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Plus d'un millier de morts ont été recensés depuis le début de l'offensive israélienne au Liban. Ghassan Salamé, professeur émérite de relations internationales à Sciences Po Paris et ancien ministre libanais, estime que "le Hezbollah est affaibli militairement et politiquement".

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00:00France Inter, Alibadou, Marion Lourd, le 6-9.
00:07Et dans le Grand Entretien, ce matin avec Marion Lourd, nous recevons une grande figure
00:12des relations internationales.
00:14Il revient tout juste de New York et du siège des Nations Unies, à un moment où le droit
00:19international semble plus que jamais bousculé, voire ignoré.
00:23Il est professeur émérite à Sciences Po Paris, on lui doit de nombreux ouvrages dont
00:28la tentation de la guerre, sous titre d'un livre qu'il publiait il y a quelques mois.
00:33C'est aussi un homme politique, il était ministre de la culture dans son pays natal,
00:37le Liban, ancien.
00:39Il est diplomate également, puisqu'il a été conseiller spécial du secrétaire général
00:43des Nations Unies et envoyé spécial de l'ONU en Irak et en Libye.
00:47Bonjour Hassan Salamé.
00:48Bonjour.
00:49Bonjour.
00:50Et bienvenue.
00:51Nos auditeurs pourront vous interroger et réagir au 01-45-24-7000 ou sur l'application
00:58France Inter.
00:59On va parler de ce que vous avez essayé de faire à New York, c'est-à-dire essayer
01:03d'obtenir une trêve dans cette guerre au Proche-Orient, mais revenons d'abord sur l'actualité
01:09la plus brûlante, celle qui concerne votre pays.
01:12C'est encore une nuit où l'armée israélienne a frappé le Liban, elle a frappé Beyrouth.
01:19Qu'est-ce que vous vous dites quand vous voyez que c'est un mouvement sans fin ?
01:26C'est une machine de mort qui s'est déplacée de Gaza au Liban, une énorme machine de mort.
01:31Il faut penser qu'il y a 1000 frappes quotidiennes sur un territoire plus petit qu'un département
01:38français, 10 000 kilomètres carrés.
01:40Imaginez cela, imaginez aussi que ça arrive 24 heures sur 24, nuit comme jour, imaginez
01:49aussi que les régions dites sûres sont frappées, ce qu'on avait déjà vu à Gaza d'ailleurs.
01:55C'est-à-dire qu'on dit que cette région est sûre, donc les gens s'y déplacent et
01:59les frappent.
02:00Imaginez que les portes de sortie soient fermées, parce qu'il y a plusieurs dizaines de milliers
02:05de Libanais qui se sont réfugiés en Syrie ce matin, on a frappé le point de passage.
02:10Alors le point de passage, on a dit qu'il y a des armes qui passaient là-bas, mais c'est
02:15vraiment pour prendre les gens pour des naïfs.
02:18S'il y a des armes qui passent de Syrie au Liban, il y en a très probablement, elles
02:22ne passent pas par la route officielle qu'empruntent les civils, il y a beaucoup d'autres points
02:27de passage qu'on appelle les points de passage militaires.
02:29Donc c'est véritablement des attaques où les civils sont des victimes collatérales,
02:36parce que quelquefois on détruit un, deux, trois immeubles parce qu'on a une petite
02:39cible, un cadre de troisième niveau de Hezbollah, et on tue pour cela 10 ou 15 personnes autour
02:44de lui, de sa famille ou de ses voisins, et parce qu'aussi on frappe les issues de
02:50secours, on bloque les issues de secours.
02:53On a frappé tout près des pistes de l'aéroport il y a trois jours, et moi je crains que ce
02:59petit pays soit à la fois bombardé massivement, 1000 frappes par jour, et de l'autre soit
03:05encerclé par voie de mer, de terre et d'air.
03:08Israël dit faire la guerre au Hezbollah et non pas au Liban, le Liban pour la première
03:13fois riposté suite à des bombardements israéliens, est-ce qu'Israël fait la guerre
03:18au Liban ? Il n'y a pas eu de déclaration de guerre, mais est-ce que c'est ce qu'il
03:22faut comprendre aujourd'hui ?
