"Ce procès montre à quel point la culture du viol est ancrée dans notre société", estime Hélène Devynck

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Dans une lettre ouverte publiée dans le journal Le Monde, la journaliste salue le courage de Gisèle Pélicot, la victime au procès des viols de Mazan.

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00:00France Inter, le 7-10. 7h48, Sonia Devillers. Votre invitée ce matin est journaliste et
00:08écrivaine, autrice d'un récit impunité paru en 2022. Bonjour Hélène Devinck, des
00:16rassemblements de femmes dans 30 villes de France en soutien à Gisèle Pellicot, droguée,
00:21violée dans son sommeil par 83 hommes recrutés par son mari sur internet. Le mari dont le
00:27procès reprendra ce matin sans l'accusée qui est souffrante. Gisèle Pellicot va arriver
00:32au tribunal d'ici une heure. Elle devrait faire une déclaration publique pour remercier
00:38toutes celles qui sont descendues dans la rue samedi, exprimant leur révolte et leur
00:43solidarité. Et vous Hélène Devinck, qu'avez-vous ressenti face à ces rassemblements de femmes ?
00:50D'abord, je voudrais la remercier, elle, parce que le fait qu'elle ait refusé le
00:55huis clos, le fait qu'elle ait décidé de regarder ces hommes qui n'avaient jamais
01:00vu ses yeux dans les yeux, en fait, elle nous dit quelque chose à toutes, c'est-à-dire
01:06qu'elle nous dit à toutes qu'on est comme elle. Elle était rien, elle était insignifiante,
01:11on a toutes été comme ça. Et le montrer, le dire aussi haut et aussi fort, ça a provoqué
01:18un émoi dans le pays qui s'est manifesté. Elle était rien, elle était insignifiante,
01:23ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'elle n'était qu'un corps et que quand un corps
01:26est à disposition, il n'y a qu'à se servir ? C'est ça que ça veut dire ?
01:29C'est ce que raconte cette histoire et c'est ce qu'elle dit elle-même. Elle dit « j'étais
01:34chaude mais j'étais morte ». Et ce corps inerte a excité ces hommes. Ils ont joui
01:42de son impuissance et ils ne savaient pas qui c'était. Elle était rien, elle était
01:46personne. Et en parlant, maintenant elle est Gisèle Pellicot, en décidant de rentrer
01:52par la grande porte dans le tribunal d'Avignon et d'affronter leur regard, elle nous permet
01:59à nous aussi de le faire.
02:00Et quand vous dites « Hélène de Vinck, elle est Gisèle Pellicot », c'est-à-dire est-ce
02:03que vous faites comme toute la presse française qui loue la dignité de cette femme ? Est-ce
02:07que la question de la dignité d'une victime, c'est une question ?
02:10C'est embarrassant cette dignité. Moi je n'ai pas utilisé le mot « dignité » dans
02:15la tribune que j'ai écrite parce que en quoi elle serait indigne ? L'indignité,
02:20c'est pas elle, c'est les hommes qui sont au tribunal et ceux qui n'y sont pas d'ailleurs
02:25parce qu'il y en a quand même une trentaine qu'on n'a pas retrouvée. Je préfère
02:29louer sa générosité. Mais en fait, souvent dans ces histoires, les victimes qui parlent,
02:35et ça a été mon cas, on le fait aussi par altruisme. C'est-à-dire qu'on le fait
02:39pour que ça n'arrive pas à d'autres. Et c'est ce qu'elle explique.
