"Robe sur robe ne vaut", voilà comment un grand nombre d’avocats accueillirent la prestation de la première femme à avoir plaidé. Ces railleries traduisaient les réticences des hommes de voir des représentantes du sexe dit faible, accéder à des fonctions qui leur étaient jusqu’alors exclusivement réservées. Nous étions à la fin du XIXème siècle et la partie n’était pas gagnée pour les candidates à vouloir prêter serment. Jeanne Chauvin, la pionnière, dont nous allons évoquer la vie à dû batailler ferme avant de pouvoir accéder au barreau, trois ans après avoir essuyé un humiliant refus, alors qu’elle était pourtant munie de tous les diplômes nécessaires ! Un combat que va nous raconter notre invitée, Michèle Dassas.
La Revue d'Histoire européenne : bit.ly/42tCcbT
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00:00Bonjour à tous, robe sur robe ne vaut. Voilà comment un grand nombre d'avocats accueillir
00:27la prestation de la première femme à avoir plaidé. Ces railleries traduisaient les réticences
00:32des hommes de voir des représentantes du sexe dit faible accéder à des fonctions
00:37qui leur étaient jusqu'alors exclusivement réservées. Nous étions à la fin du XIXe
00:42siècle et la partie n'était pas gagnée pour les candidates à vouloir prêter serment.
00:47Jeanne Chauvin, la pionnière dont nous allons évoquer la vie a dû batailler ferme avant
00:52de pouvoir accéder au barreau, trois ans après avoir essuyé un humiliant refus, alors
00:58qu'elle était pourtant munie de tous les diplômes nécessaires. Un combat que va nous
01:01raconter notre invitée Michèle Dassas. Michèle Dassas, bonjour. Je vous avais reçu l'année
01:08dernière pour un ouvrage sur Augustine Tuileries qui était l'auteure du célèbre Le Tour
01:13de France par deux enfants et aujourd'hui c'est pour évoquer également une autre
01:17femme, donc Jeanne Chauvin qui fut la première femme avocate à avoir plaidé en France au
01:23tout début du XXe siècle, la pionnière des avocates comme vous l'appelez. Je précise
01:28que ce livre paru aux éditions Ramsey est une réédition enrichie de Femmes de Robe
01:37qui était parue en 2018. Voilà, il y a six ans et cette fois-ci donc effectivement j'ai
01:45tenté quelques épisodes complètement inconnus puisqu'on commence maintenant à découvrir
01:50Jeanne Chauvin, les quelques affaires qu'elle a plaidé aussi commencent à être connues
01:55et son nom, parce que j'avais intitulé le premier ouvrage Femmes de Robe, puisqu'il
02:00y a des hommes de robe et elle était la première femme de robe, maintenant comme son nom commence
02:06à être connu, autant lui donner vraiment son nom, Jeanne Chauvin. Alors avant d'aborder
02:12la vie, qui est parallèle à la condition féminine, qui est représentative de la condition
02:18féminine fin XIXe, début XXe pour une certaine bourgeoisie, il faut le dire, je voudrais
02:25savoir si la France était en retard concernant l'accès à la profession d'avocat pour
02:32les femmes ? Alors pas vraiment en retard en Europe mais par contre par rapport à l'Amérique
02:38bien sûr, puisqu'à l'époque où Jeanne va soutenir son doctorat, sa thèse, il y
02:46a déjà 400 avocates en Amérique, dont 13 qui sont à la Cour suprême, donc ça prouve
02:55vraiment que les Etats-Unis sont bien sûr très en avance sur nous et c'est un modèle,
03:02donc chaque pays va ensuite suivre. En Italie, il y a une femme qui avait réussi aussi à
03:09être avocate mais ça a été annulé quelques temps plus tard. En Belgique, Marie-Pauplin
03:15aussi avait échoué, donc elle est vraiment une pionnière là.
03:19Alors maintenant vous allez nous en dire un peu plus sur Jeanne Chauvin, qui est-elle,
03:24d'où vient-elle ? Alors elle vient de Jarjo, elle est née à
03:28Jarjo, donc au bord de la Loire. Son père est notaire à Jarjo, sa mère est issue d'une
03:35famille de la Beauce, ce sont des bourgeois très cultivés, surtout du côté de sa mère
03:41il y a même des inventeurs. Son père vit à Jarjo mais bientôt il va acheter une étude
03:50à Provins et en fait elle va surtout vivre son enfance à Provins.
03:54Elle est née en quelle année ? Elle est née en 1867.
03:57Donc elle se lance à Provins et elle fait toute sa scolarité à Provins ?
04:03Alors oui, elle fait sa scolarité à Provins et puis bien sûr après à Paris. Elle va être
04:10très brillante, elle a 17 ans quand son père meurt subitement, elle est promise à faire des
04:21études supérieures parce que sa mère veut absolument que ses enfants soient à égalité,
04:29que son fils et sa fille puissent faire les mêmes études. Dans sa famille c'est comme ça.
04:35Donc même si elle se trouve au niveau financier avec certains problèmes, elle va tout faire pour
04:43que sa fille puisse faire des études supérieures. Et Jeanne est très brillante, donc elle va avoir
04:48rapidement deux bacs, sciences et lettres. Elle va faire une licence de philosophie, etc, etc.
04:57Et quand le jeune frère Emile, qui a 8 ans de moins qu'elle, va commencer ses études de droit,
05:03et bien elle aussi, elle va aussi commencer des études de droit.
05:07Parce que justement comment se passent ces études véritablement pour une jeune fille
05:10qui a 20 ans donc en 1875 ? Ce sont les mêmes études, les mêmes cursus que les hommes ?
05:18Elles vont dans les mêmes facultés ?
05:21Dans les mêmes facultés pour la licence. Elles sont très peu de femmes. Et pour les études de
05:33droit, elle est vraiment toute seule. Et elles sont bien acceptées, bien intégrées ?
05:38Oui, oui. En fait, les autres étudiants sont quand même très gentils avec elle. Elle est
05:46très discrète. Elle fait en sorte de ne pas montrer ses bras, de bien se couvrir, etc. Elle
05:54est très discrète et donc elle est surtout plongée dans ses livres. D'ailleurs, les autres étudiants
06:03se rappelleront qu'elle était là au départ avec sa mère. Sa mère venait jouer un peu le chaperon
06:09et sa mère lisait dans le texte les livres de droit en latin. C'est extraordinaire.
06:15Donc elle passe tous ses examens en droit jusqu'à la licence et ensuite il faut qu'elle soutienne
06:28une thèse ?
