ANIMATION vidéo (103)

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00:30L'histoire d'Amara.org
00:33C'est l'histoire d'Amara.org
00:36L'histoire d'Amara.org
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02:18L'histoire d'Amara.org
02:21L'histoire de Berthold
02:28Ils sont plantés, gun't-emplacés par moi et ils sont 26.
02:31Je les vois par la fenêtre. Je vois la gueule d'un salopard.
02:34Ils disent à Berthold, l'ambassadeur de l'banque,
02:36qu'ils veulent sa tête sur un putain de plateau et qu'on devore tous les clients.
02:40Tu as une minute pour les obéir.
02:4126, précisément ?
02:42Oui.
02:43Pourquoi tu ne les considères pas, un peu comme 18 ou 30 ?
02:47Tu vas m'expliquer...
02:51Alors ?
02:52Et quoi alors ?
02:53Il se passe quoi ensuite ?
02:54Tu vas aller voir, tu descends, tu fais quoi ?
02:56Comment ça je fais quoi ?
02:58Je fais rien, je me réveille.
03:00Tous les matins tu te réveilles à ce moment-là ?
03:01À ce moment-là, oui.
03:02Mon rêve n'est jamais allé plus loin.
03:03Ça dure depuis longtemps ?
03:04Deux ans. Deux ans et demi.
03:05Et c'est pour ça que tu me réveilles au milieu de la nuit ?
03:07T'es un vrai chieur.
03:08Tu sais ce que tu me traites de chieur, ça veut dire quoi ?
03:12Tu comprends bien que ce rêve, il vient pas de n'importe où.
03:14Il y a beaucoup de choses que je t'ai pas racontées.
03:16Quoi, par exemple ?
03:18Tu te souviens du Liban, non ?
03:19Oui, et alors ?
03:20Il y a eu une période, au tout début de la guerre,
03:22on rentrait dans les villages pour neutraliser des suspects palestiniens.
03:27Oui, ensuite ?
03:41T'arrives à l'entrée du village, t'as les chiens qui te flairent en premier.
03:44Du coup ils donnent l'alarme.
03:46S'ils aboient trop longtemps, le village se réveille et ton suspect disparaît.
03:49T'as plus l'effet de surprise, tu vois ?
03:51Fallait quelqu'un pour éliminer les chiens, parce que sinon, on risquait la vie de nos hommes.
03:55Je comprends même pourquoi il fallait que ce soit toi.
03:57Parce que j'étais incapable de tirer sur des gens.
03:59Alors on m'a dit, toi, Boaz, t'es en avant du commando.
04:02Tu prends un silencieux et tu nettoies les clébards.
04:1726 chiens. Je me souviens de chacun d'entre eux.
04:21Chaque museau, chaque cicatrice, jusqu'au regard, au moment de l'impact.
04:24Je me souviens de chacun d'entre eux.
04:26Il y a eu combien de temps, entre cette époque et le début des cauchemars ?
04:2920 ans.
04:31T'as pensé à consulter ?
04:32Comment ça ?
04:33Je sais pas, à voir un psy, voir quelqu'un, un thérapeute, du shiatsu.
04:37Non, je n'ai vu personne, c'est pour ça que je t'ai téléphoné.
04:39Je ne connais rien, moi, je fais des films.
04:41Tu crois que ce n'est pas une thérapie, de faire des films ?
04:43Je te connais, t'as un truc à régler, t'en fais un film.
04:45C'est vrai ou pas ?
04:46Peut-être, en partie, oui, peut-être.
04:48T'as jamais des flashbacks du Liban, toi ?
04:51Non, non, pas que je sache.
04:54Pas que tu saches ?
04:57Non.
04:58Beyrouth, Sabra et Châtillon ?
04:59Quoi, Sabra et Châtillon ?
05:00T'étais en première ligne, t'étais à quoi, à 100 m du massacre ?
05:03200 m, 300 m.
05:05Non, franchement, là-dessus, j'ai pas imprimé, c'est tout.
05:09Mon disque du révis.
05:10T'as vraiment rien retenu du Liban ?
05:12Aucun rêve, aucun souvenir ?
05:14Non, non.
05:16Non.
05:22Ça va aller, tu le sais, hein ?
05:24Tu crois que ça va aller ?
05:25C'est sûr.
05:26C'est sûr ?
05:27Ouais, je trouverai bien quelque chose.
05:29T'es sûr ?
05:30Oui, je suis sûr.
05:31Yallah.
05:42Yallah.
06:03Ma conversation avec Boaz a eu lieu en hiver 2006.
06:06Cette nuit-là, pour la première fois, après plus de 20 ans,
06:09j'ai eu un flashback effroyable.
06:11Un flashback du Liban.
06:12Pas n'importe quel Liban.
06:14Celui de Beyrouth Ouest.
06:15Pas n'importe quel Beyrouth Ouest.
06:17Celui du massacre dans les camps de réfugiés de Sabra et Châtillon.
07:09Le froid de Malta.
07:32Il y a eu un malheur ? Il est 6h30 du matin.
07:35Tu sais ce que c'est ?
07:36On a tous un ami avocat, un ami médecin, un ami psychologue et on les met parfois à contribution.
07:43Bien sûr, mais l'avocat, tu viens pas à 6 heures du matin le sortir du lit.
07:46Mon ami avocat, il me coûte dix fois moins cher.
07:49Le nœud de la question, le voilà.
07:51Comment ça se fait qu'il a fallu le rêve de Boaz avec ses 26 chiens enragés
07:58pour débloquer ma mémoire ?
08:00Il n'y a pourtant pas de lien entre les deux.
08:02C'est très particulier la mémoire. Je te raconte une expérience intéressante qu'on fait en psychologie.
08:09Tu prends un groupe de personnes et tu leur montres dix photos de leur enfance.
08:15Neuf des dix photos sont authentiques. La dixième est un montage.
08:18On a pris leur image et on l'a incrustée dans un décor de fête foraine
08:22où ils n'ont jamais mis les pieds.
08:27Tu en as les quatre cinquièmes qui se sont reconnus dedans,
08:30dans la photo qui n'avait jamais été prise. Ils s'en souviennent.
08:33Les 20% normaux qui ne se souviennent pas rentrent chez eux.
08:36On leur dit, c'est pas grave, ça vous reviendra peut-être un jour.
08:38Ils reviennent avec la photo en disant, je me souviens.
08:41On est allés à la fête foraine, j'étais avec mes parents à la fête foraine,
08:44on a passé une super journée. Ils ont recréé la situation de toute pièce.
08:49La mémoire est dynamique, elle est vivante.
08:52S'il y a des détails qui manquent, même si ce sont des normes troubées en plein milieu,
08:56la mémoire se reconstruit jusqu'à fabriquer un événement fictif.
