Avec Benjamin Morel, constitutionnaliste, politologue et maître de conférences en droit public
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NewsTranscription
00:00Et ceux qui ne dorment jamais, ce sont les représentants de la France Insoumise qui agitent une nouvelle menace,
00:05celle d'engager une procédure de destitution contre Emmanuel Macron s'il ne nomme pas Lucie Castet à Matignon.
00:11Bonjour Benjamin Morel.
00:13Bonjour.
00:14Bienvenue sur Sud Radio.
00:15Vous êtes constitutionnaliste, politologue, maître de conférence en droit public.
00:20Une procédure de destitution contre Emmanuel Macron.
00:24D'abord, est-ce que c'est crédible ?
00:25Est-ce que le fait de ne pas nommer la première ministre que veut la France Insoumise est une raison valable ?
00:31Alors, c'est deux questions très différentes.
00:33Est-ce que c'est une raison valable ?
00:34Écoutez, je peux vous jouer mon constitutionnaliste et vous dire oui ou non.
00:38La réalité, c'est que l'article 68 qui prévoit la destitution a été rédigé de manière volontairement très floue.
00:44On parle d'actions manifestement incompatibles avec ses fonctions.
00:49Or, ça, c'est au parlementaire de l'apprécier.
00:52Et pour qu'il l'apprécie, on a prévu des garde-fous qui sont extrêmement importants.
00:57J'arrive au deuxième volet de votre question.
00:59Est-ce que c'est crédible ?
01:00Non, parce que l'article 68 a été rédigé de telle façon que, probablement, il ne sera jamais utilisé.
01:05Il faudrait que le bureau de l'Assemblée accepte cette demande de...
01:11De lancement de procédure.
01:12Exactement, de lancement de la procédure.
01:14Alors, certes, le nouveau fonds populaire a une majorité au sein de ce bureau.
01:17Normalement, les socialistes, on dit que ce n'était pas forcément bon pour eux.
01:22Non, ils sont bons.
01:23Il peut y avoir un premier véto.
01:24Et quand bien même, ensuite, il faut que ça passe par la commission des lois.
01:28Là, vous avez une composante à la proportionnelle.
01:30Donc, il faudrait qu'une majorité des différents groupes politiques à l'Assemblée
01:35accepte pour que ça passe le fil de la commission des lois.
01:37Si c'était le cas, il faudrait que vous ayez deux tiers de l'Assemblée nationale
01:42qui se prononce pour cette destitution.
01:45Et ensuite, on fait la même chose, mais au Sénat.
01:47Vous comprenez bien qu'au Sénat, la France insoumise n'a même pas de groupe.
01:50Et ensuite, si jamais vous avez les deux tiers à l'Assemblée et au Sénat,
01:54vous réunissez les deux chambres du Parlement en haute cour.
01:58Et là, il faut encore qu'il y ait les deux tiers.
02:01Donc, c'est une procédure extrêmement contraignante.
02:04À ce stade-là, ça paraît totalement impossible.
02:06C'est un parcours du combattant, en d'autres termes,
02:08d'autant plus que dans une Assemblée où il n'y a pas de majorité,
02:10c'est encore plus illusoire d'en vouloir une des deux tiers.
02:13Pourquoi la France insoumise fait donc ça ?
02:15Politiquement, lorsque vous remettez en cause la légitimité du chef de l'État,
02:20évidemment, vous mettez une sorte de pression
02:22et par ailleurs, vous gagnez des points symboliques contre lui.
02:24Parce que si ça devait passer le filtre du bureau, ce serait déjà une première.
02:28Parce que cette procédure, encore une fois,
02:30elle est tellement balisée, tellement complexe,
02:32que jusqu'à présent, personne n'est parvenu à passer.
02:35Ne serait-ce que la première étape.
02:36Il y a eu des dépôts, il n'y en a pas eu beaucoup,
02:38mais une fois le dépôt fait, il n'y a pas eu de suite.
02:42Donc si jamais on avait un examen, ne serait-ce qu'en commission,
02:45voire en séance, à ce moment-là,
02:48on aurait quand même une remise en cause
02:50devant l'Assemblée du chef de l'État,
02:53ce qui, évidemment, ferait la une des médias
02:56et affaiblirait beaucoup Emmanuel Macron.
02:57Un mot d'abord pour le rappeler, on ne l'a pas dit,
02:59mais ça n'est jamais arrivé, la destitution d'un président de la République ?
03:02Non, ça n'est jamais arrivé.
03:04On a pu avoir éventuellement des tentatives
03:08sous les 3e et 4e rapides,
03:11plutôt 3e République d'ailleurs,
03:13ça n'a pas été au bout.
03:15C'est-à-dire que les présidents qui ont démissionné
03:17l'ont fait sous beaucoup de pression,
03:18je vous dirais vie, mille rangs, etc.
03:21Ils ne l'ont pas fait à la suite d'une telle procédure.
03:23Effectivement.
03:24Pourquoi, si vous nous dites malgré tout
03:27que ce n'est pas impossible
03:28de destituer le président de la République,
03:31ces soutiens montent au créneau ?
03:33Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice,
03:35qui accuse la France insoumise
03:37de ne pas respecter l'esprit des institutions.
03:39Est-ce que vouloir engager une procédure
03:41de destitution d'Emmanuel Macron
03:43dans ce cadre-là,
03:44c'est manquer de respect aux institutions ?
03:46Alors, non.
