Le nazisme a t-il disparu avec la fin de la Seconde Guerre mondiale ? - Entretien avec Christian Ingrao

  • il y a 4 mois
Comment ont vécu les nazis après la guerre ? Le nazisme a t-il disparu comme par magie ? Comment la pensée nazie s'est-elle instillée dans la société allemande ? Entretien avec Christian Ingrao, spécialiste du nazisme et des violences sur le front de l'Est.

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00:00:00Mes chers camarades bien le bonsoir ce soir on va recevoir un historien pour changer
00:00:07Christian Ingrao spécialiste du nazisme et du front de l'est bonsoir christian comment ça va bonsoir
00:00:15ça va très bien ça va très bien écoute qu'est ce que tu as prévu de boire
00:00:20ce soir écoute je pense que je vais je vais boire un petit peu de thé je
00:00:23hésitais avec un petit whisky mais je pense que j'ai essayé de rester sage d'accord bah écoute
00:00:29va pour le thé je pense que c'est que c'est pas mal alors on a préparé un petit chemin
00:00:35pour pour cette
00:00:37cette émission va rester ensemble pendant deux heures environ on a à peu près une heure et quart une heure et demie
00:00:44de discussion entre entre tous les deux et puis après on consacrera au moins une demi-heure
00:00:50aux questions du public il y en a déjà
00:00:52beaucoup qui ont été remontés sur facebook et twitter a priori ça vous intéresse quand même un petit peu hein ce sujet et
00:00:59et autant vous dire que ça va être plutôt dense on se faisait la réflexion avec christian avant de commencer le live
00:01:05oui c'est un programme de conférences là qu'on s'est donné
00:01:10alors pour commencer mon cher christian
00:01:14peut-être avant de parler donc des nazis après la guerre puisque c'est
00:01:17c'était ça la thématique du soir je pense qu'il faut recontextualiser un petit peu tout ça
00:01:22est-ce que de ton côté tu peux nous rafraîchir un petit peu la mémoire sur comment cette
00:01:28idéologie s'est installée dans la société
00:01:32allemande alors c'est c'est déjà une très vaste question que tu poses ben un quart d'heure 20 minutes
00:01:40On va essayer de faire ça très très très très très vite il y a quelque chose qui est de l'ordre du ministère
00:01:45est-ce qu'on doit essayer de rechercher des causes profondes et faire comme par exemple les américains
00:01:51au moment de la seconde guerre mondiale et qui pensaient que dès l'utère il y avait Hitler en germe ou est-ce qu'on doit
00:01:57revenir à des causes qui seraient
00:01:59plus de l'ordre du social de l'économique voire du mental et dans ce cas là on
00:02:05doit faire partie de notre réflexion de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle
00:02:10l'allemagne connaît à ce moment là une industrialisation à marche forcée qui
00:02:15constitue une véritable épreuve pour sa société avec des bouleversements qui font qu'on passe d'une société rurale à une société urbaine une société
00:02:21agraire à une société industrielle avec
00:02:25dans le même temps si tu veux des
00:02:27une hausse démographique qui est extrêmement extrêmement importante pour
00:02:32Pour arriver à
00:02:36se repérer dans ce bouleversement
00:02:39bien il y a un certain nombre de
00:02:42systèmes politiques et de systèmes de croyances qui se mettent en place et tout cela aboutit si tu veux à une allemagne qui
00:02:49met en place un nationalisme qui est relativement représentatif de tous les nationalismes occidentaux européens avec cependant
00:02:56l'idée qu'il est possible que
00:02:58l'on puisse ramener l'ensemble des populations de culture allemande et germanophone dans un empire qui serait un empire d'une seule
00:03:05d'une seule traite et d'une seule entité politique
00:03:08tout cela a fini par aboutir à
00:03:11l'explosion de la première guerre mondiale qui va constituer
00:03:13véritablement l'accélérateur
00:03:15de tout ce qui est en train de se passer parce qu'il s'agit d'une expérience de mort de masse sans aucun précédent
00:03:21je le rappelle c'est 1800 morts par jour pendant quatre années et demie
00:03:25c'est un état d'exception
00:03:27tellement tellement important qu'il y a une deuxième mortalité qui se met en place non seulement cette mortalité de jeunes hommes qui fait que
00:03:33c'est un peu l'avenir qui meurt tous les jours
00:03:36dans la guerre mais il y a aussi
00:03:38si vous voulez
00:03:40Une deuxième mortalité qui montre bien la très grande subversivité de ce qui est en train de se passer c'est une mortalité d'hommes plus âgés
00:03:46et en fait
00:03:48la seule explication qu'ont trouvé les démographes c'est que ce sont des hommes, des pères de famille qui meurent de chagrin d'avoir envoyé leur
00:03:53leur fils au champ de bataille
00:03:56pour rendre compte de tout cela les sociétés européennes parce que ça n'est pas tout cela est une épreuve qui est européenne
00:04:03pour rendre compte de tout cela les sociétés européennes ont développé ce qu'on appelle des cultures de guerre qui
00:04:08expliquent le conflit qui
00:04:11qui en décryptent les enjeux et qui les radicalisent. En cas de victoire
00:04:16c'est la guerre des ders, c'est la guerre qui mettra fin à toute la guerre mais en cas de défaite bien sûr
00:04:22alors l'ennemi, cette espèce d'entité ultra maligne
00:04:27risque
00:04:28de remettre en cause non seulement l'existence en tant qu'entité politique
00:04:32la nation mais aussi en tant qu'entité sociale ou démographique. Il y a donc une sorte de
00:04:38d'angoisse de mort collective qui envahit les allemands et ceux d'autant si tu veux que
00:04:45cette guerre elle est marquée aussi par un blocus
00:04:47continental qui fait s'effondrer l'agriculture allemande et qui fait qu'à partir de 1907-1917 on a des épisodes de disette qui se mettent en place et donc
00:04:56imagine un petit peu, tu es père de famille, tu as un enfant de 6-7 ans
00:05:00maintenant quand ton petit il a la rougeole ou la rubéole et ben ça se passe plutôt pas mal
00:05:06et d'ailleurs pas parce qu'il y a un vaccin mais disons dans les années 60 quand il y avait ça et ben
00:05:12on passait la rougeole ou la rubéole
00:05:15c'était quatre jours, c'était infernal, l'enfant avait de la fièvre, il maigrissait, on était très inquiets etc etc mais à la fin il s'en sortait.
00:05:21En 1916 un enfant qui fait la rougeole ou la rubéole et ben il y a une chance sur trois qu'il n'en sorte pas.
00:05:28Et donc
00:05:29il y a pendant cette guerre
00:05:31une mortalité, une sur-mortalité de
00:05:35allez entre 250 et 650 mille personnes qui sont essentiellement
00:05:40des femmes, des enfants et des vieillards. Et donc quand tu dis à un allemand de 1914-1918
00:05:46qu'il est en train de vivre une guerre totale, il te répond évidemment bien sûr que c'est une guerre totale,
00:05:49ces gens veulent notre mort et ils font la guerre à nos femmes et à nos enfants.
00:05:53En 1918 au moment où se met en place
00:05:57la fin de la guerre et bien là où les français ils ont connu la victoire et donc ils rentrent à la maison
00:06:04en passant par la case caserne et bien les allemands ça n'est pas le cas.
00:06:08Les allemands, non seulement les armées, rentrent
00:06:12dans le plus total des ordres en naissant simplement leurs armes lourdes
00:06:17sur le champ de bataille et en ramenant avec eux entre
00:06:21trois et demi et six millions d'armes individuelles, fusils, pistolets, mitrailleurs, pistolets,
00:06:27haches etc etc. Donc ces armées rentrent avec des armes et donc
00:06:32diffusent les armes dans le corps social et dans le même temps si tu veux, se met en place une sorte de méta-guerre civile
00:06:38qui dure de 1918 à 1924. Et donc au moment où
00:06:42après avoir entendu pendant quatre ans que deux sept guerres allaient se jouer, le destin de la germanité, et qu'en cas de défaite
00:06:47viendrait une ère de ténèbres dans laquelle la sécurité
00:06:50physique et démographique de l'Allemagne serait remise en jeu, et bien c'est ce qui s'est passé. Le nazisme, c'est un système de désangoissement qui explique aux gens
00:06:58pourquoi est-ce qu'ils ont perdu la première guerre mondiale. Le nazisme est un déterminisme racial, c'est-à-dire que quand tu crois au nazisme,
00:07:05tout devient racial. L'apparence des gens en face de toi devient raciale.