09:01Ce que tu me dis au fond, c'est que cette vision que j'ai du massacre,
09:05c'est comme la fête foraine, une illusion, un événement que j'aurais inventé,
09:09qui n'aurait pas de rapport avec la réalité.
09:11Je ne sais pas, mais ça se vérifie. Il y avait qui avec toi ?
09:14Il y avait Carmie. Tu le connais, il était au lycée.
09:18Et il y avait un autre mec, je ne vois pas qui ça peut être.
09:20Ok. Tu vas demander à Carmie ce dont il se souvient.
09:23Il est en Hollande. Ça fait 20 ans qu'il vit là-bas.
09:26D'accord, va en Hollande, pose tes questions à Carmie.
09:29Si ça tourmente autant.
09:31Ça ne te semble pas dangereux que je puisse découvrir des choses sur moi
09:33qu'il ne vaut mieux pas que je sache ?
09:35Non. Je pense que tu vas, oui, découvrir des choses
09:38qui sont importantes pour toi, que tu as envie de savoir.
09:41Ça m'étonnerait fort que tu te perdes.
09:43Il y a un mécanisme humain qui fixe un certain nombre de limites
09:45et t'empêche d'entrer dans les profondeurs les plus obscures
09:48où il vaut mieux ne pas s'enfoncer.
09:50En fait, c'est ta mémoire qui va te conduire là où toi tu dois aller.
09:59Tu vois tout ça ?
10:26Oui. Tout ça, c'est à moi.
10:30Tout ça, c'est à toi.
10:32Depuis les arbres, jusqu'à la rivière de l'autre côté.
10:35Ça t'appartient à toi.
10:36Et aussi la maison. Quatre hectares en biens.
10:41Tout ça en vendant des falafels.
10:43Tout ça en vendant des falafels ?
10:45Viens, je te montre.
10:50T'en as vendu combien, des falafels ?
10:52Pendant trois ans, pas plus.
10:54Au début des années 90, j'avais un petit stand à Utrecht.
10:57Le végétarien, à l'époque, c'était furieusement tendance.
10:59Le taboulé, le blé complet.
11:01Tu prends un falafel, c'est à la fois végétarien et oriental.
11:03Je vois.
11:04A une époque, tout le monde disait que tu serais physicien nucléaire.
11:08C'est qui, tout le monde ?
11:09J'en sais rien. Nos parents, tous nos copains.
11:11Ce qui était au bahut avec nous.
11:13On se disait que vers la quarantaine, maintenant,
11:15tu serais candidat au Nobel.
11:17À 20 ans, c'était déjà fini pour moi.
11:21T'as froid ?
11:22C'est vrai, j'ai très froid. Je suis gelé, en fait.
11:24On va dans la maison.
11:26On fait tout ça à pied.
11:28Tout ça qui est à toi.
11:31C'est marrant que tu viennes maintenant.
11:32Pourquoi ?
11:33Quand tu m'as appelé, j'étais dehors avec mon fils Thomas,
11:36qui vient d'avoir 7 ans.
11:38Il est là avec son petit fusil en plastique
11:40et il se met à me poser plein de questions
11:42sur où j'avais fait mon service, si j'avais tué des gens ou pas.
11:45Tu as tué des gens ?
11:46Je ne sais pas.
11:47Tiens, on va rentrer. Tu vas avoir moins froid.
11:51Si je te dessine avec ton fils en train de s'amuser dans la neige,
11:53ça ne te dérange pas trop ?
11:56Non, je ne me dérange pas du tout.
11:58Dessine-moi tant que tu veux.
11:59Je vais lui dire de venir.
12:01Tant que c'est du dessin et pas de la photo.
12:26C'est parti !
12:57Aussi bizarre que ça puisse paraître,
12:59on est partis à la guerre sur un yacht.
13:02Un petit bateau de croisière, genre Love Boat,
13:04loué par l'armée ou réquisitionné, je ne sais pas.
13:07Une ruse pour tromper l'ennemi.
13:09Un débarquement surprise.
13:11Attends, c'était un vrai bateau de croisière
13:13avec jacuzzi, bar, piscine ?
13:16Ces trucs-là ?
13:17Dans mon souvenir, en réalité, c'est peu probable.
13:21Des années plus tard, j'ai appris que c'était un bateau de croisière.
13:24Des années plus tard, j'ai appris que c'était
13:27une vedette des commandos de la marine, ce genre de trucs.
13:30Tu sais, à 18 ans, je te voyais comme un gars éclairé
13:32qui s'en foutait pas mal d'être perçu comme un héros.
13:34Ça avait son importance pour une raison plutôt prosaïque.
13:37J'avais le sentiment à l'époque que tout le monde autour de moi
13:40n'arrêtait pas de baiser.
13:41Quant à moi, comment t'expliquer ça ?
13:43Moi, je remportais les tournois d'échecs
13:45et je brillais en mathématiques.
13:47Pourquoi je suis le seul qui baisse pas, je me disais ?
13:50J'avais des trucs à prouver.
13:51Fallait que je sois combattif, couillu, courageux.
13:54Tu m'apprends quelque chose, ça t'a réussi ?
13:56Bah, plutôt, oui.
13:59Je me suis senti fort, capable, compétent.
14:02Et voilà que la guerre commence et qu'on nous embarque
14:05comme un tas de marchandises sur ce love boat à la con.
14:08Mais moi, je...
14:10Quoi ?
14:11Bah, moi, j'ai vomi toutes mes tripes
14:12en me demandant ce que l'ennemi penserait d'une loque parie.
14:16Et sur ce, je me suis endormi sur le pont.
14:19Moi, quand j'ai des angoisses, je m'endors.
14:22Et même maintenant, je sombre dans le sommeil et les hallucinations.
14:50Je suis évanoui sur le pont.
14:54Et je rêve du moment où, enfin, une femme arrive.
15:03Et me prend pour la première fois.
15:08Et en face, je vois mes amis.
15:12Et je me dis que c'est l'heure.
15:14Et je me dis que c'est le moment.
15:18Et en face, je vois mes amis voler vif comme ça, sous mes yeux.
15:22Où sont-ils ?
15:23Restés sur le bateau.
15:45Je me réveille au débarquement.
15:47Le jour se lève, on est aux portes de la ville.
15:49C'est quelle ville ?
15:50Comment veux-tu que je sache ?
15:52Saïda, peut-être, je ne sais pas.
15:55Du thème de la peur, du stress, on se met tous à tirailler comme des malades.
16:01C'est qui ?
16:02Mais je n'en sais rien, sur qui ?
16:05Il y a une vieille Mercedes bleue qui descend la rue.
16:07On mitraille toujours dans une sorte de...
16:09C'est quoi, ça ?
16:10C'est la police.
16:11Une Mercedes bleue qui descend la rue.
16:13On mitraille toujours dans une sorte de trance.
16:18Deux ans d'entraînement et cette peur, cette peur incontrôlable.
