Victor Castanet dénonce les dérives des crèches privées dans son livre "Les Ogres"
L'auteur du livre "Les Ogres" et journaliste, Victor Castanet est l'invité de BFM Radio Soir. Il raconte ce qu'il a découvert lors de son enquête sur les dérives des crèches privées et en particulier au sein de l'entreprise People & Baby.
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00:00BFM Radio Soir, jusqu'à 22h, Zachary Legraud.
00:05Et l'invité de BFM Radio est ce soir journaliste indépendant.
00:08Il avait ébranlé le secteur des Ehpad avec les Fossoyeurs,
00:12prix Albert Londres 2022, qui mettait en lumière le système de maltraitance en maison de retraite.
00:17Il signe une nouvelle enquête, autre secteur, autre âge de la vie,
00:21cette fois sur les dérives des crèches privées.
00:23Bonsoir, Victor Castanet.
00:24Bonsoir et merci beaucoup pour votre invitation.
00:26Soyez le bienvenu à ce micro.
00:27Les ogres paraissent aujourd'hui chez Flammarion.
00:30Vous y décrivez un système où les tout-petits sont maltraités,
00:33victimes de privations, voire de sévices.
00:35Qu'est-ce qui vous a le plus heurté à l'issue de ces deux années d'enquête ?
00:39Alors, ce qui m'a le plus ému, je dois dire, c'est lors de mes rencontres avec certains parents,
00:46la plupart du temps des femmes, il faut dire.
00:48C'est des femmes, des mamans qui mènent ce combat la plupart du temps.
00:52Et c'est de voir leur détresse, certaines d'entre elles d'ailleurs pleuraient.
00:57Lors de nos interviews et elles me racontaient en fait la culpabilité qu'elles ressentaient
01:04à ne pas avoir su analyser un certain nombre de signaux que leurs enfants avaient émis
01:10pendant parfois plusieurs mois.
01:12Elles me racontent notamment que bon, elles ont vu leurs enfants perdre leur appétit.
01:17Mais bon, ça arrive à plein de jeunes enfants.
01:19Et quand vous êtes jeunes parents, c'est difficile de comprendre pourquoi.
01:21Puis des enfants qui faisaient des cauchemars et des enfants qui faisaient des crises.
01:27Lorsqu'ils arrivaient à la crèche, des enfants qui avaient de plus en plus de crises de colère aussi au quotidien.
01:33Donc, il y avait plein de signaux comme ça qu'elles n'arrivaient pas à percevoir.
01:37Et donc, lorsqu'elles se sont rendues compte que leurs enfants, c'est le cas notamment dans la crèche de Villeneuve d'Ascq,
01:43que je raconte en détail dans le livre, mais dans d'autres villes de France.
01:46Lorsqu'elles se sont rendues compte que leurs enfants avaient été victimes de maltraitance,
01:49lorsqu'elles ont pu constater in fine la présence de coups ou de griffures sur le corps de leurs enfants,
01:55elles se sont refait tout le film et elles ont compris en fait que leurs enfants avaient envoyé des signaux déjà depuis des mois
02:00et qu'elles n'avaient pas su les analyser.
02:02Donc, elles se sentent coupables de les avoir mis dans la gueule du loup et de ne pas avoir su percevoir les signaux plus tôt.
02:08Vous parlez de la gueule du loup justement, ce sont ces crèches privées qui appartiennent pour la plupart au groupe People and Baby.
02:15Qu'est-ce qui s'y passe dans ces crèches ? Vous parlez des coups, des marques de griffures.
02:18Comment ils sont traités certains enfants ?
02:20Alors évidemment, il ne faut pas généraliser à l'ensemble des crèches.
02:25Ce que je raconte moi, c'est un certain nombre de faits de maltraitance.
02:29Dans cette crèche de Villeneuve-d'Ascq, 9 enfants ont été concernés par des faits de maltraitance.
02:34Ça peut aller de l'humiliation à des punitions où des enfants en très bas âge, à 1 an, sont enfermés dans une pièce dans le noir,
02:42sans tétines et sans doudou.
02:44Des enfants qui parfois aussi sont privés de nourriture et des enfants qui sont victimes de coups.
02:49Certains ont été constatés d'ailleurs par médecins.
02:52C'est un des incidents les plus dramatiques dans cette crèche de Villeneuve-d'Ascq.
02:57Il y a eu des drames encore plus graves.
02:59C'est le cas en juin 2022 dans une crèche du groupe People and Baby à Lyon,
03:03où un enfant a été empoisonné et mort d'une intoxication à un nourrisson de 11 mois.