03:23Non, la guerre a pour cible principale le Hezbollah, il n'y a pas de doute à cela,
03:30mais le Hezbollah n'existe pas tout seul, il n'y a pas une adresse à laquelle vous
03:35pouvez écrire avec un code postal, le Hezbollah se trouve dans des villages, dans des villes,
03:41dans des banlieues, et les victimes civiles sont inévitablement frappées.
03:46Ensuite, comme il y a des villages chiites à travers le Liban, l'ensemble de la géographie
03:52libanaise est maintenant impliquée dans cela.
03:54Maintenant, en ce qui concerne l'armée, l'armée n'est pas l'armée régulière libanaise,
03:58elle n'est pas entrée en guerre contre Israël, mais comme une de ses positions à Bayad a
04:03été directement frappée, l'armée a riposté.
04:06Voilà, justement, l'armée libanaise qui a riposté quand même à des tirs israéliens
04:10hier pour la première fois depuis un an.
04:12Si on vous écoute, ce n'est pas un tournant, mais finalement pourquoi c'est si rare cette
04:16réponse ? Pourquoi elle n'est pas proportionnée aux frappes ?
04:18Parce que vous savez ce qui se passe, cela fait 30 ans que cette armée est privée des
04:24moyens d'autodéfense.
04:25C'est-à-dire qu'on ne lui donne pas les moyens d'exister.
04:29C'est la faillite du pays.
04:30C'est à peu près 60 000 hommes, mais aujourd'hui ils sont payés à cause de la crise économique
04:37un peu moins de 100 euros par mois pour un officier, donc ils doivent faire un second
04:42travail.
04:43Deuxièmement, l'armée elle-même, avant même cette crise économique, les puissances
04:48de ce monde ne l'arment pas parce que l'excuse utilisée c'est que si on arme l'armée libanaise,
04:56ce qu'on lui donne va se terminer dans les mains du Hezbollah.
04:58Et bien aujourd'hui, on peut dire que cette excuse n'existe plus.
05:03Et donc un des premiers projets d'une éventuelle reconstitution de ce pays après la guerre,
05:10c'est bien de réarmer une armée qui a été privée par les Etats-Unis, la France, l'Italie,
05:16ses fournisseurs habituels, des moyens de se défendre et encore moins d'attaquer les autres.
05:22Un mot sur votre pays, est-ce que le Hezbollah est affaibli militairement mais aussi politiquement
05:28sur les chiquiers libanais ? Et si c'est le cas, avec quelles conséquences ? Est-ce
05:32que c'est pour vous l'occasion de rééquilibrer les forces politiques, les rapports de forces
05:36politiques au Liban ?
05:37Oui, le Hezbollah est affaibli militairement, le Hezbollah est affaibli également politiquement
05:44parce que certains de ses calculs les plus évidents se sont révélés peut-être fragiles.
05:51Parce qu'on a vu que les Israéliens ont pu pénétrer son appareil militaire, parce
05:58qu'il s'est montré vulnérable à la pénétration de son adversaire, beaucoup plus qu'il ne
06:04le disait.
06:05Parce qu'il a perdu aussi son chef qui était une véritable icône depuis 1992 pour ses
06:12partisans, Hassan Nasrallah, pour toutes ces raisons le Hezbollah est aujourd'hui plus
06:17faible qu'il ne l'était avant la guerre.
06:19Et aussi parce que sa guerre de petite intensité contre Israël pendant un an, depuis le 7 octobre,
06:24n'a pas véritablement produit les effets voulus.
06:27Mais en réalité, il serait trop rapide d'aller pour dire « bon, on va l'isoler, on va
06:35faire comme s'il n'existait pas ». C'est une erreur parce qu'il continue de conserver
06:41un appui populaire dans une bonne partie de la communauté d'où il est issu, la communauté
06:46chiite.
