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Après 10 ans de relation toxique, l’écrivaine Sarah Barukh a fait de son passé une force pour venir en aide aux femmes.

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00:00 Bonjour Sarah Baruc. Ce film signé Claire Lajeuny montre votre combat au quotidien,
00:05 tout ce que vous faites pour venir en aide aux femmes mais aussi pour sensibiliser dans
00:08 les entreprises, dans les écoles, dans les gendarmeries. Il raconte également comment
00:12 est né votre livre pavé de 500 pages, 125 et des milliers. Vous avez réussi à mobiliser
00:18 125 personnalités féminines pour qu'elles dressent chacune le portrait de 125 femmes
00:23 tuées par leurs compagnons. Il y a par exemple Julie Gayet, la rabbine Delphine Orvilleur,
00:28 Roselyne Bachelot, Isabelle Carrel, Leila Slimani et plein d'autres. Pourquoi avez-vous
00:31 voulu faire ce documentaire ? C'est un long processus mais la principale
00:38 raison c'est que quand j'ai terminé 125 et des milliers, le livre, j'avais interrogé
00:45 125 familles qui avaient perdu une maman, une fille, une sœur et pour elles le drame
00:52 continue et donc je me suis sentie un peu obligée de ne pas les abandonner et surtout
00:59 de mettre en pratique tous les enseignements que j'avais reçus puisqu'il y avait ma
01:05 vie à moi mais il y avait la vie de toutes celles qu'on m'avait racontées. Alors
01:08 j'avais bien survé des similitudes mais en tout cas, depuis hier, j'enchaîne les
01:16 interviews, j'essaye de parler de certaines mortes et j'ai tout de suite le papa, la
01:20 maman qui m'envoie un sms, merci de ne pas l'avoir oublié, elles sont là quoi.
01:24 Donc je n'avais pas le droit de les laisser au rang de mortes.
01:29 Et qu'elles soient seulement des numéros ?
01:31 Et qu'elles soient... Alors ça c'était le point de départ du livre. Voilà, le point
01:35 de départ du livre c'est que je m'enfuis dans la nuit du 5 au 6 juin 2020 avec mon
01:40 bébé qui a 16 mois à ce moment-là, 16 ou 17, enfin qui va avoir 17 mois. Mes parents
01:46 nous recueillent, je vis dans ma chambre d'ado avec elle et je suis vraiment assommée par
01:53 la honte parce que j'ai l'impression que je ne corresponds pas en fait au cas. Moi j'ai
01:58 un père médecin, une mère institutrice, je suis déjà écrivaine, je gagne ma vie.
02:03 Vous pensez que c'est uniquement dans les milieux défavorisés que les violences conjugales
02:07 arrivent ?
02:08 Oui et en fait tout cela est né d'une association que j'avais faite, puisque je viens d'un
02:12 milieu où on n'a jamais manqué de rien mais enfin je vivais quand même en face d'une
02:16 cité, moi-même j'ai grandi dans une cité au départ et il se trouve qu'en face de
02:20 ma chambre ça donne sur une cité et que la maman d'un ami se faisait battre. Et donc
02:24 dans ma tête d'ado j'avais associé les violences faites aux femmes déjà au coup
02:30 et à la cité, à l'immigration etc. Et c'est pas du tout une critique, moi-même
02:36 je suis issue de l'immigration, j'ai grandi entourée de familles complexées de pas bien
02:41 savoir parler français, où il y avait toujours un dictionnaire à portée de main, où il
02:44 y avait des appartements très exigus qui du coup favorisaient une forme d'agressivité
02:49 puisque quand on n'a pas d'espace à soi, on accumule une sorte de frustration. Donc
02:56 voilà, ne pas savoir parler, ne pas pouvoir reprendre son souffle seul, tout cela n'incite
03:02 pas les femmes à porter plainte. Sauf que 20 ans plus tard, j'étais de nouveau dans
03:06 cette chambre, de nouveau face à cette cité et que la personne qui était convoquée par
03:10 les assistantes sociales, la police et les psychologues du commissariat, c'était moi.
