La chaîne publique propose ce soir la fiction "Droit de regard", suivie du documentaire "Les enfants d’Ullis" et du témoignage d’Anne-Sarah Kertudo, coscénariste du téléfilm inspiré de sa propre vie.
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00:00 France 2 propose une soirée consacrée au handicap visuel avec une fiction suivie d'un documentaire puis d'un débat.
00:06 Votre invité média Céline Baïdarkour est l'une des scénaristes du téléfilm qui sera diffusé à 21h10,
00:12 "Droit de regard", une histoire inspirée de sa propre expérience.
00:16 Bonjour Anne-Sarah Quertudo.
00:17 Bonjour.
00:18 Merci beaucoup d'être avec nous ce matin.
00:20 C'est effectivement votre vie à quelques détails près que vous racontez dans cette fiction.
00:24 L'histoire d'une jeune femme, mère de deux enfants, récemment séparée du papa, qui a un job qu'elle aime.
00:29 Et qui progressivement perd la vue à cause d'un glaucome.
00:33 On écoute d'abord un extrait, c'est le moment où l'ophtalmo lui annonce qu'il ne lui reste que quelques semaines avant qu'elle ne devienne totalement aveugle.
00:39 Comment est-ce que vous êtes venue ici ce matin ?
00:41 Je suis encore capable de rentrer chez moi.
00:43 Le déni, c'est tout à fait normal quand on vit une maladie aussi brutale que votre glaucome.
00:49 Mais vous ne pouvez plus vous limiter au chemin que vous connaissez par cœur ou aux situations que vous maîtrisez.
00:53 Alors je fais quoi ? J'arrête tout là, mes enfants, mon boulot, je laisse tomber ?
00:58 Au contraire, il faut vous préparer.
01:00 On savait que ce moment viendrait, madame Lippiès.
01:03 Vous avez contacté le centre de basse vision ?
01:05 Non.
01:07 Vous avez tort, c'est leur métier de vous accompagner.
01:10 M'accompagner vers quoi ?
01:12 Je sais que c'est dur à entendre, mais la vie qui vous attend n'est pas une vie au rabais.
01:17 C'est une vie différente.
01:19 Anne-Sarah Carthudo, même si on s'y prépare, même si on sait qu'on va perdre la vue, ça doit être très violent.
01:24 Qu'est-ce qu'on se dit à ce moment-là ?
01:26 On fait face, et puis surtout, ce n'est pas du tout ce qu'on pense.
01:33 Moi, je suis comme vous, je m'imaginais plein de trucs sur ce que c'est que de devenir aveugle,
01:38 et ça ne se passe pas du tout comme ça.
01:40 Et notamment, ce sont des questions très concrètes qu'on essaye de régler.
01:45 Lesquelles ?
01:46 Comment je vais aller acheter une boîte de sauce tomate ?
01:48 Comment je vais faire pour aider ma fille à faire ses devoirs ?
01:51 Hyper concrets, c'est vraiment ça.
01:54 Et puis, toutes ces grandes angoisses de "je ne vais plus voir mon visage, je ne vais plus voir la beauté du monde", etc.
01:59 Ça passe vraiment au second plan.
02:02 En fait, il faut recommencer à zéro, tout réapprendre à l'âge adulte.
02:07 Alors, recommencer à zéro, je ne sais pas, parce qu'on continue toujours la même vie, mais il faut se réinventer.
02:12 Et ça, c'est le côté très positif, en fait, on se réinvente.
02:17 Sur le film, on voit souvent, tous les films, enfin beaucoup de films qui tournent autour du handicap,
02:24 c'est souvent un peu dramatique, c'est souvent un peu triste.
02:27 Là, ce n'est pas ce qu'on a voulu faire.
02:28 On a voulu montrer que moi, je suis comme tout le monde, j'ai une vie avec plein de choses,
02:33 avec des moments positifs, des moments négatifs.
02:35 C'est une vie qui est aussi surtout très joyeuse.
02:38 Et ce côté "je suis obligée de me réinventer", c'est un truc auquel on est tous confrontés.
