Situation au Proche-Orient : "Un point de bascule, qui peut devenir une guerre régionale"

  • il y a 22 heures
Les Etats-Unis, la France, l'Union européenne et plusieurs pays arabes ont appelé mercredi à un "cessez-le-feu immédiat de 21 jours" au Liban où le conflit entre Israël et Hezbollah menace d'embraser la région. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-26-septembre-2024-7397455

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00:00Avec Léa Salamé, nous vous proposons ce matin une table ronde sur la situation au Proche-Orient.
00:06Après la vague d'explosions de Bipper et de Tokiwoki la semaine dernière, Israël a lancé une campagne de bombardement sur le sud Liban.
00:15Dernier bilan en date, 630 morts et près de 2000 blessés.
00:19L'ONU parle par ailleurs d'au moins 100 000 personnes déplacées.
00:24Quant au Hezbollah, il a tiré un missile balistique sur le quartier général du Mossad près de Tel Aviv.
00:31Missile intercepté par l'armée israélienne.
00:35Pour évoquer l'ensemble du dossier, nos invités Léa.
00:38On est en ligne avec Dominique Eddeh, romancière et essayiste libanaise.
00:42Vous êtes avec nous en duplex de Beyrouth.
00:44Dernier livre paru, Le Palais Mawal chez Albain Michel.
00:47Bonjour à vous, bonjour à Arim Momtaz, géopolitologue à Carnegie Europe.
00:52Merci d'être là.
00:53Pierre Servant est avec nous, journaliste à TF1-LCI, expert en stratégie militaire, spécialiste des questions de défense.
00:58Pierre Servant, votre dernier livre paru, c'est Le Monde de Demain chez Poquette.
01:03Merci d'être là.
01:04Et puis Frédéric Ancel est également là, géopolitologue, professeur à Sciences Po Paris, auteur d'un atlas géopolitique d'Israël chez Autrement.
01:11Bonjour à vous.
01:12Soyez tous les bienvenus.
01:14J'ajoute que cette nuit à l'ONU, la France et les États-Unis ont fait la proposition conjointe d'un cessez-le-feu de 21 jours.
01:21Avant de vous rejoindre dans quelques minutes à Beyrouth, Dominique Aydé, même question à tous les trois ici à Paris.
01:28Comment qualifiez-vous le moment dans lequel on se trouve ?
01:32Diriez-vous qu'on est déjà dans la guerre régionale ou qu'on est dans une situation de pré-guerre, de pré-conflit qu'on peut encore éviter ?
01:41Arim Momtaz.
01:43Je pense qu'on peut dire qu'on est en guerre au Liban, déjà.
01:46Ce n'est plus une situation d'escalade ou de désescalade.
01:50On est en guerre au Liban.
01:52On n'est pas encore en guerre régionale, notamment parce que l'Iran ne veut pas rentrer dans la guerre.
01:57Et ça pose un énorme problème pour le Hezbollah.
02:00Et on est au moment le plus dangereux entre le Hezbollah et Israël depuis le 8 octobre.
02:06Pierre Servan.
02:07Comment vous qualifiez le moment ?
02:09Oui, je suis vraiment sur la même position que Rim.
02:11Le danger est extrême.
02:13Guerre libanaise avec des prémices de guerre régionale.
02:17Les outils, ce n'est pas nouveau, ont essayé de toucher Israël.
02:21Les milices pro-iraniennes d'Irak ont également envoyé des missiles de croisière, des drones en direction d'Israël.
02:28Donc on est vraiment sur un point de bascule.
02:31C'est une nouvelle guerre du Liban qui peut devenir une guerre régionale.
02:35Et la grande question dans les heures qui viennent, c'est est-ce qu'il va y avoir offensive au sol de l'armée israélienne ?
02:41Donc au-delà de la ligne bleue qui est cette ligne de démarcation fixée par l'ONU.
02:47Donc on est dans ce point de bascule.
02:49Et s'il y a une guerre régionale, les répercussions seront mondiales.
02:52Compte tenu de la position de l'Iran dans le détroit d'Hormuz et les risques de bloquer le détroit d'Hormuz.
02:56On va développer tout ce que vous dites là.
03:00Mais Frédéric Ancel, même question.
03:02On est en guerre d'Irée Momtaz.
03:04On est un point de bascule, dit Pierre Servan.
03:06Vous vous dites quoi ce matin ?