00:07:10Les races, elles désignent ce qu'on appelle des phénotypes, c'est-à-dire des apparences extérieures. Les nordiques sont grands, blondes, olicocéphales,
00:07:19le nez fin et aquilin, etc. C'est vrai qu'on est
00:07:24brachycéphale, dès que la peau
00:07:25n'est plus blanche et pâle, on descend dans l'échelle raciale. L'histoire devient
00:07:32le grand récit
00:07:35du combat racial qui a commencé sous l'homme de Cro-Magnon, alors
00:07:39ignatien, et qui, bien sûr, s'est poursuivi jusqu'à la première guerre mondiale. Et, bien sûr, soi-même,
00:07:44on est un maillon dans une chaîne raciale qui commence à ses ancêtres et qui englobe ceux qui vont devenir. Et cette
00:07:51explication, ce déterminisme racial, donne du sens à tout ça. La guerre, elle a été perdue. Pourquoi ? Pour les Allemands. Et bien, tout simplement parce qu'il y
00:07:57avait un ennemi, que cet ennemi, il avait une unité cachée. Cette unité cachée, elle était raciale. Et ce que les nazis, ce que les Allemands, pardon,
00:08:07combattaient à ce moment-là n'était pas seulement l'entente, n'était pas seulement des Britanniques, des Français et des Russes qui étaient alliés. Il y avait derrière
00:08:15ces nations apparemment liguées contre l'Allemagne, ce monde d'ennemis, il y avait un seul et même ennemi qui était un ennemi racial. C'est l'ennemi juif qui est
00:08:27représenté par deux espèces. D'un côté, l'ennemi plutocrate, l'ennemi riche, l'ennemi capitaliste qui est celui qu'on trouve à Wall Street et à la
00:08:38City londonienne. Et puis de l'autre, le second ennemi, l'ennemi judéo-bolchevique. Mais derrière eux, il y a une unité raciale. En gros, ce qu'on peut dire,
00:08:46c'est que le déterminisme racial fait de tout cela un immense complot qui vise à éliminer l'Allemagne. Mais si on prend le nazisme que comme ça, on ne comprend pas tout.
00:08:56Et on ne peut pas comprendre notamment pourquoi est-ce que c'est une idéologie aussi attractive. En effet, le nazisme, ce n'est pas simplement un déterminisme
00:09:03racial, c'est aussi un projet de refondation socio-biologique. Il y a quelque chose d'utopique derrière tout ça. Ce que Chez Jean explique quand il explique que le monde
00:09:11veut la perte de l'Allemagne, il dit aussi oui, mais nous, on va inverser cette malédiction germanique. On va créer une nouvelle société. Et ça, c'est fondé sur trois
00:09:21concepts. Le premier concept, c'est le concept de Lebensraum, espace vital. On a traduit ça, mais on pourrait traduire ça par biotope. C'est un concept qui vient des
00:09:30sciences de la vie et de la terre. Et donc, l'idée, c'est que chaque espèce a un espace défini, a besoin d'un espace défini pour se développer. L'espèce allemande, la race
00:09:38allemande, l'ethnie allemande n'a pas assez d'espace et donc, il faut qu'elle élargisse son Lebensraum. D'un autre côté, le nazisme se propose de mettre en place un projet de
00:09:47refondation socio-biologique de l'Allemagne. Une nouvelle société qui sera basée sur l'appartenance raciale et la qualité raciale des gens. C'est-à-dire que ce n'est pas ta naissance
00:09:59qui détermine ton destin, c'est ton patrimoine racial. Et les nazis disent même, s'il vous plaît, qu'ils sont une société qui sera inégale, inégale, mais juste. Et troisième et
00:10:11dernier concept, c'est le Tausendjähriges Reich, le grand Reich millénaire. C'est le jour où les nazis auront réussi à conquérir un espace et à mettre en place une nouvelle société.
00:10:20Alors, ça aura été une telle révolution qu'il faudra mille années pour qu'elle se mette réellement en place. Et voilà, c'est cette capacité du nazisme à transformer l'angoisse de la
00:10:30mort de masse en l'attente d'une espèce d'utopie politique qui constitue la très grande attractivité que le nazisme a pu exercer sur à peu près toutes les classes de la société.
00:10:42Un peu moins les ouvriers que les autres, mais les paysans et puis, évidemment, les classes moyennes et les élites. Et donc, ce que l'on observe, c'est qu'entre 1918 et 1933, le nazisme
00:10:54essaye d'abord de prendre le pouvoir par le putsch. Et puis ça, de 1924, ça se termine très mal parce que ces gens ne savent pas faire, tout simplement. Il y a un amateurisme dans ce putsch
00:11:04qui est au fond assez drôle. Ils menacent des gens avec un flingue et puis ils les laissent partir juste derrière. Qu'est-ce qu'ils font les gens ? Ils appellent la police et puis tout se passe mal.
00:11:14Mais à partir de 1925-1926, au moment où le nazisme, le NSDAP recommence à avoir pignon sur rue, ils décident qu'ils vont tuer la démocratie avec ses propres armes.
00:11:25Et après la crise de 1929, ça marche. C'est-à-dire que les nazis disent « Écoutez, vous pensez qu'on a tout essayé contre la crise ? Non, on n'a pas tout essayé, essayez-nous nous. »
00:11:33Et à partir de là, les victoires électorales sont foudroyantes. En 1928, le parti doit être à 2,32% des voix. En 1932, ils en sont à 38-39%. Ils sont par 18 en quatre ans.
00:11:49C'est juste monstrueux. Et donc, à partir de ce moment-là, la droite classique se dit « Bon, ces gens sont des blaireaux. Ils ont bien montré ce qu'ils étaient. Ils ont la SA qui met le désordre dans la rue, mais ils sont incapables de gouverner.
00:12:07On va les prendre avec nous, on va les manipuler, on va les corneriser. Et comme ça, on va pouvoir continuer à gouverner comme si rien n'était. » Ils font ça le 30 janvier 1933. Ils nomment Hitler comme chancelier.
00:12:22Mais à partir de ce moment-là, c'est l'escalade révolutionnaire. Et en un an et demi, les nazis prennent l'ensemble des pouvoirs.
00:12:30Et ensuite, il va y avoir une sorte d'escalade, de montée en tension progressive jusqu'à 1939, où on va remilitariser le pays et le préparer à cette expansion pour pouvoir s'épanouir en tant qu'ethnie ?
00:12:45Ce qui se passe, c'est qu'il y a une espèce de première phase de 1933 à juin 1934, qui est une phase totalement révolutionnaire, où il y a un événement par jour et chacun des événements va toujours dans le même sens.
00:12:56C'est-à-dire que la société a de moins en moins de moyens d'expression. Les forces de la société civile sont neutralisées les unes après les autres.
00:13:04Et puis, à partir de juin 1934, il y a une sorte de plateau de tranquillité qui se met en place, avec bien sûr des mesures qui se mettent en place, qui consistent à exclure les juifs, les sociodémocrates, puis à faire la même chose avec la délinquance, etc.
00:13:23Mais au fond, après juin 1934, il y a quelque chose qui est de l'ordre d'une sorte d'apparence de normalité qui se met en place et qui n'est troublée, en fait, que d'une part par les quelques campagnes de boycott des magasins juifs qui se mettent en place en 1934-1935, et surtout par les pogroms qui éclatent en novembre 1938 contre les juifs.
00:13:44Pour le reste, il y a une sorte de normalité qui s'est installée et qui est basée sur le pseudo-miracle économique nazi, qui fait qu'après 1934, le chômage se réabsorbe extrêmement rapidement, qu'assez rapidement, la vie politique se met à ronronner avec cette espèce d'univocité nazie, et puis le fait que le calme revient dans les rues.
00:14:14Après les espèces d'années de pseudo-guerre civile qu'avait connues l'Allemagne de 1932 à 1934.
00:14:22En gros, ce qu'on peut dire, c'est que le calme règne, les trains arrivent à l'heure et que la société se met en place sur un semblant de normalité.
00:14:30Au plan extérieur maintenant, à partir de 1935, les nazis mettent en place de façon à la fois opportuniste et méthodique tout un ensemble de choses pour éliminer les unes après les autres les conséquences du traité de Versailles et du règlement de la paix de 1914-1918.
00:14:46Ils mettent en place en même temps un modèle d'économie qui est fondé sur des choix qui ont pour corollaire, un, de vouloir l'autarcie, c'est-à-dire l'autonomie économique et l'isolationnisme allemand, et de l'autre, une priorité donnée de façon fondamentale au réarmement.
00:15:08Ce qui se passe de façon relativement importante à partir de 1937-1938.
00:15:18Alors, on va pas refaire toute la seconde guerre mondiale, ça nous prendrait beaucoup de temps et c'est pas le sujet du jour. Quoi qu'il en soit, peut-être qu'on peut revenir un petit peu sur l'occupation pendant la seconde guerre mondiale et, d'ailleurs, quel est le point de vue des allemands sur l'occupation des terres étrangères pendant la seconde guerre mondiale ?
00:15:41Est-ce que cette occupation a été la même en Europe de l'Ouest et sur le front de l'Est ? Puisque là, c'est à spécialité le front de l'Est, on s'imagine que ça peut être légèrement différent.
00:15:57Oui, c'est extrêmement différent. Tout ça est une sorte de crescendo. Tout ça commence par, en 1938, l'Anschluss, c'est-à-dire une sorte de réunification qui s'opère entre l'Allemagne des frontières de 1937, l'Allemagne du traité de Versailles, et l'Autriche germanophone qui a résulté des traités de la banlieue parisienne.