06:28Oui, elle pouvait être avocate avec la licence. Son frère commencera déjà à plaider avec la licence.
06:37Après, il aura bien sûr son doctorat. Mais elle veut aller plus loin. Elle veut devenir doctoresse
06:44en droit.
06:45Elle précise qu'elle ne veut pas…
06:47Oui, on disait doctoresse à l'époque. Donc, elle va continuer ses études et elle va commencer
06:55quelque chose qui prouve déjà bien l'idée qu'elle a dans la tête. C'est sur les études accessibles,
07:04les professions accessibles aux femmes.
07:05Ça, c'est le sujet de sa thèse ?
07:06Oui, les professions accessibles aux femmes. C'est en fait une étude historique sur les
07:12professions accessibles aux femmes. Et ça va lui prendre pas mal de temps de faire tout ça.
07:18C'est un recueil qu'elle va ensuite soutenir. Elle s'apprête à soutenir comme mon livre débute.
07:27C'est la soutenance de thèse. Justement, racontez-nous parce que ce n'est pas de tout repos
07:32cette première soutenance.
07:32Mais non, parce qu'on l'attend de pied ferme. Certains étudiants… Bien sûr, elle avait été
07:38très bien accueillie. Mais il y a quand même pas mal d'étudiants qui voient cela un peu comme
07:43une provocation ou qui s'angoissent en se disant « mais si elle est la première, il y en aura d'autres
07:49et ça peut nous faire vraiment concurrence. »
07:52C'est là, c'est vraiment la première femme à soutenir une thèse de droit ?
07:55Alors, ce n'est pas la première femme à soutenir. Il y en a une, mais c'était une russe et elle a eu
08:02sa thèse et elle est repartie dans son pays. Donc, de toute façon, c'est la première française
08:09à soutenir sa thèse. L'autre, c'était deux ans auparavant.
08:13Donc, cette première soutenance est un peu agitée ?
08:16Oui, un peu agitée. Donc, il y a des garçons qui commencent à faire un charivari, à chanter
08:23la marseillaise, à faire beaucoup de bruit pour l'empêcher de parler et surtout pour que la soutenance
08:31de thèse soit interrompue.
08:32Et on s'aperçoit que la presse s'en mêle également, ça devient une affaire célèbre.
08:37Oui, c'est intéressant pour les gens, une pionnière comme ça, une femme.
08:42C'est bien vu par certains, très mal vu par d'autres qui pensent qu'elle ferait mieux de s'occuper
08:47de ses enfants ou de rester au foyer et comme disait Wolf, bien de faire une bonne blanquette.
08:56C'est la mère bataille dans le Figaro où vous citez la phrase de la Gueserre,
09:00Mlle Chauvin était-elle seulement capable de réussir une bonne blanquette ?
09:03Voilà, oui, c'est juste une bataille.
09:04Alors, une bonne blanquette on ne sait pas, mais en revanche, elle réussit une bonne thèse.
09:08La première soutenance est interrompue, je crois.
09:11Alors, cette première soutenance est interrompue, donc vous vous rendez compte,
09:14elle s'était préparée, là c'est terrible parce que quand on remet si nédillé,
09:20parce qu'il ne fallait surtout pas dire quel jour, pour ne pas refaire le même charivari,
09:27donc la date est tenue secrète, en fait c'est quelques jours plus tard,
09:31cette fois ça se passe très bien, enfin ça se passe sans brouhaha,
09:36elle doit batailler quand même parce qu'on lui donne quelques arguments
09:41qui sont un petit peu étonnants de nos jours,
09:45elle arrive jusqu'au bout et elle va réussir,
09:48elle aura les 4 boules blanches, ce qui signifie qu'elle est reçue à l'unanimité.
09:53Donc après avoir obtenu ce titre de docteur en droit,
09:57la route va être encore longue avant de pouvoir prêter serment et de devenir avocat.
10:02Qu'est-ce qu'elle fait en attendant ?
10:05Alors, elle y va vraiment avec précaution parce qu'elle sait que ça peut être long
10:11et surtout que toute seule elle ne peut sûrement pas y arriver.
10:15Son frère va être élu député de 2ème circonscription de Maud en 1898,
10:24radical socialiste, il a de bons appuis au gouvernement,
10:29donc il va pouvoir l'aider.
10:32Alors dans un premier temps elle va enseigner,
10:35elle va enseigner dans des lycées de jeunes filles
10:39et elle va enseigner le droit, enfin du moins quelques notions utiles de droit
10:42pour les jeunes filles et également elle va se mettre à rédiger
10:47un énorme pavé de 400 pages sur le droit, pour enseigner le droit dans les lycées.
10:56D'ailleurs ce sera un ouvrage de référence.
10:59Donc elle travaille tout le temps, elle n'arrête jamais.
11:02Elle donne des conférences aussi,
11:04mais elle a quand même quelque part dans la tête ce projet.
11:10Elle va aussi, puisqu'elle peut donner des conseils,
11:13elle va ouvrir un cabinet de conseils, comme ça elle peut gagner sa vie déjà.
11:18De conseils juridiques.
11:19Oui, elle peut gagner sa vie.
11:20Elle habite à Paris.
11:21Elle habite à Paris, alors bien sûr ils habitaient dans un petit appartement,
11:25maintenant qu'Émile gagne sa vie elle aussi,
11:29il déménage dans un rez-de-chaussée Villa Médicis ça s'appelle,
11:34dans le 5ème arrondissement et je suis allée voir,
11:37ça existe toujours, donc j'ai pu vraiment me rendre compte des lieux.
11:42Vous vous êtes servi d'ailleurs à propos de ça,
11:44quelle source avez-vous trouvé sur le sujet ?
11:47Il y a beaucoup de choses ?
11:48On parlait beaucoup d'elle dans les journaux d'époque,
11:50tous les journaux, il y avait une presse énorme,
11:53vous savez, des journaux, il y en avait des tonnes,
11:57et on parlait beaucoup de Jeanne Chauvin,
11:59alors on parlait en bien ou en mal,
12:00mais elle a défrayé la chronique à un moment donné.
12:04Avant même d'être avocate.
12:05Oui, avant même d'être avocate,
12:07déjà le fait d'avoir, d'être doctoresse en droit,
12:12au moment où on la prend en photo,
12:14où elle devient en fait la seule véritable photo que l'on ait d'elle,
12:18la bonne photo, là où elle est en robe d'avocat,
12:23donc la photo qui est sur la couverture du livre,
12:26à partir de ce moment-là, on va parler d'elle,
12:30et puis on parlera d'elle surtout
12:33quand elle va vouloir devenir avocate.
