Lors de la deuxième session du Think & Do Tank du 25 juin 2024 « Plus de femmes dans les métiers de La Défense et de la Cybersécurité » au Ministère des Armées, nous avons eu le plaisir d'écouter le témoignage de Marie-Laure Buisson, Ancien avocat d’affaire, auteure, Officier de la réserve citoyenne de l’Armée de l’Air, Marraine du 4ème Régiment étranger, Légionnaire de 1ère CL à titre honoraire.
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00:00...
00:09Je vous laisse prendre un micro.
00:11Oui, je crois qu'on vous entend bien.
00:13Alors, Marie-Laure, vous avez été longtemps avocate d'affaires.
00:19Vous êtes totalement ensuite engagée dans l'armée.
00:22Vous cumulez aujourd'hui plusieurs casquettes.
00:24Vous êtes officier de la réserve citoyenne de l'armée de l'aire,
00:27marraine du 4e régiment étranger
00:30et légionnaire de 1re classe à titre honoraire.
00:33D'où vient cet engagement pour le monde militaire ?
00:37Alors, c'est une longue histoire.
00:38D'abord, merci infiniment de m'avoir invitée.
00:40Et comme je suis en plus une grande lectrice de Marie-Claire,
00:43je suis très heureuse d'être là aujourd'hui.
00:45C'est une longue histoire parce qu'en fait, toute petite,
00:49à l'âge de 5 ans, je me souviens avoir vu un film
00:52qu'on regardait toutes le dimanche soir.
00:55Vous savez, il y avait les films...
00:58Ou alors c'était les dossiers de l'écran, je ne sais plus.
01:00Et c'était un film sur le général Patton.
01:03Et j'avais vu ce film-là et j'avais été absolument fascinée
01:07par les scènes de guerre que j'avais pu y voir,
01:10pourtant j'étais petite.
01:11Et puis surtout, j'avais été fascinée par ce qui se dégageait de ce film,
01:17c'est-à-dire l'engagement de tous ces hommes, de ces troupes
01:19qui se disaient, on va y aller, on va se battre contre les autres.
01:22Je m'étais dit, quand même, il doit exister dans la vie
01:24quelque chose d'un peu supérieur qui fait que beaucoup de gens
01:27acceptent de se mettre sous une même autorité pour faire le bien
01:30et pour arriver à un moment donné à vaincre l'adversaire
01:33qui nous veut du mal.
01:34Donc cette espèce d'idée un peu floue pour une petite fille de 5 ans
01:40m'avait pénétrée et puis c'est resté tel quel.
01:45Et puis après, j'ai fait ma carrière d'avocate.
01:47Et sur le tard, vers 43-44 ans, le virus est venu me remordre
01:53puisque j'ai eu l'occasion de faire l'Institut des hautes études
01:56de la défense nationale et j'ai été sélectionnée pour cette formation
01:59qui dure un an.
02:00Et là, j'ai ressenti en moi une passion folle pour le monde des armées
02:05et pour le monde de la défense.
02:07Et sans que vraiment j'aie besoin de demander quoi que ce soit,
02:11je m'y suis retrouvée émergée.
02:12Alors je vais vous expliquer comment.
02:14D'abord, à la fin de cette formation, l'armée de l'air est venue me chercher
02:18et m'a demandé si j'acceptais, moi comme d'autres,
02:20je suppose que ce n'était pas exclusif, si j'acceptais de rentrer
02:23dans ces rangs au titre de réserviste citoyenne.
02:29Donc j'ai accepté, bien sûr, c'était un grand honneur.
02:31Et puis durant cette année d'IHEDN, j'ai surtout rencontré,
02:34un peu par hasard, la Légion étrangère.
02:37Et en fait, à cette époque, pendant l'IHEDN,
02:41il y avait un officier de Légion qui était un de mes camarades auditeurs
02:44qui était là et qui, à un moment de l'année, a dit
02:47qui accepterait de nous aider parce que chez nous,
02:49les légionnaires, ce n'est pas très facile.
02:51On a beaucoup de types qui sont en déshérence,
02:53des anciens légionnaires.
02:54On a beaucoup d'anciens, on a beaucoup de blessés.
02:56Comme vous le savez, les légionnaires sont souvent déployés
02:59sur des théâtres d'opération.
