• il y a 2 mois
Favoriser une pêche plus durable en passant par le circuit court : c’est la promesse que fait Charles Guirriec avec son entreprise Poiscaille. Il propose de s’abonner à des paniers de produits marins issus de la pêche côtière. L’ex-chargé de mission énergie au ministère de la Transition écologique met en avant les inégalités entre pêcheurs industriels et artisanaux.

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Transcription
00:00L'invité de Smart Impact, c'est Charles Guirièque, bonjour.
00:09Bonjour.
00:10Bienvenue.
00:11Bienvenue à la pêche.
00:12Oui, bonne banne.
00:13Vous êtes le fondateur de Poiscaille, créé fin 2014, début 2015, donc ça va faire
00:18dix ans.
00:19C'est le circuit court des produits de la mer.
00:21Quel est le modèle ? Expliquez-moi.
00:23C'est un panier de poissons en direct des pêcheurs français, avec des engagements
00:27forts.
00:28Par rassemble à ce que font les AMAP, les paniers de légumes, on l'a rendu plus flexible
00:32où on peut arrêter son abonnement qu'on veut, choisir le contenu de son panier et
00:35surtout avec des engagements très forts.
00:37L'ambition, c'est que les pêcheurs et les petits pêcheurs côtiers vertueux gagnent
00:39plus d'argent pour qu'ils pêchent moins.
00:41Donc, on s'engage sur la fraîcheur des produits, sur la durabilité des techniques
00:44de pêche et surtout sur la rémunération des pêcheurs pour leur garantir des revenus
00:47fixes.
00:48C'est la clé pour contribuer à cette pêche durable.
00:50Oui.
00:51Alors, on reviendra un peu dans le détail.
00:52L'histoire de l'entreprise, elle n'est pas banale.
00:55Vous étiez à la direction des pêches au ministère de l'Agriculture, des postes
01:01de conseillers ministériels, c'est ça ?
01:03Oui.
01:04C'est quoi le déclic en quelque sorte ?
01:05Je suis fan de pêche, je fais ma carrière au début sur les bateaux de pêche, mes pêches
01:09amateurs.
01:10Je fais ma carrière sur les bateaux de pêche, je vois la réalité du métier, je viens travailler
01:13au ministère à Paris, je vois la réalité des ministères et la lenteur des décisions.
01:18En tout cas, je me dis que je peux aller plus vite en payant les pêcheurs plus cher.
01:21Et puis en parallèle, toutes ces amapes, ces ruches se développent.
01:24Et donc, ces modèles-là de vente directe m'inspirent et je vois qu'il y a un besoin
01:28sur le poisson.
01:29Parce que vous ressentez qu'il n'y a peut-être pas une volonté politique française et européenne,
01:35suffisamment forte pour lutter contre la pêche industrielle, en limiter les effets.
01:40C'est ce que vous avez ressenti de l'intérieur à ce moment-là ?
01:43Oui, j'ai senti que c'était difficile d'aller changer les choses et d'avoir un plan ambitieux.
01:48Parce qu'en fait, il faut faire ça sur du long terme et souvent, les équipes dans
01:53les ministères ou dans les cabinets sont sur des termes de 3 à 5 ans maximum.
01:57Et je pense que ce n'est pas assez pour engager ça, avec plus une volonté de dire
02:01« Essayons de faire que la filière ne bouge pas trop, les ports ne soient pas trop au
02:05feu et ça ira bien ». Et c'est ça qui fera qu'on aura du succès alors qu'on
02:09accompagne un peu la filière vers une fin à cause des sujets d'énergie et tout.
02:15Justement, combien de pêcheurs sont vos partenaires ? Parce que c'est vraiment un
02:20partenariat.
02:21Et est-ce que ce type de pêche est en train de disparaître ou en tout cas de s'affaiblir ?
02:27Aujourd'hui, avec nos 20 000 clients partenaires, on arrive à toucher 250 pêcheurs partout
02:32en France.