12:36– Donc beaucoup de sources, la presse de l'époque,
12:39également des correspondances peut-être ?
12:41– Non, non, non, non, par contre moi j'ai enquêté sur sa famille,
12:46bien sûr je suis allée voir à Jargeau et surtout à Boës,
12:50ce petit village d'où la mère de Jeanne est originaire,
12:56voilà, sur sa vie privée j'ai enquêté comme ça,
12:58mais également sur son frère,
13:01mais c'est dans la presse que j'ai trouvé.
13:04– Alors parallèlement à ça, elle s'engage également
13:06dans le combat féministe de cette fin du 19ème siècle,
13:11en participant à un groupe d'action qui porte un nom un peu curieux,
13:15j'ai essayé de comprendre ce qu'il voulait dire, l'Avent-Courrière.
13:17– L'Avent-Courrière, oui.
13:18– Alors est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c'est que l'Avent-Courrière ?
13:20– Eh bien c'est une association qui a été créée
13:24par une libre-penseuse d'origine anglaise, Jeanne Schmal,
13:29et qui en fait, elle a deux buts,
13:33simplement, toujours la même chose, c'est l'équité.
13:35Alors elle voudrait que, premièrement,
13:38que les femmes puissent témoigner dans des actes civils,
13:42parce que jusqu'à ce jour, il fallait même aller chercher
13:46un homme qui ne savait pas signer, qui signait d'une croix,
13:49la femme ne pouvait pas signer, ce n'était pas normal.
13:51Deuxième chose qui sera plus long à obtenir, bien sûr,
13:55c'est que la femme, que les épouses, les femmes mariées,
13:59puissent disposer de leur salaire.
14:03Les femmes mariées, on s'arrête.
14:05Et elle pourra obtenir ces deux,
14:09mais ça va être un combat de quelques années.
14:10Alors ces femmes qui font partie de l'Avent-Courrière se réunissent.
14:14– Qu'est-ce que ça veut dire l'Avent-Courrière ?
14:15– Je pense que quelque part, il y avait un sigle avec un soleil,
14:21je pense qu'elles courent avant, c'est ça,
14:23je pense qu'elles sont les premières, elles courent devant.
14:25– Les précurseurs. – Oui, oui, voilà.
14:27– Et donc c'est un groupe composé de femmes,
14:29qu'est-ce qu'elles font exactement ?
14:30Des actions chocs ? – Ah non, pas du tout, non, non.
14:35Elles écrivent, Jeanne écrit, elle écrit aussi dans différents journaux,
14:43elles se réunissent, elles ont des projets,
14:46et puis elle va déposer un projet de loi justement,
14:50Jeanne, l'Avent-Courrière, le groupe va déposer un projet de loi
14:55qui va donc être accepté justement, les deux choses vont finir par être acceptées.
15:02– Parce que finalement, quel est le véritable problème
15:06pour qu'elles ne puissent pas être avocates ?
15:07Est-ce que c'est interdit ou est-ce que ce n'est pas autorisé spécifiquement ?
15:11Quel est le problème en réalité ?
15:13– Alors le gros problème c'est qu'en fait les femmes n'ont pas les droits civiques.
15:18Bon, c'est là où le point de…
15:20Alors la loi ne dit pas que les femmes ne peuvent pas devenir avocates,
15:24mais elle ne dit pas non plus que les femmes peuvent être avocates.
15:28Donc il y a ce problème de droits civiques.
15:30Donc il va falloir modifier la loi pour que les femmes puissent,
15:34sans les droits civiques, quand même devenir avocates.
15:38– Parce que c'est ce qu'elles peinent en disant, moi j'ai mon doctorat, donc a priori…
15:44– Et même avec la licence, elle aurait pu, simplement la loi ne permet pas.
15:48Alors Jeanne s'insurge, elle dit mais pourquoi nous laisser passer nos examens
15:53puisqu'après on ne peut pas s'en servir.
15:56Alors est-ce que c'est pour mettre le diplôme au-dessus de la cheminée,
15:58pour le bon plaisir de nos amis, vous voyez, ou la joie de nos parents ?
16:03Donc vous voyez, elle est interviewée assez souvent.
16:09Donc tout ça, ça permet aussi de faire avancer les idées.
16:12La presse permet de faire avancer les idées.
16:14– Alors pour elle devenir avocate, c'est une ambition personnelle,
16:18elle veut vraiment y arriver parce qu'elle estime que c'est un droit, voire un dû,
16:24mais elle présente ça également comme un devoir.
16:27– Oui parce qu'elle s'est mise complètement dans sa cause.
16:31Elle estime maintenant qu'elle est une sorte d'étendard
16:36et en plus elle est convaincue qu'elle va y arriver.
16:39Elle est convaincue parce qu'il y a des gens qui se groupent autour d'elle
16:43dont Louis-Franck, l'avocat belge qui avait aidé Marie-Pauplin.
16:50Enfin là, Marie-Pauplin, elle avait échoué en Belgique,
16:53elle était doctoresse en droit en Belgique,
16:56mais elle n'avait pas pu devenir avocate.
16:58– Pour les mêmes raisons ?
16:59– Pour les mêmes raisons et aussi surtout parce qu'on lui avait opposé
17:03que ce n'était pas le rôle d'une femme
17:05qui devait donc se cantonner au rôle de mère et d'épouse.
17:11– Alors ces difficultés, prétentiellement ça s'accumule,
17:16donc il y a ce problème des droits civiques,
17:18mais il y a aussi d'autres arguments qui sont avancés par les hommes,
17:23notamment l'argument de la séduction qui est assez étonnant.
17:25– Ah oui, ils ont peur.
17:26Donc ils ont peur effectivement qu'une femme fasse pencher la balance
17:31simplement d'un battement de cils, simplement par séduction effectivement.
17:37Mais c'est surtout, ils ont peur parce qu'ils savent
17:42que les femmes sont très studieuses et qu'elles peuvent effectivement,
17:47il peut y avoir beaucoup d'autres Jeanne Chauvin qui la suivent.
17:51– Alors finalement elle va y arriver mais il faut que la loi soit modifiée.
17:55Alors comment se passe ce combat législatif ?
17:57– Alors justement son frère va avoir de bons appuis,
18:02René Viviani va recevoir Jeanne, lui promet de l'aider
18:06– René Viviani qui est député ?
