Comment réaliser la transition environnementale et sociale de la pêche ? Sur ce sujet comme beaucoup d’autres, l’Union européenne a un rôle crucial à jouer. C’est pourquoi, dans le contexte des élections européennes de juin 2024, SMART IMPACT reçoit Valérie Le Brenne, chargée de projet au sein de l’association Bloom. Elle évoque les enjeux de préservation de l’océan mais aussi de protection des pêcheurs artisans, au niveau de l’UE.
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00:00 [Générique]
00:06 Que fait l'Union Européenne pour la préservation de l'océan ?
00:11 On répond avec Valérie Le Bren, bonjour.
00:13 Bonjour.
00:13 Bienvenue, vous êtes chargée de projet chez Bloom,
00:16 association créée en 2005 par Claire Nouvian.
00:19 Peut-être que vous pouvez nous rappeler en quelques mots
00:21 quelles sont les missions de Bloom.
00:24 Alors Bloom est une association à but non lucratif.
00:27 Donc nous, notre domaine de spécialité,
00:29 c'est la protection de l'océan,
00:31 et notamment la lutte contre les méthodes de pêche destructrices,
00:35 la destruction des écosystèmes,
00:36 et puis aussi la disparition de la pêche artisanale,
00:39 qui est en fait la plus vertueuse.
00:41 Donc on travaille sur tous ces pans.
00:43 Alors peut-être qu'il faut commencer cette interview,
00:45 on va parler longuement de ce que fait l'Europe,
00:48 ou de ce qu'elle ne fait pas en la matière,
00:49 mais rappelez le rôle de l'océan.
00:52 C'est quoi ? C'est un capteur de CO2 l'océan ?
00:54 Tout à fait.
00:54 L'océan en fait a longtemps été un impensé environnemental,
00:58 alors qu'en fait il joue un rôle de régulateur du climat
01:01 qui est absolument majeur,
01:02 puisqu'il absorbe 90% de l'excédent de chaleur
01:06 du système climatique,
01:09 et il est à l'origine d'environ une respiration sur deux dans la vie.
01:14 J'ai vu qu'il capturait un tiers de nos émissions de CO2.
01:18 Un tiers des émissions de CO2,
01:20 et 90% de l'excès de chaleur du système climatique.
01:23 Donc c'est un rôle qui est énorme,
01:25 qui a souvent été impensé.
01:28 On pense plutôt au rôle des forêts tropicales, à l'Amazonie,
01:31 alors qu'en fait l'océan joue un rôle de climatiseur naturel,
01:36 mais un climatiseur qui est en fait mis à mal,
01:37 puisqu'il se réchauffe, il s'acidifie,
01:40 et donc l'océan a de plus en plus de difficultés
01:42 à remplir ce rôle de climatiseur.
01:44 D'où l'importance de le protéger.
01:47 On va être un peu pédago dans cette interview
01:49 pour parler du cadre européen,
01:52 la politique commune de la pêche.
01:55 Peut-être qu'on peut se demander quels sont les pouvoirs de l'Europe aujourd'hui ?
01:58 Tout à fait.
01:59 Ils sont très importants en matière de pêche.
02:02 Je vais faire un petit rappel historique.
02:04 La politique commune de la pêche, pendant très longtemps,
02:06 les sujets pêche étaient dans la politique agricole commune.
02:10 Et ce n'est qu'à partir de 1983
02:12 qu'il y a eu une autonomisation de la politique commune des pêches,
02:15 avec beaucoup de prérogatives au niveau de l'Union européenne.
02:19 On parle des pouvoirs de l'Union européenne.
02:20 L'Union européenne a une compétence dite exclusive
02:24 sur la conservation des ressources biologiques en mer
02:27 à travers la politique commune de la pêche.
02:30 Ça fait partie de l'une des quatre compétences exclusives de l'Union.
02:33 Il y a des compétences exclusives et des compétences partagées.
02:35 Il y a des compétences partagées avec les Etats membres.
02:37 Compétence exclusive, ça veut dire quoi ?
02:38 Compétence exclusive, ça veut dire que les décisions
02:41 sont prises au niveau de l'Union européenne.