02:43 C'est un moment qui peut arriver à plein de personnes, et ça parle de ça.
02:46 Et ce qu'on voulait, ce n'était vraiment pas faire quelque chose de triste, de dramatique.
02:50 Et là-dessus, j'espère qu'on a réussi.
02:51 Vous avez totalement réussi, je vous le confirme.
02:53 Comment est née cette idée de fiction ?
02:55 Moi, j'avais fait un documentaire qui abordait la question des parents solos, aveugles,
03:01 parce que mon frère élevait seul son enfant, il est aveugle.
03:06 Et les questions qui étaient posées de comment il fait pour assurer sa sécurité,
03:10 comment il fait pour faire les courses, comment il fait les devoirs, etc.
03:13 Je me suis dit, il y a un vrai sujet là-dedans.
03:15 Donc j'en ai fait un documentaire.
03:17 Et puis Fabienne Servanche-Rébert, notre productrice, a vu ce documentaire
03:21 et elle a tout de suite dit qu'il faut en faire une fiction.
03:23 Parce qu'il y a un ressort de suspense, en fait.
03:27 Et puis humainement, c'est vraiment hyper riche.
03:32 Je me réinvente, je repars sur une nouvelle vie, avec tout plein de choses nouvelles.
03:37 C'était ça qu'on voulait montrer.
03:39 La déficience visuelle, ça touche 1 700 000 personnes en France.
03:44 Donc vous voulez montrer à travers cette fiction qu'il est possible d'élever ses enfants seuls,
03:49 malgré ce handicap.
03:51 Finalement, c'est un message d'espoir pour tous les parents qui sont dans cette situation.
03:54 Parce que vous dénoncez une présomption d'incapacité pour les parents non voyants.
03:59 On décrète qu'ils ne sont plus capables d'élever leurs enfants.
04:02 Oui, déjà, je voudrais qu'on repense un peu le vocabulaire.
04:06 Moi, je ne suis pas déficiente. Je ne suis pas déficiente visuelle.
04:09 Vous êtes ?
04:10 Je suis aveugle.
04:12 Je trouve que c'est compliqué de se définir comme déficient et de se dire que je suis tout à fait capable.
04:18 Donc il y a déjà tout un problème sur le vocabulaire.
04:21 Et ensuite, ce n'est pas propre au handicap visuel, c'est valable sur toutes les situations de handicap.
04:26 On a ce regard.
04:28 Et quand je dis "on", c'est tout le monde.
04:30 Moi aussi, parce qu'on a grandi comme ça, avec ces préjugés-là.
04:33 On a ces regards très négatifs.
04:35 C'est ça qu'on raconte dans le film.
04:37 C'est "regardons-nous en face".
04:39 Nous, on a ce regard-là sur les personnes en situation de handicap.
04:42 Tout le monde, nous tous.
04:44 Et ce n'est pas du tout accusateur.
04:45 C'est l'histoire de la France.
04:47 Et c'est ça qu'il faut faire changer aujourd'hui.
04:49 C'est ça qu'on veut faire bouger.
04:51 Et quand on a un handicap, c'est ce qu'on voit aussi dans le téléfilm, il faut être une mère parfaite.
04:54 On n'a pas le droit à l'erreur.
04:56 Oui, il y a une exigence, et notamment devant les tribunaux.
04:59 Effectivement, il faut tout prouver.
05:01 Tout est à interroger.
05:03 Est-ce que vous allez être capable de les amener à l'école ?
05:06 Effectivement.
05:08 Moi, je suis aussi fondatrice de l'association Droits Pluriels,
05:11 qui répond à toutes les personnes en situation de handicap sur leur droit.
05:14 Et on a des parents, effectivement, qui se retrouvent mis en accusation
05:18 tout simplement parce qu'ils se baladaient dans la rue avec leur enfant
05:21 et que quelqu'un voit cette personne aveugle avec sa canne,
05:25 et puis un enfant plus loin, et se dit "oh là là, l'enfant est en danger".
