Je me souviens d'un groupe de presse dans lequel l'équipe de direction voulait, il
02:40y a 20 ans, mettre en place un site web, contre l'avis de l'actionnaire, qui ne croyait
02:44pas à ce relais de croissance.
02:46Au début, faire des embauches au nom du journal, alors qu'elles étaient affectées
02:50au site, ne fut pas très difficile.
02:52Mais dès que le projet a pris de l'ampleur, il a fallu changer officiellement de stratégie.
02:57Enfin, la peur de l'erreur de jugement.
03:01L'idée que l'on fait peut-être fausse route surgira à chaque difficulté rencontrée.
03:06La fermeté du dirigeant et la réaffirmation de sa stratégie sera indispensable.
03:11C'est ce dont a manqué Georges Fischer, le patron de Kodak, de 1993 à 1999.
03:17Il était convaincu de la nécessité de passer au numérique, mais il a accepté la
03:22sortie d'un appareil dit de transition, l'Advantix Preview, qui fut qualifié par
03:28la suite d'appareil photo le plus bête du monde, parce qu'il combinait les défauts
03:32de l'argentique, c'est-à-dire le nombre de photos limités, la pellicule à faire
03:35développer, etc., avec les défauts du numérique, l'écran de mauvaise qualité, mais tout
03:39ça sans les avantages comme la possibilité de supprimer des photos.
03:43La leçon de cette histoire, c'est que lancer un processus d'innovation suppose de s'armer
03:49au préalable contre toutes les peurs qui vont se manifester dans l'entreprise et
03:53d'être prêt à tout moment à y répondre.

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