02:42Alors je rappelle que vous avez été victime d'un viol, que vous avez attaqué Patrick
02:46Poivre d'Arvore en justice, qu'une cinquantaine de femmes témoignent aujourd'hui contre
02:51Patrick Poivre d'Arvore et que pour votre affaire et dix autres cas, onze en tout, une
02:56instruction a été ouverte cet été. Je vous pose une dernière question sur Gisèle
03:01Pellicot et ensuite on va en venir à cette tribune que vous avez publiée dans Le Monde
03:03il y a quelques jours. À propos de Gisèle Pellicot qui ose ainsi s'exposer au regard
03:08de tous, on entend beaucoup « la honte va changer de camp ». Est-ce que la honte, ça
03:15change de camp ? Ça devrait. En même temps la honte c'est quelque chose de poisseux
03:19et de collant. Et je pense que c'est une des difficultés dans ces histoires. C'est
03:25que, comme le dit Julia Foyce, les viols c'est le seul crime où la victime se sent
03:31coupable et le coupable innocent. Les 83 violeurs, les 83 hommes qui ont violé
03:38Gisèle Pellicot, seules 50 ont pu être identifiés, vous l'avez dit. 35 d'entre eux, ni les
03:43faits. Ils se disent non coupables. Dans votre tribune, Hélène Devinck, vous écrivez
03:48« la défense des violeurs de Massan est un échantillon chimiquement pur de la violence
03:52patriarcale et des masques derrière lesquels elle s'abrite pour prospérer ». Pourquoi ?
03:56En fait, les violeurs, ils ont toujours les mêmes défenses. C'est-à-dire qu'ils
04:00commencent par dire souvent que la femme est une menteuse. Ensuite, si on ne peut pas dire
04:05qu'elle est une menteuse, elle l'a bien cherchée, il y a une raison. Et dans ce procès
04:10par exemple, il y a quelque chose qui m'a choquée, mais qui est le cas dans tous les
04:14procès, c'est qu'on l'a interrogée sur sa sexualité. Qu'est-ce que ça vient
04:17faire dans l'histoire ? On demande toujours aux victimes d'être vertueuses. C'est
04:22une espèce de mythe de la bonne victime. Mais ça n'a rien à voir avec l'affaire.
04:27Alors, ils croyaient à un jeu libertin, ils pensaient que Gisèle Pellicot faisait semblant
04:33de dormir, ils pensaient même pour certains que le mari avait donné son accord. Et surtout,
04:39vous pointez le fait, Hélène de Vinck, que tous ces prévenus se victimisent.
04:45Ils font toujours ça. Patrick Poivre d'Arvor est victime d'un complot, de la presse,
04:52de femmes... Mais ça signifie qu'une certaine partie
04:55de la société, voire une large partie de la société, est prête à les reconnaître
04:58comme victimes. C'est pour ça qu'il faut écouter la défense
05:02dans ce procès, parce que ça dit quelque chose de toutes ces affaires. Et ça dit aussi,
05:08c'est des histoires d'hommes. Cette histoire, c'est une histoire d'hommes. Gisèle Pellicot,
05:12elle existait à peine dans l'histoire avant qu'elle nous regarde. Et c'est des échanges
05:18de marchandises. C'est les hommes qui s'échangent des corps de femmes. C'est l'essence de la
05:23domination patriarcale, de la violence masculine. Les femmes n'existent que par leur corps.
05:30Il faut écouter les arguments de la défense. Il faut aussi écouter les mots que choisit
05:35délibérément d'employé, le président de la cour criminelle du Vaucluse, puisqu'il
05:40décrète, je le cite, on va parler de scènes de sexe plutôt que de viol. Alors que Gisèle
05:46Pellicot, elle-même, explique n'avoir pu regarder ces vidéos que plusieurs mois après
05:51leur découverte. Et elle a dit au juge, ce sont des scènes de viol insoutenables, qu'on
05:56ne me parle pas de sexe. Pour eux peut-être, mais pas pour moi.
06:01C'est la question du sujet. C'est-à-dire pour qui le sexe et pour qui la violence ? Pour
06:06Gisèle Pellicot, c'est de la violence de toute évidence. Et si c'est du sexe pour
06:10eux, il faut s'interroger sur qu'est-ce que c'est que la sexualité masculine.
06:15Et alors il y a viol et viol.
