Dorothée Olliéric est grand reporter à France Telévisions. En 30 ans, elle a couvert tous les conflits partout sur la planète, de la Tchétchénie à l’Irak en passant par l’Afghanistan et l’Ukraine. Dans sa vie privée, elle est maman de deux grands enfants, Félix et Castille, aujourd’hui âgés de 22 ans et 20 ans. Elle vient de publier un livre intitulé « Maman s’en va-t-en guerre. Ma vie de grand reporter », aux éditions du Rocher. Sur le plateau de Télématin, elle explique qu’elle a écrit ce livre pour ses enfants, car dit-elle, elle leur « devait une explication ». « Pourquoi leur maman a risqué sa vie depuis si longtemps, de si nombreuses fois. Parce qu’à chaque fois qu’on met un pied sur un terrain de guerre, il ne faut pas se le cacher, il y a des dangers vraiment très importants », a poursuivi l’invitée. Dorothée Olliéric évoque un « métier passion ».
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00:00Les grands reporters à France Télévisions, et en 30 ans, elle a couvert absolument tous les conflits partout sur la planète,
00:06de la Tchétchénie à l'Irak, en passant par l'Afghanistan et l'Ukraine. Dorothée O'Leary, bonjour !
00:11Bonjour Dorothée, vous avez le micro juste devant vous.
00:13Vous êtes aussi maman, maman de deux grands enfants aujourd'hui, Félix et Castille, 22 et 20 ans,
00:20et vous publiez ce livre « Maman s'en va en guerre, ma vie de grand reporter », c'est aux éditions du Rocher.
00:25D'abord, pourquoi ce livre ?
00:27Écoutez, ça fait 30 ans que je suis sur des terrains de guerre, vous venez de le dire,
00:30et ça fait 20 ans que mes enfants me voient partir risquer ma vie sur tous les théâtres de guerre.
00:36Donc je leur devais peut-être quand même une explication,
00:38pourquoi leur maman a risqué sa vie depuis si longtemps, de si nombreuses fois,
00:43parce qu'à chaque fois qu'on met le pied sur un terrain de guerre, il ne faut pas se le cacher,
00:46il y a des dangers vraiment très très importants.
00:49Donc voilà, j'ai voulu un peu m'expliquer pour qu'ils comprennent que c'est un métier de passion,
00:53et qu'ils se disent « elle est partie, elle a pris des risques »,
00:56mais aujourd'hui ils comprennent ce que c'est,
00:59et ma fille rêve de faire un métier qui la passionne autant,
01:02donc j'espère qu'ils me comprendront, j'espère qu'ils me pardonneront,
01:05mais non, mais non, même pas !
01:06Donc déjà ils acceptent, c'est pas si mal, mais je n'ai pas donné la vocation,
01:10non non, ils ne veulent surtout pas faire ça.
01:11Alors vous avez dit que c'est un métier de passion, c'est un métier nécessaire,
01:15il faut informer, il faut être sur le terrain pour expliquer ce qui se passe, témoigner réellement.
01:22Mais quand vous partiez de la maison, quand vos enfants étaient petits,
01:26parce qu'aujourd'hui ils comprennent votre métier,
01:28qu'est-ce qui se passait dans votre tête ?
01:30En fait, le plus difficile, c'est le moment, la veille du départ, le moment du départ.
01:35A chaque fois, depuis qu'ils sont tout petits,
01:37je les regarde dans les yeux, et je leur dis « maman t'aime »,
01:40parce que je me dis « et si je ne revenais pas ? »
01:42Et à chaque fois je me dis ça, à chaque fois, aujourd'hui encore,
01:45quand je pars en Ukraine, je leur dis plus « maman t'aime »,
01:47je leur dis « je t'aime mon chéri, je t'aime ma chérie »,
01:50mais je suis là et je me dis « si je ne revenais pas, il faut qu'ils aient en souvenir ce dernier regard, ce dernier mot ».