16:25Et après, le silence.
16:27Un silence effroyable, un silence de mort.
16:31Et dans la lumière du petit jour, tu vas voir.
16:36Tu vas voir la destruction que tu as semée.
16:39Tu ne sais même plus où tu es.
16:41Et dans la voiture ?
16:44Dans la voiture ?
16:46Dans la voiture, tu as les corps d'une famille.
16:49Pourquoi est-ce que tu es venu me voir ?
16:51Moi ? Moi ?
16:53J'ai perdu la mémoire.
16:55Un accident ?
16:56Pardon ?
16:57Tu as eu un accident ?
16:58Comment ça, un accident ?
17:00Je ne sais pas, un accident. En voiture, au boulot ?
17:03Non, ce n'est pas ça du tout.
17:04C'est que toute cette période, la période de la guerre au Liban,
17:07moi, en fait, je n'ai aucun souvenir de tout ça.
17:10Et je n'ai qu'une seule image de là-bas.
17:13Et je ne vais pas te dire pourquoi, mais tu y figures.
17:16Raconte-moi ça.
17:34Tu étais avec moi là-bas ?
17:37J'aurais du mal à te le dire.
17:38Ça veut dire quoi, ça ? Tu étais avec moi ou pas ?
17:40Je n'en sais vraiment rien.
17:42J'ai tout oublié du massacre.
17:45Oui, mais tu y étais.
17:46Tu étais sur place, tu étais bien à Bérus.
17:48Tu n'as pas eu de chance.
17:49Tu n'as pas eu de chance.
17:51Et donc, tu n'as pas eu de chance.
17:54Tu n'as pas eu de chance.
17:56Tu n'as pas eu de chance.
17:58Tu n'as pas eu de chance.
17:59Tu n'as pas eu de chance.
18:01Oui, mais tu y étais.
18:02Tu étais sur place, tu étais bien à Bérus au moment du massacre.
18:05Oui, bien sûr, je me rappelle.
18:06Je me rappellerai toujours mon entrée dans Bérus.
18:09Et le massacre.
18:10Tu as dit quoi déjà ?
18:11Je ne l'ai pas imprimé, le massacre.
18:14Formidable.
18:15Le massacre.
18:31Un siècle plus tard
18:47Et soudain, il y a eu un déclic.
18:48Dans le taxi qui me ramenait à l'aéroport d'Amsterdam, boum.
18:51La guerre m'est revenue en mémoire.
18:53Ce n'était ni une hallucination,
18:54ni mon subconscient, ni un rêve.
18:56C'est le premier jour de la guerre.
18:57J'ai 19 ans, je me rase depuis quelques mois.
19:00On avance sur la route, les vergers d'un côté, la mer de l'autre, et on mitraille.
19:04On mitraille, je ne sais pas qui, comme des forcenés, jusqu'au crépuscule.
19:12Le soir venu, on s'arrête. Un gradé vient me voir et il me dit,
19:15« Toi, tu prends nos blessés, tu prends nos morts, t'en fais un chargement et tu t'en débarrasses. »
19:21« Je m'en débarrasse, je lui demande ? »
19:22« Oui, tu t'en débarrasses. »
19:24« Mais comment je m'en débarrasse ? »
19:25« Mais qu'est-ce que tu veux que ça me foute ? Tu les prends et puis tu t'en débarrasses.
19:29Tu peux les décharger sous la grande lumière, le plus souvent, c'est là-bas qu'on les met. »
19:38Et alors, je me retrouve sur la même route, mais dans l'autre sens.
19:41Moi, qui n'ai jamais vu la moindre fracture ouverte, à peine quelques gouttes de sang,
19:46je commande soudain un blindé rempli de morts et de blessés,
19:48à la recherche de la grande lumière, le salut venu du ciel, la grande lumière.
19:53« On fait quoi ? On fait quoi ? Pourquoi tu dis pas ce qu'on fait ? »
19:56« On tire. »
19:57« Sur qui ? »
19:58« C'est pas mon problème. Tu tires, c'est tout. »
20:00« On devrait pas prier ? »
20:01« Bah, tu pries et tu tires. »
20:12Et finalement, la grande lumière, celle des hélicos, on dirait un halo.
20:16On s'en approche, et on s'arrête.
20:19La grande lumière, celle des hélicos, on dirait un halo.
20:22On s'en approche, et quand on arrive, le sol est couvert de cadavres et de blessés.
20:49Alors on décharge les nôtres, machinalement, comme si on n'était pas vraiment là.
20:53Puis on fait demi-tour, et on s'en va.
21:19Alors voilà l'histoire.
21:20Le premier jour de la guerre du Liban, j'ai évacué tous les...
21:24Toutes les pertes que la division blindée avait subies sur la route côtière.
21:27Je me retrouvais des gens qui étaient là-bas avec moi.
21:29J'ai peut-être pu évacuer certains de tes hommes.
21:32Oui, enfin, ça me paraît probable.
21:34Nous, on était secteur ouest, et sur la route côtière.
21:38C'est possible.
21:39Et là, tu me reconnais, tu te souviens de moi, à cette époque ?
21:43Non.
21:45Si tu veux le fond de ma pensée, je ne me reconnais pas non plus.
21:48Ouais, ça ne tient pas dans le truc.
21:51Touche à rien.
21:56C'est bon, c'est bon.
21:57Souris.
22:00On a passé la frontière à Rochamicra.
22:02Il y avait comme une ambiance de départ en excursion.
22:05On poilait des photos, et puis on chante.
22:07Et puis, on s'en va.
22:10On avait un peu de temps pour décompresser avant l'opération.
22:12On en a profité.
22:40On roulait, le paysage était superbe.
22:42Les arbres, les maisons isolées.
22:44On était dans une sorte de tableau très aérien.
22:46Champêtre.
22:47Et nous, on roulait.
22:48On n'était pas pressés.
22:49Moi, j'étais sur la tourelle avec le commandant à profiter du paysage.
23:10Quand tu es dans un char d'assaut, tu te sens forcément en sécurité.
23:13C'est un engin, par définition, très lourd, hermétique, solide.
23:17Du moment que tu es dans un tank, tu es protégé.
23:40Heya!
23:43Heya!
23:46Aksarim!
23:49Dikhraini!
23:52L'eksarim!
23:55Meddame!
24:00Soudain, on voit que le commandant ne répond plus.
24:02Personne ne comprend plus rien.
24:04Il n'y a plus d'intercom.
24:05Il n'était pas avec vous?
24:06Si, bien sûr, mais tout ce que je vois, c'est qu'il a la tête affaissée vers l'avant.
24:09Alors je rentre tout de suite. Et là, je constate qu'il y a du sang.
24:12Il y a du sang à l'intérieur du tank.
24:15Et ensuite...
24:17J'ai vu que le sang venait de son cou.
24:21– C'était à toi de le remplacer ? – Oui, j'étais second.