18:09– Oui et puis d'autres encore, Poincaré, etc.
18:13Il y a tout un groupe d'hommes qui vont la soutenir
18:17et qui est en plus la presse aidant,
18:21le fait que c'est quand même une femme qui est très intelligente,
18:28qui a droit normalement à pouvoir prétendre à…
18:34Donc il va y avoir déjà une première tentative qui va donc échouer
18:40puisqu'elle va être déboutée et ensuite il faut attendre
18:45que la loi soit changée.
18:47– Elle va être déboutée, c'est-à-dire qu'elle va à la prestation de serment
18:51tous ses confrères ?
18:54– Voilà et puis elle demande aussi à prêter serment
18:56et on lui dit que ce n'est pas possible, donc elle est déboutée.
19:00Bon, elle ne se décourage pas,
19:03maintenant elle est vraiment complètement dans l'action, n'est-ce pas ?
19:06Et elle ne se décourage pas et elle va jusqu'au bout donc aider,
19:11si elle avait été toute seule elle n'aurait pas réussi bien évidemment.
19:15– Donc aidée par son frère ?
19:16– Oui, alors dans un premier temps la loi va passer à l'Assemblée
19:21et puis plus tard au Sénat, un an plus tard,
19:25alors en 1899, il faudra attendre un an encore
19:30à partir du moment où la loi va être promulguée,
19:32enfin au moment où la loi va être votée au Sénat
19:35pour qu'elle soit promulguée en 1900,
19:38vous voyez donc c'est long, on arrive en décembre 1900
19:43et elle avait commencé tous ces combats plusieurs années plus tôt.
19:46– Et donc là elle peut enfin prêter serment ?
19:48– Elle peut prêter serment.
19:49– Mais ce n'est pas la première femme ?
19:51– Non, elle va prêter serment le 19 décembre
19:54mais il y a une autre femme qui est une franco-russe, Olga Petit.
19:58– Celle dont vous parliez tout à l'heure ?
19:59– Non, non, une autre, l'autre elle était repartie dans son pays,
20:03celle-ci donc, Olga Petit-Balechowski,
20:07je ne me rappelle plus exactement le nom,
20:09je ne pourrais pas vous le prononcer, Petit, Olga Petit,
20:12son mari l'appousse pour que son nom reste dans les annales,
20:18pour qu'elle soit la première femme avocat,
20:22mais en fait elle n'a jamais plaidé cette femme,
20:25elle était juste là pour faire plaisir,
20:29plaisir aussi à tous ceux qui avaient lutté contre Jeanne
20:34et qui sont bien contents de faire passer une autre devant elle
20:38et que ce soit ce nom-là qui reste à la postérité.
20:41Mais comme Jeanne sera la première femme à plaider,
20:44– C'est son nom qui va rester dans la postérité.
20:47Donc effectivement première femme à plaider,
20:49comment se déroule son premier procès ?
20:51– Alors c'est son frère, son frère prépare la défense,
20:59il y avait beaucoup d'accidents de chemin de fer à l'époque,
21:01d'ailleurs son frère avait été victime d'un accident aussi de chemin de fer,
21:06donc encore un accident de chemin de fer
21:08et c'est l'aiguilleur Fex qu'il va défendre,
21:12alors bien sûr Jeanne regarde un petit peu les dossiers avec lui,
21:16travaille en même temps et au moment de plaider,
21:20Emile dit écoutez je passe la parole à ma sœur Jeanne Chauvin,
21:23et alors là, donc stupéfaction, c'est Jeanne qui va plaider l'affaire.
21:29Donc en janvier 1901 et un mois plus tard,
21:34elle plaidera son propre procès.
21:36– C'est-à-dire qu'elle ouvre son cabinet vraiment
21:38ou elle s'associe avec son frère ?
21:40– Ah non, elle a son propre cabinet, son frère a ses propres affaires
21:45mais là, pour cette première fois, il lui avait…
21:48– Est-ce qu'elle le gagne ce premier procès avec son frère, il est gagné ?
21:52– Oui, oui, et puis le deuxième aussi, le deuxième qui sera à Château-Thierry,
21:56là où siège le bon juge, donc le juge Magnaud qu'on appelle le bon juge,
22:02parce qu'il a beaucoup d'empathie envers les miséreux,
22:06et donc elle est très très bien accueillie à Château-Thierry
22:10et là aussi ça se passera très bien.
22:12– Mais comment elle trouve sa clientèle ?
22:15– Je pense que c'est les gens qui viennent la chercher souvent,
22:17– Oui, parce qu'elle a quand même déjà une réputation.
22:21– Oui, et puis elle donne des conseils depuis déjà un certain temps,
22:24et puis des femmes, mais pas que des femmes.
22:28– Alors justement, à propos de femmes, il y a un procès assez cocasse
22:30qui est un litige commercial entre deux femmes
22:34pour une histoire de corset ou de soutien-gorge, enfin je ne sais pas comment…
22:37– Voilà, les corsets qui étaient les ancêtres des soutien-gorge,
22:40là des porte-poitrines, etc.
22:43– Oui, alors c'est un procès en appel.
22:47Sa cliente, c'est Mme Philbois, qui en fait avait fait une invention,
22:53mais elle n'avait pas déposé de brevet.
22:55C'est une certaine Mme Cadol qui a déposé le brevet de son invention,
23:01et elle voudrait, mais elle ne va pas réussir de toute façon,
23:06parce que Jeanne va plaider contre un avocat guéri,
23:12maître à l'art, qui va complètement gagner la…
23:16De toute façon, c'était en appel, elle avait perdu déjà en premier.
23:19– Et alors, quel type d'avocat est-elle ?
23:22Parce que déjà, elle se spécialise plutôt en droit civil, en droit commercial,
23:25elle ne fait pas de pénal, on en reparlera.
23:28Mais quel type d'avocate est-elle ? Est-ce que c'est une bonne avocate déjà ?
23:31– Oui, c'est une bonne avocate parce qu'elle croit vraiment…
23:34elle dit d'ailleurs qu'elle choisit ses clients,
23:36elle veut être absolument convaincue de leur bonne foi,
23:41elle ne veut pas plaider quelque chose, mentir en fait.
23:46Donc, elle est toujours très vraie dans ses plaidoiries,
23:51elle y met tout son cœur,
23:52et c'est pour ça d'ailleurs qu'elle ne veut pas aussi défendre des scélérats.
23:57– D'accord, donc elle se cantonne plutôt au droit civil ?