03:15 Et donc j'avais honte, j'avais vraiment honte. Je prenais aussi la mesure de ce que
03:22 j'avais fait subir à mes proches puisque finalement ma mère avait vu ma fille peut-être
03:27 4 fois, 5 fois grand maximum, que la première chose que je fais en arrivant chez mes parents
03:34 c'est de bien aligner les paquets de pâtes, les boîtes de conserve.
03:38 - Ce que vous deviez faire quand vous aviez votre compagnon.
03:41 - Voilà, en fait je reproduis, mon quotidien, je suis obsédée à l'idée qu'il n'y ait
03:45 pas de miettes qui traînent sur la table après le petit-déj. Que des choses où mes
03:50 parents sont saisis de mes nouveaux réflexes. Et donc je me dis, est-ce que je suis folle
03:58 ou est-ce qu'il y en a d'autres comme moi qui ont eu toutes les cartes en main et qui
04:02 se retrouvent quand même dans cette situation à penser d'être la dernière des nulles
04:06 quoi. Et donc je me mets à chercher dans la presse, sur internet, les victimes de féminicide.
04:13 Et là je tombe sur des articles qui racontent le fait divers. Déjà c'est classé généralement
04:18 effectivement dans les faits divers, à côté des chiens écrasés. Et j'adore les chiens,
04:23 j'en ai un, c'est l'amour de ma vie, tout ça. Et surtout je me rends compte qu'il
04:29 n'y a aucun détail sur la femme. Finalement on décrit combien il y a eu de coups de couteau,
04:35 il y a même des rectifications genre deux jours après. Ah en fait non pardon, c'était
04:39 pas 39, c'était 37 parce que le dernier n'était pas... Enfin, des trucs horribles
04:44 quoi. Mais rien sur qui était cette femme. Exactement, il y a les arguments de l'avocat
04:48 du présumé coupable. Il avait bu, il était très triste de la rupture, etc. Mais rien
04:58 sur la femme. Mais ça veut dire que nous médias, on a une responsabilité dans cette
05:03 anonymisation ? Ah pas vous, vous êtes très sympa, tout ça. Non non mais en fait les
05:08 médias sont là pour donner les faits tels qu'on leur décrit. Et il y a aussi des questions
05:14 sur l'enquête et puis il y a parfois on est dans une zone d'encore trouble, on ne
05:19 sait pas encore déjà souvent si c'est un féminicide ou pas un féminicide, la police
05:23 reste très discrète, etc. Donc c'est pas facile mais c'est vrai que le réflexe va
05:27 à ce qui va choquer, c'est-à-dire les circonstances de la mort. Que oui, c'est peut-être cynique
05:33 mais on va vendre plus de journaux si il y a marqué "une femme meurt balancée par
05:37 la fenêtre" que si on dit "une femme qui adorait le roi Lion est morte". Voilà.
05:43 Et c'est bête de présenter les choses comme ça mais c'est vrai. Et c'est pour
05:47 ça que vous avez voulu rencontrer les familles de ces femmes et leur redonner vie finalement
05:52 à travers ce livre. Oui, c'est-à-dire qu'il y a ça et je me dis déjà je ne peux pas
05:59 moi m'identifier à un nombre de coups de couteau, je peux m'identifier qu'à une
06:03 femme en qui je vais me reconnaître. Et puis ensuite je regarde les contes des associations
06:10 et puis je vois les décomptes de féminicides. Et là j'ai un espèce de frisson horrible
06:17 qui me parcourt et que je raconte dans le livre. Moi il se trouve que j'ai un père
06:20 qui est tunisien, né en Tunisie et une mère qui est juive d'origine askenaze et que
06:24 j'ai grandi entourée de rescapés de la Shoah avec des numéros tatoués sur le bras.
