• il y a 6 mois
Le RN n'a jamais été aussi prêt du pouvoir. Vote refuge ? Vote d'adhésion ? Pourquoi tant d'électeurs sont-ils prêts à sauter le pas ? Nicolas Duvoux, sociologue, auteur de "L'avenir confisqué : inégalités de temps vécu, classes sociales et patrimoine", paru au PUF, et Président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) est l'invité de Yves Calvi.
Regardez L'invité d'Yves Calvi avec Yves Calvi du 28 juin 2024.

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Transcription
00:00RTL Matins, Amandine Bégaud et Yves Calvi.
00:04Il est 8h22, bonjour Nicolas Duvouz.
00:06Bonjour.
00:07Merci de nous rejoindre dans la matinale d'RTL, vous êtes un spécialiste des questions de pauvreté, d'inégalité sociale,
00:11peut-être l'une des clés d'ailleurs de compréhension de ce qui est en train de se jouer en France.
00:16Je précise que votre livre, L'avenir confisqué, est paru au presse universitaire de France.
00:20Vous avez enquêté non seulement sur la pauvreté dans notre pays, mais aussi sur sa perception et le sentiment de pauvreté,
00:27ce qui n'est pas forcément la même chose. Expliquez-nous la nuance peut-être.
00:30La pauvreté, c'est une convention qui mesure des niveaux de vie et l'écart avec le niveau de vie médian de la population,
00:36donc ça définit un seuil en dessous duquel on va compter 9 millions de pauvres,
00:41des personnes qui sont comptées comme étant en situation de pauvreté monétaire.
00:45Le sentiment de pauvreté, c'est la traduction dans des perceptions que son avenir est dégradé
00:52et qu'il n'y a pas de perspective positive.
00:54Je prends juste un exemple concret pour illustrer.
00:57Les retraités en France aujourd'hui sont très largement protégés de la pauvreté par le système des retraites.
01:03Et pourtant, quand on regarde le sentiment de pauvreté, beaucoup de retraités modestes,
01:07même s'ils ne sont pas pauvres monétairement, voient l'avenir se dégrader parce que tout simplement,
01:12leur charge, leurs dépenses de budget ne collent pas avec l'augmentation des prix de la vie.
01:18Il y a une inflation qui n'est pas possible à encaisser étant donné l'évolution de leurs revenus.
01:24Pour beaucoup de ceux qui nous écoutent, la pauvreté n'est pas un sentiment,
01:27c'est comment je finis mes courses, on est bien d'accord.
01:29Est-ce que j'achète un petit pull pour mon dernier bambin ? Des questions de ce type.
01:33Donc on peut lier les deux ?
01:35Bien sûr qu'il faut lier les deux, parce qu'il y a une petite musique très rassurante qui dit
01:40en fait la société française va bien et les Français sont très pessimistes, irrationnellement pessimistes.
01:46Les Français vivent au paradis et se croient en enfer pour reprendre la formule.
01:49Or, quand on regarde ce sentiment de près, il est très étroitement lié aux conditions matérielles d'existence,
01:56à ce qu'on a appelé les dépenses contraintes.
01:58Le fait que dans votre revenu, il y a toute une partie qui est plombée par le logement,
02:03par l'alimentation, par les transports, par l'énergie.
02:06Vous ne pouvez rien faire, même quand vous avez un certain niveau de vie qui est au-dessus du seuil de pauvreté.
02:11Est-ce qu'il y a un sentiment de pauvreté comme il y a un sentiment d'insécurité ?
02:14C'est-à-dire qu'on ne la vit pas concrètement au quotidien,
02:16mais l'idée qu'elle pourrait frapper à notre porte nous fait peur.
02:19En fait, le sentiment de pauvreté, comme le sentiment d'insécurité,
02:23nous donne des informations sur la perte de maîtrise de leur environnement,
02:27que ressentent très concrètement de très larges parties de la population.
02:31Et donc, il y a, je dirais, une sous-estimation de l'ampleur de la pauvreté.
02:36Et le sentiment permet de se rendre compte de la diffusion de la pauvreté dans notre société,
02:42au-delà des chiffres monétaires.
02:44Et aussi, et c'est un point très important,
02:46c'est que, non seulement on sous-estime l'ampleur des difficultés sociales,
02:50mais on les comprend mal.
02:51C'est-à-dire que ce n'est pas seulement une difficulté au quotidien,
02:53elle est là, elle est présente,
02:55mais elle empêche de voir l'avenir de manière positive.
02:58Et c'est ça face à quoi on est confronté aujourd'hui.
03:00On vote dans deux jours, quels sont les liens entre les fins de mois difficiles et le vote RN ?
03:04Est-ce qu'il y en a une, vraiment ?
03:06Je pense que l'insécurité sociale massive, durable,
03:11constitue un terreau extrêmement puissant
03:15qui produit une partie du vote pour le RN.
03:20Et je pense que quand on a un phénomène aussi massif, et c'est fondamental,
03:24il y a plusieurs facteurs, dont le racisme.
03:26Un racisme dont l'expression a été libérée, désinhibée par un ensemble de débats,
03:31comme celui qu'on a eu sur la loi Asile et Immigration.