01:56Alors je ne vous cache pas que dans l'ascenseur, je ne suis pas toujours fière,
01:59c'est-à-dire que c'est assez bouleversant et j'ai des larmes qui coulent,
02:02mais après, je chasse les idées noires et tout va bien.
02:06C'est votre devoir en fait, qui prend le dessus ?
02:09C'est plus qu'un devoir, c'est que je suis contente de le faire, je suis volontaire.
02:13J'aime, j'aime être dans les pays en guerre, j'aime pas la guerre,
02:17mais c'est tellement extraordinaire ce qu'on vit, les relations, les rencontres.
02:22Là c'est Olga, une artilleuse extraordinaire, maman d'un petit garçon de 6 ans,
02:27et elle me dit, son fils lui dit « bon maman, vas-y, va te battre,
02:30comme ça tu reviendras plus vite à la maison quand vous aurez gagné ».
02:33C'est bouleversant.
02:34Dorothée, vous avez échappé à la mort plus d'une fois,
02:36est-ce qu'il y a une fois précisément où vous vous êtes dit « cette fois c'est fini, je ne reverrai peut-être plus mes enfants » ?
02:43Alors oui, c'était le 17 août 2013 en Égypte, je ne vous raconte pas les détails,
02:48mais je me retrouve avec mon équipe, avec Stéphane, Arnaud et Rym,
02:51l'interprète face à un mur, les yeux bandés, et là ils chargent leurs armes.
02:56Donc là je me dis dans 30 secondes c'est fini.
02:59Et c'est un moment difficile, je pense bien évidemment à mes enfants,
03:02et je me dis j'ai fait ce métier plus de 20 ans, je l'ai aimé passionnément.
03:05Donc quelque part je ne regrette rien, mais je me dis ça se termine mal.
03:08Après je me dis tant qu'à mourir, autant mourir dignement.
03:11Et je me dis c'est pas grave c'est entre toi et toi.
03:13Et là je me dis, et mince c'est la rentrée scolaire, mon fils rentre en 6ème,
03:17et je visualise tout simplement la liste des fournitures scolaires.
03:20Et je me dis mais jamais mon homme va réussir à acheter les bons cahiers.
03:24Et tout ça en une minute face au mur, les yeux bandés.
03:27Voilà, c'est mon équipe, Arnaud Gidon, Stéphane Guillemot,
03:30et on était tous les trois face au mur.
03:32Dieu merci ils ne l'ont pas tiré.
03:34La journée a été compliquée, on nous a accusé d'espionnage,
03:37mais on est encore là et on fait encore le job qu'on aime.
03:40C'est des moments incroyables j'imagine, terrifiants.
03:44Et à la fois il y a des moments de légèreté sur les départs en mission
03:50avec votre équipe et les rencontres que vous pouvez faire.
03:53Qui est-ce que vous avez rencontré,
03:55qu'est-ce qui vous a marqué le plus dans ces années de travail ?
03:58Alors beaucoup de rencontres.
04:00Alors déjà il y a beaucoup de rire, parce qu'il faut décompresser,
04:03parce que voilà, même après cette journée terrible,
04:06ce simulacre d'exécution, mais qu'est-ce qu'on s'est marré.
04:09Et alors il y a des rencontres avec les gens qu'on interview.
04:12Alors j'ai eu la chance par exemple de rencontrer Nelson Mandela.
04:15J'avais 27 ans, j'ai passé une demi-heure en tête à tête avec Mandela,
04:18qui était un amour.
04:20À un moment je parlais anglais, j'étais tellement impressionnée de le voir,
04:23que j'en bafouille, et puis ma dernière question, il ne comprend rien.
04:26Donc il est là, il me regarde, il a l'air de dire
04:28mais qu'est-ce qu'elle veut dire cette jeune fille ?
04:30Et je deviens toute rouge, et il me dit
04:32« Sorry, I didn't get your question, je n'ai pas compris votre question. »
04:35Et là je prends mes notes et je le lis.
04:37Et vraiment des moments comme ça, c'est absolument magique.
04:39Mais j'ai rencontré Poutine aussi, c'était pas magique du tout,
04:42c'était très impressionnant, avec un regard glacial.