02:44 Et ça, très concrètement, il y a deux domaines
02:46 qui sont particulièrement connus.
02:48 Le premier, c'est la fixation des quotas de pêche
02:51 qui relèvent de l'Union européenne.
02:53 Et puis, on a aussi un pouvoir de négociation de l'Union européenne
02:56 en matière d'accords de pêche au niveau international.
02:59 L'Union européenne peut aussi et doit prendre des mesures techniques
03:03 pour réglementer la pêche dans ses eaux.
03:06 Donc, elle a vraiment un rôle très, très important
03:09 au niveau du continent, des eaux européennes,
03:12 et aussi en dehors, puisqu'on a des flottes de pêche
03:15 qui vont pêcher en haute mer,
03:16 qui vont pêcher dans des États tiers
03:18 avec lesquels on a des accords de pêche.
03:20 Donc, on a des flottes un peu partout dans le monde.
03:22 Donc, l'Union européenne a un rôle majeur
03:24 dans ses eaux et au niveau international.
03:25 Alors, Blum, c'est une association qui est vraiment
03:28 en pointe sur ces questions,
03:30 qui n'hésite pas à mettre les pieds dans le plat.
03:31 Vous dénoncez un lobbying néfaste à l'échelle de l'Union
03:34 sur ces questions de pêche. Pourquoi ?
03:36 Tout à fait.
03:37 Je pense que la meilleure démonstration dans ces cas-là,
03:40 c'est l'exemple, n'est-ce pas ?
03:42 Puisque quand on parle de lobbying au niveau européen,
03:44 on a un peu du mal à se représenter ce que c'est.
03:47 Nous, on l'a vu de manière très concrète plusieurs fois,
03:49 et notamment dans le cadre de la campagne
03:51 qu'on a menée pour faire interdire la pêche électrique
03:53 entre 2017 et 2019,
03:56 où, en fait, vous aviez des lobbys industriels
03:58 qui avaient eu un véritable boulevard
04:00 pendant plus de 10 ans
04:01 pour, en fait, utiliser et développer aux Pays-Bas
04:04 une méthode de pêche qui était interdite
04:06 depuis 1999 par l'Union européenne,
04:08 donc la pêche à l'électricité,
04:10 qui faisait partie des trois techniques interdites
04:12 par l'Union européenne,
04:13 sans que personne ne dise rien.
04:14 Et donc, en fait, en enquêtant, en investiguant,
04:17 on s'est rendu compte qu'il y avait eu,
04:19 en fait, un antrisme de ces lobbys industriels
04:21 à peu près partout pour avoir des décisions
04:23 en leur faveur,
04:24 et y compris, en fait, pour pouvoir
04:27 camoufler, en quelque sorte, des pratiques
04:29 qui étaient en réalité illégales.
04:30 Donc, les lobbys industriels,
04:32 que ce soit dans le domaine de la pêche
04:33 ou dans beaucoup d'autres domaines,
04:35 ont un poids qui est malheureusement considérable
04:37 et documenté et malheureusement connu
04:39 au niveau de Bruxelles,
04:40 et ce n'est pas pour l'intérêt général,
04:42 c'est pour l'intérêt particulier.
04:45 -Par exemple, les questions de chalutage de fond.
04:48 Peut-être qu'il faut réexpliquer ce que c'est
04:50 et puis où on en est.
04:52 Là aussi, quelles sont les législations européennes ?
04:54 Est-ce que c'est interdit ?
04:55 Est-ce que c'est toléré, autorisé dans certaines zones ?
04:58 -Alors, donc, le chalutage de fond,
05:00 on a beaucoup de techniques.
05:01 On a deux grandes catégories de pêche,
05:04 enfin d'engins de pêche.
05:05 On a ce qu'on appelle les engins dormants,
05:06 donc comme les casiers, les lignes.
05:08 Puis, on a les engins dits traînants.
05:10 Et donc, typiquement, le chalut,
05:11 quand vous tirez ce filet sur des kilomètres,
05:13 ça fait partie des engins traînants.
05:15 -Et ça, c'est plus destructeur de biodiversité dans les fonds marins ?