03:07Je ne dis pas de guerre régionale.
03:09Je le disais à votre micro tous ces derniers mois.
03:12Pour ce qui a été très bien rappelé il y a un instant.
03:15Rappelé également par Pierre Haski tout à l'heure.
03:17Le roi iranien est nu.
03:18Il est nu depuis avril.
03:20C'est-à-dire qu'en avril, il y a eu cet échange de tirs.
03:24Enfin cet échange militaire entre l'Iran et Israël.
03:27Mais depuis, y compris avec l'assassinat ciblé de Daniel.
03:31Donc le chef de la branche politique du ramasse à Téhéran.
03:34Et les menaces de riposte de Téhéran, il n'y a rien.
03:36Et ce qui est terrible aujourd'hui pour les Libanais.
03:39Mais plus particulièrement pour le Hezbollah.
03:41C'est que l'Iran n'intervient pas pour soutenir militairement sa création.
03:45Ex-Nilo en 1982, son grand allié.
03:47Mais ce n'est pas la première fois.
03:49Parce qu'en 2006, déjà, il y avait eu une guerre très dure entre Israël et le Hezbollah.
03:53Et déjà, l'Iran n'était pas intervenu militairement.
03:56On va y venir à l'Iran.
03:57Parce que c'est vrai que c'est le protagoniste le plus important à ce stade.
04:01Pour savoir si ça va basculer.
04:02Vous vous dites non, il n'y aura pas de guerre régionale.
04:04Pierre Servan, que cherchent Benjamin Netanyahou et le gouvernement israélien
04:07en déplaçant le centre de gravité de la guerre de Gaza vers le Liban ?
04:11Est-ce qu'ils veulent une intervention terrestre ?
04:13Vous en parliez.
04:14Est-ce qu'ils ont l'arme au pied ?
04:15Ou à votre sens, ils hésitent encore ?
04:17Il paraît qu'il y a des discussions très vives au sein du cabinet Netanyahou.
04:24Il faut savoir que depuis l'après 7 octobre,
04:27il y avait déjà une envie très forte de Benjamin Netanyahou d'aller sur le Liban.
04:33C'est vrai que ça fait beaucoup de fronts.
04:35Ma conviction, c'est que la politique de Benjamin Netanyahou,
04:38c'est le chaos, le chaos, le chaos.
04:40C'est rajouter du chaos au chaos.
04:42D'abord pour se protéger lui-même.
04:43Plus la guerre dure, plus il échappe aux poursuites judiciaires
04:47concernant un certain nombre de ses pratiques qui étaient mises en cause avant le 7 octobre.
04:51Et il échappe également aux procès que les Israéliens peuvent légitimement lui faire
04:55pour la défaillance catastrophique du renseignement dont il porte la responsabilité le 7 octobre.
05:01Après, il y a un objectif militaire qu'on peut considérer comme, comment dirais-je, valable.
05:06A savoir que le nord d'Israël est menacé en permanence par les frappes des missiles et des drones
05:14ou des roquettes du Hezbollah.
05:16Que 80, 60 à 80 000 Israéliens ont été déplacés.
05:20Donc c'est un objectif militaire qui peut paraître pertinent.
05:23Sauf qu'il y a une façon diplomatique de résoudre, entre guillemets, cette question.
05:28C'est un cessez-le-feu à Gaza.
05:30Mettre en place le plan de discussion qui est sur la table depuis des mois et des mois
05:34avec libération des derniers otages, cessez-le-feu à Gaza, etc.
05:37Qui permettrait de désolidariser le Hezbollah de son soutien au Hamas.
05:42Et à ce moment-là d'avoir une possibilité de négocier la question libanaise
05:46qui est en fait une question du Hezbollah parce qu'il n'y a plus de Liban.
05:49Et le Hezbollah, on disait jadis que la Prusse, c'était pas un état qui avait une armée
05:54mais c'était une armée qui avait un état.
05:56Là, si vous voulez, le Hezbollah, c'est une armée qui possède ce qui reste de l'état libanais.
06:01Donc il y a une puissance très très forte.
06:03Mais il y aurait donc une fenêtre d'opportunité, à mon sens, diplomatique.
06:07Mais Netanyahou ne veut pas cela.
06:09Il veut vraiment le chaos et la garantie de sa survie.
06:12Donc je crains qu'on aille au pire.