04:45Et puis il y a toutes ces rencontres qu'on ne voit pas dans les reportages
04:48et qu'on garde vraiment au fond du cœur.
04:50Je reviens à votre relation avec votre mari,
04:53qui a permis aussi que vous puissiez partir à l'étranger.
04:56Il a permis, je ne lui demande pas l'autorisation.
04:59Ce n'est pas ce que je voulais dire, mais disons qu'il faut aussi...
05:02L'assurer.
05:04L'assurer à la maison avec les enfants.
05:06C'est en cela qu'il a permis que vous puissiez pratiquer votre métier.
05:10Et il y a des moments de légèreté avec vos enfants aussi,
05:13notamment quand vous leur faites par exemple réciter les poésies
05:16ou les tables de multiplication, alors que vous, vous êtes sur la ligne de front.
05:19Alors, disons que je suis sur un terrain, la ligne de front n'est pas loin,
05:22mais c'est un moment calme, sinon je ferais autre chose que les appeler.
05:25Mais voilà, tout change, j'appelle et ma fille me dit
05:29« Oui, j'ai une poésie pour demain, vas-y, tu veux me la réciter ? »
05:32Voilà, on les voit, ils sont trop mignons.
05:34Ils sont jolis, magnifiques.
05:36Et donc, au téléphone, elle commence à me réciter sa recitation.
05:40Et puis à ce moment-là, j'entends un tir d'obus,
05:42qui n'est pas à 10 mètres, mais qui est à 100 mètres, à 200 mètres.
05:45Et je couvre le téléphone pour ne pas qu'ils entendent.
05:47Et je dis « Excuse-moi ma chérie, je n'ai pas entendu, est-ce que tu peux recommencer ? »
05:50Elle me fait « Non maman, j'en ai marre, je te l'ai déjà récité, donc ça suffit. »
05:54Je dis « Ok, ce n'est pas grave, ça va aller comme ça. »
05:56Et ça fout l'étape de multiplication.
05:58Mais en fait, ils n'ont pas choisi mon métier, ils n'ont pas choisi.
06:01Je n'amène pas la guerre à la maison.
06:03C'est à moi d'être dans l'ambiance de la maison, dans le quotidien.
06:08Vous étiez reporter de guerre avant de devenir maman, il me semble.
06:13Est-ce qu'il y a des moments où on se dit « C'est trop, il faut que j'arrête. »
06:17La coupabilité, nous les femmes, on est des expertes en coupabilité, je crois, parfois.
06:22Il y a évidemment beaucoup de culpabilité, encore aujourd'hui, encore plus quand ils étaient petits.
06:28Parfois, l'entourage ne comprend pas « Pourquoi tu pars alors que tes enfants sont tout petits ? »
06:32Moi, ce que je veux dire, c'est que je ne suis pas une mauvaise mère, au contraire.
06:35Je pense que leur avoir appris la passion, le courage de dépasser l'ouverture au monde,
06:42l'ouverture aux autres, et puis être très présente quand je reviens.
06:45Moi, j'estime que je suis même une meilleure mère de part de ce métier.
06:48Et le message, c'est aussi de dire à toutes les mamans, et surtout aujourd'hui,
06:52si vous avez la chance de faire un métier que vous aimez, n'arrêtez pas quand vous avez des enfants.
06:57Vous pouvez vous organiser, vous allez leur apporter beaucoup d'amour.
07:00Moi, dans le livre, ma fille m'écrit une lettre bouleversante,
07:03parce que je lui ai dit « Dis-moi ce que tu as pensé de toutes ces années où je suis partie. »
07:07Et en fait, non seulement elle me pardonne, mais elle me comprend.
07:10Je crois que ce témoignage, ce matin, donne envie de vous lire.
07:13« Maman s'en va tant guère », Dorothée Olieric, c'était votre témoignage ce matin.
07:17On va faire une courte pause.
07:19Merci Dorothée.
07:20Merci à vous.
07:21On se retrouve.
07:22A tout de suite.