24:03– Oui, elle dit que c'est très intéressant,
24:04qu'il y a plein de choses très variées, ça lui plaît beaucoup.
24:07– Alors, quel type d'affaires défend-elle,
24:09puisqu'elle ne défend pas de scélérats, comme vous dites ?
24:12– Oui, un petit peu toutes les affaires civiles courantes,
24:17des divorces par exemple,
24:19elle va par exemple plaider pour une femme
24:22qui a tenté de tuer son mari dans un premier temps,
24:27qui avait fait un petit peu de prison, mais en fait avait été acquittée.
24:30Souvent c'était comme ça d'ailleurs,
24:32les crimes passionnels, les femmes ne s'en tiraient pas trop mal.
24:37Et là, cette femme voudrait obtenir la garde de sa fille,
24:42de sa petite Henriette, et son mari habite très loin,
24:46il voyage toujours à l'étranger, et donc ça pose un problème,
24:51on ne prend pas l'avion à l'époque, comme ça pour aller à l'autre bout du monde.
24:55Donc elle va défendre cette femme,
24:57elle va obtenir le fait qu'il peut voir sa fille trois mois par an,
25:04après elle replaidera de nouveau parce qu'il y a eu le choléra autour du Nil,
25:11et donc la petite fille ne peut pas aller chez son père cette année-là.
25:15Vous voyez, des choses comme ça par exemple.
25:17– Elle défend des grévistes également ?
25:18– Des grévistes, puisque son deuxième procès,
25:21c'était un ouvrier gréviste à Château-Thierry,
25:25et elle a gagné son procès.
25:26– Qui était accusée de quoi ?
25:29– Qui était accusée d'avoir enfreint la loi.
25:37– On va parler un peu de sa vie personnelle,
25:42on a l'impression, moi c'est ce que j'ai ressenti à la lecture de votre livre,
25:46il y a deux choses, c'est qu'un, elle sacrifie totalement sa vie personnelle,
25:50sa vie professionnelle, mais également il y a quand même l'influence de sa mère,
25:53on sent que sa mère ne veut pas la laisser partir.
25:56– On peut aussi dire que sa mère croit vraiment beaucoup en elle,
26:00effectivement, elle a un parcours exceptionnel,
26:03donc sa mère pense que sa vocation n'est pas d'être une épouse et une mère,
26:11et je pense aussi peut-être que sa mère a un mauvais souvenir,
26:15un souvenir terrible d'avoir perdu une petite fille à 9 ans,
26:19et sans doute elle veut épargner aussi sa fille de malheurs comme ça,
26:26donc elle dit après tout, peut-être que si elle est heureuse comme ça dans sa profession…
26:31– Oui, mais est-ce qu'elle était vraiment heureuse dans sa vie personnelle,
26:34ça on ne le sait pas.
26:36– Oui, moi je pense que les gens qui l'ont côtoyée,
26:39par exemple puisqu'elle faisait beaucoup de peinture,
26:41elle faisait aussi de la lithographie,
26:44les gens qui l'ont côtoyée disaient qu'elle avait l'air heureuse, joyeuse,
26:50en tout cas une femme charmante.
26:52– Est-ce que ça veut dire également, sa mère disait,
26:55en gros est-ce que pour être une femme libre à cette époque,
26:58il fallait être célibataire et riche peut-être aussi ?
27:03– Oui sûrement, alors qu'au départ effectivement Jeanne n'avait pas de dot,
27:07puisque la mère a toute utilisé tous les fonds
27:09pour pouvoir permettre aux deux enfants de faire des études,
27:13elle n'avait pas de dot, peut-être si elle avait eu une dot,
27:17mais je pense que si elle s'était mariée,
27:19elle n'aurait pas pu mener tous ces combats,
27:23elle n'aurait peut-être pas pu être aussi indépendante qu'elle l'a été,
27:29parce que les premières femmes avocates
27:30sont souvent des femmes qui aident leur mari avocat,
27:33c'est ce qu'on voit dans un premier temps,
27:35après il y en a quelques-unes qui vont bien sûr mener leur carrière seules,
27:39mais au départ restent cantonnées avec leur mari.
27:43– Alors son frère lui est avocat, député, député radical socialiste,
27:49et il est franc-maçon également,
27:52il va être mêlé à une affaire un petit peu lourde ?
27:54– En fait qu'on ne connaît pas, je regardais sur Google pour voir,
27:59pas un mot sur cette affaire,
28:00je l'ai découverte parce que je me demandais pourquoi,
28:04alors qu'il a une si brillante carrière,
28:06qu'il est promis un avenir extraordinaire,
28:09pourquoi il s'arrête en route tout d'un coup en 1909
28:12et qu'il va être professeur de droit, pourquoi ?
28:18Alors tout simplement parce qu'il a, en tant que franc-maçon,
28:23il a connu quelqu'un d'autre, un frère,
28:28et ce frère qui se trouve être un escroc,
28:31alors c'est curieux parce qu'il y a une petite ressemblance…
28:32– On dit un frère, un frère…
28:34– Un frère maçon, oui un frère maçon,
28:36alors ce frère maçon en fait c'est curieux
28:39parce qu'il y a une petite ressemblance avec l'affaire Dreyfus
28:43qui est toute proche là, parce qu'il est juif
28:47et qu'il est également capitaine, il est dans l'armée,
28:52oui alors tout ça, les gens, la presse se mobilisent vraiment
28:58et effectivement cet escroc avait monté toute une sorte de société
29:07avec plusieurs personnes qui rabattaient des clients
29:11et ils faisaient du chantage, ils extorquaient des fonds
29:15et c'était souvent pour avoir des grâces,
29:19grâces par exemple ne pas faire service militaire,
29:22avoir une médaille, être promu, vous voyez donc c'était…
29:26– Et donc comment l'a fait Emile Chauvin ?
29:29– Ce malheureux Chauvin qui était franc-maçon à un moment donné
29:33a effectivement dit quelque chose pour faire avancer
29:37le Marix mais simplement parce que le général Peignet
29:40lui avait recommandé ce Marix,
29:43donc il n'a pas vraiment fait quelque chose d'absolument abominable
29:47mais le fait d'être cité, d'être comme ça roulé dans la boue
29:53dans les journaux c'était fini pour lui, il ne pouvait pas continuer.
29:56– Donc il démissionne de son mandat de maîtrise.
29:58– Voilà et il va demander un poste de professeur en Afrique du Nord.
30:02– Alors la Première Guerre mondiale arrive, 1914,
30:07donc là ça va changer la donne pour la profession
30:10parce que beaucoup d'avocats hommes sont partis au front,
30:13donc il y a une pénurie d'avocats.