02:33C'est quasiment 5% de la flotte française.
02:34C'est la petite pêche côtière qui fait moins de 12 mètres, qui utilise des techniques
02:38douces de la ligne du casier du filet.
02:40Elle résiste plutôt bien parce qu'elle arrive globalement à vendre ses poissons plutôt
02:45à bon prix.
02:46Parce qu'ils sont de qualité, parce qu'ils sortent à la journée, parce qu'ils ne sont
02:48pas abîmés à bord.
02:49Mais il y a un sujet de pérennité quand même qui est compliqué et il y a peu d'installations.
02:53Donc, les entreprises vont être transmises dans les prochaines années et c'est là
02:58où c'est inquiétant parce qu'il y a peu de jeunes qui veulent y aller et peu de places.
03:01Quand on parle circuit court, ça veut dire quoi par rapport à la pêche traditionnelle ?
03:07C'est-à-dire un poisson que je commande avec Poiscaille, combien de temps il va mettre
03:11et combien de temps il va mettre si je vais l'acheter au supermarché ou chez un poissonnier.
03:15Nous, on va vous garantir 72 heures entre la pêche à bord du bateau et la récupération
03:21dans un des 1 700 magasins partenaires avec lesquels on travaille ou la livraison à domicile.
03:24Donc, trois jours.
03:25Ça, c'est beaucoup plus rapide.
03:26Il n'y a pas d'équivalent.
03:27En fait, on est les seuls à s'engager sur 100 % de nos produits à ce niveau d'exigence.
03:31Quand vous allez sur un étal de poissonnier, vous pouvez avoir du poisson qui a débarqué
03:35la veille et qui est arrivé le jour même.
03:37Mais si vous passez deux jours après, il sera encore là et il sera un peu plus vieux.
03:40Et vous avez aussi du poisson qui a été pêché il y a une semaine au nord de l'Irlande
03:45et qui est arrivé sur l'étal avec cinq à dix jours.
03:47Mais il n'y a pas de date de pêche qui est indiquée.
03:51Il y a éventuellement une date de débarquement qui est communiquée au poissonnier, mais
03:55qui est juste la date à laquelle le bateau est arrivé au port.
03:57Donc, s'il est sorti plusieurs jours en mer, c'est la même date pour tous les poissons.
03:59C'est souvent ce qui fait.
04:00C'est ça qui est dommage, que certaines espèces qui sont fragiles sont mal aimées
04:03des consommateurs parce que ce traitement long, en fait, ça ne les rend pas très bonnes
04:07à la fin.
04:08Mais nous, avec un traitement rapide, on a des résultats qui sont impressionnants
04:11en termes de cette opération.
04:12Et donc, 250 pêcheurs partenaires, un petit peu partout, justement pour qu'on soit dans
04:16le circuit courge.
04:17Exactement.
04:18C'est peut-être un fantasme, mais est-ce qu'il y a toujours, pas avec vous, mais cette
04:23absurdité de pouvoir trouver un poisson qui a été pêché au large de la Bretagne, qui
04:27va partir à Rungis pour revenir éventuellement chez un restaurateur breton, vous voyez ce
04:31que je veux dire ?
04:32Ça existe encore.
04:33Ça arrive encore, mais à la limite, l'absurdité la plus folle, c'est qu'il y ait un saumon
04:36norvégien ou un cabillaud islandais qui passe par Boulogne, qui s'arrête à Paris
04:39et qui finit chez le restaurateur breton, alors que c'est un poisson, même français,
04:44quitte à ce qu'il fasse l'aller-retour à Paris, qu'on aurait voulu avoir dans cette
04:47assiette.
04:48Ou une dourade grecque ou un thon de l'océan indien, alors qu'il y a des pêcheurs qui
04:51ont des poissons à pêcher devant chez eux et qu'ils n'arrivent pas à bien valoriser.