00:16:24Ici, les nazis disent, vous ne nous avez pas laissé faire le truc en 1918 et pourtant, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes faisait que les autrichiens nous avaient demandé à être réunis avec nous et vous ne nous avez pas laissé faire. On est simplement en train de rendre les choses à peu près normales.
00:16:40Puis viennent un certain nombre d'annexions, d'abord les Sud-Est, qui sont aussi des régions qui sont en majorité relative germanophone, puis le reste de la Tchécoslovaquie.
00:16:54Alors là, ça reste compliqué, ça devient compliqué parce que le prétexte nazi qui est de réunifier les régions de langue allemande ne joue plus. À partir de ce moment-là, il y a quelque chose qui change et qui fait qu'on a affaire à une vraie occupation.
00:17:07La deuxième vraie occupation, c'est évidemment la Pologne.
00:17:13La Pologne, c'est quelque chose de très compliqué parce qu'il y a à la fois des régions qui sont à minorité germanophone et donc les nazis disent, on va les annexer.
00:17:23Et puis, il y a plein d'autres régions qui vont être rassemblées dans un truc qu'on appelle le gouvernement général.
00:17:27Et là, les nazis disent, écoutez, ça sera notre Far East, comme il existe un Far West pour les Américains, ce sera notre Far East.
00:17:33C'est une terre qui sera à la fois une terre de colonisation et dans laquelle les gens se conduisent comme dans le Far West, c'est-à-dire pensent que leur appartenance nationale et raciale, leur germanité, si tu veux, leur donne tous les droits.
00:17:44Et donc, commence à se mettre en place ici un modèle qui est un modèle frontalier colonial.
00:17:51Appelons ça comme ça, tu vois, mais avec une colonisation qui n'est pas la même colonisation qu'en Inde ou en Afrique pour les autres occidentaux.
00:17:57C'est une colonisation comme il y avait des colons aux États-Unis et comme il a pu y avoir des colons allemands au XVIIe siècle ou au XVIIIe siècle dans l'Empire russe.
00:18:07Et donc, il y a une société coloniale qui se met en place avec une vraie supériorité représentée des pseudo colons allemands contre les populations autochtones.
00:18:17Ce phénomène-là, tu ne le retrouves jamais à l'ouest.
00:18:21Il y a effectivement des tentatives réussies d'annexion de territoire à l'ouest, l'Alsace, la Moselle, avec des expulsions de populations définies comme halogènes.
00:18:34Mais malgré tout, c'est sans commune mesure.
00:18:38Les niveaux de violences qui sont mobilisés par les nazis à l'est sont sans commune mesure avec ce que va pouvoir connaître la Belgique, la France ou les Pays-Bas.
00:18:50Et du coup, sur le territoire allemand, quelle est la réaction des civils vis-à-vis de tout ça ?
00:18:57D'abord, c'est très compliqué de le savoir.
00:19:02Parce que le régime nazi est un des régimes les plus coercitifs qu'il soit.
00:19:08Et donc, tu n'as vraiment pas intérêt à dire que tu ne trouves pas ça très charlie d'envahir la Pologne.
00:19:15Tu finis assez rapidement, non pas dans un camp de concentration, mais d'abord dans un commissariat où tu prends des gifles et ça t'apprend la vie.
00:19:22Donc, c'est très difficile de savoir comment s'agence l'opinion nazie.
00:19:28Ça a été un champ de recherche pendant très longtemps pour les historiens du nazisme,
00:19:32et notamment quelqu'un comme Yann Kershaw a beaucoup travaillé là-dessus.
00:19:36Et on peut le faire avec deux sources.
00:19:38Il y a, d'une part, des rapports d'opinion qui sont mis en place par les services de renseignements intérieurs de la SS,
00:19:45qui s'appelle le SD.
00:19:46Et en second lieu, le parti social-démocrate allemand, donc les socialistes, ont laissé,
00:19:54quand les nazis ont pris le pouvoir, des réseaux clandestins qui essaient de prendre le même type de rapports.
00:19:58Et c'est avec ces rapports-là qu'on peut essayer de comprendre ce qui se passe.
00:20:01Et on s'aperçoit que jusqu'en 1940, on a une population allemande qui est quand même,
00:20:05malgré tout extrêmement attentiste, qui n'a pas très envie de faire la guerre,
00:20:08et qui grogne à chaque fois qu'une guerre est enclenchée ou qu'une phase de conquête est enclenchée,
00:20:17et qui montre des signes d'appréciation quand cette guerre est gagnée,
00:20:22mais sans que ça atteigne quelque chose qui est de l'ordre de l'euphorie.
00:20:26L'euphorie arrive à l'été 1940.
00:20:29L'euphorie arrive avec la campagne et la victoire sur la France.
00:20:33Quand les Allemands entrent dans Paris, il y a quelque chose qui est de l'ordre de la surprise et de l'euphorie
00:20:40qui se met en place dans la population allemande,
00:20:42tout simplement parce que les nazis donnent l'impression à ce moment-là d'avoir gagné la guerre du 14-18.
00:20:48Et à ce moment-là, ils se disent, nous avons effacé la guerre et les choses commenceront.
00:20:56Il y a ensuite, en juin 1941, l'invasion de l'URSS qui est relativement mal vue,
00:21:03mais qui devient très vite une guerre dans laquelle les mécanismes de mobilisation idéologique jouent à plein
00:21:09et transcendent l'appartenance partisane.
00:21:13C'est-à-dire qu'en 1943 ou en 1944, que tu sois un ex-Allemand de gauche ou un national socialiste convaincu,
00:21:21tu penses que la guerre qui est en train de se mener là-bas est une guerre totale
00:21:24et que dans cette guerre se joue le destin de l'Allemagne.
00:21:26Ce qui n'est pas tout à fait faux.
00:21:28À partir de quand on commence à basculer dans une réelle violence,
00:21:38on va évoquer tout de suite la Shoah et aussi à l'Est la Shoah par Balles,
00:21:44à partir de quel moment on commence à basculer dans des tels degrés de violence ?
00:21:47Parce qu'on ne peut pas aborder la culpabilité nazie d'après-guerre sans parler de tout ça.
00:21:55C'est là que les choses sont quand même extraordinairement compliquées.
00:22:02La violence commence à apparaître évidemment avec la guerre.
00:22:06C'est-à-dire le 1er septembre 1939, il y a quelque chose qui bascule.
00:22:10Du 1er septembre au 6 octobre, au 15 octobre 1939, tu as un premier épisode guerrier,
00:22:16une première bataille dans laquelle se joue un certain nombre de décès,
00:22:25donc la société allemande est touchée de plein fouet par la guerre.
00:22:29Mais la plus grande partie de la violence, elle l'exporte.
00:22:35C'est-à-dire que c'est en Pologne que vont être tués plusieurs centaines de milliers de Polonais,
00:22:41qu'il y a entre 12 et 15 000 civils polonais qui sont tués par ces groupes de sécurité
00:22:47qu'on appelle les Einsatzgruppen.
00:22:48C'est ailleurs, hors du territoire allemand, que tout ça se met en place.
00:22:55Bien sûr, cette première campagne, qui est une campagne qui est déjà violente,
00:22:59est sans commune mesure avec ce qui se passe à partir du 22 juin 1941
00:23:04où, là, véritablement, il y a une tique de la violence qui fait que,
00:23:09là où les Einsatzgruppen ont tué quelque chose comme 15 000 personnes en six semaines,
00:23:15les Einsatzgruppen du RSS vont tuer 450 000 personnes en six mois.
00:23:21Donc, on est sur des décuplements qui montrent que c'est sans commune mesure.
00:23:28Mais la question est de savoir qui est touché par cela.
00:23:31Toute la violence nazie est une violence qui est dirigée vers l'extérieur.
00:23:34Jusqu'en 1944, elle est essentiellement dirigée vers l'extérieur,
00:23:40c'est-à-dire vers les populations qui sont racialement identifiées,
00:23:44comme racialement non souhaitables.
00:23:46Les Juifs, les sociétés rurales russes et polonaises, etc.
00:23:52On s'aperçoit qu'on a un crescendo de violence qui se met en place
00:23:55et qui connaît des sauts de cliquet de façon extrêmement importante.
00:23:59Le 22 juin 1941 est une date qui est ici extrêmement importante
00:24:02parce que, d'une part, les nazis mettent d'abord en place une agression
00:24:06tout azimut contre les civils de la frange occidentale de l'Union soviétique,
00:24:12Juifs en premier lieu, mais pas seulement.
00:24:15À partir de septembre 1941, on s'aperçoit qu'on a plusieurs mouvements.
00:24:21D'un côté, une vague exterminatrice, exhaustive,
00:24:25qui est censée toucher les communautés juives de l'Union soviétique.
00:24:30À partir de ce moment-là, il y a des énormes, gigantesques massacres,
00:24:34comme celui de Babillard, 33 771 personnes qui sont tuées en deux jours,
00:24:38les 29 et 30 septembre 1941.
00:24:41Et dans le même temps, tu as un premier massacre planifié
00:24:45qui est celui des prisonniers de guerre soviétiques.
00:24:47Je rappelle qu'entre l'été 1941 et février-mars 1942,
00:24:53ce sont 2 500 000 prisonniers de guerre soviétiques
00:24:57qui sont condamnés à mourir de faim dans les enclos allemands.
