• il y a 3 mois
Reporter de guerre depuis plus de 30 ans pour France 2, la journaliste publie « Maman s’en va-t-en guerre » pour expliquer à ses enfants son besoin viscéral de partir couvrir des conflits

Category

🗞
News
Transcription
00:00Bonjour Céline Bari d'Harcourt. Bonjour Adrien. Votre invitée aujourd'hui parcourt le monde depuis plus de 30 ans, elle est grand reporter à France 2
00:06et elle raconte ses souvenirs de terrain dans son nouveau livre « Maman s'en va en guerre » aux éditions du Rocher.
00:11Bonjour Dorothée O'Leary. Bonjour. Bosnie, Tchétchénie, Rwanda, Afghanistan, Kosovo, Ukraine, Irak, ça fait des années qu'on vous voit nous raconter la guerre
00:19et voilà que vous avez décidé de nous raconter votre histoire de journaliste, de maman, de compagne.
00:24Mais c'est surtout à vos deux enfants que vous vous adressez, Félix et Castille, 22 et 20 ans,
00:29pour qu'ils comprennent pourquoi vous avez dû si souvent les laisser avec leur papa, pourquoi vous avez ce besoin d'aller sur des terrains dangereux.
00:35Que vous ont-ils dit à la lecture de ce livre ?
00:37Alors ma fille vient de le terminer. Je pense que ça a été un grand moment d'émotion pour elle.
00:42Elle a découvert vraiment des passages que je ne racontais pas en revenant de reportage.
00:46Pour vous donner un exemple, quand ça se passe mal sur le terrain, je reviens, je dis « oui, on a été arrêtés, ils n'étaient pas très sympas »
00:52mais en fait c'était un simulacre d'exécution. Donc là, elle a découvert, elle me dit « maman, ce n'était pas une arrestation ».
00:58Mais au moins, elle comprend, elle met des mots et j'ai toujours minimisé les risques quand ils étaient petits, évidemment.
01:04Donc là, ils découvrent la réalité des faits.
01:07Elle vous a écrit, votre fille, une magnifique lettre que vous publiez à la fin de votre livre qui est très touchante.
01:11Elle dit toute sa fierté d'avoir une maman comme vous.
01:13J'avais envie de savoir justement comment ils avaient vécu ça. Parce que moi, la guerre, je ne la rapporte pas à la maison.
01:18Donc on n'en parle pas tous les jours, je ne veux pas plomber l'ambiance.
01:21La vie continue, c'est à moi de revenir dans cette vie ordinaire.
01:25Et effectivement, elle me dit qu'elle est fière de moi, ce que je ne savais pas.
01:28Et surtout qu'elle espère avoir trouvé un métier passion comme le mien.
01:33Elle dit « ça n'a pas de prix ».
01:34Vos enfants ne vous ont jamais reproché de partir en reportage ?
01:37Eh bien non, justement. J'ai toujours fait en sorte que les départs soient gais, soient légers, les retours aussi.
01:43Et puis c'est une organisation de mère, de s'occuper, de garder ce contact en permanence.
01:50Et puis qu'ils sont petits, ils m'ont vu partir avec le gilet pare-balles, avec le casque lourd.
01:55Donc de temps en temps, je leur faisais essayer, ça les faisait rigoler en fait.
01:58Mais justement, vous partiez alors qu'ils étaient encore bébés.
02:00Vous ne vous êtes jamais dit « maintenant que je suis maman, je ne vais plus prendre autant de risques ».
02:04Bien sûr qu'il y a des moments où on doute, où on vacille. Il y a la culpabilité.
02:09C'est vrai qu'à la fin de mon projet de maternité, mon fils avait deux mois et demi.
02:13Et on m'a demandé d'aller en Afghanistan. Or l'Afghanistan, je suis ça depuis toujours.
02:17Donc c'était inimaginable de dire non.
02:19Donc à chaque fois, c'est une évidence, malgré des petits moments de doute.