06:29 Et que pour moi j'ai été élevée dans l'idée que le numéro c'est la déshumanisation,
06:35 c'est la première étape à la déshumanisation. Et donc je suis là chez mes parents avec
06:39 ma petite fille et je vois les numéros et je me dis "mais purée si ça s'était
06:44 mal terminé ce dernier soir, je pense que ma mère n'aurait pas survécu au fait
06:49 que je sois devenue un numéro pour la société". Et alors c'est valable, ça a été mon
06:55 réflexe en tant que juive mais finalement toutes les familles que j'ai interrogées
06:59 m'ont sorti la même chose. C'est-à-dire que Sandrine Boucher, la présidente de l'UNFF
07:06 dont la sœur a été brûlée vive devant sa petite fille de 6 ans à Boulogne-Biancourt,
07:12 pas très loin et qui n'avait jamais montré aucun signe de violence, m'a dit "mais
07:17 avec toi ma sœur a arrêté d'être un numéro". Ma sœur c'est Guylaine qui
07:22 est racontée par Leïla Slimani. Pareil pour Muriel, la maman de Salomé qui a été
07:28 battue à mort à 21 ans, tellement battue à mort que sa mère ne l'a pas reconnue
07:33 à la morgue et qui m'a dit "merci parce que maintenant Salomé c'est plus le numéro
07:37 100 de l'année 2019". Voilà donc en fait si vous voulez tout ça, ça paraît anecdotique
07:43 quand je le raconte mais quand on a eu toutes ces discussions, qu'on a rencontré toutes
07:48 ces familles, qu'on a touché du doigt ce qu'elles vivent avec cette angoisse aussi
07:53 une fois qu'elles ont récupéré des enfants et qu'elles sont les dernières à pouvoir
07:58 leur raconter qui avait été leur mère, qu'elles ont la terreur de savoir qu'un
08:02 jour ces enfants vont regarder sur internet et vont uniquement voir de leur maman sa
08:07 dernière scène qui ne représente en rien la femme qu'elle était, et bien c'est
08:13 une angoisse énorme. Donc voilà, ce livre a été fait six mois avant sa sortie. J'avais
08:19 plein de familles qui me disaient "l'étagère dans le salon est déjà prête". C'était
08:22 limite une stèle en fait ce livre avant qu'il soit sorti et c'est eux qui m'ont donné
08:27 ce terme, je ne me serais pas permise de le dire moi. Et donc le livre sort, il fonctionne
08:33 plutôt bien et je me sens obligée de ne pas passer à autre chose en fait, de traduire
08:40 en action ce livre. Donc l'idée du documentaire arrive assez naturellement, non pas un making
08:50 of du livre, mais qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Voilà, parce que encore une
08:55 fois dans la vie je crois que c'est pas tellement ce qui nous arrive qui compte, c'est
08:59 ce qu'on en fait. Et moi j'ai eu l'impression au départ qu'on m'avait volé dix ans
09:06 de ma vie, que du coup je ne savais plus me situer parce que mes amis avaient avancé,
09:12 tout le monde avait avancé autour de moi. Je retrouvais des gens, mais dix ans s'étaient
09:15 passés quasiment, j'avais eu des enfants, et puis surtout j'avais tellement une vie
09:19 qui n'avait rien à voir qu'on n'était pas sur la même planète. Donc j'avais
09:23 vraiment l'impression que jamais je rattraperais la société. Et du coup je me suis dit mais
09:30 soit je continue de m'enfoncer, soit je trouve un moyen de reconquérir ce temps,
09:36 en en faisant quelque chose. - Alors vous en faites vraiment quelque chose
09:38 hein, donc ce livre, des vidéos, des podcasts, comme je le disais vous allez rencontrer des
09:45 enfants, des étudiants, des gendarmes, vous allez dans les entreprises voir les chefs
09:50 d'entreprise, et puis je crois que quand vous allez dans les entreprises, et notamment
09:53 celle du CAC 40, à chaque fois il y a des femmes, des salariés qui viennent vous voir
10:01 après en vous disant "je suis victime". - Ah mais bien sûr, mais moi c'est là que
10:08 j'ai senti que pour moi l'une des principales solutions se trouve dans l'entreprise.