05:18 -C'est extrêmement destructeur
05:19 parce que vous avez des chaluts qui sont pélagiques,
05:22 donc qui agissent dans la colonne d'eau.
05:24 Et puis, vous avez des chaluts de fond
05:25 qui vont carrément racler les fonds.
05:28 Le premier combat historique de Blum,
05:30 c'était quand même l'introduction du chalutage de fond en eau profonde,
05:33 où vous aviez donc des chalutiers
05:34 qui allaient pêcher à plusieurs centaines,
05:36 voire à milliers de mètres de profondeur
05:39 dans des écosystèmes qui étaient extrêmement vulnérables,
05:42 méconnus et avec un niveau de destruction
05:44 qui était absolument scandaleux.
05:46 Donc, ça, c'est une méthode de pêche qui a été interdite.
05:48 Évidemment, on veille au grain pour que tout soit bien appliqué.
05:52 Le chalut de fond à des profondeurs
05:56 plus... moins importantes existe toujours.
05:59 Et nous, par exemple, le combat qu'on mène
06:01 depuis déjà plusieurs années maintenant,
06:04 c'est d'obtenir l'interdiction du chalutage de fond
06:07 dans des aires marines protégées.
06:09 Et qui, en fait, ne sont pas protégées,
06:10 puisqu'on a du chalutage de fond qui existe.
06:13 - Là, c'est un oxymore, c'est contradictoire.
06:14 - Tout à fait, exactement.
06:16 - Elles sont faussement protégées ?
06:17 - Elles sont faussement protégées.
06:18 C'est lié à...
06:21 Évidemment, il y a beaucoup de facteurs
06:22 dont on s'est beaucoup intéressés à la France,
06:24 puisque d'abord, on est français.
06:25 La France est la deuxième puissance maritime mondiale
06:28 après les États-Unis en termes de superficie d'eau sous souveraineté.
06:33 Et le président Emmanuel Macron se targue
06:35 d'avoir que la France ait atteint ses objectifs internationaux
06:39 de protection, il n'en est rien.
06:41 En réalité, la France protège moins de 0,1% de ses eaux
06:45 si on s'en tient aux recommandations scientifiques
06:48 et internationales.
06:49 Et on constate qu'il y a du chalutage de fond
06:51 dans des aires marines protégées.
06:54 Ce qui est évidemment intolérable,
06:56 c'est dans ce cas-là, on ne peut pas parler
06:57 d'aires marines protégées.
06:59 Et donc, nous, on fait campagne pour obtenir
07:02 des avancées de ce point de vue-là.
07:03 - Alors, vous nous disiez en présentant Blum
07:05 qu'il y avait aussi dans vos missions
07:07 la défense des pêcheurs artisans.
07:10 - Oui.
07:11 - Ça passe par quoi ?
07:12 Ça passe par des interdictions d'autres méthodes de pêche ?
07:16 Ça passe par des subventions fléchées vers ces pêcheurs ?
07:19 Ça passe par quoi ?
07:20 - Alors, c'est toujours pareil.
07:22 Évidemment, il y a plusieurs objectifs.
07:25 Pour un seul objectif, il y a plusieurs leviers d'action.
07:29 Le premier levier d'action, ce serait déjà de mettre en place,
07:32 de mettre en œuvre convenablement la politique commune de la pêche,
07:36 qui, en fait, lors de sa dernière réforme en 2012-2013,
07:40 a inclus un article qui est l'article 17
07:42 de la politique commune de la pêche,
07:44 qui est l'article préféré de nombre de défenseurs
07:48 de l'environnement et de la petite pêche,
07:50 et qui prévoit d'accorder des facilités de pêche,
07:55 notamment en termes de licence et de quota,
07:57 à la petite pêche côtière et artisanale,
08:00 qui est en fait plus respectueuse des ressources.
08:03 Et on a sorti un rapport chez Bloom avec des chercheurs en janvier.
08:07 On voit bien qu'effectivement, on a une petite pêche côtière
08:10 qui est plus vertueuse, qui consomme moins de carburant,
08:14 qui fournit plus d'emplois et qui est beaucoup moins subventionnée.