24:23C'était à moi de prendre le commandement. Mais je n'ai pas réagi immédiatement.
24:27Pas comme il aurait fallu.
24:28On était paralysés au fond de notre tank. On n'a même pas pensé à riposter.
24:33Et deux minutes plus tard, il y a une explosion.
24:35Et là, tout le monde s'est précipité le plus loin possible du tank.
24:40Sans... Sans armes, sans casque, sans rien, quoi.
24:44Enfin, ceux qui avaient survécu à l'explosion.
24:52J'ai couru comme...
24:53Comme un entraînement en faisant zigzag en direction de la mer.
25:03J'avais une seule chose en tête. Ils vont venir, ils vont venir me tuer parce qu'ils m'ont vu courir et puis...
25:07Voilà, c'est fini, ils vont venir et puis...
25:09C'est tout, j'ai plus qu'à attendre la fin.
25:15Et...
25:16Tout ce que je voyais, c'était le bâtiment derrière.
25:18Et...
25:19Et...
25:20Et...
25:21Et...
25:22Et...
25:23Et...
25:24Et...
25:25Et...
25:26Et...
25:27Et...
25:28Et...
25:29Et...
25:30Et...
25:32Un bâtiment derrière, celui d'où venaient les tirs.
25:34Et puis, un blindé, un des nôtres, qui essaya aussi de se rapprocher, mais qui était assez loin.
25:38J'ai jamais su pourquoi, mais il a battu en retraite.
26:03J'ai eu le sentiment d'être totalement seul, abandonné par nos troupes.
26:19J'ai pensé à ma mère, à la réaction qu'elle aurait.
26:23Elle est sensible, très attachée à moi.
26:25J'ai toujours été son bras droit, maman.
26:27Elle a toujours eu confiance en moi.
26:29J'ai toujours été celui qui rend service à la maison.
26:31Enfin, comme un fils aîné, quoi.
26:37J'ai regardé, je voulais voir ce qui se passait.
26:40Je les ai vus rigoler, parler, fumer.
26:42J'étais finalement assez étonné qu'ils ne regardent pas vers moi.
26:47Après quelques coups d'œil dans leur direction, finalement, j'ai compris qu'ils s'imaginaient
26:52que tout le monde avait été liquidé.
26:55Alors, je me suis dit que j'attendrais la tombée de la nuit, que j'étais relativement
26:58bien caché.
26:59Je ne saurais pas dire pourquoi, mais je suis rentré dans la mer.
27:10Je me suis éloigné à la nage, je ne voulais pas être repéré, alors j'ai nagé vers
27:19le large, loin des côtes.
27:20Quand j'ai vu que j'étais assez loin, j'ai décidé de nager vers le sud.
27:26La mer était comment ?
27:27La mer était plutôt calme, il n'y avait pas de courant, pratiquement pas de vagues.
27:31Et moi aussi, j'étais plutôt calme, il n'y avait que la mer et moi.
27:34Il y avait une espèce de tranquillité intérieure, comme si la mer me portait, et à la fois j'avais
27:51peur, j'avais la peur au ventre, peur de plus fois dans mon régiment.
27:55J'ai eu le sentiment plutôt inattendu de ne pas tant d'être celui qui avait été
28:02abandonné, mais que j'avais moi-même lâché mes camarades, et puis qu'on me voyait comme
28:05le gars qui n'avait pas réussi à sauver ses camarades.
28:14Et puis il y avait tous ces trucs gênants sur ma sexualité.
28:16Bref, j'avais fui le champ de bataille pour sauver ma peau, tout cela me laissait un sale
28:20goût dans la bouche.
28:21J'ai coupé les ponts avec les familles, j'ai participé aux commémorations sur les tombes
28:27et tout ça, mais très vite je n'ai plus voulu y assister.
28:29Pourquoi ?
28:30Bref, ces moments-là, j'ai voulu oublier.
28:32Et qu'est-ce que tu ressens quand tu vas sur la tombe de tes camarades ?
28:37Surtout, je me sens coupable.
28:38Quand je vais sur leur tombe, je me sens coupable.
28:40Quand je vais là-bas, je me dis que j'ai pas donné ce que je pouvais, j'ai pas donné
28:44ce que je pouvais.
28:45Je n'étais pas le genre de héros en béton armé qui tue les ennemis et qui sauve tout
28:48le monde.
28:49Voilà, je n'étais pas ce genre de mec.
29:19Un mois après que René Daïade soit rentré à la nage, l'armée a pris position sur la
29:48plage d'où il s'était enfui.
29:49On nous répétait tout le temps qu'on allait attaquer Beyrouth, qu'on allait tous à la
29:53mort.
29:54Mais nous, on était à la plage.
29:55La mort, on n'y pensait pas trop.
29:57Et moi, j'avais un abri en feuilles de bananier.
29:59Quand je repense à cette époque, j'ai surtout la nausée qui remonte, encore aujourd'hui
30:04d'ailleurs, à cause de l'odeur du patchouli, le parfum culte des années 80.
30:10Mais pour Frenkel, mon compagnon de chambray, le patchouli, c'était plus qu'un parfum,
30:15c'était une façon de vivre.
30:16Patchouli, patchouli, tu sais comment on fait ?
30:43Comment ? Fais voir.
30:45T'en prends un petit peu, une seule goutte, comme ça.
30:56C'est tout.
30:57C'est impossible après ça qu'on puisse pas te retrouver.
31:00Moi, quand on était en manœuvre, tu te rappelles ce qu'il disait, mes hommes ?
31:04Frenkel, tu vas trop vite, du calme.
31:06J'étais aussi rapide qu'un lièvre.
31:10Et nous, il disait, y a pas de soucis, je répondais.
31:13Même la nuit, dans le noir total, vous me retrouverez.
31:16C'est tellement fort comme odeur, même sur le champ de bataille, t'es obligé de me retrouver.
31:20J'en ai toujours d'ailleurs, même maintenant.
31:34Il apparaissait dans un cadre bien délimité d'une espèce d'appareil photo.
31:44Jusqu'au moment où, sans prévenir, son appareil imaginaire s'est cassé.
31:59Il m'a raconté un épisode qui avait été très éprouvant pour lui.
32:02Il m'a dit, je suis arrivée aux écuries de Beyrouth...
32:05À l'hippodrome.
32:06À l'hippodrome, oui.
32:07Et j'ai vu toutes sortes de choses.
32:09Des carcasses de pur sang arabe qui avaient été décimées.
32:12Et il continue, ça m'a brisé le cœur.
32:14La guerre, je l'accepte, ce sont des gens qui s'entretuent.
32:16Mais ces chevaux, ces animaux si nobles, qu'est-ce qu'ils ont fait ?
32:19Quels péchés ont-ils commis pour mériter ça ?
32:21L'agonie de ces chevaux entassés lui était insupportable.
