La réduction des déficits publics doit-elle être la priorité du budget 2025 ?

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Aurélie Trouvé, députée LFI-NUPES de Seine-Saint-Denis, enseignante chercheuse en économie, et Jean-Marc Daniel, économiste, professeur émérite à la ESCP Business School, débattent à 9h10.

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00:00« Budget à un Premier ministre d'urgence ! » titre ce matin le quotidien L'Opinion avec pour sous-titre
00:09Tic-tac, tic-tac. Et c'est vrai qu'on a eu un peu tendance à l'oublier cette semaine, mais derrière la crise politique,
00:16il y a une autre bataille qui se joue, tout aussi âpre et difficile, celle de l'économie et du budget 2025
00:24qui doit être adoptée dans les prochaines semaines. Et on se demande bien comment, dans une situation très tendue
00:31pour les finances publiques, la réduction des déficits doit-elle être la priorité du prochain budget ?
00:37C'est la question qu'on va poser à nos invités ce matin. Aurélie Trouvé, députée LFI-NFP,
00:44membre de la Commission économique de l'Assemblée nationale, enseignante chercheuse en économie,
00:50et Jean-Marc Daniel, économiste, professeur émérite à l'ESCP Business School.
00:56Et bonjour à tous les deux, merci d'être là ce matin. On rappelle que le déficit de la France s'élevait en 2023 à 5,5% du PIB
01:13et la dette à plus de 3000 milliards d'euros. Rappelons aussi que la Commission européenne a lancé une procédure
01:18pour déficit public excessif, ciblant la France avec six autres Etats membres. Dans ce contexte, le budget 2025
01:25doit-il être préparé, pensé, pour revenir dans les clous, ou au moins pour essayer de continuer ce déficit public ?
01:33Ou vous dites tout simplement que ce n'est pas l'urgence ? Aurélie Trouvé ?
01:37Déjà, si je peux me permettre de faire la transition avec Philippe Catherine, j'ai envie de dire ne soyons pas austères.
01:44Quel est le problème là ? C'est que les perspectives budgétaires qui sont annoncées, d'abord c'est illégitime, c'est fait par un gouvernement
01:52démissionnaire illégitime et avec un programme économique qu'ont rejeté les Françaises et les Français pendant les hautes élections législatives.
02:00Donc illégitimité, mais surtout c'est profondément inefficace en fait. Parce que cette austérité budgétaire,
02:07elle ne va pas forcément régler les comptes publics. Je rappelle que cette politique a abouti à un déficit public de 5,5% pour de très mauvaises raisons.
02:19En réalité, le problème, c'est le manque de recettes publiques. On a 60 milliards de moins qui rentrent chaque année dans les caisses,
02:27essentiellement au service des riches et des multinationales. C'est tous les cadeaux fiscaux qu'a fait Emmanuel Macron à ses riches et ses multinationales.
02:34Or, il ne propose absolument pas d'aller récupérer cet argent qui manque aujourd'hui dans les comptes pour les hôpitaux, les écoles publiques, etc.
02:42Pas d'austérité dites-vous ce matin Aurélie Trouvé. Jean-Marc Daniel, vous n'êtes pas d'accord.
02:47Non, je pense qu'il faut faire de l'austérité. D'ailleurs ce que vient de dire Aurélie, c'est qu'il faut augmenter les impôts. C'est une forme d'austérité d'augmenter les impôts.
02:53C'est de chercher à réduire le déficit budgétaire. Donc ce qu'elle propose, c'est d'augmenter les impôts. Je signale que parmi les cadeaux qui sont faits,
03:00alors je ne sais pas ce que c'est que des cadeaux en termes de fiscalité, mais je signale quand même que les 3100 milliards de dettes en face,
03:08vous avez 2500 milliards d'euros qui ont été versés sous forme d'intérêts. C'est-à-dire que cette dette réalise un mécanisme de transfert de la fiscalité, de l'argent,
03:17de la production vers les gens qui ont souscrit les emprunts. Et donc plus on maintient cette situation de déficit budgétaire, plus on maintient ce mécanisme
03:25de transfert de l'impôt et de la création de richesses vers les gens qui sont les détenteurs de titres publics qui sont en partie en plus des fonds de placement étrangers.