06:15Et 2006 rappelle que pour Israël, rentrer au sol, rentrer c'est facile.
06:21Se maintenir, même si le Hezbollah est très amoindri, ça risque d'être une autre perte.
06:28Votre point de vue Frédéric Ancel sur les objectifs d'Israël.
06:32Est-ce que la question de rétablir sa crédibilité dissuasive face au Hezbollah est un sujet ?
06:39Et autre question dans la foulée, est-ce que l'opinion publique israélienne est divisée
06:44quant à l'élargissement du conflit ?
06:46Alors pas tellement sur le Liban et sur le Hezbollah.
06:49Justement parce que, ce que Pierre vient de dire est très juste,
06:52une grande partie des Israéliens font porter la responsabilité du 7 octobre sur Netanyahou.
06:59C'est vrai.
07:00Mais attention, les Israéliens, autant ils considèrent qu'il y a un aspect humanitaire fondamental à Gaza
07:07et que décidément l'armée israélienne frappe beaucoup et trop
07:11et que Netanyahou effectivement ne fait pas suffisamment pour les otages,
07:14autant le Hezbollah est perçu en Israël, jusque-là y compris à l'extrême gauche,
07:18comme un mouvement qui vampirise le Liban,
07:20qui frappe depuis 11 mois le nord d'Israël sans avoir été directement concerné finalement par Gaza
07:26et c'est d'autant plus vrai que le Hezbollah est chiite et que le Hamas est sunnite.
07:29Autrement dit, les Israéliens considèrent qu'il y a là un danger
07:33et objectivement sur le plan militaire c'est vrai,
07:35beaucoup plus important encore que le danger du Hamas
07:38et donc de ce point de vue-là, il n'y a pas beaucoup de débats.
07:41D'autant plus qu'effectivement, ce qui a été rappelé est très vrai,
07:43il y a entre 60 000, 70 000, peut-être 80 000 Israéliens au nord du pays
07:47qui ne peuvent plus vivre chez eux,
07:49ce qui est une première depuis 1948 à la création de l'État d'Israël.
07:53Raymond Amtaz, les Libanais sont-ils divisés par rapport à ce qui se passe,
07:57par rapport au Hezbollah, par rapport à l'attaque israélienne ?
08:00Alors, ils sont divisés sur leur opposition ou soutien au Hezbollah.
08:04Il y a en gros un sondage qui a été fait par le Arab Barometer en début d'année
08:10qui montre que 70% de la population libanaise est contre le Hezbollah.
08:13Par contre, ils ne sont pas divisés autant sur la question de ce qu'Israël est en train de faire au Liban.
08:20Les Libanais sont capables d'avoir ces deux positions en même temps.
08:25Ils ne soutiennent pas le Hezbollah, mais ils sont contre Israël
08:28et ils ne veulent pas qu'Israël détruise leur pays.
08:30Ni Israël, ni le Hezbollah ?
08:32Ni Israël, ni le Hezbollah. Il faut vraiment comprendre ça.
08:35Et si Israël lance une incursion terrestre, une invasion terrestre,
08:41ce qu'Israël va faire, c'est redonner de la vie au Hezbollah,
08:45qui aujourd'hui est quand même énormément affaibli.
08:48Donc, la pire chose qu'Israël pourrait faire, c'est de rentrer au Liban.
08:52Avant d'aller voir Dominique Day à Beyrouth,
08:54Pierre Servant-Rimomtaz dit que le Hezbollah est affaibli.
08:58On entendait, on avait Denis Scherbit la semaine dernière,
09:01qui nous disait, politologue franco-israélien,
09:03qui disait que les Israéliens se demandent si le Hezbollah,
09:05finalement, un peu comme l'Iran, est devenu un tigre de papier.
09:09En même temps, ils sont extrêmement armés.
09:11Est-ce qu'ils ont réussi à être déstabilisés par les dernières attaques
09:14qui visent leurs cadres, qui visent leurs armements,
09:17ou pas encore, ou pas vraiment ?
09:19Alors oui, vraiment, toutes les opérations de ces dernières semaines,
09:24même en partant du début du mois de septembre,
09:26où les Israéliens ont monté une opération dont on n'a pas beaucoup parlé,
09:29en Syrie, pour aller détruire, dans des conditions assez spectaculaires,
09:33une usine de fabrication de drones et de missiles
09:36à 50 kilomètres de la frontière avec le Liban,
09:40pour pouvoir leur apporter plus directement ce matériel-là.