32:24Et le mécanisme par lequel il se préservait en restant hors champ,
32:27comme s'il regardait passivement un film de guerre,
32:29ce mécanisme l'avait protégé jusque-là.
32:31Mais dès lors qu'il est entré dans le cadre,
32:33il ne peut plus dire qu'il est mort.
32:35Il a été rattrapé par toutes ces horreurs.
32:37Et il a plongé dans la psychose.
32:44Vous avez dit n'avoir aucun souvenir de cet événement dans le verger
32:48avec le lance-roquette et l'enfant.
32:50Vous vous rappelez peut-être d'autres aspects de la même époque.
32:53Vos permissions, vos amis, les conversations que vous auriez pu avoir.
32:56Y a-t-il d'autres événements ultérieurs ou pas
32:58qui vous renvoient à cette période de votre vie ?
33:00Je ne sais pas.
33:02Y a-t-il d'autres événements ultérieurs ou pas
33:04qui vous renvoient à cette période de votre vie ?
33:06Y a des choses que je me rappelle en détail.
33:08Quoi par exemple ?
33:09J'ai des souvenirs très pointus de toutes mes permissions.
33:33J'ai des souvenirs très pointus de toutes mes permissions.
33:52Je me rappelle quand j'étais petit, j'avais 10 ans peut-être, et c'était la guerre.
33:55Tout était paralysé.
33:57Tous les pères étaient au front
33:59les enfants restaient avec leur mère dans leur maison fermée
34:01derrière leurs fenêtres fermées, leurs volets fermés, les lumières éteintes
34:05en attendant l'avion qui passerait, la bombe qui tomberait, qui tuerait tout le monde.
34:09Contre ça, y avait pas de permissions qui tiennent.
34:13Et maintenant c'est moi qui reviens du front
34:15pour la première fois après 6 semaines au Liban
34:17et je vois que la vie continue comme si de rien n'était.
34:30Pendant toute ma perte, je n'ai qu'un seul objectif.
34:33Récupérer ma copine Yaeli qui m'a largué juste avant que tout commence.
34:54T'as oublié comment on faisait à l'époque ?
34:56T'ajoutes un peu de limonade et puis...
34:59T'es prêt ? Vas-y.
35:08Ça commence à se reconstituer.
35:10J'ai parlé avec tes soldats, avec qui j'étais
35:12et là j'ai presque un tableau complet.
35:14T'en es arrivé où ?
35:15J'en suis à mon premier jour au Liban.
35:17Je me rappelle le siège de Beyrouth.
35:19Et que la semaine d'avant, Yaeli t'avait largué ?
35:22Tu te souviens de ça comment toi ?
35:25Tu ne savais pas que pendant des années j'étais amoureux d'elle moi aussi ?
35:30Non.
35:31Ça ne me dit rien du tout ça.
35:33Mais si, tu savais.
35:36Pourquoi tu fais cette tête ? Ça s'est passé il y a 20 ans.
35:38Je ne fais pas la tête et je sais quand ça s'est passé.
35:43Toi au moins, t'avais ta maison, ta famille.
35:45Quelle maison, quelle famille ? Qu'est-ce que tu racontes ?
35:48Tu parles d'une famille.
35:50Mon père est...
35:51Quoi ?
35:52Pour me réconforter, il s'est mis à me raconter sa guerre à lui.
35:55La seconde guerre mondiale.
35:57On a accordé une perle de 48 heures aux soldats russes à Stalingrad
36:00et ce, après un an, sur le front.
36:09Ils ont pris le train, ils sont arrivés chez eux,
36:12ils sont descendus sur les quais.
36:14Ils ont embrassé leur copine et c'était fini.
36:16Leur perle était finie.
36:17Ils ont repris le même train et sont repartis au front.
36:22Tu vois le tableau ?
36:26Lui qui pensait me consoler, il avait pas tort d'un certain côté, mon père.
36:30J'étais même pas là 24 heures que j'étais déjà rappelé.
36:33C'était la grande mode des voitures piégées qui commençait.
36:36Ouais, c'est en plein boum encore aujourd'hui.
36:38Ouais, ça marche du feu de Dieu.
36:40Du feu de Dieu.
36:42Alors, je me retrouve dans une sorte de grande villa
36:45à l'entrée de Beyrouth.
36:52Le super luxe, t'avais des dorures partout.
36:54Des lavabos en marbre, tous les robinets en or.
36:56Tout ce que tu veux.
37:00Et là, je vois un officier qui est devant la télé.
37:02Il me regarde pas. Il répète à son chauffeur...
37:05Avance, avance.
37:07Avance, avance.
37:09Bonjour, madame.
37:10Parait qu'il y a un trou à boucher.
37:12Il est où ?
37:13En dessous, de là.
37:19Vous avez vu mon outil ?
37:20Quel outil ?
37:21Le gros long, la viandure.
37:26C'est plus profond que prévu.
37:27Avance, avance.
37:38Arrête, arrête.
37:39Comme ça, comme ça.
37:40Bonsoir.
37:41Je viens faire enlever la Mercedes rouge.
37:43Patientez, je décharge mon matos et je suis à vous.
37:47Tout en bibouillant ses cassettes, il me dit...
37:49Écoute, on a une alerte, c'est hyper important.
37:51Il va y avoir une Mercedes rouge qui va exploser sur toi et tes hommes.
37:54Oui.
37:55Tu vois une Mercedes, tu la fais sauter.
37:57N'importe quelle Mercedes rouge ?
37:58Attends, t'es con ou tu te fous de moi ?
38:00Et alors ? Elle est venue, la Mercedes ?
38:02Nous, on s'est mis en position et on a attendu toute la nuit la Mercedes
38:05qui devait tous nous faire sauter.
38:07On pensait qu'un truc horrible allait arriver.
38:10On s'est mis en position et on a attendu toute la nuit la Mercedes
38:12qui devait tous nous faire sauter.
38:14On pensait qu'un truc horrible allait arriver.
38:40Et puis, au petit matin, le téléphone a sonné.
38:45Bachir est mort.
38:47Qui c'est, Bachir ?
38:48Bachir Gemayel, président élu du Liban.
38:50C'est un allié chrétien, un gars à nous.
38:54Il est mort.
38:55Assassiné, tu réveilles tes hommes dans deux heures, vous êtes à Beyrouth.
38:59Je n'ai pas beaucoup de souvenirs du vol vers Beyrouth Ouest.
39:02Seulement d'avoir eu tout le temps des pensées obsessionnelles sur la mort,
39:05parce que ma copine Yaeli m'avait jeté la semaine d'avant.
39:08Tout ce que je voulais, c'était mourir pour me venger,
39:11pour qu'elle porte le poids de sa culpabilité jusqu'à la fin de ses jours.
39:19Et pendant que moi, je fantasmais comme ça sur la mort,
39:22on descendait sur Beyrouth.