03:00Ils ont été beaucoup déployés à Barkhane.
03:02Ils sont souvent en première ligne, ils s'en prennent plein la figure.
03:04Donc voilà, est-ce qu'il y a quelqu'un qui accepterait d'aider ?
03:08Et puis, il se trouve que moi, j'ai levé la main
03:09parce que je pars du principe que je ne refuse jamais mon aide
03:11à qui que ce soit quand on me demande de faire quelque chose.
03:15Peut-être que je ne peux rien faire, mais j'essaye.
03:17Et donc, je suis allée voir les régiments de légion,
03:20les uns après les autres,
03:22pour voir ce que je pouvais faire pour eux.
03:23Et tout ça s'est terminé, je vous fais l'histoire un peu courte,
03:25mais tout ça s'est terminé avec une rencontre extraordinaire
03:31où j'ai rencontré des hommes que j'ai adorés
03:33parce qu'ils sont francs,
03:34ils sont basiques au bon sens du terme, sans blabla.
03:38C'est des vrais mecs, vraiment sympathiques,
03:41qui viennent de 150 nationalités différentes,
03:44qui ont leur franc-parler, qui sont des vrais guerriers
03:47avec, dans le fond, des vraies valeurs
03:49parce qu'ils sont des gens à qui on demande
03:51de venir se battre pour la France,
03:55mais leur patrie, désormais, sera la légion,
03:58les Géopatria Nostra.
04:00Et qu'on finit par naturaliser, s'ils le souhaitent, bien sûr,
04:07par le décret, par le sang versé.
04:09Donc, ce sont des gens avec des valeurs très, très profondes
04:12qui sont venus, en fait, comment dirais-je, permuter.
04:17Enfin, on s'est rencontrés, ça a été un grand choc,
04:21et je les ai adorés.
04:23Et je crois pouvoir dire qu'ils m'ont adoré aussi,
04:25on s'est vraiment bien entendus.
04:27J'ai fait beaucoup de choses pour eux,
04:28j'ai levé beaucoup, beaucoup de fonds pour les anciens,
04:32notamment à Puy-le-Loubier, pour des anciens légionnaires
04:35qui étaient dans la déshérence.
04:37Et alors, qu'est-ce que j'ai fait, tout bêtement,
04:40moi, ne sachant pas me battre ?
04:41En fait, j'ai pris mon carnet d'adresse du CAC 40 parisien,
04:45et je suis allée voir tous les patrons d'entreprises,
04:47et je leur ai dit, avec un air très culpabilisateur
04:50et le doigt pointé sur leur visage,
04:53je leur ai dit, et toi, qu'as-tu fait pour ton pays ?
04:56Et à chaque fois, ils me disaient, qu'est-ce que je peux faire ?
04:59Je disais, c'est très simple, vous faites un chèque,
05:01vous faites un chèque, ça m'ira très bien.
05:04Voilà.
05:05Et donc, j'ai levé beaucoup d'argent comme ça
05:08pour refaire l'Institut des Invalides
05:11de la Légion étrangère.
05:13Petite parenthèse, à l'époque,
05:14ils sont à Puy-le-Loubier, à Aix-en-Provence.
05:16Petite parenthèse, à l'époque,
05:17il n'y avait pas de chauffage central dans les chambres
05:20pour des types qui se sont quand même battus pour la France.
05:22Les cuisines étaient dans un état répugnant
05:25parce que l'Etat ne donne pas un euro pour cet institut.
05:28Donc, tous les pensionnaires, une centaine qui sont là-bas,
05:31ils vivaient comme ils pouvaient
05:33de la vente du vin de la Légion étrangère à Puy-le-Loubier.
05:36Donc, j'ai rapporté plusieurs millions à ce moment-là
05:41parce que je suis allée chercher beaucoup d'argent.
05:43J'ai même des amis américains qui m'ont donné de l'argent.
05:45Donc, c'était sympa.
05:46J'ai quelques donateurs outre-Manche.
05:50Et voilà.
05:51Et puis, c'était surtout...
05:52L'argent, c'est une chose,
05:53mais c'était surtout beaucoup de présence.
05:55C'est-à-dire que j'allais régulièrement dans les régiments
05:58voir les gens,
05:59j'allais parler aux veuves endeuillées
06:02quand il y avait eu des morts.