02:22Mais c'est un métier de passion, c'est l'envie viscérale, le besoin d'être là où ça se passe.
02:28Est-ce que quand on a vu des horreurs dans un pays en guerre, au retour, on arrive facilement à reprendre une vie normale ?
02:33Un quotidien, une vie de famille ?
02:36Alors il faut, il faut. Je ne veux pas leur faire payer ce choix.
02:39Et puis je n'ai pas envie que cette noirceur que je vois sur le terrain déteigne sur moi.
02:44Alors je suis peut-être encore plus gai, peut-être encore plus...
02:48Je vois le beau côté des choses, je suis optimiste de nature.
02:52Il n'y a pas de traumatisme d'avoir vu tout ce que vous avez vu ?
02:54Alors si, bien sûr qu'à l'intérieur, il y a un diaporama qui n'est pas joli joli.
02:58Il y a la guerre dans ma tête, forcément.
03:00Ça ne disparaît pas.
03:02Mais je lutte contre ça pour être du beau côté de la vie.
03:06Et à l'inverse, Dorothée Oliéric, certains confrères qui vont couvrir des guerres,
03:10parfois disent qu'ils ont du mal à s'en passer.
03:12C'est dur de couvrir autre chose quand on couvre des guerres.
03:15Est-ce que ça a pu vous arriver de ressentir ça ?
03:17Alors c'est vrai qu'il peut y avoir une forme d'addiction.
03:19Mais il faut savoir qu'on n'est pas des têtes brûlées.
03:21L'adrénaline, ce n'est pas par plaisir.
03:24L'adrénaline, ça vous sauve quand vous êtes dans une situation dangereuse.
03:28Donc non, moi j'aime repasser d'une vie extraordinaire,
03:32c'est sûr, d'une vie un peu dingue, un peu folle, risquée,
03:36à une vie très ordinaire, familiale.
03:38J'étais la première à accompagner mes enfants sur toutes les sorties scolaires.
03:42Après, je ne vous cache pas, quand on passe de l'un à l'autre,
03:45il y a quelques jours où on est quand même un peu larguée et un peu ailleurs.
03:48On comprend dans votre livre que partir est toujours douloureux.
03:51Dans les deux sens, quitter sa famille, premier déchirement,
03:53puis quitter les gens que vous avez rencontrés sur le terrain.
03:56Là aussi, il y a la culpabilité de les laisser.
03:59Et en même temps, vous trépignez d'aller là où l'actualité se passe.
04:03En fait, on n'est jamais heureux quand on est reporter.
04:05On n'est jamais bien là où on est à ce moment-là.
04:08Si, heureusement, mais c'est vrai qu'on trépigne.
04:10Là, je serais bien au Liban quand même.
04:12Il se passe pas mal de choses.
04:13Et pourquoi vous n'y êtes pas ?
04:14Eh bien, parce que justement, je suis là pour parler de mon livre.
04:17C'est important aussi.
04:18C'est 30 ans de mon histoire qui n'est pas finie.
04:21Je repartirais après en Ukraine.
04:23Mais c'est des moments qu'on a envie de partager.
04:27Et on est quand même heureux sur le terrain et ici quand même.
04:32Être reporter de guerre, c'est une vocation depuis toute petite ?
04:35Vous vous dites, non seulement je veux être journaliste, je veux aller sur le terrain,
04:38mais je veux couvrir des conflits ?
04:39Oui, depuis l'âge… Ma meilleure amie, son papa était journaliste.
04:44Donc, c'est grâce à elle que je suis arrivée au journalisme.
04:48Et après, je suis partie au Chili.
04:50J'ai fait une interview de Pinochet.
04:51Quand j'étais toute jeune, je n'étais pas encore journaliste.
04:53Mais je suis allée au culot.
04:55Et après, quand je suis arrivée à France 2 en stage, au bout de deux ans,
05:00donc à 25 ans, je suis allée voir la directrice de l'Info
05:02en disant que je voudrais vraiment rejoindre le service de politique internationale.