03:34Donc je pense qu'il y a une nécessité à reprendre en main nos finances publiques pour des raisons simplement d'organisation économique.
03:41Et puis il y a une deuxième nécessité, vous l'avez dit, nous sommes un des pays qui est en procédure de déficit excessif auprès de l'Union Européenne.
03:48Il y a deux pays qui sont en ce moment montrés du doigt par le FMI qui sont le Royaume-Uni et la France pour leur déficit.
03:54Le Royaume-Uni a vécu avec l'Istrus la preuve que si on va trop loin, on perd sa souveraineté.
03:59Pourquoi est-ce que nous n'avons pas été exactement dans la même situation ? Parce que l'Union Européenne et notamment les règles de la zone euro nous préservent de la situation de l'Istrus.
04:08Mais potentiellement nous sommes dans le même cas que l'Istrus et que le Royaume-Uni.
04:12Gabriel Attal a dévoilé la semaine dernière des lettres plafond. Il les a envoyées pour un budget similaire à 2024.
04:19Vous en disiez un mot qui prévoit 10 milliards d'économies. Est-ce suffisant 10 milliards Jean-Marc Daniel ?
04:24Alors écoutez, ça dépend comment on évalue les enjeux. Ce qu'on appelle le déficit structurel, ce qui devrait être égal à zéro d'après les traités que nous avons signés, c'est 110 milliards.
04:34C'est d'ailleurs ce que confirme le FMI, ce qu'avait mis en avant Olivier Blanchard, ce qu'avait mis en avant le CAE ou le CEPRIMAM.
04:41Il est évident qu'on ne va pas réduire de 110 milliards brutalement le déficit budgétaire aujourd'hui.
04:46Il était quand même l'année dernière de 155 milliards avec une dépense publique qui a dépassé de 2 points de PIB celle de 2019.
04:54C'est-à-dire que la dépense publique continue à augmenter, donc on est en train de se demander est-ce que les services rendus continuent à augmenter ? La réponse est non.
05:00Donc il y a une réflexion à mener. L'enjeu c'est de combien il faut baisser le déficit budgétaire. Là aussi on peut se caler sur les traités européens.
05:09On est supposé de réduire notre déficit structurel de 0,5 points de PIB au minimum, c'est-à-dire d'environ 15 à 20 milliards. C'est ça l'effort qui doit être fait.
05:18Dernier élément, les lettres plafond qui ont été envoyées par ce gouvernement jugés illégitimes.
05:24La députée juge qu'il est illégitime, moi je ne rentrerai pas dans ce débat.
05:29Les lettres plafond maintiennent le montant du budget à ce qu'il était l'année précédente.
05:35Quand vous regardez les recommandations qui avaient été faites par Michel Pébereau il y a 15 ans sur comment contenir la dette publique, il recommandait d'utiliser cette technique.
05:48Donc d'une certaine façon c'est un peu une mesure de préservation allant dans le sens d'une austérité relativement modérée.
05:56Aurélie Trouvé.
05:57Le problème, je le disais, de ces lettres plafond c'est en fait que ça dit quoi ?
06:02Ça dit que Macron veut continuer cette politique qu'il a menée depuis 7 ans.
06:06Je le dis, c'est une économie du désastre en réalité.
06:09On a des salaires réels qui ont diminué sur 3 ans, on a aussi une croissance en Berne, des gains de productivité en Berne, y compris si on prend les objectifs qu'il a lui-même fixés si vous voulez.
06:19On a un retard technologique, un décrochage technologique je pense par rapport aux Etats-Unis par exemple parce qu'on a un défaut d'investissement public.
06:27On a quand même encore un chômage de masse à plus de 7% et donc il faut rompre avec cette politique.
06:33Je vais laisser Jean-Marc Daniel mais je ne suis pas là pour défendre Emmanuel Macron mais vous dites qu'en gros c'est une catastrophe atomique.
06:40Il a quand même réduit le chômage.
06:43Vous reconnaissez quand même qu'il y a eu 2 millions de chômeurs en moins qui ont trouvé un travail en 7 ans ?
06:50Vous reconnaissez quand même que le déficit c'est aussi en partie à cause du Covid ?