10:13 Il faut savoir que parmi les femmes qui portent plainte, 62% sont salariées en Europe. Donc
10:20 ça veut dire que parmi les 25-60 ans, l'immense majorité est dans l'emploi et dans l'entreprise.
10:27 Donc si l'entreprise, par des réflexes mais tout bêtes, ne met pas en place des solutions,
10:33 on se prive d'un nombre incroyable de possibilités d'aider et de sauver.
10:39 - Les solutions toutes bêtes, laquelle par exemple ?
10:41 - Bah par exemple si on annonce pas aux salariés qu'elles peuvent aller porter plainte pendant
10:44 leur temps de travail, et bien elles ne peuvent pas aller porter plainte puisqu'elles sont
10:46 fliquées chez elles. Si on leur dit pas qu'elles ont droit d'aller visiter un appartement
10:51 pour partir pendant leur temps de travail, et bien elles ne peuvent pas le faire puisqu'elles
10:55 sont fliquées. Il y a plein de... Et puis là c'est vraiment les premiers réflexes.
11:01 Mais par la suite, alors pas forcément dans les petites PME, mais dans les grands groupes
11:05 où la mobilité est possible, quand on sait que la justice met des mois voire parfois
11:10 des années à être effective, et que c'est très difficile d'expliquer à quelqu'un
11:14 qui a été violent qu'on va déménager loin. En revanche si on est muté, si on nous propose
11:19 un super job dans une autre ville, dans un autre pays, et qu'il n'y a pas forcément
11:24 la pension en face pour compenser, on ne peut pas refuser une telle offre, etc. En fait
11:28 il y a plein d'astuces que les entreprises peuvent mettre en marche, et pour l'instant
11:35 c'est pas du tout quelque chose qui a été exploité.
11:37 - Alors des astuces, on les découvre très bien dans ce film, qui est, il faut le dire,
11:42 un mode d'emploi pour les femmes qui sont victimes de violences conjugales. J'espère
11:47 vraiment qu'il y en aura beaucoup qui regarderont ce film ce soir, parce que ça va forcément
11:52 les aider. Déjà, à savoir, si elles sont vraiment concernées, parce que certaines
11:56 ne se rendent pas compte qu'elles sont victimes de l'emprise ou autre, ça leur apprend comment
12:01 partir, comment gérer l'après ? Il y a toutes ces questions-là que vous délivrez
12:05 dans ce documentaire. Il est essentiel.
12:07 - En fait on voulait rendre pragmatique et concret le projet de libération. Parce que
12:18 souvent ça reste un fantasme, on dit "part, part", mais ça apparaît tellement une montagne
12:23 énorme pour une femme de partir, parce que déjà, avec quel argent, quand, où, comment
12:28 j'explique ? C'est énorme. Et puis il y a de la culpabilité, parce qu'encore une
12:33 fois, les hommes violents ne sont pas que ça. Ils ne sont pas violents 7 jours sur
12:38 7, 24 heures sur 24. Et ce qui fait que cette relation s'installe, c'est qu'il y a
12:43 un lien de dépendance. Qu'il n'y a jamais de victime sans bourreau et de bourreau sans
12:48 victime, parce qu'on a l'impression qu'on va être le sauveur, la sauveuse de cette
12:53 personne. Donc, quelque chose que j'ai remarqué aussi, c'est qu'on ne quitte pas un homme
13:00 violent, on l'abandonne. En tout cas, c'est le sentiment qu'on a au départ. Et moi,
13:04 j'ai dû lutter des mois contre ma culpabilité, et parfois encore même aujourd'hui, de
13:09 l'avoir abandonné. Mais il se trouve que j'ai eu ma fille entre temps, et qu'à
13:12 un moment donné, je me suis dit "c'est elle ou c'est lui". Donc oui, c'est très
13:17 important, et ce que vous dites est très vrai, surtout quand on ne coche pas les cases
13:22 et qu'on est dans un instinct de survie, on ne peut pas se reconnaître victime. C'est
13:26 pour ça aussi que j'ai créé ce test qui s'appelle "suis-je victime de violences",
13:31 qui est une suite de questions qui explore toutes les formes différentes de violences.