00:25:03Je pense que la bonne métaphore pour essayer de le montrer,
00:25:10c'est la masse critique atomique.
00:25:12Ça fonctionne comme une bombe atomique,
00:25:14et on a une espèce de crescendo de violence qui devient absolument incontrôlée
00:25:22et qui fait que les nazis tuent de plus en plus à partir de ce deuxième semestre 1941.
00:25:28Et comment tu expliques que ces hommes-là, les soldats allemands,
00:25:37acceptent cette violence et puissent céder de plus en plus à cette violence ?
00:25:43La première chose qu'il faut bien comprendre, je pense,
00:25:46c'est qu'il n'y a pas encore de consensus sur ces questions-là.
00:25:51C'est-à-dire que les historiens ne sont pas toujours d'accord sur toutes ces questions.
00:25:55D'une part parce que les sources qui nous permettent de le travailler
00:26:02sont des sources qui sont très différentes.
00:26:03On a d'un côté des sources étatiques,
00:26:05même si on travaille à 90 à 95 % de pertes quand on est sur des sources nazies.
00:26:11Il ne faut pas se mettre de peau de saucisson sur les yeux.
00:26:14Mais on a d'un côté ces sources-là qui nous donnent une vision assez rationnelle de tout ça,
00:26:20qui nous montrent par exemple les politiques de lutte contre les partisans
00:26:23comme des politiques de prédation des biens et des hommes dans Biélorussie.
00:26:29Et donc, tu t'aperçois qu'à ce moment-là, à partir de janvier 1942,
00:26:32d'un côté ils font les nazis à Nile, des dizaines, des centaines de villages
00:26:38pour priver les partisans de base de ravitaillement.
00:26:47Et dans le même temps, rationnellement, ils prennent ce qu'ils peuvent prendre
00:26:51pour pouvoir nourrir leur propre effort de guerre.
00:26:54Il n'en reste pas moins que ça, c'est une vision que nous donnent les archives,
00:26:57les archives allemandes.
00:26:58Mais quand on regarde les archives judiciaires qui, cette fois-ci,
00:27:01sont celles qui sont faites avec des soldats qui ont été rattrapés
00:27:05ou des témoins et des victimes russes, c'est 620.
00:27:11À chaque fois, ce qu'on voit, c'est des villages dans lesquels on met les habitants
00:27:15dans des granges et on les brûle.
00:27:17Et donc, tu vois bien, c'est compliqué de voir tout ça,
00:27:23parce que quand on regarde les discours des gens, on a l'impression qu'on a affaire
00:27:29au fond à un peuple qui a mis en place une guerre impérialiste,
00:27:35mais qui au fond, à partir d'un certain moment, ne fait que se défendre.
00:27:38Et puis, à partir d'un autre moment, on s'aperçoit qu'il y a des centaines
00:27:42de milliers de gens qui ont participé à ce massacre et que si on ne peut pas
00:27:46parler de Tätervolk, c'est-à-dire de peuple de criminels,
00:27:49il n'en reste pas moins que l'implication des forces allemandes,
00:27:54c'est-à-dire de centaines de milliers d'hommes entre 20 et 50 ans,
00:27:58est extrêmement importante.
00:28:00À partir du moment où on a posé des questions dans cet ordre-là,
00:28:04il faut qu'on cherche les facteurs qui font qu'on mobilise les gens
00:28:07et qui font que…
00:28:09Christopher Browning l'a bien montré, les hommes de ce 101ème bataillon
00:28:13qu'il a étudié, ce sont des gens d'à peu près de mon âge, 40-50 ans,
00:28:19qui ont été syndicalistes, qui sont des dockers,
00:28:22donc qui ont une socialisation plutôt à gauche, sociodémocrate ou communiste
00:28:26et qui se retrouvent à éliminer d'une balle dans la tête des juifs.
00:28:30Comment est-ce qu'on explique que tout cela ne soit pas uniquement
00:28:34de l'ordre du politique mais de l'ordre de l'existentiel ?
00:28:37C'est ce qu'on essaye de faire en mettant en place une histoire sociale
00:28:40et culturelle de ces bourreaux et en essayant de montrer que les questions
00:28:45de racisme et d'antisémitisme, elles consentent l'appartenance politique
00:28:49et elles ne sont pas liées simplement à des questions d'endoctrinement.
00:28:53Les gens sont actifs dans les processus, s'approprient l'air du temps,
00:28:58les idées, les angoisses, les émotions, et même s'ils sont aussi soumis
00:29:04à des systèmes de contraintes qui sont parmi les plus importants au monde,
00:29:08ils consentent dans une certaine mesure à tout cela.
00:29:13– Quand tu nous parles de cette violence, comment est-ce que ces soldats
00:29:19qui sont retournés à la vie civile après la guerre ont pu l'assumer,
00:29:24comment est-ce qu'ils ont pu vivre avec ?
00:29:26Comment est-ce qu'ils ont pu l'expliquer éventuellement à leurs enfants ?
00:29:29Est-ce qu'ils l'assumaient toujours ? Est-ce qu'ils se sont rendus compte
00:29:32collectivement de ce qu'ils avaient fait ?
00:29:34Comment individuellement on peut se reconstruire aussi après ça ?
00:29:37C'est beaucoup de questions.
00:29:39– C'est beaucoup de questions et c'est des questions qui ont une résonance
00:29:43tellement forte à l'heure actuelle parce que les questions que tu viens de poser,
00:29:47on peut les poser à l'Amérique des années 2000.
00:29:51Comment est-ce qu'on peut comprendre la crise que traversent les États-Unis
00:29:55avec Trump, etc. sans prendre en compte le fait qu'on a plusieurs centaines
00:29:59de milliers de vétérans qui ont été faits à la guerre en Afghanistan, en Irak, etc.
00:30:03qui ont trompé à d'autres niveaux évidemment dans l'agression contre les civils
00:30:08et qui sont rentrés et qui ne savent pas quoi faire de cette violence.
00:30:12Justement, on n'est pas dans la même situation en Allemagne après 1945
00:30:18et c'est peut-être une des choses qu'il faut essayer de comprendre.
00:30:20C'est-à-dire qu'au fond, comme je te le disais, il y a une espèce de tornade
00:30:25de violence qui saisit l'Allemagne entre 1941 et juin 1945,
00:30:30juste après la capitulation et puis après c'est terminé.
00:30:39Après c'est terminé, bien sûr, encore une fois, on reprend ces archives judiciaires
00:30:45qui nous servent à appréhender d'une part l'expérience de guerre individuelle
00:30:51des soldats allemands et de l'autre, les stratégies de défense et de culpabilité
00:30:55qu'ils ont mis en place après la guerre.
00:30:56On s'aperçoit que tout ça laisse de la trace, que ces traces apparaissent
00:31:02parfois au grand jour mais très souvent de façon souterraine.
00:31:04Parfois, tu te retrouves avec la femme d'un de ces hommes qui vient témoigner
00:31:09devant le magistrant en disant « Écoutez, je suis bien content que vous le fassiez parler
00:31:13parce qu'il a été insupportable depuis son retour, il fait des cauchemars,
00:31:17il boit, il nous tape dessus et c'est très bien qu'on puisse parler de tout ça. »
00:31:24On a ces témoignages-là.
00:31:26Évidemment, le témoignage que je suis en train de te citer, c'est un parmi les milliers.
00:31:30Et les milliers, la plupart du temps, c'est « Non, non, je n'y étais pas,
00:31:34non, non, je ne me rappelle pas, oui, j'ai assisté à ça, etc. »
00:31:39Les gens ne disent pas leur culpabilité.
00:31:40Mais on s'aperçoit bien qu'elle est relativement petite
00:31:46et que ce nom dit migre, navigue dans la société allemande.
00:31:51Par exemple, on est tous persuadés, tous les historiens désormais de l'Allemagne
00:31:55sont persuadés que tu ne comprends pas la crise du mouvement étudiant des années 1960
00:32:02et le terrorisme de la fraction armée rouge si tu ne reviens pas à ce passé
00:32:08qu'on ne faisait pas passer, à cette amnestie froide qui a été celle de l'Allemagne d'Adenauer
00:32:20des années 1950.
00:32:22Au fond, ce que demande la fraction armée rouge, c'est quelle est cette société
00:32:28dans laquelle nous vivons ?
00:32:29Quelle est cette société qui nous semble être une société de faux semblants ?
00:32:36Hafentheater, on dit en allemand, c'est un théâtre de singes,
00:32:40c'est-à-dire un théâtre d'ombre dans lequel les nazis n'ont pas disparu
00:32:46et sur lequel on ne peut pas construire une vraie démocratie.
00:32:49Et ça, c'est effectivement un des avatars de la gestion de la culpabilité pour les Allemands.
00:32:56Juste de cacher la poussière sous le tapis ?
00:32:59Il y a eu cette tentative-là, oui, c'est clair.
00:33:02Il y a deux choses à voir.
00:33:05La première chose, ce n'est pas eux qui ont essayé de cacher la poussière sous le tapis,
00:33:11c'est l'ensemble des Occidentaux.