06:03Je me souviens un jour avoir reçu un coup de fil
06:05à 1h du matin d'un colonel, un chef de corps
06:08que je ne nommerai pas.
06:09Il était 1h du matin
06:10parce qu'il m'appelait de la Guyane,
06:11du 3e Régiment étranger d'infanterie.
06:14Et je sursaute, je prends le téléphone
06:17et j'entends Mme Buisson, c'est le colonel un tel.
06:20Alors, je dis oui, qu'est-ce qui se passe ?
06:21Il dit, écoutez, on a un problème,
06:22on a perdu un homme aujourd'hui,
06:24un caporal-chef qui est mort à Barkhane.
06:26A l'origine, il était de chez nous au 3e RUI.
06:29Sa veuve est chez nous.
06:304 des 5 enfants sont chez nous,
06:32mais il a une fille qui est restée là-bas à Sergis-Saint-Christophe.
06:36Et la petite est en désespoir
06:38parce qu'elle a entendu que son père était mort.
06:41Elle menace de se suicider, c'est un cauchemar,
06:43on ne sait pas quoi faire.
06:44Je me suis relevée,
06:45j'ai appelé un copain qui est un ancien légionnaire,
06:47qui est un taxi,
06:49et on est allés la chercher à 4h du matin à Sergis-Saint-Christophe
06:52et je l'ai ramenée à la maison.
06:53Et ensuite, ce que j'ai fait, c'est que pendant plusieurs mois,
06:56d'abord, je l'ai hébergée un temps,
06:58je l'ai rhabillée de la tête aux pieds
06:59parce que c'était une catastrophe.
07:00Et pendant plusieurs mois, je l'ai coachée, si je puis dire.
07:04Et un de mes grands amis, que je peux citer pour le coup,
07:06qui est un mec formidable, qui s'appelle Steph Gentilly,
07:09patron de la Brede, m'a dit...
07:10Ecoute, je vais t'aider.
07:12Il m'a donné un stage en alternance pour elle.
07:14Je lui ai trouvé un BTS de l'autre côté.
07:17Et voilà.
07:18Et elle a réussi à faire un BTS, elle a été diplômée
07:21et maintenant, elle a un poste CDI
07:25de secrétaire de direction au ministère des Armées.
07:27Elle est sortie d'affaires, donc je suis super contente.
07:30Et donc, à l'issue de tout ça, je finis,
07:32à l'issue de tout ça, le 4e régiment étranger,
07:35qui est le régiment-école de la Légion étrangère,
07:36m'a dit un jour, écoutez, personne ne s'occupait de nous comme ça,
07:38en tout cas pas depuis très longtemps.
07:40Est-ce que vous accepteriez d'être notre marraine ?
07:42Donc j'ai cru que j'allais m'évanouir.
07:44Enfin bon, bref, j'ai été grisée par la demande
07:47et extrêmement honorée.
07:48Bien sûr, j'ai dit oui.
07:49Et désormais, je suis leur marraine
07:50et je passe beaucoup, beaucoup de temps avec eux.
07:53Merci beaucoup pour ce témoignage.
07:54Est-ce que vous pouvez nous dire le message
07:57que vous auriez pour des jeunes femmes
07:58qui hésitent à s'engager dans l'armée ?
08:01Alors déjà, petite hinte, surtout, n'hésitez pas.
08:04Pas un instant.
08:05Autant, pendant des années, le discriminant dans l'armée,
08:09ça a été l'épaisseur du muscle,
08:10et maintenant, c'est plus le cas, évidemment,
08:13du fait d'abord du changement de nature de l'armement.
08:17Et puis, de toute façon, ça n'est plus un sujet.
08:21Donc quand il s'agit de prendre une décision,
08:22il n'y a pas de différence entre les hommes, entre les femmes.
08:25Quand il s'agit, comme le disait la commissaire des armées,
08:28Gadea, quand il s'agit d'avoir des ampoules aux pieds,
08:31il n'y a pas de différence.
08:32Et la force morale, il n'y a pas de différence non plus.
08:35Ni dans la résilience, il y a encore moins de différences.
08:39Et je pense que les femmes sont extrêmement résilientes.
08:41Donc évidemment, engagez-vous.
08:43Et surtout, vous ne lâchez jamais.
08:45Je dis bien jamais.
08:47Donc des sales types, vous allez en rencontrer.
