la situation est toujours aussi tendue en Nouvelle-Calédonie: les vivres commencent à manquer, les violences ne faiblissent pas et font de nombreux blessés. Comment l'hôpital fonctionne t'il? Faut il craindre des pénuries de médicaments? Le docteur François Jourdel est l'invité de Yves Calvi.
Regardez L'invité d'Yves Calvi avec Yves Calvi du 20 mai 2024
Regardez L'invité d'Yves Calvi avec Yves Calvi du 20 mai 2024
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00:009h, RTL Matin.
00:028h22 à Paris, 17h22 à Nouméa, une semaine après le début des émeutes qui secouent la Nouvelle-Calédonie,
00:10l'attention reste extrêmement forte sur l'île.
00:126 morts, des centaines de blessés, des commerces pillés, une île qui vit au ralenti et dans la peur.
00:17Emmanuel Macron convoque ce soir, je vous le rappelle, un nouveau conseil de défense, le troisième depuis le début de la crise.
00:22Bonjour docteur François Jourdel.
00:24Bonjour.
00:26Vous êtes chirurgien orthopédiste au médipôle de Coutiau, l'hôpital de référence en Nouvelle-Calédonie.
00:31Merci beaucoup de prendre la parole ce matin sur RTL.
00:34Vous prenez la parole, je le précise, depuis votre hôpital.
00:38Merci de nous consacrer un peu de temps entre deux interventions.
00:41Pouvez-vous travailler normalement en ce moment dans votre hôpital ?
00:46On ne peut pas vraiment travailler normalement dans le sens où l'accès à l'hôpital est encore très difficile en fait.
00:52Les patients arrivent difficilement à l'hôpital et puis même pour le personnel soignant en fait,
00:58on ne travaille pas sur un rythme normal dans le sens où les routes ne sont pas encore tout à fait sécurisées.
01:04Donc on est obligé de rester, pour certaines personnes, je pense surtout au personnel infirmier et para-médical,
01:10rester plusieurs jours à l'hôpital pour éviter trop de rotation en fait.
01:14Donc on arrive à faire le travail, on arrive à prendre en charge les patients.
01:18Les patients arrivent difficilement, donc ils sont pris en charge avec un peu de retard.
01:23Mais on arrive quand même à les soigner, on fait vraiment le maximum.
01:26Et le personnel, je dois dire, est admirable et résilient dans le sens où il ne se repose pas beaucoup,
01:34parce qu'en fait on est obligé de dormir sur l'hôpital.
01:37Mais pour autant, on arrive quand même à travailler de façon efficace.
01:42Rassurez-nous, vous ne pratiquez pas une médecine de guerre ?
01:46Alors, médecine de guerre, ça ne veut pas dire grand-chose.
01:50En fait, médecine ou chirurgie de guerre, moi j'en ai fait puisque je suis parti dans quelques missions humanitaires.
01:58Si ça veut dire médecine ou chirurgie au rabais avec un manque de matériel, un manque d'asepsie, un manque dentalgique,
02:08non, on ne fait pas la médecine ou la chirurgie à moitié, on soigne encore les patients de façon optimale.
02:14Mais après, ça reste des traumatismes, pour ce qui me concerne, je suis chirurgien orthopédiste, des traumatismes balistiques,
02:20donc c'est des plaies par arme à feu, ça s'apparente à la chirurgie de guerre.
02:28Oui, on a beaucoup plus que d'habitude, parce qu'on a de temps en temps quelques plaies par arme à feu,
02:33mais là on en a beaucoup plus, et puis on a des plaies par sabre, on a plus de traumatologie,
02:40qu'on a de temps en temps quand même en Nouvelle-Calédonie, mais là beaucoup plus.
02:43Vous nous confirmez avoir pris en charge notamment des patients blessés à la tête par balle ?
02:48Oui, je peux vous le confirmer.
02:51Comment on fait une prise en charge dans d'autres pareils cas ?
02:54Il y a différents types de plaies par balle, ça dépend beaucoup de la vélocité de la balle et de son point d'entrée,
03:03et si c'est un ricochet, mais c'est vrai qu'une balle en pleine tête, en général on a du mal à survivre de ça,
03:14alors je dois dire qu'avec nous depuis quelques années, pas très longtemps d'ailleurs,
03:18depuis un ou deux ans maintenant, on a une équipe de neurochirurgiens qui sont là sur place,
03:22donc c'est eux qui s'en occupent, et jusqu'à présent avant, il y a un ou deux ans,
03:30il n'y avait pas de neurochirurgien sur place, donc c'était les chirurgiens orthopédistes qui s'en occupaient,
03:34mais là j'ai une équipe de collègues neurochirurgiens qui viennent d'arriver,
03:37ils sont là depuis un an ou un mois pour le dernier,
03:42donc voilà, une plaie par arme à feu au niveau du crâne,
03:48en fait il se passe en général un œdème cérébral et on est obligé de faire de la chirurgie très lourde,
03:54c'est-à-dire faire de temps en temps ce qu'on appelle des craniectomies,
03:57c'est-à-dire qu'on retire une partie de la boîte crânienne pour diminuer l'œdème intracérébral pour sauver la vie des patients,
04:04mais en général la balle quand elle traverse une partie du cerveau,
04:07toute cette partie du cerveau n'est plus fonctionnelle,
04:10donc ça laisse des séquelles épouvantables.