03:08C'est cette récurrence d'incidents dans toute la France que j'ai pu déceler après des mois d'enquête.
03:14J'ai des familles à Paris qui m'ont contacté, où leur enfant aussi avait été victime de coups.
03:20Des parents à Bordeaux, des parents à Lyon, à Marseille, un peu partout en France.
03:25Des parents qui ont perçu d'abord que ça va être des cassures dans la courbe de poids,
03:32ça va être ensuite des coups et des griffures.
03:37Lorsqu'ils vous contactent, ils perçoivent la récurrence ou c'est vous qui faites le lien entre ces différents cas ?
03:41Parfois, ils l'ont perçu en discutant avec d'autres parents de la crèche.
03:46Il y a une maman, Zora, dont je parle dans le livre, elle regarde un moment le carnet de santé de son enfant
03:56et elle voit qu'il y a une cassure de poids, de la courbe de poids.
03:59Peu de temps après l'arrivée à la crèche, la courbe de poids s'est effondrée
04:03et au moment où elle l'a sorti, elle s'est remontée.
04:06C'était intimement lié au fonctionnement de cette crèche.
04:10En parlant avec une autre maman, lorsqu'elle découvre l'effet de maltraitance,
04:14elle regarde à leur tour l'autre carnet de santé et il y a la même cassure de poids, de la courbe.
04:20Et ça va être pareil dans une crèche à Paris.
04:23Il y a parfois des parents qui, à un moment, quand ils commencent à avoir des doutes,
04:26discutent et se rendent compte qu'il y a des similitudes.
04:29Moi je l'ai fait à plus grande échelle parce que je l'ai fait dans toute la France
04:33et j'ai pu voir qu'il y avait une récurrence de ces incidents,
04:36notamment chez cet opérateur privé.
04:39Très vite, mon travail dans Keter, c'est de sortir du terrain,
04:44de m'appuyer sur ces faits, sur ces incidents, sur ces témoignages
04:48et d'aller voir les salariés du siège, le directeur financier, le DRH,
04:53le directeur des achats ou du développement,
04:55et de voir comment les pratiques du siège créent ces incidents.
04:59Il y a des brebis galeuses sur le terrain mais il y a un système qui permet à ces brebis galeuses
05:03qui soient les forces à agir aussi mal qu'elles agissent
05:06ou alors ne les punit pas lorsque cela advient. Quel est ce système ?
05:11Il y a un système dans ces logiques de développement d'un certain nombre de ces opérateurs.
05:19Il y a eu, si vous voulez, quatre opérateurs principaux
05:23dont l'une des obsessions principales était de grossir.
05:26Il y a une logique de développement à marche forcée
05:30et ces opérateurs sont devenus en moins de vingt ans des multinationales
05:34présentes dans un certain nombre de pays, en Europe et aussi en Asie, en Chine.
05:39Et ces logiques de développement, où en fait on a pensé qu'à une chose,
05:42vous savez c'était comme une bataille de monopolies géantes,
05:45c'était l'obsession d'avoir plus de berceaux que le concurrent.
05:50Ces logiques de développement se sont soulevées souvent au détriment de la qualité des structures,
05:54c'est-à-dire qu'on s'est endetté, on a dépensé des millions d'euros
05:59pour acheter des établissements, pour créer des places de crèche,
06:02et bien souvent on a négligé les structures existantes, négligé le terrain
06:07et on a mis en place des pratiques d'optimisation.
06:10Le low-cost, vous parlez de crèche low-cost.
06:12Oui, alors je raconte le low-cost qui est là de la responsabilité d'un certain nombre de structures
06:18et aussi de mairies et de collectivités.
06:22Pour faire très très court, en gros, il y a de plus en plus de mairies
06:26qui font appel à des opérateurs externes et notamment des opérateurs privés
06:30pour gérer leur crèche municipale.
06:32Parce qu'ils se disent qu'ils savent faire, c'est leur métier, et puis parce que ça coûte moins cher.
06:37En gros, en gestion directe, une place en crèche coûte à une mairie 12 000 euros.
06:42Quand ils ont ouvert ce marché aux opérateurs privés, les premières offres étaient à 8 000 euros.
06:47Et ce qui s'est passé, c'est qu'il y a des opérateurs comme People & Baby,
06:50La Maison Bleue et Les Petits Chapeaux en Rouge, qui sont trois des leaders du secteur,
06:53qui sont arrivés et qui ont cassé les prix pour une seule raison, conquérir des parts de marché.