06:18Ça c'est un des avocats de la défense qui dit ça. Alors je ne vais pas lui faire un
06:24cours de droit. Mais enfin, la définition du viol a été établie en 1857 par un arrêt
06:32qui s'appelle l'arrêt le bas, qui était un viol sur une femme endormie. C'est là
06:35qu'on a défini la contrainte et la surprise, qui sont aujourd'hui les éléments constitutifs
06:41du viol. Depuis 1857, si depuis un siècle et demi, on n'a toujours pas compris ce
06:46que c'était un viol, je ne sais pas comment on va comprendre.
06:49C'est-à-dire que les arguments de la défense, puisque vous nous encouragez justement à
06:54aller passer au crible, l'un des avocats a expliqué que si une personne a conscience
06:58qu'elle commet un viol, il y a viol. Mais si cette personne ne sait pas qu'elle commet
07:03un viol, alors il n'y a pas viol. Il faut pour qu'il y ait viol que la démonstration
07:08soit faite de l'intention coupable de l'auteur.
07:11Alors la définition du viol, je la raccourcis un petit peu, c'est « tout acte de pénétration
07:16sexuelle », c'est-à-dire ça c'est ce qu'on appelle la matérialité des faits
07:19en droit commis par violences, menaces, contraintes ou surprises.
07:23Ça c'est l'intentionnalité.
07:25Et il y a une espèce d'hypocrisie qui dit qu'il faudrait que l'homme décide lui-même
07:33que c'est un viol.
07:34C'est une absurdité totale.
07:35C'est-à-dire que là on est face à des hommes qui disent « je ne savais pas que
07:38je violais et si j'avais su que je violais, je n'aurais jamais violé, je n'ai jamais
07:42eu l'intention de violer ». En quoi ce procès peut-il faire pousser à redéfinir
07:47le viol ?
07:48Hélène Devins, je vous pose la question parce que vous allez vous-même affronter
07:52dans quelques mois un procès, justement, face à Patrick Poivre d'Arvor.
07:57En quoi ce procès de Mazan peut faire bouger d'autres procès ?
08:02Là, ce procès, il est pur.
08:06C'est-à-dire que tous les arguments qu'on nous envoie à la face en général, c'est-à-dire
08:11qu'on est consentante, etc., là on ne peut pas le dire.
08:17Sur Gisèle Pellicot, on ne peut pas le dire.
08:18Et pourtant, on le dit quand même.
08:20C'est-à-dire que quand l'avocat dit « il y a viol et viol », il y aurait des petits
08:26viols, il y aurait des gros viols, des faux viols, ça n'a pas de sens.
08:32Le problème, c'est que tel que c'est défini aujourd'hui, il n'y a pas le mot consentement
08:37dans la définition du viol.
08:38Le viol, dans le droit français, est défini par la stratégie de l'agresseur.
08:42Il y a eu un grand débat, il y a eu des débats à l'Assemblée nationale, conduits notamment
08:47par Véronique Rioton et Marie-Charlotte Garin, pour savoir s'il fallait refaire cette définition
08:52pénale du viol.
08:53Emmanuel Macron y est plutôt favorable, d'ailleurs.
08:55Il y était hostile, c'est-à-dire qu'il a refusé que ça rentre dans la loi européenne.
08:59Il a peut-être changé d'avis, mais enfin tout ça a été interrompu par la dissolution.
09:05Il faut le reprendre, ça ne changera pas tout, c'est-à-dire qu'on ne peut pas tout attendre
09:09de la justice.
09:10C'est aussi une question de pédagogie, c'est aussi une question de culture, et ce procès
09:16montre à quel point la culture du viol est ancrée dans notre société.
09:21C'est pour ça qu'il est important, il faut redéfinir le viol au moins.
09:25C'est-à-dire que ce procès, c'est comme le procès d'Aix en 1978, conduit par Gisèle
09:30Halimi.
09:31Le moment où on a défini le viol dans le code pénal, je pense que là, il est temps
09:34d'y revenir.
09:35Merci Hélène Devinck.
09:36Merci à vous.
09:37Et merci Sonia De Villers.

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