06:47Une question à vous poser sur la manière dont on doit comprendre ce qui se joue dans
06:50votre pays et dans cette région, un certain nombre de personnes pensent qu'Israël est
06:56en train de libérer, de libérer les Libanais du Hezbollah, de libérer les Palestiniens
07:02du Hamas.
07:03Qu'est-ce que vous pensez de cette manière de présenter les choses, Hassan Salamé ?
07:06Je pense que les fauteurs de guerre et les fauteurs de paix n'appartiennent pas à la
07:10même paroisse.
07:11C'est-à-dire ?
07:12C'est une manière de justifier cette espèce de déploiement déraisonnable de la puissance
07:24de destruction israélienne à Gaza, au Liban et peut-être demain en Cisjordanie.
07:29Je crois que c'est quelque chose de grave de le penser.
07:34Les Israéliens ont essayé déjà de, je cite, « libérer le Liban » en 1982 ou encore
07:45en 2000.
07:46Mais on a vu le résultat que ça a produit.
07:48George Bush a essayé de libérer le Moyen-Orient aussi de ses dictateurs en Irak, en Afghanistan
07:54et ailleurs.
07:55Et il est en train de dessiner des aquarelles au Texas aujourd'hui, mais regardez ce qui
07:59s'est passé en Afghanistan, les talibans sont au pouvoir et l'Irak est mis à feu
08:03et à sang depuis 20 ans.
08:05Donc cette hubris, cette espèce de démesure dans l'ambition qu'on peut refaire, re-ingénier
08:14la région avec l'usage massif de la force est une espèce d'illusion qui a hélas hier
08:23habité la tête des néo-conservateurs américains et qui très visiblement habite aujourd'hui
08:29celle des dirigeants israéliens.
08:30Alors Hassan Salamé, on disait tout à l'heure que vous rentriez de New York, vous avez participé
08:34à une négociation sur une trêve de 21 jours au Liban, vous en revenez tout juste.
08:38Hassan Nasrallah, le patron du Hezbollah, l'avait accepté, c'est ce que vous dites,
08:43mais le premier ministre israélien, lui, l'a refusé, c'était il y a 8 jours environ.
08:46Comment vous expliquez ça ?
08:48Écoutez, le mercredi soir de la semaine dernière, il y avait eu un accord de deux parties.
08:56Et c'est pas moi qui l'ai dit, j'y étais témoin.
09:00Mais ce n'est pas moi qui l'ai dit, c'est le représentant, le porte-parole officiel
09:06de la Maison-Blanche, John Kirby, qui est sorti sur le Porsche de la Maison-Blanche
09:11et a dit « il y a un accord entre les Libanais et les Israéliens, entendez le Netanyahou
09:18et le Hezbollah, pour une trêve de 21 jours, qui avait été proposée par la France et
09:23les États-Unis, et qui avait été soutenue par une dizaine d'États.
09:27La partie libanaise a reçu l'invitation de la part des Américains en ma présence
09:34pour qu'elle sorte une déclaration d'appui à cette résolution, ce qu'elle a fait.
09:39Et on lui a dit que les Israéliens allaient faire de même.
09:42Pendant ce temps, M. Netanyahou prenait l'avion pour New York.
09:45Alors, il ne l'a pas fait, on a dit qu'il a pris l'avion, il le fera pendant son discours général.
09:50Mais en attendant, il y a eu l'assassinat de M. Nasrallah entre le moment où il partait
09:55et le moment où il arrivait.
09:57La vérité, c'est qu'il y a eu un accord, la réunion du conseil de sécurité du mercredi
10:03à 6h, que la France avait appelée, a eu lieu dans ce cadre-là, pour qu'elle soit
10:10un prélude à l'annonce de cet accord, et cette annonce qui devait avoir lieu mercredi
10:14à 3h a eu lieu à 8h, par le gouvernement américain.
10:18Aujourd'hui, dire que rien ne s'est passé ce jour-là, c'est un mensonge.
10:23Mais pourquoi ?
10:25Parce qu'ils ont trouvé mieux, ils avaient eu des informations assez précises sur la
10:30localisation de M. Nasrallah, et ont décidé que ça valait beaucoup plus la peine.