04:14Vous nous expliquez très clairement au début de cette interview les difficultés d'accès,
04:19tout simplement même à l'hôpital, même pour le personnel,
04:21est-ce que vous avez du retard dans les interventions nécessaires ?
04:24Autrement dit, certains patients attendent-ils anormalement d'être pris en charge ?
04:29Tout à fait, tout à fait.
04:30Alors, de par le fait que les patients arrivent tardivement suite à leur fracture,
04:36parce qu'ils n'ont pas pu passer les barrages,
04:39mais aussi parce qu'en fait on a un tel volume de patients
04:42qu'on n'arrive pas à faire face à toutes les interventions sur la même journée,
04:48donc on part au plus pressé.
04:50Là on est en train quand même ces jours-ci,
04:53on va dire, d'opérer les patients qui étaient un petit peu en souffrance,
04:58et on arrive à…
05:00on va dire qu'on est plutôt sur la courbe descendante,
05:04j'ai l'impression, j'espère en tout cas, de l'afflux de bléchés.
05:07On vous le souhaite.
05:08Médicaments, poche de sang, vous avez tout ce qu'il vous faut ?
05:12Alors à ce niveau-là, en fait, moi je ne voudrais pas dire de bêtises,
05:15parce que ce n'est pas moi qui gère ça,
05:17je suis vraiment, je m'occupe de la chirurgie,
05:20et je dois dire que pour l'instant, moi il ne me manque de rien en termes de matériel,
05:25de matériel chirurgical, de champs,
05:29après ce qui se passe en réanimation pour les poches de sang,
05:34j'ai entendu dire que c'est un peu compliqué,
05:37mais sincèrement je ne voudrais pas dire de bêtises,
05:39je pense que l'hôpital arrive à gérer,
05:41mais probablement que c'est tendu.
05:45Le premier conseil de défense s'est conclu par l'instauration de l'état d'urgence sur l'île,
05:49le deuxième a acté l'envoi de renforts policiers et de gendarmes,
05:52qu'est-ce que vous habitants, et surtout vous qui travaillez en ce moment,
05:55attendez de l'état français ?
05:59Alors on attend vraiment une sécurisation des routes en fait,
06:03parce qu'en fait le personnel est disponible et sur place,
06:07mais les routes ne sont pas sûres en fait.
06:12Mercredi quand je suis allé à l'hôpital,
06:16j'ai voulu y aller par mes propres moyens en moto,
06:19pour passer les barrages, c'était la route de tous les dangers,
06:23avec des câbles tendus sur la savexpress,
06:27des cailloux qui volent, des pierres qui volent,
06:30et puis il faut passer entre les feux,
06:33donc c'était vraiment périlleux, je ne le referais pas,
06:37mais le problème c'est qu'une fois qu'on est parti,
06:39qu'on a franchi un ou deux barrages, qu'on a échappé à quelques jets de pierres,
06:42on ne peut plus vraiment faire de retour,
06:44donc on continue dans son chemin.
06:47Mercredi c'était très compliqué.
06:50J'ai bien compris que vous avez failli en quelque sorte être visé sur votre moto,
06:54en allant travailler à l'hôpital ?
06:56J'ai même été touché par un jet de parpaing sur la cuisse.
07:02On ne peut pas aller à son boulot à l'hôpital,
07:05normalement et consciemment dans de pareilles circonstances ?
07:10C'est vrai que je n'ai pas été habitué à ça.
07:13Après j'ai travaillé dans des pays en zone de conflit,
07:16et donc je retrouve un petit peu en Nouvelle-Calédonie
07:19ce que j'ai pu vivre en Afrique.
07:22C'est très surprenant,
07:24mais j'espère que la tension va redescendre
07:26et que les gens vont se reparler,
07:28parce que tout ça,
07:31ça ne mérite pas de mettre le feu au pays.
07:35Nous vous le souhaitons en tout cas.
07:37Merci infiniment Dr François Jourdel.