03:34Et donc il y a plusieurs facteurs, dont l'insécurité sociale et les tensions budgétaires,
03:39parce qu'on a aussi connu une période d'inflation extrêmement brutale
03:42dans laquelle beaucoup de Français, tout simplement, ont du mal à manger.
03:45Je vous cite, le soutien à l'extrême droite ne s'explique donc pas seulement par la marginalité,
03:50mais également par la peur de perdre.
03:52Oui, la peur de perdre, c'est-à-dire que...
03:53Perdre quoi ?
03:54Les Français...
03:55Un statut social ?
03:56Un statut social, l'avenir de leurs enfants,
03:58la difficulté à joindre les deux bouts, la difficulté à assurer l'éducation,
04:02le logement, avoir un toit sur sa tête, avoir un emploi stable et pérenne.
04:06Quand les jeunes Français sont confrontés à la précarité de manière absolument massive.
04:11C'est ça, les angoisses de l'avenir.
04:13Seuls ceux qui ont assez de ressources et de réserves peuvent envisager de conquérir l'avenir.
04:18C'est terrifiant, ça.
04:19Ça veut dire que notre société n'est plus capable, comme ça a pu être le cas.
04:23Il ne faut pas idéaliser l'étreinte glorieuse.
04:25Mais l'étreinte glorieuse, il y avait plus de pauvreté monétaire.
04:28Il y avait plus d'inégalités aujourd'hui.
04:29Et pourtant, il y avait un récit collectif qui...
04:31Plus d'espoir.
04:32Il y avait un récit collectif qui permettait à l'ensemble des catégories de la société
04:36d'être embarqués dans l'idée que demain serait meilleur qu'aujourd'hui.
04:39Et ce qu'on voit aujourd'hui, c'est l'inverse.
04:41C'est-à-dire que l'espoir, la capacité de se dire que demain sera meilleur qu'aujourd'hui,
04:46est devenu un privilège.
04:47Nicolas Duvouz, il y a un an, vous avez été nommé président du Conseil national des politiques
04:51et de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.
04:54Qu'avez-vous observé et que préconisez-vous ?
04:56Nous, ce qu'on préconise, c'est d'abord de prendre en compte
05:00l'ampleur de ces difficultés sociales
05:02par des politiques, de revalorisation des minima sociaux,
05:06par un effort sur le logement social
05:09pour permettre aux gens d'avoir un toit sur la tête, et y compris aux plus modestes.
05:12C'est des choses très fondamentales.
05:14Le logement, l'emploi, les ressources des plus modestes,
05:17c'est ça qui devrait être les priorités.
05:19Et par ailleurs, c'est de regarder pour le coup vers l'avenir,
05:22préparer la transition écologique,
05:24le faire, nous publions aujourd'hui même un rapport sur cette question,
05:27faire de la transition un levier de l'inclusion sociale
05:30pour que les politiques écologiques ne soient pas punitives
05:33pour les plus modestes, comme on a pu le voir avec certaines mesures,
05:36mais au contraire, qu'elles permettent de préparer un avenir collectif
05:39dans lequel l'ensemble aura sa place.
05:42Donc à la question comment on lutte contre la pauvreté en 2024,
05:45vous nous dites qu'on commence sans doute par s'occuper du logement ?
05:47On commence en partie par s'occuper du logement
05:49qui est aujourd'hui un des points de blocage essentiels de la société.
05:52Je suis journaliste, pardonnez-moi, tous les sociologues,
05:54tous les gens sérieux qui travaillent sur les questions de pauvreté
05:56me parlent du logement, et ça n'a pas changé.
05:59Comment expliquez-vous ça ?
06:01Parce que ça coûte trop cher, c'est trop massif ?
06:03Non, parce qu'il y a tout simplement,
06:05je pense que sur la question du logement,
06:07il y a eu des décisions qui étaient contraires à l'intérêt général.
06:10Les baisses des aides au logement, elles ont frappé les plus modestes,
06:13mais en même temps, il y a eu tout un ensemble de mesures
06:16qui ont freiné la construction.
06:17Aujourd'hui, on construit beaucoup moins de logements
06:19qu'il y a quelques années.
06:20Or, on a besoin de logements.
06:22On a besoin de logements sociaux.
06:24Je pense qu'il y a eu sur cette question,
06:26une vision étroitement budgétaire.
06:28On s'est dit, les aides au logement coûtent trop cher,
06:30on va s'abrer.
06:31Or, il faut un effort sur cette question,
06:34comme sur les transports publics,
06:35comme sur tout un ensemble de domaines
06:37qui permettent à chacune et à chacun
06:39de participer à la vie sociale.
06:41Est-ce que la question du logement vous semble présente
06:43dans notre campagne électorale ?
06:45Insuffisamment, pour le dire très poliment.
06:48Insuffisamment, mais comme un ensemble de sujets
06:50tout à fait fondamentaux.
06:52Il faut parler de l'écologie
06:54et de l'importance de ce sujet
06:56en matière aussi d'inégalité sociale.
06:58Parce que qui est frappé par les canicules ?
07:00Les personnes, les ménages,
07:02qui vivent dans des logements mal isolés,
07:04les plus modestes.
07:05– Merci beaucoup Nicolas Dubou.
07:06Vous êtes sociologue.
07:07Je rappelle le titre de votre livre
07:08« L'avenir confisqué »
07:09publié au Presse Universitaire.

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