39:24On aperçoit une ville.
39:25Il y a des hôtels, il y a la mer, il y a les gens qui s'agitent.
39:28Et on atterrit à l'aéroport international.
39:30Nous, on est dans une ville qui n'a pas de nom,
39:32et on atterrit à l'aéroport international.
39:34Nous, on est dans un hélico de l'armée,
39:36mais au loin d'un des avions d'Air France, des WA, British Airways.
39:41Et petit à petit, je commence à être ému, comme si j'étais en voyage.
39:44Une émotion qui envahit tout mon corps.
39:53À un moment, je me détache et je rentre dans le terminal.
39:58J'ai toujours cette sensation d'être là en touriste.
40:01Une espèce de trip un peu halluciné.
40:03C'est comme si j'étais vraiment dans un terminal international
40:05et que j'avais plus qu'à me choisir une destination pour mes vacances.
40:08Je suis devant un tableau des départs, comme il y en avait dans les années 80,
40:11et je me dis, OK, t'as plus qu'à choisir.
40:14Je vois 14h10, Londres.
40:1715h20, Paris.
40:1916h, New York.
40:22Je continue à parcourir le terminal,
40:24et plus loin, je vois des boutiques duty-free.
40:26Des bijoux, du tabac, de l'alcool.
40:29Et du fond de mon trip, je commence à capter quand même un petit peu ce qui se passe.
40:33Je vois par la fenêtre que tous les avions que j'ai aperçus tout à l'heure,
40:36les TWA, Air France, ils ont été bombardés.
40:39C'est plus que des squelettes.
40:41Les boutiques, elles sont vides.
40:43Elles ont été pillées depuis longtemps.
40:45Quant au tableau, le tableau des départs, il n'a pas dû bouger depuis des mois.
40:50Je commence à capter le son aussi.
40:52Les voix, les tirs de meurtriers en direction de la ville,
40:55les bombardements de l'aviation.
40:57Je commence à comprendre où je suis.
40:59Je commence à avoir peur de ce qui va se passer.
41:06On est parti à pied depuis l'aéroport vers l'intérieur de la ville.
41:09D'un côté, les hôtels.
41:11De grands hôtels avec plein d'étages.
41:13Et de l'autre côté, la mer.
41:21On avance le long d'une sorte de promenade,
41:24et on s'approche d'un gros carrefour.
41:26À un moment donné, il y a des snipers cachés dans les étages
41:29qui nous prennent pour cible.
41:31Nous, on voit rien, on ne sait pas d'où ça vient.
41:34On ne sait pas qui tire, on ne sait rien.
41:36On a un blessé étendu au milieu du carrefour,
41:38mais on n'a aucun moyen de le rejoindre, et on a peur.
41:41On crève de trouille.
41:53Et au beau milieu de l'enfer,
41:55qui c'est qui arrive ?
41:56La star des journalistes de télé, Ron Banishai.
41:59Droit comme un aigle, il marche entre les balles.
42:02Comme une espèce de Superman.
42:04Il marche comme si de rien n'était.
42:06T'as des projectiles qui tombent en rafales autour de lui.
42:08Juste devant, son caméraman qui rampe,
42:11qui tremble sous son casque,
42:13et forcément, qui voit pas un maître.
42:16C'était un carrefour important, stratégique.
42:19Car l'une des avenues qui partaient de ce carrefour
42:21aboutissait à l'avenue Amra.
42:24Qui menait droit au quartier Amra de Beyrouth-Ouest.
42:27Je me souviens surtout des bruits.
42:29Ces sifflements suraigus.
42:31Les partisans employaient fréquemment des lances-roquettes.
42:33Et alors, le bruit que ça produit,
42:35fait penser aux flèches des Indiens.
42:37Avant d'exploser, une roquette fait entendre un sifflement.
42:39Un...
42:42Ce n'est pas tant l'explosion qui vous reste dans les oreilles,
42:44mais ce sifflement très fort.
42:46Et bien sûr, les morceaux de mur qui volent en éclats.
42:48Et puis au milieu de tout ça, surplombant l'action,
42:50aux premières loges, sur les terrasses,
42:52on voit des civils.
42:54Tout le monde est là, les femmes, les enfants,
42:56des vieillards en train de regarder ça
42:58comme un film qui se déroulerait à leurs pieds.
43:10De tous les côtés, on essuie des tirs.
43:12Ça vient vraiment de partout.
43:14Il n'y a pas moyen de passer. Mais pas moyen de passer.
43:16Moi, au service, j'ai été formé sur une MAG,
43:18comme mitrailleur.
43:20À l'école des officiers, je me suis dit comme ça,
43:22après tout ce temps que j'ai passé à tirer sur une MAG,
43:24je peux bien faire une petite infidélité.
43:26On m'a donné un Galil.
43:28Et là, en opération, alors que je me fais canarder
43:30de tous les côtés,
43:32je me rends compte.
43:34Je ne suis pas en train de tirer avec le Galil
43:36comme je tire d'habitude.
43:38Et l'armement, c'est ça.
43:40Je suis pas en train de tirer avec le Galil
43:42comme je tire d'habitude.
43:44Et l'arme à laquelle j'étais habitué,
43:46cette arme, elle me manque.
43:48Je choppe Hérèse et je lui dis,
43:50Hérèse, fais-moi plaisir.
43:52Prête-moi ta MAG.
43:54Je traverse pas cette rue
43:56avec un Galil.
43:58Passe-moi ta MAG et on va la traverser ensemble.
44:00J'assure bien avec une MAG.
44:02Et lui, il me fait,
44:04Frenkel, t'es pas bien ou quoi?
44:06Bon, on est sous le feu, là.
44:08Alors on tire.
44:12À un moment donné, j'ai compris qu'il fallait
44:14faire un truc extraordinaire.
44:16Alors je lui ai dit, écoute-moi bien, Hérèse.
44:18Donne ta MAG.
44:20Tu donnes ta MAG ou c'est moi qui la prends.
44:38Je ne sais pas si ça a duré une éternité
44:40ou une minute, mais je revois Frenkel
44:42au carrefour avec des nuées de balles
44:44qui sifflent autour de lui.
44:46Et au lieu de traverser la rue au pas de charge,
44:48il se met à danser,
44:50comme un possédé.
44:52Il leur montre qu'il n'a pas l'intention
44:54de quitter la rue, qu'il entend bien y rester
44:56pour toujours.
44:58Il veut danser une valse entre les balles
45:00avec les portraits géants de Bachir autour de lui,
45:02alors qu'au même moment,
45:04à 200 mètres de l'arbre,
45:06les fidèles de Bachir préparent la vengeance,
45:08préparent le massacre dans les camps
45:10de Sabra et Jatila.
45:20J'ai la mémoire qui...
45:22qui commence à revenir.
