Sous l’impulsion d’une nouvelle rédactrice en chef, la journaliste Ava Djamshidi, l'hebdomadaire féminin renforce sa ligne "police justice". Elle est l'invitée d'Info médias sur franceinfo, le 20 février 2024.
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00:00 Votre invitée média Céline Vailledercourt est la rédactrice en chef du magazine Elle,
00:04 l'hebdo féminin qui se veut plus que jamais accompagnateur du mouvement #MeToo.
00:08 Il a par exemple récemment révélé les accusations d'agressions sexuelles contre le psychanalyste
00:12 Gérard Miller.
00:13 Bonjour Abha Jamshidi.
00:14 Bonjour.
00:15 Merci d'être avec nous.
00:16 Vous avez pris vos fonctions en septembre dernier, après avoir été grand reporter
00:19 pour Elle pendant plus de trois ans.
00:20 Vous veniez avant cela du journal Le Parisien, donc vous avez une culture de l'info, de
00:24 l'actualité, des scoops.
00:25 Est-ce la feuille de route qu'on vous a fixée pour Elle, faire des enquêtes et plus précisément
00:30 autour des violences faites aux femmes ?
00:32 Oui, c'est clairement un virage éditorial qui a été impulsé par la directrice du
00:37 magazine Véronique Filippona et donc on a effectivement pour ambition de contribuer
00:43 à la révélation d'enquêtes sur la question des violences sexuelles et sexistes, même
00:47 si il faut bien le dire c'est un travail qui est mené par les conseillers du magazine
00:51 Elle depuis des années, peut-être aussi qu'on le regarde un petit peu différemment
00:55 et que là on a décidé un peu d'accélérer sur cet aspect.
00:57 Il y a énormément d'histoires qui ont été révélées dans les colonnes de ce magazine.
01:03 Je pense juste par exemple au consentement de Vanessa Springora ou encore à Camille
01:10 Kouchner.
01:11 Je veux dire ce sont des histoires.
01:12 C'est dans le Elle qu'elles ont témoigné en premier ?
01:13 C'est dans le Elle qu'elles ont témoigné en premier.
01:14 Peut-être aussi qu'aujourd'hui, compte tenu de l'importance qu'est en train de
01:19 prendre le débat de #MeToo dans le débat public, on regarde aussi sans doute un peu
01:24 différemment les contenus de la presse féminine.
01:27 Cela dit, vous avez aussi recruté l'ancienne chef du service Police Justice de BFM pour
01:33 mener ces enquêtes, Cécile Olivier.
01:34 Tout à fait.
01:35 Il y a quatre mois, dans le siège de cette décision d'impulser le virage éditorial
01:39 dont je vous parlais, on a décidé aussi de se renforcer un petit peu sur la partie
01:43 Police Justice puisque ces enquêtes nécessitent une expertise très particulière, notamment
01:49 dans la nécessité qu'on a de recouper ces informations et de maîtriser tout cet environnement
01:53 juridique qui entoure ces sujets.
01:55 Donc on a embauché Cécile Olivier de BFM TV qui nous aide et qui travaille sur ces dossiers.
02:02 Mais ça veut dire qu'en 2024, un magazine féminin ne peut plus se contenter de faire
02:10 les régimes pour l'été et la femme parfaite en une ?
02:13 C'est une vision peut-être un peu réductrice aussi de la presse féminine et des magazines
02:18 féminins qui ont, et en l'espèce du magazine Elle, qui a toujours eu à cœur de défendre
02:24 les causes liées au fait d'être une femme, que ce soit à l'étranger par le biais
02:28 de reportages, que ce soit par des interviews politiques pour essayer de pousser nos dirigeants
02:36 sur ces questions.
02:38 Mais effectivement, aujourd'hui, c'est impossible dans notre conception de la manière
02:44 dont on souhaite conduire ce magazine de faire abstraction de ces sujets.
02:49 Fin janvier, il y a trois femmes qui ont témoigné dans les colonnes d'Elle pour parler des
02:54 agressions sexuelles dont elles auraient été victimes de l'avoir de Gérard Miller.
02:59 Quelques jours plus tard, elles étaient plus de 40 à témoigner.
03:02 C'est votre première enquête qui a donné envie de parler à ces autres femmes.
03:07 Elles vous ont contacté spontanément après avoir lu la première enquête ?
03:10 Oui, tout à fait.
03:11 Ça a été vraiment un moment assez particulier pour la rédaction et en particulier pour
03:16 Cécile Olivier et Alice Augustin qui ont réalisé cette enquête, puisque quelques
03:21 heures après la publication de leur travail sur notre site et dans les pages du magazine,
03:28 elles ont été littéralement submergées d'appels, de messages, de mails de femmes
03:33 qui disaient avoir été victimes de Gérard Miller, dont ils font rappeler, puisque nous
03:37 sommes dans un état de droit, qu'ils bénéficient de la présomption d'innocence.
03:40 Ça a été vraiment très impressionnant compte tenu du volume de femmes qui se sont
03:47 manifestées.