10:36Après, ils ont donné une autre explication au gouvernement, parce que beaucoup de gouvernements
10:40qui avaient soutenu cette affaire, dont la France, se sont un peu...
10:45Alors, la première explication qu'ils leur ont donnée, c'est qu'il y a eu cette affaire
10:49avec M. Nasrallah, on avait l'information en or, on n'allait pas perdre cette occasion.
10:53Après, ils ont changé d'argumentaire, et au cours des derniers jours, ils disaient
10:57« Nous, on n'a pas très bien compris l'initiative franco-américaine, on avait compris que c'était
11:01une espèce d'expression de vœux qui ouvrirait la négociation pour un cessez-le-feu qui
11:07commencerait à la fin de cette négociation, alors que les Français et les Américains
11:12avaient compris que ce cessez-le-feu commençait dès la publication de...
11:16Donc, il y a une reconnaissance israélienne qu'ils avaient donné un « oui ». Ce n'est
11:22pas vrai qu'ils ne nient pas qu'ils avaient donné un « oui » et qu'ils avaient changé d'avis.
11:26Rassane Salamé, vous êtes diplomate, je le disais, vous avez travaillé à l'ONU,
11:29vous étiez en train d'essayer de réfléchir au moyen, au moins, d'obtenir la cessation
11:35des armes.
11:37Est-ce que vous comprenez, par exemple, qu'Israël refuse d'éclat Persona Non Grata, le secrétaire
11:43général des Nations Unies, Antonio Guterres ?
11:46Je trouve que les déclarations, depuis le début de cette crise, du ministre israélien
11:50des Affaires étrangères sont plus baroques l'une plus que l'autre.
11:54Je le suis, M.Katz, depuis un an, et je trouve qu'il n'est vraiment pas à sa place aux Affaires étrangères.
12:02M.Guterres essaye de rappeler le droit.
12:04Mais c'est inédit.
12:05Oui.
12:06Est-ce que ce n'est pas tout simplement le signe que la tentation de Mars, la volonté
12:10de faire la guerre, l'a emporté sur le droit international et qu'on est aujourd'hui
12:13face à un rapport de force ?
12:15M.Guterres est un homme très raisonnable.
12:18C'est un ancien président de l'Internationale Socialiste.
12:21Il connaît bien les Affaires Moyen-Orient depuis ses dix ans passés à la tête de la
12:27Commission pour les Réfugiés, mais il essaye de dire quelque chose de très simple, depuis
12:32le début de cette crise.
12:33Il n'y a pas d'exception israélienne pour le droit humanitaire international.
12:39Et les Israéliens disent non, il y a une exception israélienne.
12:42Votre droit international humanitaire peut s'appliquer ailleurs, mais pas chez moi.
12:47C'est ça le fond du sujet.
12:49Sinon, M.Guterres est un homme raisonnable.
12:52Mais ce qui m'inquiète davantage que cette déclaration de M.Guterres, qu'en personne
13:00on en gratte, d'ailleurs, il ne se précipitait pas pour aller à Tel Aviv demain, c'est la
13:05manière dont Israël traite les hommes de l'ONU sur place, du Fonds Alimentaire Mondial,
13:13du HCR, de l'UNEROI, etc.
13:15C'est-à-dire que c'est une espèce de cerise sur le gâteau.
13:18Le gâteau étant la manière dont les Israéliens traitent les agences humanitaires de l'ONU
13:23sur place et qui n'est pas un exemple à suivre par les autres pays.
13:27Dans un entretien cette semaine au magazine Le 1, vous vous interrogez même sur la rationalité
13:31d'Israël.
13:32Quelle est-elle cette rationalité aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'ils poursuivent ?
13:35Il y a une différence fondamentale entre la guerre à Gaza et au Liban.
13:40Il faut le savoir.
13:41Vous dites dans un cas c'est rationnel, dans l'autre non.
13:43Dans le cas de Gaza, il y a eu une réaction instinctive, presque animale, contre une attaque
13:48terroriste assez grave.