06:58En cassant les prix, en divisant les prix par deux, voire par trois,
07:02ça a dégradé la qualité de la prise en charge parce que ça a fait baisser la masse salariale.
07:08Il y a moins de postes qu'il y a quelques années.
07:10Vous pointez du doigt la responsabilité des grands groupes qui tirent vers ce low-cost,
07:13la responsabilité aussi des politiques avec la mise en place des délégations de services publics en 2004
07:18et plus proche dans le temps.
07:20Vous pointez aussi du doigt Aurore Berger, ministre en charge des familles jusqu'en janvier dernier.
07:24A vous lire, elle aurait reçu des éléments de langage directement d'Elsa Hervey,
07:28une sorte de lobbyiste en chef des crèches privées.
07:31Hier, Aurore Berger s'est défendue.
07:33On s'est effectivement rencontré en 2008 à l'UMP avec Elsa Hervey.
07:36On ne s'est pas revu pendant 15 ans.
07:38Nous n'avons jamais déjeuné ni pris un café en tête à tête ensemble.
07:41Pourtant, vous vous maintenez qu'il y a effectivement eu des échanges d'éléments de langage.
07:45Alors, je maintiens les documents qu'on m'a transmis, les témoignages que j'ai pu obtenir,
07:50qui sont des échanges de mails assez explicites où Aurore Berger explique à ses équipes
07:58ne vous inquiétez pas, Elsa Hervey est une super copine, elle sera très aidante.
08:04Une autre fois, dans une boucle WhatsApp, elle va expliquer, reprenant un communiqué de soutien de la Fédération
08:10à la ministre, que les membres de la Fédération sont ses meilleurs alliés.
08:14Elle va également expliquer à ses collaborateurs que, de toute façon, Elsa Hervey les conseille bien mieux qu'eux.
08:21Et donc, il y a un certain nombre de collaborateurs qui, à un moment, se sont inquiétés
08:26de ces liens étroits entre la ministre et la déléguée générale de la Fédération.
08:29Et d'ailleurs, c'était à ce point grave qu'ils ont décidé de démissionner, pour certains d'entre eux, de quitter le cabinet.
08:35Et ce qu'ils me racontent, c'est effectivement un pacte de non-agression, une entente
08:40entre la déléguée générale de la Fédération des crèches privées et la ministre Aurore Berger,
08:44où les règles du jeu étaient simples. On demandait aux adhérents de la Fédération
08:48de ne surtout pas critiquer la politique gouvernementale de la petite enfance,
08:52alors même qu'ils avaient beaucoup de critiques à émettre.
08:55Et, en contrepartie, la ministre faisait preuve d'une certaine bienveillance
09:01et faisait passer des messages, et c'est ce qui s'est passé. Ils ont fait passer une note
09:05avec des éléments de langage qui ont été retranscrits presque mot pour mot,
09:09d'ailleurs, dans une interview à BFM.
09:11C'est dire l'importance de ce secteur des crèches privées. Vous-même, vous avez reçu des pressions ?
09:15Alors, non, je n'ai pas reçu de pression comme ça avait pu être le cas lors de ma précédente enquête.
09:21Je pense qu'un certain nombre d'opérateurs estimaient que ce n'était pas utile.
09:26J'ai eu, en revanche, parfois des échanges musclés, on va dire, avec certains fondateurs de ce secteur,
09:33notamment le couple Durieux, Odile Broglin, au sein de People & Baby.
09:38Vous avez eu des échanges musclés ?
09:40Musclés, si vous voulez, quand j'ai apporté pendant près de six heures les différents éléments que j'avais en ma possession,
09:45notamment des documents pour leur donner la possibilité de répondre,
09:48le fondateur de ce groupe, effectivement, m'a fait comprendre qu'il avait des éléments sur moi,
09:54qu'il s'était renseigné sur mes SCI, les sociétés immobilières qui appartenaient à mes parents,
09:59donc ça n'a pas beaucoup de lien avec quoi que ce soit.
10:01Mais disons qu'il voulait me faire comprendre qu'il ne se laisserait pas faire,
10:04et qu'il riposterait le moment venu, qu'il porterait plainte s'il fallait,
10:08et qu'il s'était renseigné sur moi. Je ne suis pas sûr qu'il ait obtenu grand-chose.
10:11Qu'attendez-vous maintenant que le livre est sorti et qu'il semble initier un débat ?
10:14Le député Louis Boyard demande à ce que Aurore Berger, dont on parlait, soit auditionnée.