03:48 Elles avaient bien veillé, dans le cadre de leur première enquête, à ne pas donner
03:51 certains détails, notamment des détails de l'endroit où se seraient déroulés les
03:56 faits puisqu'on est tenu au conditionnel.
03:59 Toutes ces femmes sont revenues sur ces détails.
04:04 On a publié les 40 témoignages de femmes dont on a pu recouper, c'est-à-dire vérifier
04:11 la véracité de leurs propos.
04:13 Il y en a d'autres que vous n'avez pas sorti parce que vous n'êtes pas certaine
04:17 à 100% de la crédibilité de ces témoignages ?
04:20 Oui, exactement.
04:21 On a décidé vraiment de ne publier que les témoignages de celles dont on était sûr
04:27 qu'ils étaient vraiment justes.
04:31 Psychologiquement, pour vos journalistes, c'est difficile de recueillir des paroles
04:36 comme celles-ci ?
04:37 Il faut vraiment saluer le travail des consoeurs qui mènent ce travail parce que ça nécessite
04:41 vraiment des trésors de délicatesse de recueillir la parole de femmes qui racontent, parfois
04:48 pour la première fois, la manière dont elles ont subi l'intrusion par effraction d'un
04:55 homme, qu'elles ont vu à la télévision en l'occurrence ou entendu à la radio.
05:00 Et cette délicatesse doit en même temps s'accompagner de précisions journalistiques.
05:04 Et ce n'est vraiment pas donné à tout le monde.
05:07 C'est sûr que quand vous passez une journée à recueillir les témoignages de 20 personnes,
05:12 que vous essayez ensuite de les recouper, vous n'en sortez pas un d'elles.
05:14 Mais c'est vrai qu'il y a toute une réflexion qui est menée également au sein du magazine
05:18 sur la manière dont on accompagne aussi les consoeurs qui en auraient besoin parce que
05:23 c'est très dur pour elles aussi.
05:25 Est-ce qu'il y a une réflexion également dans votre rédaction, Avad Jamshidi, sur les
05:30 conséquences pour l'homme qui est mis en cause ? Parce que vous savez très bien, et
05:34 vous l'avez rappelé, vous avez bien fait de dire que Gérard Miller et les autres bénéficient
05:37 de la présomption d'innocence.
05:38 Maintenant, pour l'opinion publique, il est coupable.
05:41 Est-ce que vous sentez quand même cette responsabilité ? Elle est présente quand vous publiez ce
05:45 genre d'article ?
05:46 Oui, bien sûr.
05:47 Et la veille de la parution de ce genre d'enquête, on a vraiment conscience de la gravité des
05:53 faits que l'on va rapporter, que l'on va porter à la connaissance du grand public.
05:58 On ne le fait pas dans une espèce d'excitation vengeresse comme ça.
06:00 Ce n'est pas du tout comme ça que ça se passe.
06:02 On a conscience qu'on va bouleverser des vies, les vies de toutes les femmes qui pourraient
06:07 se reconnaître dans les témoignages que l'on va publier.
06:09 Mais on a également la conscience que l'on va bouleverser celle de la personne qui est
06:14 mise en cause, que l'on prévient, que l'on soumet à ce que l'on appelle le contradictoire,
06:18 qu'on lui oppose les faits qui lui sont reprochés par ses victimes et dont on publie d'ailleurs
06:25 les réponses.
06:26 Quand vous sortez le numéro sur les agressions présumées, commises par Gérard Miller,
06:33 ça fait bondir les ventes de elle ?
06:34 Je serai en peine de vous répondre pour le papier, parce que je ne les ai pas.
06:39 En revanche, ce que je peux vous dire, c'est que ce que l'on appelle les conversions,
06:44 les abonnements de nouvelles lectrices sur ces sujets-là, sont assez spectaculaires.
06:48 Il y a une vraie demande de la part des femmes, et pas seulement, puisque nous avons aussi
06:54 des lecteurs qui sont des hommes, de s'informer sur ce type de sujet.
06:58 Cela tient peut-être aussi au fait que le nombre de personnes concernées par la question
07:03 des violences sexuelles et sexistes est énorme en France.
07:05 Je rappelle qu'il y a une femme sur six qui dit avoir été victime de violences sexuelles
07:09 et sexistes.
07:10 Peut-être qu'il y a une femme sur six qui nous écoute d'ailleurs qui en est victime.
07:12 Donc nécessairement, je pense que cela contribue aussi au fait qu'il y ait autant d'intérêt
07:19 pour ces sujets, pour les révélations, mais aussi pour tous les sujets explicatifs qui
07:23 les entourent.
07:24 Des choses très servicielles parfois pour définir ce qu'est un attouchement, une agression
07:29 sexuelle, des récits parfois un petit peu plus longs pour décrypter la parole que peuvent
07:33 avoir les mis en cause.
07:34 Et ça, effectivement, ça convertit.
07:38 Merci d'être venu nous expliquer votre nouvelle stratégie Ava Jamshidi.
07:42 - Et merci Céline Beydarco, aura Avadia Mchidi, rédactrice en chef du magazine Elle.