45:24J'ai rencontré des gens,
45:26j'ai entendu leur histoire,
45:28et des histoires sur moi aussi,
45:30que j'ai du mal à croire, d'ailleurs.
45:32Bravo.
45:34Bravo. Qu'est-ce qu'il te manque, alors ?
45:36Seulement le jour du massacre,
45:38dans les camps de réfugiés.
45:40Tout le reste est revenu.
45:42Je vais te dire un bon truc.
45:44J'ai jamais compris, moi, pourquoi tout le monde
45:46s'étonnait que les phalangistes aient fait le coup.
45:48Les phalangistes, je l'ai compris tout de suite,
45:50leur cruauté...
45:54Lors du siège de Beyrouth,
45:56en particulier, quand on était dans la boucherie.
45:58La quoi ?
46:00On appelait ça la boucherie, cette espèce de terrain vague
46:02où ils amenaient les palestiniens pour les faire parler un peu
46:04avant de leur foutre une balle dans la nuque.
46:06Une mauvaise tripe à l'acide, sauf que c'était bien réel.
46:14Ils se trimbalaient avec des organes
46:16dans du formol,
46:18des organes de palestiniens qu'ils avaient butés.
46:22Tu retrouvais un doigt dans un bocal,
46:24ou un oeil, tout ce que tu voulais.
46:26Il y avait toujours des photos
46:28de Bachir Gemayel partout.
46:30Le médaillon Bachir, la montre Bachir,
46:32Bachir par-ci, Bachir par-là.
46:34Ces gars-là, comment dire ?
46:36Il était pour eux ce que David Bowie était pour moi.
46:38La star.
46:40L'idole.
46:42Le prince charme.
46:44Il y avait même là-dedans
46:46un truc érotique.
46:48Carrément érotique.
46:50Faut bien comprendre ça.
46:52Leur idole allait monter sur le trône
46:54et nous, on allait l'y installer.
46:56Et le lendemain, voilà qui se fait tuer.
46:58C'était clair qu'ils allaient venger sa mort dans le sang.
47:02C'était obligé, c'était comme si on avait buté leur femme.
47:04Une affaire d'honneur familiale.
47:06Ça remuait profond.
47:10Pourquoi t'es revenu me voir ?
47:12J'ai toujours cette vision hallucinante
47:14dans la mer, sur la nuit du massacre.
47:16Et toi, tu figures dedans.
47:24C'est pas vrai.
47:26C'est pas vrai.
47:52Toi, t'es pas normal.
47:54T'es gravement atteint, mon pote.
47:56C'est quoi, ce trip ?
47:58Qu'est-ce qu'on irait foutre à se baigner dans la mer dans un moment pareil ?
48:00Mais qu'est-ce que tu m'emmerdes avec la mer ?
48:12Là, je suis dans l'impasse.
48:14Je n'ai retrouvé personne
48:16qui était avec moi à Sabra et Shatila.
48:18Je n'ai recueilli aucun souvenir
48:20à tant soit peu convaincant
48:22de quelqu'un avec qui j'aurais pu être lié
48:24à l'époque du massacre.
48:26Tout ce que j'ai, c'est cette vision.
48:28Et le seul camarade que je reconnais
48:30dans cette vision refuse jusqu'à la possibilité
48:32de s'y trouver.
48:34L'hallucination elle-même, elle est réelle.
48:36Mais si, c'est une hallucination.
48:38Elle est à toi. Tu voudrais que je te l'interprète ?
48:40Oui.
48:42L'élément marin dans ton imagination, ça représente quoi ?
48:44Des angoisses, des peurs, des sentiments ?
48:46Tu étais sur place, alors forcément,
48:48tu es impliqué sur le plan des émotions.
48:50Le massacre est largement antérieur au massacre lui-même.
48:52Je crois que tu es préoccupé
48:54plutôt par un tout autre massacre.
48:56Ton intérêt pour ce qui s'est passé
48:58dans les camps de réfugiés concerne en fait d'autres camps.
49:00Tes parents ont été dans les camps de concentration.
49:02Oui.
49:04A Auschwitz.
49:06Ça remonte à ta propre enfance.
49:08Le massacre pour toi, il a eu lieu quand tu avais peut-être 6 ans.
49:10C'est ce massacre-là que tu vis, dans ces camps-là.
49:12Je ne vois qu'une solution.
49:14Tu dois établir tous les événements qui se sont passés ce jour-là.
49:16À Sabra et Shatila.
49:18Tu demandes aux soldats, tu demandes des détails.
49:20Où, quand, comment, de quelle façon ?
49:22Tu fais bien attention aux détails
49:24parce que c'est à travers eux que peut-être
49:26tu te rappelleras où tu étais
49:28et que tu comprendras le rôle que tu as tenu.
49:40Ce jour-là, on nous a envoyé occuper une position sur une colline.
49:42Un endroit un peu surélevé.
49:44En fait, cette position était
49:46précisément en bordure ouest
49:48des camps de réfugiés.
49:50De là où j'étais, je voyais clairement que c'était une zone peuplée.
49:52Une zone d'habitation.
49:54De temps en temps, on a suivi des tirs,
49:56on a essayé de les localiser, on répliquait.
50:02Petit à petit, il y a les phalangistes qui arrivent.
50:04Les miliciens libanais.
50:06Mais habillés comme nous, avec des uniformes israéliens.
50:08Et ils prennent position derrière nos temples.
50:10Et puis on m'a appelé ailleurs
50:12pour un briefing.
50:14Un briefing en anglais.
50:16Et on vous a brieflé sur quoi ?
50:18En fait, ce qu'on m'a expliqué au briefing, c'est que
50:20les phalangistes allaient pénétrer dans les camps
50:22et puis nous, on serait leur couverture.
50:24On m'a dit, ils vont nettoyer les camps
50:26et après le nettoyage, nous on entre et on prend le contrôle du secteur.
50:28Nettoyer ? Nettoyer quoi ?
50:30Les terroristes.
50:44Alors, le matin, ils ont commencé à s'occuper de nous.
50:46Ils ont commencé à s'occuper de nous.
50:48Ils ont commencé à s'occuper de nous.
50:50Ils ont commencé à s'occuper de nous.
50:52Ils ont commencé à s'occuper de nous.
50:54Ils ont commencé à s'occuper de nous.
50:56Ils ont commencé à s'occuper de nous.
50:58Ils ont commencé à s'occuper de nous.
51:00Ils ont commencé à s'occuper de nous.
51:02Ils ont commencé à s'occuper de nous.
51:04Ils ont commencé à s'occuper de nous.
51:06Ils ont commencé à s'occuper de nous.
51:08Ils ont commencé à s'occuper de nous.
51:10Ils ont commencé à s'occuper de nous.
51:12Alors, le matin, ils ont commencé à évacuer les civils.
51:14Alors, le matin, ils ont commencé à évacuer les civils.
51:20Ils évacuaient les civils.