05:28 Ah ouais, pourquoi il est plus en danger là qu'avec un parent qui va être, je ne sais pas, alcoolique, violent, vous voyez ?
05:34 Bien sûr.
05:36 Le travail, ça aussi, c'est un autre sujet absolument essentiel.
05:39 Dans la fiction, Alexandra est en quelque sorte rétrogradée de son entreprise.
05:43 Il y a une double et donc même une triple peine.
05:45 Comment ça s'est passé pour vous à ce niveau-là, Anne-Sara ?
05:48 Alors moi, le travail, ça s'est extrêmement bien passé,
05:51 mais je ne représente pas toutes les situations.
05:54 Moi, j'ai eu énormément de chance parce que d'abord, je venais d'un milieu
05:58 socio-éducatif, culturel, etc. privilégié.
06:02 Donc j'avais déjà un bagage, j'ai eu la chance d'avoir une famille extraordinaire,
06:06 d'avoir des amis qui étaient là. Moi, j'ai eu tout pour moi, donc ça s'est très bien passé.
06:09 Sauf que vous vouliez être avocate, et que vous n'avez pas pu.
06:12 Oui, effectivement, parce que... parce que handicap.
06:15 Et alors, je ne vais pas vous raconter toute l'histoire,
06:19 parce qu'elle est dans un livre que j'ai écrit,
06:23 qui s'appelle "Est-ce qu'on entend la mer à Paris ?"
06:25 ou qu'il y a dans un autre livre qui s'appelle "Anne-Sara K",
06:28 dont l'auteur est Mathieu Simonnet,
06:30 qui est mon meilleur ami, et qui a fait effectivement un procès à l'université
06:34 parce que c'était étrange que je me sois comme ça,
06:38 plantée à multiples reprises au concours d'avocat.
06:41 Et finalement, à l'issue de ce procès, il a montré qu'il y avait eu une discrimination.
06:44 Effectivement, je n'avais pas été traitée comme les autres.
06:47 Il y avait un "H" en fait sur vos copies, "H" comme "handicap".
06:50 Oui, et ma copie avait été mise à part, en fait.
06:53 Un dernier mot, Anne-Sara K, sur la comédienne qui joue le rôle principal,
06:58 Camille Goudot, elle est formidable, elle est non-voyante elle-même.
07:01 Ça, c'était une condition sine qua non. Elle est aveugle, pardon.
07:05 Excusez-moi, je reprends le terme que vous vouliez.
07:07 Alors, pardon, je vais vous embêter, mais elle n'est pas aveugle.
07:09 Elle, elle est malvoyante.
07:11 Malvoyante, ce n'est pas aveugle, c'est elle voit.
07:14 Et par contre, dans la vie, effectivement, elle est malvoyante.
07:18 Et elle est surtout comédienne, et vous avez raison, elle est extraordinaire.
07:22 Et c'était important qu'elle soit malvoyante
07:25 parce qu'on ne s'invente pas en situation de handicap.
07:28 C'est vraiment comme si vous voulez, vous avez un personnage noir,
07:31 pourquoi vous n'allez pas prendre un blanc et le peindre en noir ?
07:34 Vous avez une femme, vous n'allez pas prendre un homme
07:36 et lui mettre une perruque avec les cheveux longs, vous voyez ?
07:38 Donc c'est le même sujet, en fait, sur une personne en situation de handicap.
07:41 Vous avez un personnage qui est aveugle, il faut prendre quelque chose,
07:44 enfin un personnage, un comédien, une comédienne en l'occurrence,
07:47 qui connaît ça dans son corps.
07:49 Merci beaucoup d'être venue nous parler de cette grande soirée
07:52 dont vous nous donnez les détails.
07:55 - Je vous invite à suivre cette soirée sur France 2,
07:59 la fiction droit de regard à 21h10,
08:02 suivie du documentaire "L'Odyssée des enfants d'Ulysse"
08:04 et d'un débat animé par Marie Drucker.
08:07 Merci à toutes les deux.