00:33:13Entre 1945 et 1949, tout le monde est là en train de dire
00:33:19« bon, on va dénazifier ».
00:33:21Et puis, ils s'aperçoivent de quoi ?
00:33:23Ils s'aperçoivent qu'il y a 80 millions de personnes qu'il va falloir un peu moins,
00:33:2775 millions de personnes qu'il va falloir faire vivre,
00:33:29qu'il y a des hôpitaux à faire tourner, des commissariats de police à reconstruire,
00:33:33des villes à gérer, des stations d'épuration à gérer, etc.
00:33:38Pour faire ça, on est dans une société occidentale, il faut quoi ?
00:33:41Il faut des hommes âgés entre 20 et 40 ans qui ont fait des études supérieures
00:33:46et qui sont capables de faire tourner un bureau ou un commissariat, etc.
00:33:49Qui sont ces gens ? Les nazis.
00:33:51C'est tout simple.
00:33:53Et donc, bon an, mal an, même s'il y a des différences entre les quatre alliés,
00:34:00les quatre alliés choisissent de s'appuyer sur ce groupe de personnes
00:34:05pour reconstruire la société.
00:34:07Je rappelle qu'il y a un endroit où, en 2003, les Américains ont décidé
00:34:10de faire un choix radicalement différent, c'est l'Irak.
00:34:12Ils disent que les gens qui ont fait partie du parti basse,
00:34:16qui ont fait partie de Saddam Hussein, on ne veut plus les voir.
00:34:18Cinq ans plus tard, Al-Qaïda et Daesh sont en route.
00:34:23En Allemagne, ça ne s'est pas passé comme ça parce qu'il y a eu une sorte de choix
00:34:28qui a été opéré par tout le monde et de façon silencieuse
00:34:31de réassocier les élites fonctionnelles du 3e Reich à la reconstruction de l'Allemagne.
00:34:37Seulement, tout ça se paye 20 ans plus tard.
00:34:39Parce que tu as les enfants de ces gens-là qui disent
00:34:41« Dis papa, où est-ce que tu étais entre 1941 et 1945 ? »
00:34:44Et le père lui dit « Fini, t'es rue tabaga et on n'en reparle. »
00:34:48C'est là que ça se met sous le tapis.
00:34:57C'est parce que la reconstruction s'est mise en place de cette façon-là
00:35:01que la question de la culpabilité est peut-être moins bien gérée.
00:35:08Mais tout ça est compliqué parce que d'un autre côté, à partir de 1960,
00:35:14la deuxième génération des Allemands, la génération de ceux qui soit étaient
00:35:19de très jeunes enfants pendant la Seconde Guerre mondiale, soit qui sont nés après,
00:35:22arrivent aux manettes, les gens font leurs études, deviennent juristes
00:35:28et puis tu as toute une génération de jeunes procureurs et de jeunes avocats
00:35:33qui disent « Écoutez, maintenant on aimerait bien savoir. »
00:35:36Et se met en place à ce moment-là une série d'enquêtes ultra systématiques
00:35:41sur le passé nazi et la façon dont les nazis ont mis en place des crimes dans toute l'Europe.
00:35:49Il y a une espèce de judiciarisation de la culpabilité aussi.
00:35:54On cherche des coupables pour passer à autre chose ou comment ça se passe ?
00:35:59Ce qu'on peut dire malgré tout, on peut critiquer et les Allemands ne s'en sont pas privés,
00:36:06les Allemands de la gauche, l'extrême-gauche allemande ne s'en est pas privée,
00:36:11on peut parfaitement critiquer cette espèce de république fédérale allemande,
00:36:15capitaliste, rhénane et amnésique.
00:36:17Il n'en reste pas moins que la même république met en place un effort considérable
00:36:23d'enquête et donc d'introspection sur son propre passé.
00:36:29Évidemment, tout ça est compliqué parce qu'au moins au début,
00:36:35quand un suspect des Einsatzgruppen est convoqué au commissariat,
00:36:40la plupart du temps, dans le commissariat, comme chef de la police criminelle,
00:36:44il a un ancien collègue.
00:36:45Et donc, souvent, il a été prévenu avant, il a préparé les questions,
00:36:49au moins pour le premier interrogatoire.
00:36:51Bien sûr que tout ça est un peu compliqué.
00:36:56Il n'en reste pas moins qu'à Ludwigsburg, dans l'une des annexes
00:37:03des archives fédérales allemandes, il y a des dizaines de millions
00:37:07de pages d'interrogatoires d'anciens nazis pour essayer de mettre en place
00:37:13des enquêtes systématiques sur les crimes qui ont été commis
00:37:16pendant les années 1939, 1933, 1945.
00:37:20Des enquêtes qui ont quand même pour finalité d'établir une culpabilité
00:37:24et de pouvoir condamner ?
00:37:27Des enquêtes qui ont pour finalité de pouvoir établir des culpabilités
00:37:31et de condamner, mais avec quand même, malgré tout, un twist
00:37:35qui rend les choses pratiquement impossibles.
00:37:39Les Allemands, la République fédérale allemande, essayent de mettre en place
00:37:44un raisonnement juridique qui condamne les choses à l'impossible.
00:37:47Ils disent que la règle fondamentale de l'institution judiciaire
00:37:54est la non-rétroactivité des peines.
00:37:58Ce qui veut dire que pour enquêter, incriminer et condamner les crimes
00:38:06qui ont été commis par les nationaux socialistes, il faut se servir
00:38:10du code pénal de 1937.
00:38:12Donc, pas de crime de guerre, pas de crime contre l'humanité,
00:38:16juste deux incriminations possibles, le meurtre et la complicité de meurtre.
00:38:20Ça, c'est une première chose.
00:38:23Ensuite, pour avoir un meurtre dans le droit de 1937, il faut un lieu,
00:38:28une date, une identité de victime et un témoin.
00:38:32Là, tu te retrouves avec l'exemple de Erich Scherlinger,
00:38:36chef de la Gestapo et du SD à Kiev,
00:38:39un mec qui a 100 000 personnes au compteur, 100 000 !
00:38:43Et tu ne peux prouver aucune culpabilité.
00:38:46Aucune.
00:38:48Parce qu'on a même des témoignages.
00:38:51Cet homme est un des intellectuels SS sur lesquels j'ai travaillé
00:38:55et on a des témoignages qui le montrent, révolver à la main,
00:38:58en train de tuer des gens.
00:39:00Mais la plupart du temps, le témoignage ne dit pas la date
00:39:03ou ne dit pas le lieu et de toute façon, n'a pas l'identité de la victime.
00:39:07Et donc, le crime ne peut pas être prouvé et ne peut pas être constitué.
00:39:10Et donc, c'est cette espèce de volonté d'irréprochabilité juridique
00:39:19et judiciaire qui explique que toute une partie des choses
00:39:25soit restée complètement, non pas impunie, pas tout à fait,
00:39:37mais il faut sortir du raisonnement dans lequel la seule punition
00:39:42est la punition judiciaire.
00:39:44Une société qui a infligé à toute une partie de ses élites
00:39:49le fait d'être emmerdée tout le long de sa vie,
00:39:52d'être convoquée au commissariat, de devoir répondre à des questions,
00:39:55d'avoir peur que de devoir passer devant les tribunaux,
00:39:58de se dire qu'elle a gâché la vie.
00:40:00Alors, gâcher la vie, ce n'est pas grand-chose par rapport
00:40:02à ce que ces gens avaient fait, on est bien d'accord.
00:40:04Mais là, au moins, ils ont essayé pendant toute cette période,
00:40:09il y a encore à l'heure actuelle plusieurs dizaines, pas beaucoup,
00:40:12mais plusieurs dizaines de procédures qui sont en cours
00:40:17avec des avocats qui continuent à travailler dans les locaux.
00:40:22Tu vois, moi, je me rappelle, j'allais travailler dans ces archives
00:40:25à l'Audevillebourg dans les années 2000 et on était au deuxième étage
00:40:29et au troisième étage, il y avait encore des procureurs
00:40:31qui étaient en train de chasser des nazis.
00:40:35Et j'ai des amis historiens qui ont financé leurs thèses
00:40:38en étant chasseurs de nazis.
00:40:40Donc, tu vois, ces gens ont vraiment essayé longtemps et beaucoup.
00:40:44Et c'est ce qui explique, selon toi, qu'aujourd'hui,
00:40:47les Allemands aient une telle volonté aussi peut-être d'expier
00:40:54ou de montrer patte blanche en ouvrant au maximum.
00:40:58Tu vois, dernièrement, on a vu sur les réseaux encore
00:41:01cette fameuse photo de la Porte de Brandebourg affichée
00:41:05avec la date de la fin de la guerre, avec marqué merci
00:41:09dans toutes les langues, tu vois.
00:41:12Alors, je ne suis pas un spécialiste de l'Allemagne d'après-guerre,
00:41:15tu vois, mais il y a quelque chose, tu vois, il y a un slogan,
00:41:19enfin un slogan, il y a une phrase en allemand qui dit
00:41:21« Besiegt und befreid », c'est-à-dire que vaincu, mais libéré.