13:49Et comme elle était une grande surprise, on a fait marcher la machine de destruction
13:56aérienne et toutes sortes contre cette population démunie de Gaza.
14:02Et ça continue d'ailleurs.
14:03Ça continue.
14:04Il y a déjà eu au moins 42...
14:06The Lancet, la revue de santé britannique d'hier, disait qu'à peu près le quart de
14:11la population de Gaza serait affectée, soit tuée, soit blessée, soit handicapée à vie.
14:18Le quart, c'est énorme.
14:19500 000 personnes disaient The Lancet il y a 2-3 jours.
14:22Donc il y a eu une réaction violente.
14:24Mais dès le premier jour, peut-être que vous ne vous rappelez pas...
14:27Une réaction violente, c'était un droit de se défendre aussi face à une attaque du
14:31Hezbollah.
14:32Et le 8, le Hezbollah a commencé à envoyer des missiles sur le territoire israélien.
14:36Et c'est pourquoi dès le 8, le ministre de la Défense, Gallant, a dit, puisque nous
14:40sommes surpris par ce qui est arrivé à Gaza, nous ne le sommes pas par le Liban, où cela
14:46fait 17 ans depuis notre guerre avec le Hezbollah en 2006, que nous préparons et peaufinons
14:51un plan de guerre au Liban.
14:54Donc arrêtons Gaza, on aura le temps de s'en occuper et attaquons le Liban.
14:58Et c'est le jour où Biden arrive en Israël, le quatrième jour de la crise, où Biden
15:02arrive et dit non, on va envoyer deux porte-avions au Méditerranée oriental pour vous calmer
15:08le Hezbollah et les Iraniens, mais vous, vous réagissez à Gaza, mais vous ne réagissez
15:12pas au Liban.
15:13À cette époque-là.
15:14Aujourd'hui, ce plan qui a été peaufiné pendant des années en fait, 17 ans, 18 ans
15:20entre la guerre de 2006 et celle de 2024, est mis en application.
15:25Il est, comment dirais-je, beaucoup plus systématique, beaucoup moins instinctif,
15:31mais pas moins mortifère.
15:33Il y a de nombreuses questions d'auditeurs, vous vous en doutez, Hassan Salamé, notamment
15:37sur l'application, il y a Sacha qui vous demande « Quelle alternative proposez-vous
15:43à l'opération israélienne ? Le Liban est criblé de terroristes depuis des décennies
15:47qui tirent sur Israël quotidiennement ». C'est une question qui en regroupe beaucoup
15:53d'autres qui sont sur la même tonalité.
15:56Il y a des solutions à l'affaire libanaise, à la vulnérabilité de l'état libanais
16:01qui s'est pratiquement effondré au cours des dernières années, économiquement, administrativement
16:06et politiquement.
16:07Aujourd'hui, il n'y a pas de président, il y a un gouvernement d'affaires courantes
16:15qui n'a pas de compétences véritablement, il y a aussi un parlement qui ne se réunit
16:20que très rarement, donc les institutions du pays sont paralysées.
16:23Il serait bête de confondre cette situation de vulnérabilité de l'état libanais avec
16:30la seule activité du Hezbollah.
16:32Ça veut dire aussi quelque chose sur l'état de l'élite libanaise gouvernante qui n'a
16:37pas pris ses responsabilités.
16:39Il y a mille choses qu'ils peuvent faire avec lesquelles le Hezbollah n'avait rien
16:43à voir, qu'ils ne l'ont pas fait.
16:44La crise économique et financière, l'effondrement du système bancaire, ce n'est pas le Hezbollah
16:49qui est responsable.
16:50Donc il y a réduire la très grande vulnérabilité de cet état à la seule affaire du Hezbollah,
17:01c'est comprendre le Liban par un bout et pas par la complexité de sa situation.
17:09De toute manière, ce n'est pas l'usage massif de la force qui règle ce genre de
17:13problème.
17:14Il n'y a pas d'état fragile où l'usage massif de la force a réglé les problèmes.