04:54Quelques chiffres sur la consommation de poissons en France.
04:59C'est le Guide des espèces qui nous donne ces chiffres, qui datent un petit peu de mai
05:032023.
05:04Premier marché européen en volume.
05:06Quatrième pays européen si on regarde la consommation par habitant.
05:09Et 80% des produits qui sont importés.
05:12Alors, je veux bien qu'on insiste là-dessus parce qu'on est un pays béni des dieux en
05:17matière potentiellement de pêche, vu les kilomètres de côte un peu partout.
05:24Pourquoi on importe autant ?
05:25Parce qu'on consomme beaucoup, je pense qu'il y a des sujets aussi, ce qu'il faut savoir
05:32c'est qu'on exporte beaucoup.
05:33Beaucoup de la pêche fraîche française est exportée vers l'Espagne et l'Italie,
05:38qui sont prêts à payer un peu plus cher pour les poissons de qualité qu'on fait.
05:41Je pense qu'il y a un sujet de prix, c'est qu'on a arrosé le marché de saumon, de
05:45cabillaud et de gambas tropical à pas cher.
05:47Et aujourd'hui, ces prix-là, les pêcheurs français ont du mal à les atteindre.
05:53C'est ça qui fait qu'on n'est pas capable de satisfaire la consommation et d'écouler
05:58tous les poissons pour les pêcheurs.
05:59Donc vous nous le dites, il y a la question de la rémunération des pêcheurs, ils sont
06:03grâce à votre modèle, mieux payés, ça veut dire que moi consommateur, je paye forcément
06:07le poisson un peu plus cher chez vous ?
06:09Vous payez à peu près le même prix que chez un poissonnier de quartier ou un poissonnier
06:13de marché.
06:14Par rapport à la grande distribution, on va dire qu'on est 30 à 40% plus cher, sachant
06:17que le bio est en général 80% plus cher que le commerce final.
06:20Donc oui, il y a un petit effort financier à faire et oui, vous n'aurez peut-être pas
06:23mangé du beurre ou de la sole si vous étiez allé chez le poissonnier, mais vous pouvez
06:28l'avoir dans votre panier poiscaille.
06:29Au global, je pense que pour moi, le rapport qualité-prix ou le rapport engagement-prix,
06:36il est carrément intéressant.
06:37Effectivement, aujourd'hui, on s'adresse à des consommateurs qui sont OK pour payer
06:41un peu plus cher pour des produits engagés, mais ils ne nous en font pas beaucoup, ils
06:44nous en font 50 000 et on arrive à changer en profondeur la filière et à pérenniser
06:4910% de la flotte française.
06:50Là aujourd'hui, vous êtes à combien ?
06:52On est à 20 000.
06:5320 000, donc ce n'est pas si loin pour une entreprise qui a été créée il y a une
06:56dizaine d'années.
06:57Vous avez des concurrents d'ailleurs.
06:59Votre modèle a-t-il été copié ou pas ?
07:01Oui, on en a vu beaucoup se monter, beaucoup s'arrêter.
07:04Même à l'échelle européenne, voire nord-américaine, on ne trouve pas d'entreprise qui a atteint
07:10un tel volume.
07:11Après, nos concurrents, c'est surtout les poissonniers et la GMS en priorité parce
07:15que c'est là où les gens achètent du poisson.
07:17Les modèles en ligne, il n'y en a effectivement plus beaucoup parce que coûts de transport
07:23compliqués, les approvisionnements ne sont pas simples depuis quelques années.
07:26Et puis, le poisson sur Internet, c'est un pas à prendre.
07:30Je pense qu'il y a plein de gens qui se disent « mais je ne savais pas que ça existait ».
07:32C'est ce qu'on nous dit souvent.
07:33Alors qu'en fait, ça marche très bien maintenant dans les livraisons en frais, on
07:35livre dans des magasins qui ont des frigos et tout se passe bien.