08:49C'est pas la majorité du genre, loin de là,
08:51mais il y en a quelques-uns.
08:52Il ne faut pas se leurrer.
08:54Moi, j'ai eu affaire à un type abject, je peux le dire,
08:56même si j'ai toujours été très bien traitée, mais ça arrive.
08:59Voilà.
09:00Et il y en aura, de toute façon, dans tous les milieux.
09:02Donc allez-y.
09:04Moi, je crois beaucoup en l'intuition des femmes,
09:06je crois beaucoup au génie des femmes.
09:08Donc oui, les métiers de la défense sont parfaitement ouverts aux femmes.
09:11Et si vous croyez dans votre rêve, allez-y, foncez,
09:13vous verrez, ça marchera.
09:15Merci.
09:16Je vois que vous avez amené votre livre.
09:18Justement, est-ce que vous pouvez nous dire un petit mot
09:20de ce livre ?
09:22Femmes combattantes, vous pouvez le montrer, oui.
09:25Cette héroïne de notre histoire, parie en 2022 aux éditions
09:29des presses de la Cité.
09:31C'était une manière de rendre hommage aux femmes à sept destins.
09:35Oui, sept destins, absolument.
09:37En fait, au départ, j'ai écrit le portrait de...
09:39Moi, je ne savais pas que je savais écrire, en fait.
09:41Enfin, je pouvais écrire un livre.
09:44Et au départ, j'ai écrit pour moi le destin de Geneviève de Galart,
09:49que j'adorais, qui est cette héroïne qui était à Dien Bien Phu,
09:52vous savez, sous les bombes au phosphore,
09:55contre le Vietmine, avec tous les Français,
09:58dans la cuvette de Dien Bien Phu, à l'occasion de la guerre d'Indochine.
10:01Et j'ai écrit son portrait pour moi.
10:03Et après, je me suis dit, mais dans le fond, j'en ai fait une,
10:05je vais en faire plusieurs.
10:06Et j'ai fait un panel de portraits de femmes pour montrer que...
10:12En fait, c'est un seul et même visage de femme qui est courageuse,
10:16résistante, résiliente, qui est capable d'être incroyable face à l'ennemi.
10:21Et donc, j'ai une princesse musulmane nazie qui était résistante
10:26au profit de Churchill dans la France occupée.
10:30Il y a une jeune combattante juive en Hongrie
10:34qui s'est fait parachuter pour essayer de créer un réseau de résistance
10:38contre les nazis juste avant qu'ils n'envahissent Budapest.
10:42J'ai fait le portrait d'une jeune femme que, évidemment,
10:43j'ai gardée sous alias, que j'ai appelée Cassiopée,
10:46qui est une jeune capitaine de l'armée de l'air
10:48qui a été déployée à Barkhane dans des conditions pas drôles
10:52et surtout un endroit pas drôle, c'est-à-dire dans la région de Kidal.
10:54Donc, vous voyez, c'est au nord du Mali,
10:56c'est là où il y a tous les djihadistes touaregs, tamashèques.
11:00J'ai raconté son histoire.
11:01Elle a permis l'arrestation d'un djihadiste recherché par la force
11:05à l'époque qui préparait un attentat majeur.
11:08Donc, j'ai raconté tous ces portraits et ça me tenait à cœur.
11:11Et surtout, ce qui m'a fait un immense plaisir,
11:14c'est où que j'aille dans les festivals du Livre ou les colocs,
11:19je vois à chaque fois un nuage, un essaim de petites jeunes filles
11:22qui viennent me voir en disant,
11:24j'ai adoré votre livre, ça me donne envie de m'engager.
11:26Donc, ça, ça me fait infiniment plaisir,
11:28c'est de susciter l'engagement à mon petit niveau comme je peux,
11:31car contrairement à ces femmes qui portent l'uniforme,
11:35moi, je l'ai porté une ou deux fois
11:37quand j'ai été opérationnalisée sur certaines...
11:41J'ai été déployée sur certains théâtres d'opération
11:44par le chef d'état-major de l'armée de l'air, en l'occurrence,
11:47mais pour le reste, je ne suis pas militaire d'actif.
11:49Donc, à mon petit niveau,
11:50ça me fait plaisir de susciter l'engagement.
11:53Merci beaucoup, Marie-Laure Huisson.