17:19Il donne une espèce de fausse illusion de pacification, mais il ne règle pas les problèmes
17:25de fond.
17:26Et quand le président des Etats-Unis se dit cette nuit persuadé qu'une guerre totale
17:29peut être évitée au Proche-Orient, vous êtes d'accord avec lui ? Il y a d'autres
17:33spécialistes qui parlent de « guerre régionale ». C'est quoi le vocable adapté aujourd'hui ?
17:37Non, on est déjà dans une guerre régionale, puisqu'il y a déjà autre que les Palestiniens
17:44qui sont impliqués, qui sont les Libanais, et d'une certaine manière il y a des frappes
17:47contre la Syrie, il y a des frappes maintenant contre l'Irak, il se peut qu'il y ait des
17:51frappes bientôt contre l'Iran, en représailles à ce que les Iraniens ont fait avec leurs
17:55181 missiles lancés sur Israël.
17:57Donc il y a déjà les prolégomènes d'une guerre étendue, mais une guerre étendue
18:05au niveau de la région ne peut avoir une signification profonde que si les Américains
18:10s'en mêlent.
18:11Or ce à quoi nous assistons depuis un an avec cette administration Biden, c'est qu'elle
18:16se lamente sur le fait qu'elle n'ait pas écouté, notamment par le côté israélien,
18:20mais qu'elle n'utilise aucun de ses leviers, ni les 20 milliards de dollars qu'elle donne
18:25à Israël, ni les bombes de 1000 tonnes qu'elle accorde à l'armée israélienne.
18:29Pourquoi ?
18:30Parce qu'elle soutient cette action.
18:32Il n'y a pas de doute dans ma tête que les Américains soutiennent l'action d'Israël
18:38quasiment inconditionnellement depuis le début de cette guerre.
18:41Hassan Salamé, le Liban c'est votre pays natal, c'est votre pays, mais qu'est-ce que
18:47vous ressentez aujourd'hui ? Je vous ai présenté comme un grand professeur de relations internationales,
18:52diplomate, politique, mais l'homme Hassan Salamé, le Libanais, qu'est-ce qu'il ressent
18:58depuis notamment l'assassinat d'Hassan Nasrallah ?
19:02Je pense que le Liban peut avoir aujourd'hui un peu plus de marge, si jamais son élite
19:09était moins...
19:10Mais d'un point de vue affectif ?
19:13D'un point de vue affectif, écoutez...
19:15Je sais que vous n'aimez pas parler de vos affects.
19:18Non, je n'aime pas parler de mes affects, mais j'ai 73 ans et je découvre à l'heure
19:22d'aujourd'hui que j'ai passé plus de 50 ans en état de guerre sur ces 73, qu'il y a eu
19:28des guerres dans mon pays, que je suis allé chercher la guerre ailleurs, en Birmanie,
19:33en Libye, en Irak et ailleurs, et que vivre cette espèce d'intimité à la guerre a un
19:38prix.
19:39Et ce prix, c'est qu'au contraire de ce qu'on pense, plus vous voyez les victimes, et notamment
19:45les victimes civiles, tomber, plus votre cœur ne s'endurcit pas, au contraire, plus vous
19:51êtes choqués par la méchanceté des hommes.
19:55Donc, malgré votre expérience, vous n'avez pas le sentiment que le monde aujourd'hui
19:58est régi par les rapports de force ?
19:59Je peux vous donner un cours sur ça, c'est ce que j'ai fait de ma vie, j'ai donné des
20:05cours non émotionnels sur, effectivement, les rapports de force, leurs changements,
20:11les changements des instruments de guerre, mais vous parliez de l'homme, l'homme à
20:1773 ans n'est pas moins choqué par la violence, par son irrationnalité, par son inutilité
20:24qu'il était.
20:25Son inutilité ?
20:26Inutile.
20:27Vous revenez des Nations Unies, vous revenez de New York, je le rappelle, et vous avez
20:30ce sentiment d'inutilité ?
20:31J'ai le sentiment que la violence ne règle aucun des problèmes.