09:43Il y a toutes les bipers, tout ce qu'on voit ces derniers jours.
09:46Oui, le Hezbollah est déstabilisé, fracturé, amoindri.
09:52Mais sa puissance militaire reste quand même importante.
09:55Par rapport à 2006, ils ont multiplié par 10 le volume de leurs missiles et de leurs drones.
10:00Et dernier point qu'il faut prendre en compte,
10:02l'armée, la milice armée du Hezbollah,
10:05c'est une milice armée qui a combattu en Syrie pendant toute la guerre civile de Syrie,
10:09jusqu'à monter jusqu'à 10, 15 000 combattants du Hezbollah,
10:13qui ont tourné en Syrie.
10:14Ça veut dire quoi ?
10:15Ça veut dire que ces combattants sont encore plus aguerris que ceux de 2006,
10:19qui avaient quand même durement accroché l'armée israélienne,
10:22la destruction des Merkava, tout le sud Liban.
10:25Et là, le Hezbollah s'est assis sur la résolution
10:27qui interdisait au Hezbollah de s'installer dans cette partie étruffée de tunnels.
10:32Et donc, si Israël rentre au sol, ça va être difficile.
10:35J'apporte une dernière information.
10:37À Gaza, il n'y aurait que 50% du réseau de tunnels du Hamas
10:42qui auraient été détruits en un an de guerre.
10:45Que 50% dans Gaza, qui est réduit à l'état de parking.
10:49Donc une fois qu'on rentre au sol, là les choses peuvent devenir difficiles
10:53et on ne sait pas ce qui peut se passer,
10:55même si je souscris à tout ce qui a été dit sur la fragilité de l'Iran.
10:59L'Iran a aussi d'autres possibilités d'action à l'international,
11:04de terrorisme anti-israélien, d'action dans l'étroit d'Hormuz.
11:08Donc, je pense que oui à Moindry, complètement détruit et diminué, non.
11:14Le Wall Street Journal qualifiait le Hezbollah mardi
11:17de force paramilitaire non étatique la plus lourdement armée au monde.
11:22C'est donc encore le cas à vous entendre, Frédéric Ancel ?
11:26Oui, notamment sur le plan balistique,
11:28parce que le Hezbollah dispose de deux forces tout à fait considérables,
11:31des des fantassins, donc des soldats,
11:33effectivement extrêmement aguerris, tout à fait fanatisés.
11:36Ils ne sont pas très nombreux, mais ils pourraient effectivement
11:38très durement accrocher Israël, mais surtout sa balistique.
11:41Il faut bien comprendre que le Hezbollah dispose
11:43de plusieurs dizaines de milliers d'engins,
11:45c'est-à-dire beaucoup plus que la plupart des armées de la région.
11:50Et certains de ces engins, vraisemblablement plusieurs centaines,
11:54sont un système de guidage et peuvent toucher
11:56la quasi-intégralité du territoire israélien.
11:58Donc, on est là, effectivement, avec le Hezbollah,
12:00sur une force qui reste absolument considérable.
12:02Rym Momtaz ?
12:03Juste rapidement, il faut quand même rendre à Israël
12:06ce qu'ils viennent de faire depuis quelques mois.
12:08Ils ont décapité les commandants les plus aguerris, les plus importants.
12:13Le Hezbollah n'est pas une armée régulière, c'est une milice.
12:16Quand on décapite autant de commandants aguerris,
12:18ils ont un problème d'organisation.
12:20En plus, ils ont décapité leur système de communication.
12:23Aujourd'hui, le Hezbollah a énormément de mal.
12:26On a l'impression qu'ils sont dans un concours de son en longueur,
12:30alors qu'Israël fait du lance-marteau.
12:33Il faut vraiment voir la différence.
12:35Oui, ils envoient un missile balistique après 11 mois,
12:38il ne fait aucun dégât, il est intercepté,
12:41alors qu'à chaque fois qu'Israël attaque le Liban,
12:44il y a des effets opérationnels dévastateurs sur le Hezbollah.
12:48À 8h36, Dominique Hédé, je rappelle que vous êtes avec nous en duplex de Beyrouth.
12:54Merci une fois encore d'avoir accepté notre invitation ce matin.
12:58Dites-nous comment les Libanais ressentent les choses
13:02depuis le début des attaques d'Israël.