00:41:25Et il y a une conscience très, très aiguë dans les deux Allemagnes
00:41:31de ça, mais tout ça est toujours un peu dialectique.
00:41:35Tu vois, tu as d'un côté un immense effort qui a été produit
00:41:39pour d'introspection, de travail sur la culpabilité,
00:41:43de travail sur les mœurs, etc., qui fait que pendant la crise
00:41:47des réfugiés qu'on vient de connaître avec les horreurs
00:41:50qui se sont passées en Syrie et où des centaines
00:41:53et des centaines de milliers de gens sont venus frapper
00:41:55à la porte de l'Europe, comme ils l'ont fait,
00:41:57comme l'avaient fait les réfugiés juifs en 1938,
00:41:59et l'Europe s'est encore lavé les mains, comme d'habitude,
00:42:02sur ces conneries-là, les Allemands sont les seuls
00:42:05à avoir dit « Wir schaffen est, on va y arriver ».
00:42:10Et ça, c'est le résultat, me semble-t-il,
00:42:12de cette espèce d'introspection.
00:42:16Mais d'un autre côté, tu as aussi toute une partie
00:42:19de la population allemande, numériquement pas très nombreuse,
00:42:23mais qui dit « ça suffit maintenant ces conneries,
00:42:26la culture du repentir, de la repentance et de la culpabilité,
00:42:30il y en a ras le bol, Haus Ende Haus,
00:42:34les étrangers dehors et l'Allemagne aux Allemands ».
00:42:37Et la virulence de ce qu'on appelle « Alternative für Deutschland »
00:42:41à l'AVD, c'est-à-dire la recrudescence de l'extrême droite,
00:42:45elle est aussi liée à ce travail d'introspection.
00:42:50Il y a des gens qui disent que maintenant,
00:42:52ces temps-là, ça en révolue et qu'il faut passer à autre chose
00:42:56et passer à un autre agenda.
00:42:58Un agenda, évidemment, de droite extrême et agressive.
00:43:02Oui, d'ailleurs, on a le même type de discours
00:43:04qui se développe à bal en France,
00:43:07pas forcément pour les mêmes périodes.
00:43:13Et du coup, sur tout ce qui est condamnation,
00:43:18finalement, il faut plus se tourner vers des enquêtes
00:43:21ou des tribunaux extérieurs à l'Allemagne,
00:43:24comme il y a pu y avoir avec Nuremberg ?
00:43:27Écoute, je suis assez incapable de donner des chiffres.
00:43:32Il y a eu, de 1945 jusqu'à 1949,
00:43:37il y a des tribunaux qui fonctionnent,
00:43:39à la fois le tribunal international de Nuremberg,
00:43:42des tribunaux américains qui mettent en place
00:43:44douze procès subséquents à Nuremberg aussi,
00:43:47procès des ministères de l'Industrie,
00:43:50des Anitas Popen, des médecins, etc.
00:43:53Et puis, tu as dans chacune des zones,
00:43:55des tribunaux régionaux qui poursuivent
00:44:03et condamnent un certain nombre de gens.
00:44:06Il faut voir la dénasification,
00:44:10ce sont des chiffres, c'est une énorme opération.
00:44:17Dans la zone d'occupation américaine,
00:44:18ce sont 900 000 personnes qui ont été jugées
00:44:20par les 545 chambres de dénasification
00:44:23qui sont mises en place par les Américains.
00:44:26Les chiffres sont vraiment extrêmement importants.
00:44:30Dans les camps d'internement,
00:44:31il y a 182 000 individus qui sont affermés
00:44:35entre mai 1945 et janvier 1947.
00:44:37Et ça, ça n'est que pour les trois zones occidentales.
00:44:41Ce que j'essaie de dire ici, c'est que,
00:44:43effectivement, ces tribunaux américains,
00:44:46internationaux américains et ces tribunaux d'occupation
00:44:49ont fait un énorme travail et ils ont condamné à mort
00:44:55et exécuté un certain nombre de personnes.
00:44:57Dans la zone soviétique, me semble-t-il,
00:44:59ce sont 42 000 personnes qui perdent la vie
00:45:02au cours du processus d'épuration.
00:45:03Ce n'est pas rien, tu vois.
00:45:05Bien sûr, ce qui se passe après,
00:45:09dans les tribunaux allemands, n'a pas la même ampleur.
00:45:13Il n'y a pas cette espèce d'emprisonnement de masse
00:45:18et de filtrage véritablement que les Américains,
00:45:23notamment, mettent en place et qui permet
00:45:26d'évaluer toute la population allemande.
00:45:30Il n'en reste pas moins qu'il y a quelque chose
00:45:32qui est extrêmement systématique et extrêmement tenace
00:45:36qui se met en place du côté allemand.
00:45:39Mais j'avoue n'avoir pas les chiffres pour replacer
00:45:44le nombre de condamnations entre 1945 et 2010.
00:45:51J'avais une interrogation aussi personnelle
00:45:54sur une question concernant la classe sociale.
00:46:00Est-ce que finalement, après la guerre,
00:46:03des gens qui étaient issus de l'élite
00:46:08ou de la bourgeoisie, qui avaient déjà un réseau,
00:46:11ont eu tendance à peut-être mieux s'en sortir
00:46:14ou expliquer ou filouter que des gens
00:46:16de la classe ouverte qui n'étaient pas forcément habitués
00:46:19à être au contact de gens de pouvoir
00:46:23ou de l'administration policière ?
00:46:29Je dirais que la façon dont les gens s'en sortirent
00:46:34dépend peut-être moins de l'extraction sociale
00:46:38que de la date à laquelle tu te fais choper.
00:46:41Quand les personnes impliquées se font prendre très vite,
00:46:51entre 1944 et 1946-1947, les condamnations
00:46:54sont extrêmement rigoureuses et elles sont souvent exécutées.
00:47:00Les peines de mort, à ce moment-là,
00:47:02sont extrêmement souvent exécutées.
00:47:05A partir de 1948, la peine de mort n'est plus exécutée
00:47:08et les peines sont communiquées extrêmement rapidement,
00:47:10et ce, dans toutes les zones.
00:47:11Tout simplement parce que les alliés font à ce moment-là
00:47:14le choix de récupérer les élites.
00:47:19Je dirais que, d'un autre côté, mécaniquement,
00:47:22les élites sont quand même plus exposées que les classes populaires,
00:47:27parce que, tout simplement, ce sont les gens des élites
00:47:29qui ont exercé les responsabilités.
00:47:30Et même si, effectivement, il y a des groupes sociaux
00:47:36un peu marginalisés, un peu marginaux,
00:47:38comme les gardiens de camp, etc.,
00:47:40qui sont véritablement beaucoup poursuivis,
00:47:46pour le reste, si tu veux, ce sont quand même les alliés,
00:47:52comme les Allemands essayent quand même de viser les décideurs
00:47:55et donc plutôt les élites.
00:47:56Justement, c'est aux gardiens de camp que je pensais.
00:47:59En parlant de ces fameux camps,
00:48:04on se pose souvent la question de
00:48:06« Est-ce que les civils allemands étaient au courant ? »
00:48:11Ou est-ce qu'ils ont découvert du jour au lendemain ?
00:48:16Qu'est-ce que tu en as à dire de ton côté,
00:48:18de ce que tu as pu découvrir en travaillant sur le sujet ?
00:48:21On y découvre une diversité extrême.
00:48:24On y découvre, d'un côté, que les Allemands sont habitués,
00:48:27depuis 1934, à ce qu'il y ait dans leur horizon
00:48:32des espaces de détention, dont ils savent que ces espaces
00:48:36de détention échappent à la normalité judiciaire.
00:48:39Donc, tu peux très bien te retrouver dans ces espaces un peu bizarres,
00:48:45ces anciennes usines autour de Barbelé,
00:48:48et qu'entre 1933 et 1939, quand on y fait un tour,
00:48:53on ressort avec de bons yeux au beurre noir, mais on ressort.
00:48:57Et on ressort, c'est un calcul nazi, parce que les nazis attendent bien
00:49:02que ceux qui ressortent racontent ce qui leur est arrivé aux autres
00:49:05et que les autres aient peur et l'affaire.
00:49:10Il y a une vraie porosité qui existe entre les espaces carcéraux
00:49:13et notamment les espaces concentrationnaires et la société d'avant-guerre,
00:49:16avec l'idée qui se développe que, au fond,
00:49:19les gens qui vont dans les camps de concentration sont,
00:49:23d'un côté, des rouspêteurs et des fortes têtes communistes et socialistes
00:49:28qui n'ont pas décidé de se couler dans le moule,
00:49:30de l'autre, des criminels que le système judiciaire,
00:49:33d'ailleurs beaucoup trop laxiste, dit la vox populi, a laissé partir,
00:49:37et, en troisième lieu, des pervers, etc.
00:49:40Et donc, au fond, tous les gens qui passent dans les systèmes
00:49:43concentrationnaires sont des gens qui, au fond,
00:49:46l'ont un peu mérité malgré tout.
00:49:48C'est ce que pensent un peu les Allemands.