30:14– Oui et puis il y en a beaucoup qui meurent au front aussi,
30:17donc elle va être obligée de faire quelque chose
30:19qu'elle ne voulait pas faire, c'est-à-dire faire du pénal.
30:21Elle va donc être l'avocat de ce qu'on appelle un apache,
30:27vous savez un jeune qui est…
30:29– Oui c'est les voyous de l'époque.
30:31– Les racailles de l'époque.
30:32– Les racailles, voilà et de toute façon il va quand même aller en prison,
30:37elle va essayer simplement de faire en sorte qu'il ait le moins de prison possible.
30:41– Alors justement quel biais elle prend ?
30:42Parce qu'on a l'impression qu'elle prend plutôt un biais social pour le défendre.
30:46– Oui parce que d'abord c'est un jeune vraiment
30:49et elle espère simplement qu'il va s'amender,
30:53que la prison va le remettre sur le droit chemin,
30:58donc c'est ce qu'elle pense puisqu'à l'époque effectivement
31:00la prison pouvait remettre sur le droit chemin.
31:04Mais aussi en plus, et c'est l'ironie du sort,
31:07cette prison va aussi faire en sorte qu'il n'aille pas au front,
31:12donc ça va peut-être lui sauver la vie.
31:14Vous voyez c'est quand même, et ça elle ne le fait pas exprès,
31:16c'est simplement voilà.
31:18– D'ailleurs à propos de prison,
31:20c'est encore une époque où il y a la peine de mort,
31:22on connaît son avis sur la peine de mort ?
31:25– Oui alors non, elle est contre la peine de mort,
31:27en fait elle est surtout contre la peine de mort
31:31parce qu'elle estime que le bagne est mieux,
31:36le bagne vraiment, elle est tout à fait favorable au bagne
31:39parce que là elle pense que c'est une vraie punition.
31:42C'est son avis et son avis à la lumière de l'époque.
31:49– Oui bien évidemment, parce que c'est une femme,
31:52est-ce que politiquement parlant on peut la qualifier ?
31:55– Je pense que comme son frère était radical socialiste,
31:57je pense qu'elle partageait sûrement les idées de son frère,
32:05cela dit c'est une bourgeoise dans l'âme,
32:08elle est respectueuse des codes, des règles,
32:13et puis de la bienséance.
32:16– Ce n'est pas une révolutionnaire ?
32:18– Non ce n'est pas une révolutionnaire.
32:20– Et elle continue de militer à la Vancourrière ?
32:22– Non, après quand la Vancourrière, non elle va quand même…
32:27– Est-ce qu'elle continue son combat ?
32:28– Non, elle va en fait être dans un autre combat,
32:32de temps en temps elle va participer à des réunions féministes aussi,
32:37ce qu'elle voudrait c'est que les femmes puissent avoir un jour le droit de vote,
32:42et puis elle croit, avant la guerre de 14,
32:46elle croit que le progrès va rendre les gens très très heureux
32:50et que tous seront frères etc.
32:53Donc ça c'est avant la guerre de 14.
32:55– Alors justement est-ce qu'après la guerre,
32:56pénurie d'avocats pendant la guerre,
32:58beaucoup d'avocats effectivement meurent au front,
33:01donc est-ce qu'après la guerre la condition des femmes
33:03dans cette profession va vraiment changer ?
33:05Est-ce qu'il va y avoir une explosion de vocation ?
33:08Quelle est la situation ?
33:09– Oui ça va aller assez vite quand même,
33:11parce que quand il y a le Jubilé en 1926,
33:18elle va se rendre compte qu'en fait,
33:22il y a énormément énormément de femmes avocates,
33:25et puis même des femmes qui commencent à avoir des postes importants,
33:29elle est très heureuse de se voir,
33:32c'est ce qu'elle voulait,
33:33elle voulait planter plein de petites graines,
33:35donc voilà elle voit déjà une forêt qui arrive,
33:39une forêt d'avocates, elle est très heureuse.
33:44– Alors une dernière question Michel Dessas,
33:46nous l'avons vu donc Jeanne Chauvin défendre toute sa vie
33:50les droits des femmes,
33:52d'après vous qui la connaissez,
33:54qu'est-ce qu'elle penserait de nos néo-féministes d'aujourd'hui ?
33:58– Je pense qu'elle aurait un regard très critique,
34:02parce que ça n'a rien à voir,
34:04elle avait, il y avait effectivement des choses à changer,
34:08il fallait obtenir l'équité,
34:10l'équité nous l'avons depuis longtemps,
34:12donc elle voulait que les femmes puissent exercer
34:15les mêmes métiers que les hommes si elles en étaient capables,
34:18donc si elle passait un diplôme,
34:21voyez c'était des choses simples, avoir un droit de vote,
34:24des choses simples, mais l'équité,
34:27elle était loin, ce n'était pas du tout une virago,
34:31c'était une femme modeste, comme je vous le disais,
34:35très charmante et simplement très courageuse
34:40et passionnément son métier.
34:42– Eh bien merci, donc je renvoie nos téléspectateurs
34:44à Jeanne Chauvin, pionnière des avocates,
34:46alors c'est une biographie,
34:48il y a un petit côté romancé également,
34:50qui permet de rendre vraiment vivante et attachante
34:55la personne de Jeanne Chauvin.
34:58– Oui, parce que le côté sentimental,
35:00vous voyez, la discrétion faisait qu'elle ne disait rien
35:03sur sa vie privée.
35:06– Donc Jeanne Chauvin, pionnière des avocates,
35:08avec une préface de Marie-Aimée Perron,
35:10qui est ancien bâtonnier du Bairro de Paris
35:13et s'est parue aux éditions Ramsey.
35:16Merci. – Merci.
35:17– Donc avant de nous quitter, une exposition à vous conseiller,
35:22elle se tient à l'historial de la Vendée au Luc sur Boulogne
35:26et est consacrée à ce géant de la liberté
35:28que fut Alexandre Solzhenitsyn.
35:30En 1973, avec l'archipel du Goulag
35:33sorti clandestinement d'Union soviétique,
35:35l'écrivain russe devenait le grand opposant
35:37à la dictature communiste.
35:39136 objets prêtés par des musées et des particuliers
35:42aident à mieux comprendre comment Solzhenitsyn a écrit son livre,
35:45malgré l'obligation de se cacher,
35:47comment ensuite un véritable réseau d'invisibles
35:50a permis sa publication, parfois au péril de leur vie.