06:55Il y a des circonstances atténuantes ou non ? Tout est atomique ?
07:00Je pense que c'est atomique parce que le déficit, si on prend hors temps de crise, c'est ça qui est important.
07:05On n'a jamais eu un déficit public aussi important.
07:08Sur le plan de l'emploi, on a toujours un chômage de masse mais surtout avec une dégradation de l'emploi.
07:14On a par exemple une smicardisation de la France, on est passé de 11 à 17% des salariés au smic et une augmentation des inégalités.
07:23Mais il y a eu moins de chômeurs qu'il y a 5 ans.
07:26Il faut faire très attention parce qu'en même temps on a une augmentation de ce qu'on appelle le halo du chômage,
07:30c'est-à-dire plein de gens qui ont décroché de l'inscription à Pôle emploi, qui ne comptent plus dans les comptes des chômeurs.
07:36Je voudrais venir à ce que nous proposons, le nouveau Front populaire, qui est une véritable rupture pour le coup,
07:43c'est de reprendre les 3 grandes fonctions de l'impôt.
07:451. La redistribution des richesses. Pas vers les riches et les multinationales comme l'a fait Macron, mais à l'inverse,
07:50pour redistribuer vers les ménages, les classes moyennes et les classes précaires.
07:55Nous proposons de diminuer l'impôt pour 90% des Français, mais c'est vrai de l'augmenter pour les 10% les plus riches
08:01et surtout les 1% ou les 0,1% des ultra-riches, et surtout de relancer par ce biais aussi et par l'augmentation des salaires
08:09la demande populaire, une politique de la demande, et en même temps une politique de l'offre,
08:13puisque nous proposons aussi de réinvestir dans des secteurs d'avenir de l'écologie.
08:17Je finirai là-dessus, parce que vous avez le rapport Pisani-Maffouz qui dit qu'il faut 30 milliards de dépenses publiques en plus
08:25dans la bifurcation écologique. Nous, nous proposons de les mettre.
08:28Jean-Marc Daniel, ces propositions que vient d'écrire Aurélie Trouvé, vous les trouvez comment ?
08:35Je suis assez surpris de ces propositions. D'abord sur le terme d'augmenter les impôts, effectivement.
08:39Moi, ce qui me frappe, c'est que le bloc du nouveau Front populaire, qui met au centre l'écologie, ne parle pas de taxe carbone.
08:46Il y a un impôt qui est un impôt qu'on pourrait, à mon avis, légitimer.
08:49Il a fait plus de 40 degrés dans la vallée de la Garonne et la vallée du Rhône cet été.
08:53On peut considérer que la population prend conscience qu'il y a un vrai problème.
08:56Il y a un outil qui est un outil qui pourrait constituer un élément de réflexion sur la fiscalité.
09:01Personne n'en parle et le nouveau Front populaire, qui n'arrête pas de dire qu'il est écologiste,
09:05n'évoque même pas le sujet alors qu'il y a des écologistes dans son sein.
09:08La deuxième remarque que je ferais, c'est concernant la transition écologique, l'intervention de l'État dans la mutation économique.
09:16On met souvent en avant, par exemple, l'exemple de l'Ira, or américain, en disant qu'il faut qu'on fasse la même chose.
09:22Remplons l'investissement de Joe Biden.
09:25Je suis contente que vous en parliez.
09:26Justement, le bilan vient d'être fait par l'Office budgétaire américain.
09:29Ce qu'il constate, c'est que 80% des crédits qui ont été dépensés, n'ont pas été dépensés comme ils auraient dû l'être,
09:36que l'État américain va être obligé de revenir sur ça,
09:39que l'efficacité de l'opération a été extrêmement faible par rapport aux attentes qui avaient été affichées.
09:44Et donc, il est probable que ce n'était pas la bonne mesure qu'il fallait prendre,
09:48c'est-à-dire considérer que systématiquement, essayer de dépenser de l'argent public et de l'utiliser par de l'argent public,
09:55les entreprises n'étaient pas la bonne solution.
09:57La dernière remarque que je ferais sur la smicardisation, sur ce que vous disiez,
10:01effectivement, il y a un bilan en termes d'emploi qui est un bilan assez largement positif pour Emmanuel Macron.