13:35 En gros, il y en a cinq qu'on peut sous-diviser, mais en gros il y en a cinq. La violence physique
13:40 évidemment, qui est indéniable, donc généralement on sait qu'on est victime une fois qu'on
13:45 a été frappé. - Il y a des choses beaucoup plus subtiles
13:47 que ça. - Mais il y a des choses, voilà, et qui
13:49 font en réalité les mêmes dégâts, qui sont reconnus par la loi au même titre. En
13:52 tout cas, toutes les violences psychologiques sont reconnues au même niveau que les violences
13:58 physiques, tout ce qui concerne ce qu'on appelle le contrôle coercitif. Et en gros,
14:04 dans le test, les questions sont posées de manière à ne pas juger l'agresseur. Parce
14:08 que jusqu'ici, à chaque fois, on dit "mais est-ce qu'il t'empêche de sortir ? Est-ce
14:12 qu'il t'empêche de faire ci ?" Mais généralement, c'est plus subtil que ça. Il n'y a pas
14:15 les tables de la loi accrochées sur la porte "tu n'as pas le droit de sortir". Ce n'est
14:19 pas comme ça. C'est "tu sors ? Ah bon, tu sors ? Et pourquoi ? Tu n'es pas bien
14:23 avec moi ? Tu ne veux pas qu'on se voit ?". Et puis une fois qu'on est sorti, c'est
14:26 un SMS, deux SMS. Moi, j'en recevais jusqu'à 40 en l'espace d'une heure. Et qu'est-ce
14:30 que vous dites ? Et tu es avec qui ? Et tu rentres quand ? Et tu es où ? Mais il y a
14:33 qui ? Et vraiment, t'as dit quoi ? - Donc à la fin, vous ne sortez plus ?
14:35 - Donc à la fin, on ne sort plus. Parce qu'on sait qu'il y en a pour trois jours à avoir
14:38 la tête qui éclate, à ne pas pouvoir dormir. Et on se dit "bon ben voilà". Et en fait,
14:42 tout est comme ça. Tout est comme ça. Donc on est épuisé. Mais je ne me sentais pas
14:47 victime. Ils ne m'interdisaient pas. Ils ne se mettaient pas devant la porte. Donc
14:51 voilà, on ne pose pas la question de manière à juger l'agresseur. En revanche, ce qu'on
14:57 peut savoir, c'est si on a peur. Le dénominateur commun, c'est de savoir "est-ce que j'évite
15:03 de faire ça ? Est-ce que j'évite de sortir, d'aller voir une amie, de me maquiller, de
15:06 ceci, cela, parce que j'ai peur de la dispute ou pas ?" Et ça, on est capable de le dire.
15:13 Donc le test, il est tourné comme ça. Donc c'est une suite de questions. On répond
15:17 oui à une seule d'entre elles, c'est qu'on est potentiellement dans une relation toxique.
15:20 Et là, on donne cinq étapes qui sont à faire toutes seules et chez soi pour être
15:26 capable d'en arriver au stade de porter plainte. - Il y a un aspect essentiel dans la lutte
15:31 contre les féminicides et dont on parle très peu, Sarah Baruc, c'est la prise en charge
15:35 des enfants. Ceux qui ont vu la violence d'un père sur leur mère, est-ce fréquent qu'ils
15:40 reproduisent cette violence une fois adultes ? - C'est 30% des enfants qui ont vu de la
15:45 violence qui deviendront victimes et 30% qui deviendront bourreaux. Donc l'immense majorité
15:51 des enfants, sans suivi adapté, ne se définiront que par la violence. - Mais sans suivi adapté,
15:58 qui décide de ce suivi ? Est-ce qu'ils le sont vraiment ? - Alors déjà, dans le cas
16:02 de féminicide, ce qui est fou, c'est que l'autorité parentale n'est pas systématiquement
16:07 retirée au père. Donc ça arrive régulièrement que les pères en prison refusent que leurs
16:13 enfants, qui selon eux vont très bien, soient suivis. C'était d'ailleurs le cas de l'assassin
16:20 de Julie Douib, ce féminicide qui avait déclenché le grenelle des violences faites aux femmes.