35:53Des extraits de films, des interviews de spécialistes,
35:56des lectures par des comédiens
35:57donnent également à appréhender au plus près l'homme
36:00et l'œuvre indissociables.
36:01Réalisée en partenariat avec le centre culturel,
36:04Alexandre Solzhenitsyn à Paris,
36:06et la famille de l'écrivain, notamment son fils,
36:08le musicien Ignat Solzhenitsyn,
36:10l'exposition a été privée de certains pré-russes
36:12du fait de la guerre contre l'Ukraine,
36:13mais les organisateurs, sous la houlette de Stéphane Courtois,
36:16son commissaire scientifique,
36:17ont tiré le meilleur profit des pièces présentes.
36:20Vous pouvez découvrir tout cela jusqu'au 9 juin.
36:23C'était Passer présent, l'émission historique de TVL,
36:27présentée en partenariat avec la revue d'Histoire européenne.
36:31Vous allez maintenant retrouver Christophe Erlan
36:34et la Petite Histoire,
36:35mais avant, n'oubliez pas de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
36:38et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
36:40Merci et à bientôt.
36:59Quand on pense à la bataille de Normandie en 1944,
37:02on pense d'abord à...
37:04...
37:15... ou encore...
37:15...
37:24... et même, même à...
37:25...
37:30... quoi ?
37:30Mais à ça, on y pense rarement.
37:32...
37:44Et pourtant, c'est bien là l'envers du décor,
37:47à supposer qu'il y ait encore un décor.
37:49Vous le savez, dans la nuit du 5 au 6 juin 1944,
37:52les Américains déclenchent l'opération Overlord.
37:54En six jours sont débarqués 620 000 soldats,
37:5795 000 véhicules et 220 000 tonnes de matériel.
38:00Ah ouais, quand même !
38:01Contrairement à ce qu'on a souvent dit,
38:02la bataille de Normandie ne fut pas pour les Yankees
38:04une petite promenade de santé.
38:06Face à eux, une farouche résistance allemande
38:09qui induit une progression lente.
38:11Et pour aller plus vite, selon la doctrine de l'époque,
38:13il faut intensifier les bombardements,
38:15encager le champ de bataille,
38:17selon l'expression de l'historien Edi Florentin.
38:19D'après les Américains, il fallait créer des roadblocks
38:22à chaque grand carrefour situé en plein cœur des villes
38:24pour ralentir l'arrivée des renforts allemands.
38:27Et que trouve-t-on sur ces roadblocks,
38:29des grands carrefours,
38:30où sont situés les grands carrefours dans les villes,
38:32et que trouve-t-on dans les villes ?
38:34Des civils.
38:35Sauf que pour les Alliés et surtout pour les Américains,
38:37la France est un pays occupé et donc un territoire ennemi.
38:40Donc vous imaginez bien, on s'embarrasse peu des civils.
38:43Ainsi, du 5 juin jusqu'à la fin de la bataille de Normandie fin août,
38:47des millions de bombes vont être déversées
38:49avec des conséquences dramatiques pour les habitants.
39:00Le jour du débarquement
39:23Pour ne rien arranger, le jour du débarquement,
39:25les avions américains, gênés par les nuages
39:28et surtout de peur de bombarder leurs propres hommes,
39:30ne bombardent pas la ligne de côte,
39:32mais les fermes environnantes,
39:34dans le plus grand des calmes.
39:35Les civils sont donc les principales cibles
39:37de cette stratégie de bourrin à l'anglo-saxonne.
39:40J'ai toujours dit que c'était des bourrins.
39:41Toujours.
39:42C'est la ville de Caen qui va subir le bombardement
39:44le plus intense et le plus meurtrier.
39:46Du 6 juin au 19 juillet,
39:48les bombardements alliés font plus de 3 000 victimes,
39:5115 000 même selon certains,
39:53soit plus de 3,5 % de la population.
39:56Le Havre est la deuxième grande cité martyr de cette guerre,
39:59avec des bombardements du 5 au 11 septembre
40:01qui font plus de 2 000 victimes.
40:02Et les bombardements ne visent pas que les grandes villes.
40:05Dans le petit village d'Evrescy, près de Caen,
40:07130 habitants sont tués sur les 400 du village,
40:10soit un tiers de la population.
40:12En tout, la Basse-Normandie enregistre
40:14dans ses trois départements plus de 14 000 morts,
40:178 000 dans le Calvados,
40:184 000 dans la Manche et 2 000 dans l'Orme.
40:20En Haute-Normandie, surtout au Havre, à Evreux et à Rouen,
40:24on enregistre plus de 5 000 morts,
40:26soit, au total pour toute la Normandie,
40:28plus de 20 000 tués sous les bombes alliées,
40:30sans compter les blessés.
40:31C'est un chiffre énorme comparé aux 37 000 soldats alliés
40:34et aux 80 000 soldats allemands
40:36qui ont été tués durant cette bataille.
40:38Vous vous en doutez bien,
40:39les victimes sont majoritairement des citadins,
40:41car les villes sont visées par les bombes,
40:43mais pas qu'eux, on trouve également des paysans,
40:45car en plus de ces bombardements,
40:46les avions alliés mitraillent les routes.
40:48À Trains, le 12 juin, le docteur Foissier est tué sur la route
40:52alors qu'il allait visiter un malade.
40:53De même pour le conseiller général Longuet des 10 guerres,
40:56fauché alors qu'il transportait des réfugiés.
40:58Ah ça c'est la frappe chirurgicale à l'américaine,
41:00on l'a vu en Irak d'ailleurs.
41:01Dans les villes, c'est l'apocalypse.
41:03Écoutez ce témoignage de René Streff,
41:06maître d'internat au lycée Malherbe de Caen.
41:08Des cris, des râles sortent de dessous les décombres.
41:11À l'auspice Saint-Jean,
41:13une jeune fille est vivante sous une énorme pierre
41:15que nous n'arrivons pas à soulever.
41:17Le corps d'une autre jeune femme, affreusement mutilée,
41:19gît sur le pavé, les jambes coupées et la tête arrachée.
41:23Un peu plus loin,
41:24c'est une petite fille blonde qui frappe notre attention.
41:26Inerte, les bras en croix,
41:28son tronc a été sectionné en deux par un éclat.
41:31Une mare de sang baigne ses cheveux.