05:06Elle est bien jeune pour y aller.
05:09J'y suis allée et j'y suis restée.
05:11Ça fait plus de 30 ans, donc à 25 ans, j'étais déjà sur les terrains de guerre.
05:15Au début de votre carrière, il n'y avait peu de femmes.
05:17Grand reporter.
05:18Aujourd'hui, non seulement ça s'équilibre, mais peut-être même qu'il y a plus de femmes.
05:22Vous avez remarqué.
05:23Oui, c'est le cas.
05:24Ce n'est pas juste une impression.
05:26Est-ce que vous avez une fierté d'avoir ouvert la voie ?
05:28Alors, je pense que celles qui ont ouvert la voie, c'est Marine Jacquemin sur TF1,
05:32c'est Martine Larojoubert chez nous.
05:34Moi, je suis arrivée, ça n'a pas été difficile.
05:36Il n'y avait pas énormément de femmes.
05:37Mais finalement, le plus dur a été fait par la génération d'avant.
05:41Et aujourd'hui, il y a plus de femmes dans les écoles de journalisme.
05:44Il y a plus de femmes, donc, aujourd'hui aussi, sur le terrain.
05:47Il y a une solidarité entre femmes reporters de guerre ?
05:50Je pense qu'il y a une solidarité entre reporters de guerre.
05:53C'est-à-dire que vraiment, que ce soit TF1, France 2,
05:55quand on est sur le terrain, on se partage les informations sur la sécurité.
05:58Il en va de la vie des uns et des autres, oui.
06:01Mais pas plus entre femmes ?
06:02Pas plus entre femmes, non.
06:03Vous avez longtemps travaillé, alors, justement.
06:05Voilà, bonne transition avec Agnès Varamian, autre grande reporter de guerre.
06:09Je ne vous apprends pas qu'elle est la nouvelle directrice de notre radio de France Info.
06:13Et vous avez bien de la chance.
06:14Ah, voilà.
06:15C'est une ambition que vous avez, vous, pour la suite ?
06:18Diriger une rédaction, diriger un média ?
06:20Non, moi, je suis vraiment quelqu'un de terrain.
06:22Agnès a un parcours différent.
06:23Elle a commencé très jeune le terrain.
06:25On a commencé ensemble.
06:26Et elle a eu des responsabilités.
06:28Puis elle est revenue au terrain.
06:29Puis elle repart.
06:30Moi, je suis 100% sur le terrain.
06:33C'est une évidence.
06:34Je ne suis pas du tout faite pour le côté bureau, métro, boulot, dodo.
06:39Je trépigne.
06:40Et j'adore partir avec la même passion que quand j'avais 25 ans.
06:43Je voudrais que vous nous parliez d'une dernière anecdote que j'ai découverte dans votre livre.
06:47Vous êtes dans un SAS de Gérard De Villiers.
06:50Racontez-nous ça.
06:51J'ai rencontré Gérard De Villiers en Afrique, à Brazzaville, sur un moment de guérilla.
06:58On a sympathisé.
06:59Il n'y avait pas beaucoup de jeunes femmes.
07:01Il m'a dit « tu seras l'héroïne de mon prochain roman ».
07:03Je fais « oups ».
07:04Je n'avais jamais lu de SAS.
07:06Je lui ai dit que mon nom était d'origine irlandaise.
07:09Dorothy O'Leary devient l'héroïne qui rencontre le prince Malco et bien d'autres.
07:15Une des très nombreuses anecdotes, et celle-là très légère,
07:18parce qu'il y en a d'autres beaucoup plus difficiles, dans le livre de Dorothy.
07:21Merci beaucoup Dorothy O'Leary.
07:22Merci Céline.
07:23Votre livre « Maman s'en va tant guère, ma vie de grand reporter » est paru aux éditions du Rocher.
07:27Merci Céline Baydarcourt.

Recommandations