13:04Comment vivent-ils ? Comment vivez-vous en ce moment ?
13:10Bonjour à vous tous.
13:12Je suis très en accord avec ce que vient de dire Rym Momtaz.
13:18D'une part, les Libanais, c'est un vocable qui n'est plus facile à utiliser
13:25parce que le pays est atomisé dans ses têtes même,
13:31c'est-à-dire qu'on ne peut plus parler d'un point de vue ici.
13:36Il y a en effet une détestation de la politique israélienne
13:42telle qu'elle est menée notamment depuis le massacre sanglant du 7 octobre,
13:49c'est-à-dire sans discrimination aucune vis-à-vis de la population civile de Gaza.
13:56Cela a été suivi jour après jour par les Libanais
13:59dans un sentiment de révolte et d'écartement absolu.
14:03Il faut donc bien savoir que même ceux qui sont grandement,
14:08et pour un bon nombre, exaspérés par la présence du Hezbollah dans le pays
14:14et par ses agissements, il n'en demeure pas moins que l'ennemi aujourd'hui,
14:20celui qui vient du ciel, un ciel qui d'ailleurs bourdonne en permanence
14:2724 heures sur 24 du bruit des drones qui tournent au-dessus de nos têtes.
14:33Tout cela crée une atmosphère totalement sidérante
14:37pour un peuple littéralement dépossédé de son histoire.
14:41Et c'est un peuple qui vit actuellement la réactivation du traumatisme de 2020,
14:49c'est-à-dire du 4 août et de l'explosion du port.
14:52Et donc il y a une exténuation même de ces fameux ressorts libanais
14:58qui nous édifient nous-mêmes, de voir à quelle allure ce pays arrive
15:05à se remettre sur pied alors que le sol se dérobe.
15:09Mais il a beau se remettre sur pied, là il y a une sorte de peur au ventre partout.
15:16Il y a un sentiment d'humiliation totale,
15:20parce que vous savez, ça nous renvoie un peu à ce que nous avons vécu
15:25au niveau régional en 2003, quand une bonne nouvelle est assortie d'une mauvaise,
15:30ce qui est à peu près le rythme auquel nous vivons dans cette région depuis des décennies.
15:35Une bonne nouvelle, on vous dira la chute de Saddam Hussein, oui bien sûr.
15:40La mauvaise nouvelle, c'est le démembrement d'un pays
15:43et c'est le chaos intégral dont parlait M. Servan tout à l'heure.
15:47Donc nous n'avons plus d'exutoire et quand on en arrive là,
15:52penser l'avenir devient de plus en plus difficile.
15:56Je voudrais ajouter une chose au niveau de la puissance militaire,
16:00parce que bien entendu on peut compter le nombre des autobus ou des tunnels
16:05du Hezbollah au Liban, mais tout cela est dérisoire face à la toute puissance militaire d'Israël
16:12dont nous savons tous qu'elle est dans la région le pays le plus armé,
16:17le plus performant et le plus écrasant en termes militaires.
16:22Donc toute la question est de savoir,
16:24est-ce qu'on va continuer à ne raisonner qu'en termes de rapports de force
16:29ou est-ce qu'on va enclencher un système d'application de la justice ?
16:35Est-ce qu'on va arrêter l'annexion de la Cisjordanie ?
16:38Est-ce qu'on va faire un cesser le feu à Gaza ?
16:41Si on ne revient pas aux fondamentaux,
16:44on va se laisser emporter par des raisonnements géopolitiques
16:48bien entendus, bien articulés, mais qui deviennent un vocabulaire glaçant
16:53pour ceux qui vivent sous le feu d'où qu'ils viennent.
16:58Ceux qui vivent sous le feu et vous parliez de la bonne nouvelle et de la mauvaise nouvelle,
17:02le problème du Liban ces dernières années c'est qu'il n'y a plus de bonne nouvelle en fait.
17:05Il n'y en a que des mauvaises depuis 5 ans au moins,
17:08depuis l'explosion du port et puis la crise financière.
17:11Vous avez raison, si bien que ce n'est presque plus un pays à l'heure qu'il est.
17:17Et vous savez, j'aimerais ajouter un point,
17:21c'est que ce pays qui compte maintenant presque autant de non-Libanais que de Libanais
17:27reste extrêmement utile pour penser le monde.