51:22C'était une longue file d'indiens, de civils,
51:24C'était une longue file d'indiens, de civils,
51:26comme ça, qui marchait le long de la route des camps.
51:28et les phalangistes les encadraient.
51:30Et ça, à l'époque, criait.
51:32Ça gueulait, ça tirait des coups de feu en l'air.
51:36Il y avait des femmes, des vieillards...
51:38Il y avait des gamins qui traînaient des pieds
51:40des pieds à la culelure en direction du stade. Avec votre équipage dans le tank vous vous êtes
51:46demandé où on les emmenait les civils ? Vous vous êtes posé la question ? Pas particulièrement
51:52parce que pour ce genre d'opération quand on entrait dans un camp de réfugiés on balançait
51:56les tracts à la population pour pouvoir l'évacuer. Ceux qui sortaient pas étaient traités comme des
52:00combattants. Moi ça me semblait parfaitement normal qu'en amont d'une opération comme
52:04celle là on puisse dire attention les mecs si vous voulez pas m'enfler vous évacuez.
52:10Ce jour là je me suis rendu à Doha une petite ville sur la côte où se trouvait la piste
52:35d'atterrissage de Tzal. Sur le chemin j'ai croisé plusieurs blindés pleins de phalangistes et ils
52:41étaient joyeux, très gais et ils roulaient en direction de l'aéroport de Beyrouth. Une fois
52:47à l'aéroport de Doha je tombe sur un colonel de la division, un homme que je connais et lui
52:51me demande tu as entendu ce qui s'est passé cette nuit dans les camps ? Le doigt pointé en
52:57direction de Sabra et Chatila. J'ai dit non non qu'est ce qui s'est passé ? Il répond moi je
53:02n'ai rien vu mais en ce moment même on raconte qu'il y a un massacre. Ils tuent tout le monde,
53:07ils les ont égorgés. Il y en a qu'on a embarqué dans des camions comme des animaux. Il y en a à
53:12qui on a tailladé des croix sur la poitrine. Il y a des blessés, il y a beaucoup de blessés,
53:18des blessés graves qui ont été comme ça embarqués pour une destination que personne ne connaît.
53:23Nous on a vu un phalangiste pousser devant lui un homme, un homme assez âgé et au bout d'un moment
53:40on entend des tirs, 3, 4 coups de feu et puis le phalangiste ressort tout seul et nous on lui
53:49demande on lui demande ce qui s'est passé. Maintenant c'est vrai qu'on parlait pas la
53:52même langue alors avec des boum boum des gestes il nous fait comprendre qu'il a dit au vieux de
53:58se mettre à genoux et comme il a refusé il lui a tiré dessus d'abord dans les genoux puis dans
54:03le ventre finalement dans la tête. Est ce qu'il y a un moment où le déclic se produit et tout
54:11se tient où vous vous dites les camions entre vides et ressortent plein à craquer il y a des
54:16femmes des enfants qu'on évacue les bulldozers qui entrent et on se dit ça c'est un massacre
54:21il y a un massacre en cours un moment où on dit pourquoi j'ai pas pensé avant
54:24il y a un moment où j'ai pensé enfin seulement après que mes soldats soient venus me dire voilà
54:34ce qu'on a vu ils étaient sur le tank et moi ce qu'ils m'ont dit c'est qu'ils venaient de
54:38voir des gens qu'on allignait au mur et qu'on fusillait.
54:51Et il y a eu des hurlements et ils tirent ils ont tiré sur des civils je me suis aussitôt mis en rapport avec
54:56avec mon supérieur et je l'ai averti je lui ai parlé de tous les événements dont m'avaient parlé
55:02mes hommes et lui m'a répondu on sait tout ça l'info a été transmise on fait ce qu'il faut
55:07alors forcément je suis parti du principe que nos chefs étaient au courant et à même de gérer. Et
55:12où se trouvait le commandement où était le quartier général ? Il était derrière moi peut-être à 100
55:17mètres maximum sur un immeuble qui surplombait ma position. En hauteur ? Tout à fait oui il pouvait voir tout ce qui se
55:22passait en contrebas en tout cas j'imagine beaucoup mieux que moi.
55:47Cette nuit là ça ne me disait rien de m'éterniser sur le terrain j'avais un appartement à Baabda en
55:52banlieue sud je suis rentré en voiture et j'étais avec Misha Friedman on s'est dit qu'on allait se
55:57préparer un dîner et Misha a invité des gades un régiment de la division la 211e si je ne me
56:04trompe. Pendant le dîner le colonel du régiment vient me prendre à part et il me dit Ron faut que
56:12tu saches ce que mes hommes racontent ce qui se passe dans les camps c'est un massacre il m'a
56:17rapporté un cas particulier ou deux que ces hommes avaient constaté quand par exemple on avait traîné
56:21dehors une famille avant de l'abattre et ça je lui demande tu l'as vu toi ? Il a répondu non non
56:26moi non je ne l'ai pas vu personnellement mais mes hommes l'ont vu de même que les officiers ici
56:31nous en avons reparlé autour de la table en dînant avec tous les autres et quand tout le monde est
56:35parti vers 11h30 j'ai avalé un demi verre de whisky et j'ai appelé Ariel Sharon à son ranch je
56:45l'appelle alors qu'il était au lit complètement endormi mais je l'interpelle je lui dis Ariel
56:51tout le monde dit qu'il y a un massacre de civils à Beyrouth ouest on me dit que qu'on fusille des
56:56palestiniens il faut qu'on arrête tout ça et à ce retour il me dit toi tu l'as vu ? J'ai répondu
57:04moi non mais il y a des témoignages beaucoup de gens m'ont confirmé la chose il me dit bon
57:09d'accord d'accord je te remercie d'attirer mon attention là dessus et sur ce il raccroche en
57:14général on dit je m'en occupe je vérifie je fais ci ça et ça rien rien il m'a rien dit il m'a dit
57:19merci merci du tuyau bonne année bonne santé comme si c'était puis il est retourné dormir
57:25ce qui me secoue c'est que il y a eu un massacre qui a été commis par des chrétiens des phalangistes
57:31tout autour il y avait des cercles de gens des gens à nous chaque cercle avait une partie de
57:40l'information le premier cercle en particulier et pourtant le déclic dans ce premier cercle ne
57:44s'est jamais produit ces gens là n'ont pas vu qu'ils assistaient au meurtre d'un peuple toi tu
57:48étais dans quel cercle le deuxième je sais pas le troisième et on faisait quoi dans ces cercles
57:53vous faisiez quoi vous on était sur un toit sous un ciel complètement illuminé illuminé par quoi
58:01les fusées éclairantes qui ont probablement facilité ce qui se passait en bas qui a envoyé
58:12les fusées ça change quoi ça change quoi si moi j'ai envoyé des fusées ou si j'ai vu des points
58:19lumineux qui ont éclaté