03:48Après, on peut discuter, si vous voulez,
03:51sur les motivations qui sont celles aujourd'hui
03:53de cette proposition.
03:55Est-ce que ne pas nommer une personne à Matignon
03:57relève d'un manquement incompatible ?
04:00Oui, probablement pas, en fait.
04:03C'est-à-dire que la Constitution est assez claire.
04:05Elle dit que c'est le chef de l'État
04:07qui nomme le Premier ministre,
04:09qui charge ensuite au Parlement
04:11de rejeter cette proposition
04:13à travers une motion de censure.
04:15En revanche, si jamais vous avez un président
04:17qui, pendant plusieurs mois,
04:19voire plusieurs années,
04:20décide de ne pas nommer du tout un gouvernement,
04:22là, en effet, il y aurait question,
04:24parce qu'il est quand même indiqué
04:26qu'il doit nommer quelqu'un.
04:27Il n'y a pas de délai.
04:28Et ça, c'est un problème.
04:29C'est peut-être un vide juridique.
04:30Mais il est quand même indiqué
04:31qu'il doit nommer quelqu'un.
04:32Or, un gouvernement démissionnaire
04:33n'est pas vraiment responsable devant le Parlement
04:35parce qu'on ne peut pas le renverser, etc.
04:37Donc là, il y aurait un vrai sujet.
04:39Et la procédure qui a été écrite,
04:41faite, pensée, pour ne jamais être utilisée,
04:43il y en a quelques-unes dans la Constitution,
04:45le référendum d'initiative partagée,
04:47la destitution du président,
04:48c'en est deux exemples,
04:49eh bien, cette procédure-là
04:51ne permettrait probablement pas de pousser
04:53un chef de l'État
04:55à nommer quelqu'un.
04:56Et ça, évidemment, c'est embêtant.
04:58Il faut trouver un juste équilibre
05:00entre une procédure qui n'est pas utilisable
05:02et un abus de procédure
05:04qui, si jamais on pouvait renverser
05:06un président de la République aussi facilement
05:08qu'un Premier ministre,
05:09changerait totalement la nature du régime.
05:11Exactement. Malgré cela,
05:12est-ce qu'Emmanuel Macron
05:13n'est pas en train de jouer avec le feu
05:15en retardant toujours
05:17la nomination d'un nouveau Premier ministre
05:19et en n'étant clairement pas emballé
05:21à l'idée d'en nommer un du Nouveau Front Populaire
05:23alors même que celui-ci a le plus de députés ?
05:25Le problème, si vous voulez,
05:27c'est qu'aujourd'hui, si vous nommez Lucie Castex,
05:29ça tient 48 heures.
05:30Étant donné que
05:32Renaissance, LR, le RN
05:34ont dit qu'ils voteraient une motion de censure
05:36s'il y avait le moindre ministre insoumis,
05:38et pour certains même écologistes, dans le gouvernement.
05:40Donc voilà, imaginer
05:42qu'on ait nommé Lucie Castex
05:44juste avant les JO,
05:46ça veut dire qu'un gouvernement démissionnaire
05:48Nouveau Front Populaire qui n'avait pas préparé les JO
05:50expédierait les affaires courantes durant les JO.
05:52Donc évidemment, du point de vue de l'intérêt général,
05:54c'est peut-être pas non plus la panacée,
05:56mais un gouvernement du centre
05:58Bertrand,
06:00Barnier, etc.,
06:02ça tient pas beaucoup plus longtemps,
06:04parce que Nouveau Front Populaire déposerait également
06:06une motion de censure.
06:08Et le RN la voterait.
06:10Exactement, si le RN devait la voter, le gouvernement tomberait
06:12également. Donc pour l'instant,
06:14l'équation parlementaire permet, il est vrai,
06:16pas vraiment de nommer un gouvernement de manière
06:18pérenne. Donc tant que la situation
06:20sera celle-là,
06:22le fait de préférer
06:24les consultations et de
06:26tenter de construire une coalition n'est pas non plus
06:28absurde. On se concentre sur un nom,
06:30Castey, Bertrand,
06:32Barnier, Borloo, etc.
06:34Le problème n'est pas le nom, aujourd'hui.
06:36Le problème, c'est la coalition.
06:38Et cette coalition n'existe pas,
06:40quel que soit le nom qu'on puisse sortir du chapeau.
06:42Est-ce que le chef de l'État
06:44a trop traîné à nommer quelqu'un ? Peut-être pas.
06:46En revanche, il a sans doute et sans aucun doute
06:48trop traîné avant de consulter
06:50les partis politiques, de les mettre autour d'une table
06:52et de jouer son rôle, en fait,
06:54de constat
06:56de l'existence ou pas d'une majorité,
06:58de facilitateur de construction d'une majorité.
07:00Et on sera amené à en reparler, pourquoi pas avec vous.
07:02Merci, Benjamin Morel, politologue
07:04et maître de conférences en droit public.
07:06Il est 7h42 sur Sud Radio.
07:08Restez avec nous, on va se retrouver dans
07:10quelques instants. A suivre,
07:12raconte-moi une chanson avec Guy Carlier
07:14qui reviendra en hommage à une
07:16photo extraordinaire d'Alain Delon
07:18et de Mick Jagger, mais avant ça,
07:20l'heure du crime, ou presque.
07:22Le nouveau détective, ce sera avec Julie Rigoulet
07:24qui nous raconte les grandes affaires
07:26criminelles françaises. A tout de suite.