17:30Pourquoi ? Parce que ces mouvements migratoires
17:33qui sont en train de déstabiliser le monde entier
17:37ne sont pas pris en compte dans la résolution et la pensée des problèmes.
17:43Vous avez en Jordanie 60% de Palestiniens.
17:47Vous avez en Cisjordanie un nombre considérable et alarmant de colons.
17:52Vous avez en Israël un nombre considérable d'Israéliens non-juifs.
17:58Vous avez donc des populations, une démographie
18:01qui n'est pas prise en compte dans la pensée de l'avenir.
18:04Et parfois, d'être libre de l'actualité, ce qui est un peu mon cas,
18:09même si nous vivons dans la guerre,
18:11puisque nous n'avons aucune prise sur ce qui nous arrive,
18:14nous continuons peut-être à avoir cet avantage,
18:18qui est un luxe extrêmement coûteux,
18:20de pouvoir penser l'avenir à partir du désastre dans lequel nous sommes.
18:25Nous ne pouvons plus le penser au jour le jour,
18:29avec des petits accommodements,
18:31et ce vocabulaire qui écoeure tous les Libanais,
18:34de trêve provisoire, de réunion au conseil de sécurité,
18:40tout ce vocabulaire-là, nous l'entendons depuis 1975.
18:45Moi, ma génération, qui avait 20 ans en 1975,
18:48n'a entendu que ça durant des années,
18:51et c'est la preuve patente du désastre que nous avons tous.
18:56La liaison a été coupée avec Beyrouth.
18:59Dominique Hédé, on vous remercie en tout cas d'être intervenu dans la matinale.
19:05Vos propos, Dominique Hédé, font réagir ici en plateau.
19:09Frédéric Ancel ?
19:10Oui, le Liban, la tragédie libanaise, me semble-t-il,
19:12c'est celle de l'instrumentalisation par les puissances étrangères.
19:16Et Dominique Hédé vient d'évoquer 1975, avant que ça coupe.
19:19La guerre civile au Liban commence en 1975,
19:23et depuis, cette instrumentalisation en provenance de puissances extérieures
19:26n'a jamais réellement cessé.
19:28On a évoqué abondamment, et à juste titre,
19:30le frisbeau-lac créé par l'Iran, soutenu par l'Iran, armé par l'Iran.
19:33Mais les Israéliens ont joué sur une partie des chrétiens maronites
19:36à partir de 1976, 1977, 1978.
19:39Les Syriens, bien évidemment, sur à peu près toutes les forces qui existent au Liban.
19:42L'Arabie Saoudite sur les Sunnites.
19:44Et malheureusement, c'est une constante, en réalité, de l'État libanais.
19:48On passe au standard inter.
19:51Philippe, bonjour.
19:53– Bonjour à tous.
19:54– Bienvenue, on vous écoute.
19:56– Merci, bravo France Inter pour l'organisation de ce débat.
19:59– Merci à vous.
20:00– Je dois vous dire que je suis un peu choqué par la relative indifférence
20:03de ce qui se passe actuellement en France concernant le Liban.
20:07Il y a quand même un silence relatif médiatique, mais aussi politique.
20:11Nous n'intervenons pas, les Libanais sont nos cousins du Moyen-Orient.
20:15Ils ont toujours été du côté de la France,
20:17ils ont absolument leur devoir de solidarité.
20:20Et je suis très étonné et choqué par ce qui se passe,
20:24par la non-implication réelle de notre pays, et notamment au niveau politique.
20:28Les discours du gouvernement Macron, du président Macron hier,
20:33n'ont aucun effet à l'égard de Netanyahou,
20:35qui bombarde, qui tue les civils, qui fait fi des conventions internationales,
20:38du droit de la guerre.
20:39Ma question est simple, c'est pourquoi est-ce qu'on ne passe pas
20:41d'un cran supplémentaire à l'égard d'Israël ?
20:43Pourquoi est-ce qu'on ne va pas vers un degré de sanction
20:46comme nous l'avons fait à raison avec la Russie ?
20:48Pourquoi on ne va pas plus loin ?
20:50Nous le devons aux Libanais.
20:51Pourquoi est-ce qu'on ne fait rien en vrai ?
20:53Merci Philippe.
20:54Merci à vous.
20:55Merci à vous pour cette intervention.
20:57Rime Momtaz.
20:58Simplement.
20:59Voilà Brady, Philippe, pour parler de cette proposition
21:02d'un cessez-le-feu de 21 jours soutenu par les Etats-Unis,
21:07proposition de la France hier à l'ONU.