16:26 Donc voilà, le papa que je connais, Lucien, puisqu'on raconte Julie dans le livre, lui
16:33 n'a pas eu la possibilité de faire suivre ses petits-enfants. Il s'est débrouillé
16:36 parce qu'il a un peu tête de mule, mais en tout cas, c'est quand même fou de dépendre
16:40 d'un homme en prison qui a un peu détruit ses enfants. Mais oui, il n'y a pas de statut
16:46 de victime. Et puis, ça c'est pour les féminicides, mais c'est valable aussi pour la violence
16:52 quotidienne qui n'aboutit pas nécessairement à la mort.
16:54 Il y a eu en France 118 féminicides en 2022, 94 en 2023. Ce sont les chiffres du ministère
17:02 de la Justice. Est-ce malgré tout, avec des gros limets, une victoire, une satisfaction
17:07 de voir ce chiffre baisser ?
17:09 Alors, moi j'ai un tout petit problème avec ce chiffre, parce qu'il est faux. Il
17:17 est faux. Je vais vous faire la démonstration mathématique. En gros, on est à une femme
17:23 qui meurt tous les deux jours et demi, en moyenne 125 par an, d'où le titre "125
17:27 et des milliers". Effectivement, parfois c'est un petit peu moins, parfois c'est
17:31 un petit peu plus. Sauf que ce chiffre, il ne prend pas en compte ce qu'on appelle
17:35 le suicide forcé, qui est reconnu par la loi comme un féminicide depuis 2020.
17:38 En fait, c'est quand une femme est tellement désespérée de ce qu'elle vit, est tellement
17:44 persuadée que la société ne peut rien pour elle, qu'elle préfère se donner la main
17:46 à la mort. Ça a été le cas de la première femme de Bertrand Cantat. C'est avec son
17:50 histoire que la notion de suicide forcé a émergé.
17:53 Pour vous, ça c'est un féminicide ?
17:55 Bah évidemment. Mais il y en a plein d'autres. Je veux dire, on raconte dans le livre l'histoire
18:01 de Céline qui s'est jetée du cinquième étage avec son bébé de quelques semaines,
18:05 après avoir reçu un énième SMS de son ex qui lui dit "je vais te défoncer" alors
18:10 qu'elle était séquestrée depuis une semaine et qu'elle ne voyait plus d'avenir possible.
18:14 Bref, on a encore du mal à avoir une véritable comptabilité de tout ça. J'en parlais
18:22 avec des médecins légistes qui me disaient qu'il n'y a jamais aucune enquête quand
18:27 des femmes se suicident de manière suspecte pour savoir ce qui a pu provoquer ce suicide.
18:32 Ça veut dire que ce chiffre ne baisse pas en réalité d'année en année ?