41:33Conformément à la stratégie américaine
41:35qui fut également celle des anglais et de Churchill,
41:37comme du maréchal Arthur Harris, surnommé Butcher Harris,
41:41Harris le boucher,
41:43on cherche à raser des zones entières
41:45pour pulvériser l'ennemi sous un déluge de feu.
41:47Des villes entières sont rasées sous les bombes.
41:49Saint-Lô à 77%.
41:51Falaise à 76%.
41:54Le Havre, 86%.
41:56En 18 jours, 600 000 obus s'abattent sur la ville de Caen
41:59qui est détruite à 75%.
42:01Dans ce chaos plane, selon les mots de Christophe Bauduf,
42:04« enivrante et horrible, l'odeur inoubliable de la mort,
42:08la senteur fade du charnier et des chairs brûlés qui,
42:11par endroits, s'accrocha pendant plusieurs mois aux ruines de Caen ».
42:15Pour lui, incontestablement,
42:17le marteau allié est bien plus destructeur que l'enclume allemande.
42:20Pour l'historien Henri Amouroux,
42:22l'adiation alliée, sauvagement, a ravagé, incendié et tué.
42:27Tué des hommes, des femmes, des enfants,
42:30dont souvent on ne retrouve que des lambeaux impossibles à identifier.
42:33Il existe également des corps que nul ne réclame,
42:36soit parce que la famille toute entière a péri,
42:38soit encore parce que les survivants ont fui aussi loin qu'ils pouvaient fuir.
42:42Joyeux aujourd'hui !
42:44En parallèle de cette tragédie, on assiste à un exil massif des citadins,
42:47accueillis par dizaines dans les campagnes par les paysans.
42:50Vient donc le moment de s'interroger sur la nécessité d'une telle boucherie.
43:21Aujourd'hui encore, la stratégie alliée de bombardement intensif
43:26soulève de nombreuses questions, la plus grave étant,
43:29y-a-t-il eu une intention homicide ?
43:31Officiellement, non.
43:33D'ailleurs, le 6 juin 1944, des avions alliés déversent sur les zones ciblées
43:38des milliers de tracts signés Eisenhower où on peut lire
43:41« N'encombrez pas les routes, dispersez-vous dans la campagne autant que possible,
43:45partez sur le champ, vous n'avez pas une minute à perdre. »
43:49Là, c'est quand même différent des bombardements de terreur
43:51qui étaient imposés au peuple allemand, par exemple.
43:53Le 12 octobre 1942, déjà, une directive de la RAF précise
43:58que toute attaque en territoire neutre et ennemi
44:00doit être conduite avec le souci raisonnable d'éviter les pertes civiles indues.
44:05Sauf que dans l'esprit des Alliés, comme on l'a dit,
44:07la Normandie est considérée comme un territoire occupé
44:10et donc comme un territoire ennemi,
44:12d'autant que les Alliés se méfient des Français et particulièrement des Normands.
44:15Donc certes, il n'y a pas d'intention homicide officielle,
44:18mais il convient de s'interroger tout de même
44:20sur la nécessité et la pertinence de cette stratégie.
44:23Par exemple, pour Max Hastings,
44:25le bombardement de Caen est l'une des attaques les plus futiles de la guerre.
44:29Tout comme le Havre, d'ailleurs.
44:30Alors certes, ce sont des axes routiers importants,
44:32mais de l'aveu même des Allemands,
44:34ces bombardements ont gêné leurs mouvements, mais sans les empêcher.
44:36Eh bon, c'est l'esprit américain, ça.
44:39Ça ralentit, on bourrine.
44:40Faudrait peut-être vous interroger aussi.
44:42Si ça ralentit, c'est peut-être pas qu'il faut bombarder à tour de bras,
44:44c'est peut-être juste que vos soldats sont nuls.
44:47Faut creuser là-dessus, à mon avis.
44:48En 97, l'université de Caen a d'ailleurs publié un document
44:51dans lequel elle s'interroge sur la nécessité et la finalité
44:54d'une opération au coût matériel et humain si lourde.
44:57Écoutez ce témoignage d'un témoin.
44:59Oui, c'est un témoin qui témoigne.
45:00Cité par Christophe Bauduf.
45:02« Au moins, les civils allemands bombardés pouvaient-ils, lorsqu'ils survivaient,
45:05comprendre qu'il s'agissait là de faits de guerre
45:08perpétrés par une armée hostile.
45:10Eux pouvaient trouver un bouc émissaire à leur malheur
45:12et tourner leur poing vers le ciel en criant leur rancœur ou leur haine.
45:16Nous autres, Normands, n'avions même plus le ciel contre qui nous tourner.
45:20Au final, de 40 à 45 sur la totalité du territoire français,
45:24600 000 tonnes de bombes anglo-américaines ont été déversées,
45:2870 000 Français tués, 90 000 bâtiments détruits. »
45:31Si c'est ça, la libération, moi ça va.
45:34Je préfère m'habituer à la choucroute.
45:35Plus sérieusement, bien sûr, on ne va pas regretter l'occupation allemande,
45:38bien entendu, mais bon, avec des alliés comme ça, on ne va pas bien loin.
45:42Puis d'ailleurs, on le voit, on n'a pas été bien loin.
45:46Merci à tous d'avoir suivi ce nouvel épisode de La Petite Histoire.
45:50Je vous dis à bientôt pour de nouvelles aventures,
45:52mais avant de vous quitter, j'aimerais vous informer d'une chose.
45:54Je sais que sur YouTube, c'est un peu la mode de faire des FAQs
45:57quand on a un certain nombre d'abonnés
45:59pour que la personne qui fait sa vidéo puisse répondre
46:02aux téléspectateurs et interagir avec eux.
46:06Alors moi, je n'ai pas envie de consacrer un épisode hanté à faire une FAQ,
46:10ça n'aurait pas vraiment de sens sur TV Liberté.
46:13Ce que je me propose donc de faire, c'est, quand vous avez des remarques
46:16et que vous les publiez en commentaire de mes vidéos,
46:19de temps en temps, voire toutes les semaines si possible,
46:21quand il y a des questions pertinentes,
46:23moi, j'en prends une, et à la fin de chaque épisode,
46:26je traite une question, je réponds à une interrogation qu'on me fait,
46:29que ce soit sur la manière dont je travaille,
46:32sur les livres que j'utilise, les documents que j'utilise,
46:35ou même sur un sujet précis que j'aurais abordé dans l'émission.
46:38Voilà, donc n'hésitez pas, si vous avez des questions,
46:40à les poser dès maintenant dans les commentaires de cette vidéo.
46:44Et à bientôt pour de nouvelles aventures !