Exercer le pouvoir sur les autres par l’organisation du travail ne va pas de soi [Pierre-Yves Gomez]
Xerfi Canal a reçu Pierre-Yves Gomez, professeur émérite à emlyon business school, Institut Français du Gouvernement des Entreprises, pour parler de l'organisation du travail pour exercer le pouvoir sur les autres. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Pierre-Yves Gomez, professeur émérite à Lyon Business School, donc bravo pour votre
00:15retraite. Que l'on espère, que l'on sait qui sera très très active, fondateur de
00:20l'Institut français du gouvernement des entreprises à Lyon. Pierre-Yves Gomez, justement
00:26j'évoque le gouvernement des entreprises, un sujet qui obsède la littérature en gouvernance,
00:29c'est la financiarisation, la financiarisation des stratégies. J'ai envie de vous poser la
00:34question avec le recul, la financiarisation c'est une période dont on peut espérer sortir un jour,
00:39ou finalement c'est fondamentalement une condition d'existence du capitalisme ? Petite question,
00:47quatre minutes pour répondre. Voilà, petite question. Alors d'abord, pour rappeler la
00:52financiarisation, donc tel que je l'ai, j'essaie de la décrire dans mes ouvrages, c'est cette
00:56période historique très particulière qui est née à la fin des années 70 et qui se termine à la
01:04fin des années 2002, après la crise de 2008, qui se termine en tant que financiarisation pure,
01:12et en quoi elle consiste ? C'est la prééminence de la finance sur le capital technique et sur
01:19évidemment le capital humain, si tant est qu'on aime cette expression, que je n'aime pas, en tout
01:23cas sur le travail. La finance va imposer ses modes de conduite, ses objectifs, son projet à
01:31l'ensemble de l'appareil économique, et ça vient d'où ? Très simplement, ça vient du fait que
01:35l'épargne, l'intermédiation de l'épargne, donc l'épargne et l'investissement, c'est longtemps
01:41fait, pendant les temps glorieux, ça se faisait par les banques, des intermédiations et sur le
01:48marché financier. Le marché financier, ne voulons pas dire des milliers, des millions d'acteurs,
01:53des fonds d'investissement, qui remplacent les banques, qui sont d'ailleurs souvent possédés
01:57par les banques, en lien avec les banques, et donc on a un changement, non pas tant d'acteurs,
02:02du nombre d'acteurs, que de la modalité d'action. Les banques avaient une vocation de service public
02:09parce qu'elles ont ces moyens de paiement, les opérateurs de marché, donc les fonds d'investissement
02:16n'ont pour mission que de valoriser l'épargne des ménages, ou l'épargne qui leur est confiée.
02:22Donc ça, ça a changé considérablement la manière de comprendre ce que c'est que le
02:27revenu de l'épargne, de le réaliser, donc les organisations, enfin tout ce qu'on a,
02:31on connaît cette transformation énorme du capitalisme entre 1980 et 2000, qu'on a appelé
02:38néolibéralisme, ce qu'on voudra, ça c'est la crème idéologique pour l'accompagner. Le fond,
02:45c'est la nouvelle intermédiation de l'épargne et donc de la finance, et la prééminence de la finance.
02:49Alors, est-ce que c'est, c'est une question très grave, est-ce que c'est une période historique,
02:55et donc on pourrait en sortir et finalement trouver une autre période, ou est-ce que c'est
02:59consensuel du capitalisme ? Est-ce qu'il voulait dater d'ailleurs à 2008, point de bascule,
03:02fin de la financiarisation ? Alors, fin de la financiarisation comme pure, j'entends,
03:07les effets vont continuer de se faire sentir, mais à partir de 2008 commence une période que j'appelle
03:13la sociétalisation, où la société va prendre le dessus sur la finance pour imposer son projet,
03:19ses règles, mais on aura sans doute un moment pour en reparler. Si on en reste à la financiarisation,
03:24donc une question qui est récurrente, c'est est-ce qu'au fond le capitalisme n'est pas
03:31par nature financiarisé ? Dans le lien entre argent mené à argent, chez Marx par exemple,
03:39c'est le fameux modèle, c'est l'argent qui prend le dessus, et c'était déjà chez Aristote,
03:44puisque Marx fait référence à Aristote, la crématistique, le fait que l'argent l'emporte
03:49finalement sur les marchandises. Est-ce que ça c'est pas le propre même du capitalisme ? Personnellement
03:55je le crois pas, ou alors ça écrase trop le capitalisme, ça en fait une sorte de petit
04:02modèle AMA, qui chez Marx, c'est une petite partie de la compréhension du capitalisme. Évidemment,
04:09les modalités de déploiement du capitalisme sont multiples, et une des modalités, ça a été dans
04:13les années 80, cette transformation de l'épargne du public, de l'épargne des ménages, des futurs
04:21retraités essentiellement, c'est de là que c'est parti en fait, des millions de retraités qui
04:25alimentent un marché financier qui lui-même n'alimente que quelques milliers d'entreprises,
04:29ça met en place une modalité du capitalisme qui est très originale, donc que je comparerai pas
04:37de manière très globale à la crématistique et au fait que l'argent est important dans le capitalisme,
04:41certes, mais une chose est de dire ça, très générique, une autre chose est de comprendre
04:45comment à une certaine époque, la financiarisation a conduit à une globalisation de la finance,
04:54donc une globalisation de l'appareil productif, de la production, de la consommation, et ça on ne
05:00peut le comprendre que dans cette période historique-là. Donc pour répondre à votre
05:04question d'agrégation, si je comprends bien, oui, bien sûr que le rapport entre finance et
05:12économique réelle, c'est dans le capitalisme, bien sûr, génériquement, mais la financiarisation telle
05:19que nous l'avons vécu, telle que nous considérons, continuons de vivre les conséquences, elle est
05:25datée et elle est située par les Etats-Unis, en Occident, et va s'étendre aux pays qui vont
05:33émerger du fait de la financiarisation d'ailleurs, parce qu'il y a beaucoup de répitaux qui vont
05:36aller s'investir là, et donc c'est une période historique. C'est une période historique,
05:41donc à suivre la suivante. Merci Pierre-Yves Gomez. Merci à vous.