20:35Revenons peut-être au diplomate, Hassan Salamé, aujourd'hui le guide suprême iranien Ayatollah
20:41Ramaney doit prononcer un prêche, donner peut-être la tonalité de la réponse iranienne
20:46à Israël.
20:47Est-ce que c'est ça qui va déterminer si ce conflit devient une guerre totale ou est-ce
20:53que c'est Israël qui a les clés, qui a les clés en fait de ce conflit aujourd'hui ?
20:56Aujourd'hui, la balle est dans le camp israélien et pas dans le camp iranien, parce que les
20:59iraniens ont lancé une deuxième attaque par missiles, 181 contre Israël.
21:07Donc aujourd'hui la balle, dans une logique de ping-pong, la balle est du côté israélien.
21:11Mais il ne faut pas véritablement, comment dirais-je, rester au niveau du tac-au-tac.
21:18Ça plaît aux gens qu'ils assistent à une partie de ping-pong.
21:24Il a attaqué, il a fait des représailles, il a attaqué, il a fait des représailles.
21:29La vérité, c'est qu'il y a des stratégies.
21:31La stratégie aujourd'hui, la grande question stratégique, c'est est-ce que les Israéliens
21:38ont la volonté et les moyens, ceux dont je doute, et les moyens de s'attaquer au programme
21:44nucléaire iranien ?
21:45Et d'après vous ?
21:46Et d'après moi, ils peuvent faire des frappes, ils ne peuvent pas mener une guerre de longue
21:51durée contre des sites qui sont profondément situés et qui sont généralement dupliqués.
21:58Et d'après vous, c'est ce qui est à venir, en tout cas dans le conflit, c'est attaquer ?
22:01Je crois, parce que c'est la question fondamentale qui se pose, je crois que les Israéliens
22:05ont intérêt et ont commencé à vouloir entraîner les Américains dans cette aventure parce
22:11qu'ils savent que les limites de leur pouvoir sur un pays qui est loin, à qui ils peuvent
22:16faire du mal.
22:17Ils ont tué ces principaux scientifiques nucléaires, ils l'ont déjà directement
22:21attaqué, ils ont donné la preuve avec l'attaque du port de Hodeida au Yémen qu'ils peuvent
22:27aller sur une longue distance, et d'ailleurs la distance avec le territoire iranien est
22:31plus proche qu'avec le territoire yéménite, donc ils ont donné cette preuve.
22:36Mais pour mener une guerre, ce que Netanyahou a dit rappelle beaucoup sur l'Iran, rappelle
22:43beaucoup ce que les Américains disaient il y a 20 ans, il a dit que le changement de
22:46régime en Iran est beaucoup plus près qu'on ne le pense, c'est-à-dire qu'il caresse
22:53au fond de lui l'idée de faire ce que Bush n'a pas pu faire en 2003, c'est-à-dire
22:57changer le régime iranien.
22:59D'un mot, et pour conclure, Rassam Salameh, bientôt le 7 octobre et ce triste anniversaire
23:05pour vous, c'est une date qui a modifié profondément, complètement, la région,
23:13le monde ou est-ce que c'est une date qu'on ne retiendra pas comme le 11 septembre par
23:19exemple ?
23:20Le 11 septembre est d'une autre nature, le 11 septembre est, en temps de paix, une
23:24attaque d'un groupe terroriste contre la plus grande puissance au monde et hors conflit,
23:30alors que l'attaque du 7 octobre, en dépit de sa gravité, en dépit de la vague d'antisémitisme
23:36qu'elle a malheureusement produit un peu partout dans le monde, est une attaque qui
23:40s'inscrit dans un conflit vieux de 150 ans et qui hélas n'est pas près de se clore.
23:45Merci infiniment Rassam Salameh d'avoir été l'invité de France Inter, on avait encore
23:49beaucoup de questions à vous poser et je rappelle donc le livre que vous avez publié
23:53il y a quelques mois qui s'intitulait « La Tentation de Mars et sur les guerres du XXIème
23:59siècle ». Bonne journée.

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