07:38On peut avoir le bilan carbone du poisson qu'on est en train de concevoir grâce à
07:42vous en quelque sorte ?
07:43Quasiment, parce qu'on a fait un bilan carbone il n'y a pas longtemps.
07:46Donc, on sait que nous, un poisson poiscaille, un kilo de poisson poiscaille émet 2,2 kilos
07:51de CO2.
07:52Et ce qui est intéressant, c'est qu'on a regardé ce qu'on appelle le facteur d'émission
07:56pour la pêche, donc uniquement la partie pêche.
07:58Et ce qui est très intéressant, c'est qu'on est 50 à 60 % inférieur au facteur
08:02d'émission d'un cabillaud ou d'un saumon sorti de l'élevage ou arrivé au quai au
08:07large de l'Issande.
08:08Donc, il y a un truc qu'on tient qui semble corroborer toutes ces études qui disent que
08:12la petite pêche côtière, elle émet moins de CO2 par kilo de poisson que la grande pêche.
08:17Qu'est-ce qui vous manque pour passer à 50 000 ?
08:20Il nous manque des consommateurs et il nous manque de la visibilité et il nous manque
08:24un réseau de distribution peut-être encore plus large.
08:27Aujourd'hui, il y a 1 700 magasins partenaires et derrière, on va le faire grossir petit
08:33à petit.
08:34Petit, il nous reste une minute 30, je voudrais qu'on revienne au ravage de la pêche industrielle
08:38parce que finalement, le point de départ de votre démarche, c'est ça.
08:41De quoi on parle ? On parle de quel type de bateau ? Alors, il y a différents volumes
08:47de bateaux, mais on parle de quoi ? En gros, on entend dire qu'il n'y a pas vraiment
08:51de définition de pêche industrielle mais c'est tous les bateaux qui font en gros plus
08:54de 30 mètres et qui sortent plusieurs jours à plusieurs semaines en mer.
08:57Et ça en gros, c'est à peine à l'échelle mondiale, je crois que c'est quelques pourcents
09:01voire 1% des unités.
09:03Mais en termes de proportion de capture, c'est des volumes énormes.
09:07Vous voyez, il y a des bateaux qui peuvent pêcher là bientôt dans la Manche, ils vont
09:11pêcher du Haren.
09:12En un coup de filet, ils peuvent attraper plusieurs centaines de tonnes.
09:15Ce qu'un petit pêcheur avec lequel on travaille chez Poiscaille n'attrapera pas dans toute
09:20sa carrière.
09:21Donc en fait, le problème de la pêche industrielle, ce n'est pas forcément les volumes qu'elle
09:24attrape parce qu'elle est capable d'aller attraper très loin des côtes dans des endroits
09:27où un petit bateau ne peut pas aller, le problème c'est qu'elle vient près des côtes concurrencer
09:30la petite pêche.
09:31Si elle restait au large et qu'elle pêchait ses quantités au large, on pourrait l'accepter
09:38à condition que les quantités soient limitées.
09:41Vous voyez, on parle de l'échoge des dauphins aujourd'hui.
09:43Moi, je suis assez convaincu que les dauphins ne trouvent plus à manger au large et ils
09:47ont été obligés de se rapprocher des côtes.
09:49Et là, ils ont croisé des filets de pêche qui sont en plus grand nombre que quand ils
09:53sont dans des endroits où il y a des fonds de plusieurs milliers de mètres.
09:55Et donc, je pense que cette pêche industrielle-là, elle a un impact tellement fort qu'aujourd'hui,
10:00il faut le réduire et il faut le questionner.
10:02Merci Charles Guirièc et bon vent à Poiscaille et on a la pêche.
10:07Il n'y a plus qu'à s'inscrire.
10:10Oui, ayons tous la pêche.
10:12Merci beaucoup.
10:13On passe à notre débat, association et inclusion à l'honneur.

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