10:06Quant à la smicardisation, ça veut dire que les bas salaires ont été préservés dans leur pouvoir d'achat,
10:11les gens ont été rattrapés par le smicardisation.
10:13Vous dites qu'on est un pays qui a un pouvoir d'achat excessif ?
10:15Absolument, je dis que c'est un pays qui a un pouvoir d'achat excessif.
10:18Ça peut faire sursauter les gens ?
10:20Oui, mais c'est un pays qui globalement dépense plus qu'il ne gagne, c'est-à-dire qu'il y a un déficit extérieur considérable.
10:25Et la conséquence de ce déficit extérieur considérable, c'est que pour faire les fins de mois du pays,
10:30et pas uniquement de l'État, on est obligé de vendre notre patrimoine.
10:33Et là aussi, je suis assez frappé que tout un tas de gens qui parlent de souveraineté
10:37ne voient pas que parce qu'on vit au-dessus de nos moyens,
10:39parce qu'on distribue trop de revenus par rapport à la réalité de la production,
10:43le véritable enjeu, c'est la croissance, c'est la capacité à produire.
10:46On a parlé de productivité, mais la productivité, si elle n'est pas au rendez-vous,
10:50il faut le compenser par davantage de travail.
10:52Et donc, on vit au-dessus de notre capacité de production.
10:55Aurélie Trouvé, il y a plusieurs points.
10:57Le plan Biden, le pouvoir d'achat qui serait excessif, comme dit Jean-Marc Daniel.
11:03Et l'écologie.
11:05Et la taxe carbone.
11:08D'abord, un sur le pouvoir d'achat.
11:10On est passé, en 7 ans de présidence Macron, de 6 à 11 millions de personnes,
11:1511 millions de personnes, 1 personne sur 6,
11:17qui déclarent ne pas manger à sa faim, faute d'argent.
11:20Donc, excusez-moi, mais en tout cas, il y a toute une partie des Français
11:23qui, pour des besoins essentiels, ont besoin de retrouver du pouvoir d'achat.
11:28Septième puissance économique du monde, on a un pays qui a faim.
11:31Voilà quand même le constat.
11:33On ne résout pas le problème en s'en détendant, on résout le problème en travaillant.
11:36Donc, hausse du SMIC par exemple.
11:38On propose le SMIC à 1600 euros, parce qu'on ne vit pas dignement à 1400 euros.
11:42On propose aussi un grand plan de création d'emplois dans les secteurs, justement,
11:46et j'y arrive, notamment de l'écologie, avec un pôle public bancaire qui va,
11:50comme aux Etats-Unis, les Etats-Unis ont pu le faire,
11:53qui va investir dans les secteurs, par exemple, de la rénovation thermique des logements.
11:58Je rappelle que nous, on avait proposé plus de 12 milliards,
12:01et ça avait été voté par une majorité de l'Assemblée nationale
12:03pour la rénovation énergétique des logements.
12:05Ça crée des emplois, ça baisse les factures d'électricité, c'est bon pour la planète,
12:09et ça a été retoqué par un 49-3 par la Macronie.
12:12On propose aussi, pour l'écologie, une taxe kilométrique,
12:15qui rejoint un peu l'idée de la taxe carbone,
12:17qui permet aussi de relocaliser les activités,
12:20c'est-à-dire, plus vous importez de loin et plus vous taxez.
12:22Dernière chose sur Biden et son plan, quand même,
12:25une croissance à plus de 3%, un chômage à 4% alors qu'il a 7% en France,
12:30et surtout, un gros investissement dans des secteurs clés,
12:33comme la petite enfance, qui permet de répondre à des immenses enjeux.
12:36Regardez en France, c'est inacceptable ce qu'il se passe.
12:39Juste un mot, aux Etats-Unis, pour la première fois cette année,
12:43la charge d'intérêt de la dette vient de dépasser 1000 milliards de dollars.
12:47Et les gens vivent mieux.
12:48Oui, sauf qu'ils vivent au crochet de la génération d'après.
12:51Merci Jean-Marc Daniel, et merci Aurélie Trouvé d'avoir été au micro d'Inter à suivre les invités.

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