10:19Pour vous, elle doit l'être ? Elle a des comptes à rendre à la représentation nationale ?
10:22Alors, ce n'est pas à moi de dire ce qu'il faut faire ou pas.
10:25J'essaie, moi, avec mon travail de journaliste, d'apporter des éléments factuels,
10:29des documents, des témoignages, des choses étayées,
10:32pour qu'ensuite, et les politiques, et les syndicats, et les associations s'en emparent.
10:37Et évidemment, tous ceux qui ont participé à cette enquête, tous les témoins,
10:41ils espèrent une chose, c'est d'imposer ce débat dans l'agenda politique.
10:46On sait que la période est compliquée, il n'y a pas encore de gouvernement.
10:49Mais ce sujet, comme le sujet de la dépendance, le sujet de la petite enfance,
10:53c'est un sujet trop souvent négligé par les personnalités politiques, par les députés.
10:59Il y a très peu de députés qui sont spécialistes de la question.
11:02Alors même que, comme dans le secteur de la dépendance, du grand âge,
11:06toutes les familles françaises sont concernées.
11:08Toutes les familles françaises se retrouvent à devoir mettre un parent ou un grand-parent en EHPAD,
11:12et toutes les familles françaises se retrouvent un jour à mettre leur enfant ou leurs petits-enfants en crèche.
11:17Donc, c'est un sujet qui nous concerne tous, et donc, oui, il faut une mobilisation des politiques sur ce sujet.
11:22Vous parlez des EHPAD, vous aviez réussi à mettre le sujet à l'agenda.
11:25Depuis l'apparution des Fossoyeurs, il y a deux ans, les choses ont changé à vos yeux ?
11:29Alors, déjà, ce qu'on peut dire, c'est que grâce à ces témoignages et ces documents,
11:34au moment de la sortie de ce livre, le système Orpea, tel que moi je le dénonçais dans le livre, a été stoppé.
11:41La direction générale, l'ensemble de la direction générale, des dizaines et des dizaines de cadres, ont été limogés.
11:47Et il y a eu de nouvelles pratiques. On a, par exemple, augmenté le prix des repas.
11:52On a embauché à tour de bras des centaines de poches chez Orpea.
11:56Les ratios d'encadrement ont augmenté, et toutes les pratiques que je dénonçais,
12:00notamment de détournement d'argent public, ont été stoppées.
12:03Il y a eu aussi, de manière plus globale, un changement de l'actionnariat,
12:07où c'est maintenant la Caisse des dépôts qui est actionnaire majoritaire d'Orpea.
12:12Et donc, disons que les exigences de rentabilité n'ont rien à voir avec ce qui a pu exister dans le passé.
12:18En gros, la période des méga profits qui existait dans le secteur des maisons de retraite, elle est terminée.
12:27Ce qui ne veut pas dire que tout est réglé, parce que c'est aujourd'hui un secteur qui est en crise,
12:32et qui a besoin justement que les politiques investissent la question, et mettent enfin en place une loi grand âge.
12:38C'est une fierté, ces changements dans le secteur des EHPAD, à vos yeux ?
12:41C'est une fierté, disons que moi je fais ce travail pour une seule raison, c'est pour que les choses changent.
12:47Si tous ces témoins participent à cette enquête, c'est pour essayer d'avoir un impact,
12:52d'essayer de mettre un terme à ces systèmes maltraitants,
12:55et plus globalement, de faire réfléchir la société, de faire évoluer la société sur ces questions de la vulnérabilité.
13:02Moi, c'est ça mon travail, la mission que je me donne en tant que journaliste.
13:07Le fil rouge de vos enquêtes, les personnes âgées, les jeunes enfants, entre les deux le spectre est large.
13:11Vous travaillez déjà un troisième livre ?
13:13Non, pas encore. Je pense que je ferai une autre enquête, je ne sais pas encore sur quel sujet.
13:19Je reçois depuis lundi, enfin je reçois maintenant depuis plusieurs années,
13:23mais depuis lundi, leur nombre a augmenté.
13:25Beaucoup de propositions pour faire de nouvelles enquêtes,
13:30et souvent de salariés du secteur de la santé, du secteur du care, du lien.
13:35Je vais regarder attentivement ces mails, et puis à un moment, je me pencherai sur un nouveau sujet.
13:40Merci Victor Castaner.
13:41Merci beaucoup.
13:42Les ogres apparus chez Flammarion, restez avec nous, BFM Radio Soir ça continue, les infos sont à suivre.