18:35 Vu qu'on a commencé à comptabiliser les féminicides et à reconnaître les féminicides
18:40 à partir de 2016, avant ça passait pour des crimes passionnels, ça passait pour des
18:44 faits divers, c'est difficile de savoir véritablement l'évolution puisque ça a commencé grâce
18:51 à des associations comme Féminicide par compagnons ou ex qui se sont mises à reprendre
18:55 toute la presse et à qualifier des crimes, des meurtres de féminicides. Mais du coup
19:01 peut-être qu'elles sont passées à côté de certains avant. Donc c'est difficile
19:06 de véritablement mesurer l'évolution et donc si on ajoute les féminicides, on arrive
19:12 à une femme qui meurt chaque jour en France. Dans ce décompte ne sont pas comptabilisés
19:18 ce qu'on appelle, j'aime pas ce terme, mais les victimes tierres ou les victimes
19:22 collatérales. C'est-à-dire, il y en a eu plein cette année, l'homme qui arrive
19:26 et qui tue les enfants avec, qui tue la copine chez qui la femme s'est réfugiée, sa soeur,
19:31 ses parents, etc. Eux, ils passent sous tous les radars et ils sont nulle part. Pourtant
19:36 ils sont liés aux féminicides. Et puis enfin il n'y a aucune étude, aucune, qui se charge
19:43 de mesurer l'impact de la violence quotidienne sur la santé. Or, quand on sait un peu comment
19:49 ça fonctionne, un stress aigu, la responsabilité de ce stress sur le développement de maladies
19:55 mortelles, sur le développement de maladies cardiaques, sur le développement du diabète,
20:01 des troubles endocriniens, etc. Et la liste, elle fait une page. Il y a forcément des
20:05 mortes là-dedans. Donc celle-là, on n'en entend jamais parler.
20:08 - Vous, Sarah Baruc, vous avez réussi à partir, à quitter ce compagnon violent en
20:14 2020. Comment allez-vous quatre ans après ?
20:17 - Je continue à parler que de ça, donc ça va bien, mais peut-être que, comme me dit
20:24 mon père, si je faisais une comédie, là oui, ça irait bien. Bon, il se trouve que
20:30 je suis encore un petit peu empêtrée là-dedans. - Vous en avez besoin peut-être ?
20:33 - Oui, j'en ai peut-être besoin. En fait, je vois l'impact. C'est Radha Athem, qui
20:42 est dans ce film, qui a créé les maisons des femmes en France, notamment celle dans
20:46 le 93, qui était à la base une gynécologue qui a commencé son travail auprès des femmes
20:51 en réparant les victimes d'excision, et moi qui m'avais reçue à titre personnel,
20:57 quand j'étais totalement paumée, et qui m'a dit que quelque part, je n'avais pas
21:02 tellement le choix. En fait, j'avais tellement une tronche qu'on n'attendait pas pour
21:08 avoir ce discours, que si je pouvais donner quelques années, ce serait pas mal. Donc,
21:15 voilà, effectivement, j'ai un nombre de femmes qui m'écrivent, qui me fait moi-même
21:21 halluciner, des femmes qui n'osaient pas dire que c'était ce qu'elles avaient vécu,
21:25 mais aussi des hommes qui souffrent parce que leur maman a vécu ça, et que finalement,
21:31 je mets aussi des mots sur une souffrance. Des hommes qui sont aussi maltraités. De
21:38 ce que j'observe, moi, c'est plus souvent des hommes qui sont dans des relations homosexuelles,
21:45 mais il y en a aussi dans des relations hétérosexuelles. C'est juste que de ce que j'observe, il
21:50 y en a moins vers moi qui viennent, mais je n'ai pas les statistiques exactes. En réalité,
21:54 il se trouve que la violence, elle naît des schémas de domination. Elle naît des relations
22:00 asymétriques. Qu'on est dans une société où on éduque les petits garçons à être
22:05 des hommes forts, et du coup, qui savent bien faire la bagarre, et les filles à être
22:09 bien gentilles et bien jolies. Voilà, c'est comme ça qu'on continue de nous éduquer.
22:13 Donc, nécessairement, dans les couples hétérosexuels, on pâtit de ces schémas. Mais ça ne veut
22:18 pas dire qu'ils n'existent pas ailleurs.
22:19 C'est vraiment un documentaire à regarder, qu'on soit victime de violence ou pas, pour
22:25 éventuellement aussi pouvoir détecter chez une collègue, chez une amie, chez une connaissance,
22:30 une voisine, un mal-être et peut-être des violences subies dans son foyer. Merci infiniment
22:36 pour ce documentaire et d'être venue.
22:38 Merci à vous, vraiment.

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