21:09Simplement parce que les seuls qui peuvent avoir un effet sur les Israéliens,
21:13ce sont les Américains.
21:14Et cette administration américaine n'a aucune envie, absolument aucune envie,
21:18d'utiliser les leviers qu'elle a sur Israël,
21:22même quand c'est en train de mettre en danger
21:25les intérêts propres des Américains dans la région.
21:28Le président Macron, il faut lui rendre que ça fait 11 mois
21:32qu'il essaye de faire quelque chose sur le Liban.
21:34Le problème, c'est que la France n'a plus les leviers qu'elle avait avant.
21:38Elle ne peut pas agir toute seule.
21:40Et avec les Etats-Unis qui, pendant 11 mois, n'ont pas voulu coopérer avec les Français,
21:44aujourd'hui ils sont sur la même ligne et ils tentent ce cessez-le-feu,
21:48cette trêve de 21 jours.
21:50Il n'y a pas beaucoup d'espoir que ça puisse aboutir.
21:54Mais tout dépend des Américains.
21:58Sur la question de Philippe, notre auditeur Pierre Servrand.
22:01Oui, alors je trouve rime un peu sévère avec les Américains, avec Joe Biden.
22:06Je crois que Joe Biden a réellement voulu peser sur la situation
22:11et notamment sur Benjamin Netanyahou.
22:13Les deux hommes se détestent, de la même façon que Benjamin Netanyahou détestait Barack Obama
22:18qui était le patron de Joe Biden.
22:20Il y avait vraiment une détestation.
22:22Joe Biden a tenté de faire pression sur Israël,
22:25notamment en retenant la livraison d'un certain nombre d'armements.
22:28Mais en fait, il est dans une logique d'abord qui est contrainte par les élections en ce moment.
22:33D'ailleurs, entre parenthèses,
22:35Benjamin Netanyahou ne souhaite pas donner le moindre avantage diplomatique à Joe Biden
22:40en détendant la situation sur le terrain par un cessez-le-feu ou par autre chose.
22:44Il poursuit la guerre, il attend l'arrivée de Trump
22:47et il n'offrira aucun « cadeau » à Joe Biden.
22:50Alors est-ce que l'administration américaine a fait suffisamment ?
22:53Elle a essayé, mais c'est extrêmement compliqué dans la configuration régionale
22:58et compte tenu des élections américaines,
23:00certainement pour eux de faire plus.
23:01Ils pourraient faire plus, ils pourraient tordre plus le bras de Benjamin Netanyahou.
23:05Le constat est que quand vous avez d'un côté un démocrate équilibré,
23:10mesuré, non hystérique comme Joe Biden
23:12et de l'autre côté un personnage comme Benjamin Netanyahou
23:15qui se nourrit du chaos, ça ne fonctionne pas.
23:18Frédéric Rancel ?
23:19Oui, vouloir exiger le respect par Netanyahou du droit international et notamment au Liban
23:24est absolument légitime, logique et naturel.
23:28Il faudrait établir le même schéma avec le Hezbollah
23:32qui 1- n'est pas l'État libanais,
23:342- n'avait le 7 octobre strictement aucune espèce de droit international
23:39à attaquer Israël, même avec des armes moins importantes que celles dont dispose Israël
23:44et ça pendant 11 mois.
23:45Donc aujourd'hui on a réellement deux belligérants,
23:47le Hezbollah est l'un des deux belligérants
23:49et donc sur lui aussi il faudrait faire peser cette exigence de respect du droit international.
23:54Amour, il m'emmène aux tasses.
23:56J'aimerais juste rappeler que oui c'est vrai le Hezbollah c'est difficile d'imposer le droit
24:00mais franchement depuis le 8 octobre Israël essaye de trouver l'escalade
24:05et d'imposer l'escalade avec le Hezbollah
24:07et on a vu il y a 8 fois plus d'attaques israéliennes
24:11que les attaques du Hezbollah depuis le 8 octobre.
24:14C'est-à-dire que le Hezbollah est dirigé par des fanatiques mais pas par des imbéciles
24:17et ces gens-là connaissent parfaitement les rapports de force
24:19et c'est la raison pour laquelle ils n'enclenchent pas le maximum
24:22tout ce qu'ils pourraient enclencher notamment sur le plan balistique.

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