08:17 Le problème, c'est qu'elle se retrouve concurrencée,
08:18 notamment dans la bande côtière,
08:20 par des navires qui sont notamment des chalutiers
08:23 et parfois des navires qui sont beaucoup plus importants.
08:24 Et on documente aussi...
08:26 - Des méga-chalutiers.
08:27 - Des méga-chalutiers qui viennent très, très proche des côtes
08:30 et qui raclent tout, qui dévastent tout sur leur passage,
08:35 y compris parfois en arrachant des casiers.
08:36 Il y a une tribune qui a été publiée
08:39 par des pêcheurs des Hauts-de-France très récemment
08:42 et qui dénonce justement l'arrachage de casiers.
08:45 - Le levier le plus efficace pour vous, c'est quoi ?
08:47 C'est flécher les subventions ?
08:48 - Ce n'est pas les subventions.
08:50 C'est d'abord de permettre aux petits pêcheurs de pêcher,
08:54 donc de leur accorder des licences, de leur accorder des quotas
08:57 et aussi de leur réserver la bande côtière
09:01 pour pas qu'ils se retrouvent concurrencés par des immenses bateaux.
09:04 Ce n'est pas des subventions.
09:06 Et en plus, quand on discute avec les petits pêcheurs artisans,
09:10 je n'ai pas la prétention de parler leur nom à tous,
09:13 mais en tout cas, ce n'est pas des subventions qu'ils demandent.
09:15 C'est de pouvoir pêcher, exactement,
09:17 et d'avoir des ressources en bon état.
09:18 - Ces méga-chalutiers dont vous parlez sont des entreprises européennes,
09:23 ils viennent de beaucoup plus loin ?
09:25 Comment on peut les décrire ?
09:26 Il faut toujours flécher l'argent, n'est-ce pas ?
09:28 Là, on a un cas qui est assez emblématique, mais ce n'est pas le seul,
09:32 avec le fameux Annelies Iléna,
09:34 qui est un navire qui est immatriculé en Pologne,
09:37 qui devait être exploité par la compagnie des pêches de Saint-Malo,
09:43 qui fait du surimis,
09:44 et qui est en fait un navire sous pavillon néerlandais.
09:46 Et donc, les Pays-Bas, en tout cas des entreprises néerlandaises,
09:50 sont très, très impliquées dans la pêche européenne
09:55 et en fait rachètent des armements un petit peu partout,
09:57 et notamment pour faire de la pêche à très grande échelle.
10:00 - Le 9 juin, on vote, on vote dans toute l'Europe.
10:04 Il est crucial, ce vote, pour l'avenir de l'océan ?
10:09 - Il est crucial pour l'avenir de l'océan,
10:12 et pas seulement pour l'avenir aussi du continent,
10:15 et sur beaucoup d'autres sujets,
10:17 mais il est crucial sur le sujet, c'était un petit aparté personnel.
10:22 Sur le sujet, évidemment, de l'océan, c'est majeur.
10:24 On a bien compris, d'abord, l'Union européenne est un acteur majeur
10:27 au niveau international de la pêche.
10:29 Il est quand même important de rappeler que la pêche a été identifiée
10:32 comme la première cause de destruction des écosystèmes marins
10:35 au cours des 50 dernières années.
10:36 Donc, c'est quand même majeur comme conclusion.
10:40 L'Union européenne est la 7e puissance mondiale en termes de pêche.
10:45 On a des flottes partout et elle a des compétences exclusives
10:48 sur la conservation des ressources marines.
10:50 Donc, évidemment que l'Union européenne a un rôle majeur à jouer.
10:53 Il est donc très important d'aller dans le bon sens.
10:55 Et d'aller voter le 9 juin.
10:57 Voilà, ces interviews, on fait toute une série d'interviews thématiques
11:00 dans cette émission depuis des mois, ont aussi cet objectif.
11:05 Merci beaucoup.
11:06 Merci beaucoup.
11:06 Valérie Le Brun et à bientôt sur Bismarck.
11:08 On passe à notre débat, la préservation de la biodiversité
11:13 par et dans les entreprises.