00:49:51Après 1939, les camps de concentration se remplissent d'autres populations,
00:49:57notamment de populations étrangères, et à partir de ce moment-là,
00:50:00les Allemands vont faire l'expérience, si tu veux,
00:50:04de la domination socio-raciale.
00:50:06Et donc, parce que les gens des camps de concentration sont envoyés
00:50:09à l'extérieur pour travailler et deviennent, si tu veux,
00:50:12une sorte de lumpenproletariat, de prolétariat marginalisé
00:50:18qui, pour les Allemands, c'est normal de faire travailler
00:50:24ces gens qui sont censés devenir les esclaves de la société allemande.
00:50:29Et donc, tu vois, il y a comme ça une vraie porosité qui se met en place
00:50:34et qui fait que les Allemands ne sont à la fois pas vraiment conscients
00:50:38de l'ampleur de ce qui est en train de se passer dans les camps de concentration,
00:50:41notamment après 1941, et dans le même temps qu'ils ont intériorisé
00:50:46le fait qu'il y avait quelque chose qui était de l'ordre de la justesse
00:50:49qui se mettait en place dans tout ça.
00:50:53J'aimerais quand même faire un petit aparté, si tu le veux bien,
00:50:57pour te demander deux choses.
00:51:00Déjà, comment est-ce qu'on en arrive, à titre individuel,
00:51:05à travailler sur ces questions du nazisme et aussi, plus particulièrement,
00:51:09de la violence à l'Est ?
00:51:11Et l'autre question que j'aimerais vraiment aborder avec toi aussi,
00:51:15c'est celle de l'impact que peut avoir ton travail sur toi-même,
00:51:22voire même sur tes proches, parce qu'en vérité, il y a quelques années,
00:51:27j'ai commencé à entamer certaines réflexions sur le métier d'historien
00:51:32et sur tout ce qu'on en dit.
00:51:34Ce que le grand public dit des historiens, peut-être un petit peu naïvement,
00:51:39c'est « oui, mais de toute façon, l'historien doit se mettre à distance
00:51:42de ses sources ». L'émotion ou l'opinion ne doit pas avoir sa place
00:51:47dans le travail de l'historien.
00:51:50Mais quand on travaille sur des épisodes ultra violents comme ça,
00:51:55notamment sur le front de l'Est, quand on lit tout ce que tu as pu lire,
00:52:00quand on voit tout ce que tu as pu voir, comment est-ce qu'on arrive à gérer ça ?
00:52:04Moi qui ai travaillé de façon vraiment éclair sur la guerre d'Algérie
00:52:09et qui ai vu des images qui n'ont pas été diffusées à la télé,
00:52:13j'ai été hyper atteint et touché par ça, alors que je l'ai vécu
00:52:20de manière très fulgurante.
00:52:23Et comment est-ce que pendant des années, tu peux réussir à gérer ça ?
00:52:27Est-ce qu'on ne devient pas fou ?
00:52:29Je ne suis pas fou, je ne crois pas l'être.
00:52:31On pourrait demander ça à ma compagne et à mes enfants.
00:52:36Je n'ai pas l'impression d'être fou.
00:52:37Ils me diront peut-être que je suis un peu bizarre,
00:52:39mais pas beaucoup plus que ça.
00:52:41J'ai demandé aux centaines d'étudiants avec qui j'ai fait cours.
00:52:49Je pense qu'il y en a pas mal qui me diront que je suis bizarre,
00:52:53mais assez peu qui me diront que je suis fou.
00:52:55C'était rhétorique, je ne te traitais pas de fou.
00:52:59Mais j'ai essayé de répondre dans l'ordre à tes questions.
00:53:01La première question, comment est-ce qu'on se met à travailler là-dessus ?
00:53:05J'ai raconté déjà assez souvent que j'ai eu l'idée du sujet sur lequel j'ai travaillé,
00:53:13c'est-à-dire les intellectuels dans les services de renseignement nazis très jeunes.
00:53:19J'ai lu quelque chose sur la présence de ces intellectuels,
00:53:22je vais avoir 12 ou 13 ans.
00:53:24Cette question m'a scotché à ce moment-là,
00:53:26mais elle est restée en jachère dans ma tête jusqu'à l'âge de 22 ans,
00:53:30âge auquel j'ai fini ma licence dans la petite ville universitaire où je suis né,
00:53:34qui est Clermont-Ferrand,
00:53:35et où la femme qui est devenue la maman de mes trois premiers enfants m'a dit
00:53:41« Écoute, je veux partir à Paris et il faut que tu me suis.
00:53:46Si tu veux, tu me suis. »
00:53:49Moi, j'avais très envie de la suivre,
00:53:50et donc j'ai ressorti ce sujet-là pour légitimer le fait qu'il fallait que j'aille travailler ailleurs
00:53:55qu'à Clermont-Ferrand où on ne pouvait pas travailler sur le nazisme.
00:53:58Ça, c'est une première chose.
00:53:59Mais le sujet en lui-même, il n'est pas grand-chose parce qu'il faut avoir les moyens de le regarder.
00:54:06Et c'est là qu'on commence à arriver à la question de la violence.
00:54:10Je fais partie d'une génération de gens nés au tout début des années 70
00:54:15qui vit la chute du mur en fin d'adolescence, 18-19 ans,
00:54:21et qui voit apparaître devant ses yeux incrédule, si tu veux,
00:54:29la ressurrection de la violence dans nos horizons d'attente.
00:54:34On est la génération des boomers et la génération X que je représente.
00:54:40Nous avons eu la chance, mais infinie, de vivre dans des sociétés pacifiées.
00:54:46On peut dire ce qu'on veut de l'Union européenne.
00:54:48L'Union européenne nous a apporté pratiquement 50 années de paix.
00:54:51À part que cette paix, à partir de 1992-1993,
00:54:54elle est mise à mal par l'explosion de violence qu'a constituée la guerre au Yougoslavie.
00:55:03La guerre au Yougoslavie, elle a pour moi une résonance,
00:55:07elle a pour tous les chercheurs en sciences de l'humanité sociale de ma génération,
00:55:10une résonance particulière, mais pour moi, une résonance plus importante encore
00:55:13parce que j'étais très engagé à gauche à ce moment-là,
00:55:18et pour moi, la Yougoslavie, c'était un des avenirs possibles de nos systèmes sociaux
00:55:26parce qu'on y vivait en paix, qu'il y avait l'autogestion dans les entreprises,
00:55:33qu'il y était développé quelque chose qui était de l'ordre d'un socialisme à visage humain
00:55:36et qu'il y avait quelque chose qui était de l'ordre de la concorde et de l'avenir qui s'y mettait en place.
00:55:41Et donc, quand tout ça a explosé, je n'ai rien vu venir.
00:55:46Rien, putain, rien vu venir.
00:55:48Parce qu'alors que j'avais des amis yougoslaves et notamment des amis serbes
00:55:52et qu'eux, comme un idiot si tu veux, je me suis retrouvé complètement aveugle face à ce truc-là.
00:55:56Donc pour moi, ça a deux conséquences.
00:55:57Un, quand j'ai commencé à travailler sur ces questions-là, sur les questions de violence,
00:56:01j'avais été saisi comme télégération par l'explosion
00:56:06et la facilité de la rediffusion de la violence dans un corps social.
00:56:09Deux, au plan personnel et éthique, j'avais déjà énormément lu sur le nazisme, etc.
00:56:16Et donc, dès le début de ma démarche d'historien, il a été hors de question de me dire
00:56:21que j'allais travailler sur le génocide des juifs et sur le nazisme
00:56:25en essayant d'éviter le prochain génocide.
00:56:27Il m'était arrivé devant mes yeux, je n'avais rien vu.
00:56:29Et même au début, je me pensais pro-yougoslave et en fait, je faisais le jeu des serbes.
00:56:34Donc si tu veux, s'être autant trompé à l'origine de ma démarche,
00:56:41ça m'a d'une part permis d'avoir une démarche
00:56:47avec le moins d'ambition éthique et politique possible.
00:56:50C'est-à-dire que moi, je travaille, je fais de l'histoire.
00:56:53J'en tire personnellement évidemment quelque chose qui est de l'ordre d'un apprentissage civique,
00:56:57mais alors il ne faut surtout pas compter sur moi pour arriver et mettre en place des arguments d'autorité
00:57:02et dire laisse petit, je connais le nazisme et je vais t'expliquer ce qu'il faut faire dans les dix prochaines années.
00:57:07Ça, c'est un truc qui m'en supporte de façon absolument totale.
00:57:10Ça, c'est une première chose.
00:57:11Deuxième chose, en assistant Médusé à l'explosion de violence qui a été celle de la Yougoslavie
00:57:18et bien sûr, évidemment, un peu plus tard du Rwanda, nous avons été incités à trouver des instruments
00:57:26pour apprivoiser la question de la violence de guerre et des attitudes individuelles et collectives face à la violence,
00:57:33qui étaient des outils qui n'étaient pas utilisés par les historiens du nazisme jusqu'ici.
00:57:36C'est comme ça qu'on a été lire de l'anthropologie, qu'on s'est réintéressés à l'histoire antique,
00:57:42qu'on s'est intéressés à l'histoire religieuse du XVIe et du XVIIe siècle,
00:57:45qu'on a été lire Denis Crouset et qu'on a compris qu'en étudiant au plus près des gestuels de violence,
00:57:51on pouvait arriver dans la tête de ceux qui l'opèrent.
00:57:54Donc ça, c'est ce qui a guidé ma démarche jusqu'encore maintenant.
00:58:00Après, évidemment, là où tu as parfaitement raison, c'est ce type de démarche a un coût psychique, c'est évident.
00:58:08Tous les historiens et toutes les historiennes que je connais et qui travaillent sur ces sujets-là,
00:58:17on est quelques-uns mais on se connaît quand même un peu tous,
00:58:20payent un impôt d'aprôté à cette blessure que l'on s'inflige en projetant notre empathie sur ces massacres-là.
00:58:39Car l'opération historienne et notamment cette histoire compréhensive qu'on essaie de mettre en place
00:58:44et qui consiste à essayer de rentrer dans les catégories des acteurs pour essayer d'en comprendre la logique,
00:58:50en faisant cela, tu t'exposes à cette blessure narcissique qui a été opérée soit par le fait d'être confrontée
00:58:59à ta propre mort imminente, soit qui t'est infligée par le fait d'être confrontée au fait de tuer.
00:59:07Et donc, il y a quelque chose que les psychiatres et les psychologues appellent désormais le traumatisme vicarian
00:59:12et qui constitue un des corollaires de ce type de démarche.
00:59:16Il n'en reste pas moins, si tu veux, que la première chose qu'il faut voir,
00:59:20c'est qu'entre cette ombre traumatique qui constitue le corollaire de ce qu'on est en train de faire
00:59:32et l'expérience véritable, il y a un monde qui fait que malgré tout,
00:59:36nous ne sommes la plupart du temps pas atteints par des blessures psychiques fondamentales.
00:59:43Et deuxième chose, nous sommes tous consentants à faire cela.
00:59:48C'est-à-dire que pour rien au monde, je n'échangerais ma place avec une autre.
00:59:52Il faut aussi bien comprendre que lorsqu'on travaille sur ces sujets et à des niveaux existentiels comme ceux-là,
01:00:01on est évidemment mis en position de regarder ce qu'il y a de plus laid dans ce que l'on pourrait appeler la condition humaine,
01:00:11et non pas la nature. La condition s'est construite.
01:00:14Donc, de ce qu'il y a de plus laid dans la condition humaine, mais on y voit aussi ce qu'il y a de plus beau.
01:00:18Et ça, c'est peut-être le plus surprenant, mais il n'en reste pas moins qu'essayer de comprendre le choix fondamental,
01:00:26que font ces jeunes parents, les 29 et 30 août 1941, à Kamenets-Podolsk,
01:00:31de ne pas tenter le coup de traverser ce pourtant si fin cordon de policiers
01:00:35qui pourrait faire qu'ils tentent le coup de la survie et qu'ils ne le font pas pour ne pas abandonner leurs enfants.
01:00:42Eh bien, il y a de la beauté dans ce geste-là. Il y a de la beauté dans ce choix-là.
01:00:47Et je me considère comme chanceux d'avoir l'opportunité de pouvoir essayer de ne serait-ce que de le faire éclater au grand jour,
01:00:56et d'essayer de comprendre.
01:00:58T'as pensé à faire du théâtre un jour ? Parce que vraiment, tu me provoques des choses, là.
01:01:03Je propose de passer aux questions, parce qu'on a beaucoup de questions, comme je disais tout à l'heure,
01:01:06ça fait déjà une heure qu'on est ensemble, et en vrai, je pourrais t'écouter longtemps.
01:01:14Première question, avec la main gauche, sur Twitter, qui dit
01:01:18« Quand j'étais en RDA, entre 1979 et 1988, j'étais surprise de la façon dont la culpabilité était évacuée.
01:01:27Les nazis étaient tous de la RFA, et en RDA, il n'y avait que des anti-nazis. »
01:01:32Est-ce que tu partages cette impression-là, toi aussi ?
01:01:37Ça, c'était le discours total et absolu de la RDA de cette époque-là.
01:01:40C'est-à-dire que la RDA mettait en place un discours qui était effectivement
01:01:44« Nous sommes la patrie de l'antifascisme », mais de l'autre côté, la RDA est un pays
01:01:51qui n'a pas fait son « adjornamento », et qui est une espèce de nid de nazis.
01:01:56Et puis, quand tu vas travailler dans les archives de RDA, tu t'aperçois très discrètement,
01:02:02l'Astasie, la police politique nazie, faisait la chasse aux quelques nazis qu'elle arrivait à trouver,
01:02:09et que jusqu'en 1985, elle condamna mort et exécute des anciens nazis.
01:02:13Et donc, malgré tout, les Est-Allemands étaient parfaitement conscients du fait
01:02:20qu'en leur sein, il restait aussi malgré tout des nazis, mais la plupart du temps,
01:02:27ils les exonéraient en disant qu'il y avait quelque chose qui était de l'ordre de la contrainte à l'adhésion,
01:02:32ou alors, ils les pourchassaient et, sans aucune pitié, les condamnaient à de très lourdes peines,
01:02:39notamment jusqu'en 1986, à la peine de mort avec exécution.
01:02:44– C'est tard, je suis dans le 88, c'est tard.
01:02:49On a Paul Zepolo qui nous demande si, pendant la guerre, on a des sources,
01:02:58nous parlons de soldats allemands qui auraient refusé de participer à certains actes.
01:03:03– C'est une très bonne question.
01:03:05Alors, la première chose qu'il faut dire, c'est qu'il y a quelque chose comme 20 000 ou 30 000,
01:03:11peut-être entre 20 000 et 30 000 soldats qui ont été exécutés par les institutions judiciaires,
01:03:16militaires de la Wehrmacht pour refus d'obéissance ou pour désertion, etc.
01:03:23Il n'en reste pas moins que, dans aucun des cas qui a été relevé par les historiens,
01:03:29il s'agissait du refus d'exaction contre des civils ou d'exaction génocidaire.
01:03:37Ce dont on s'aperçoit quand on travaille, par contre, sur ces exactions civiles et génocidaires,
01:03:42c'est que les refus peuvent exister.
01:03:44Tel soldat ou tel membre d'une d'un groupe peut dire aujourd'hui, je ne veux pas tuer d'enfant.
01:03:49Mais il n'est pas en train de nous dire qu'il ne veut pas tuer d'enfant en général.
01:03:53Il est en train de dire, aujourd'hui, je ne le fais pas.
01:03:55Ou alors, quand il le dit en général, je ne veux pas tuer d'enfant,
01:03:59ce qui est sous-entendu, c'est que les femmes et les hommes, il est d'accord.
01:04:05Les adultes, il est d'accord.
01:04:06Et donc, on s'aperçoit qu'on a des rapports qui sont transitionnels
01:04:09et qui font que même quand on en arrive à discerner un certain nombre de refus qui sont exprimés,
01:04:19ce sont des refus qui sont la plupart du temps contextualisés et locaux.
01:04:22Il n'y a pas, à ma connaissance, je n'ai jamais vu, de refus socialement identifiés
01:04:29qui soient de l'ordre moral ou idéologique,
01:04:31où quelqu'un dit ce que nous sommes en train de faire n'est pas bien.
01:04:34On a Julie sur Twitter qui dit, j'ai une question sûrement sans grand intérêt,
01:04:39mais elle me tourlupine un peu.
01:04:40Alors, il n'y a pas de questions sans grand intérêt, Julie.
01:04:42Toutes les questions doivent être posées.
01:04:44Que sait-on de ces soldats nazis qui ont vraiment aimé des Françaises
01:04:49et autres quand celles-ci se sont faites persécuter après la guerre,
01:04:52d'un point de vue de la culpabilité ?
01:04:54Ce problème-là a trouvé son historien, un merveilleux historien,
01:04:58qui s'appelle Fabrice Virgili,
01:04:59et qui a travaillé sur ces enfants des deux couples franco-allemands
01:05:04et qui a beaucoup travaillé dans une institution qu'on appelle la VAST,
01:05:09et qui est une institution dans laquelle on peut rechercher les personnes
01:05:13qui ont disparu et qui s'est spécialisée aussi dans la recherche de paternité.
01:05:24Alors, la plupart du temps, ces couples ne se sont pas reformés.
01:05:28Il s'agissait essentiellement de gens d'amour d'un soir
01:05:33ou de liaisons qui n'ont pas résisté à la guerre.
01:05:36Mais il est clair qu'assez souvent, malgré tout, à partir des années 80
01:05:44et encore plus des années 90, les enfants nés de ces unions
01:05:48ont pu essayer de retrouver leur père et de se mettre en place.
01:05:52Voilà, c'est à peu près ce que montre Fabrice.
01:05:56La démarche de Fabrice Virgili est aussi une démarche d'étude des sociétés après-guerre
01:06:02et de cet ordre des genres qui se met en place à ce moment-là
01:06:05et donc de la réprobation quasi-unanime que ces femmes ont connues.
01:06:09Il a commencé à travailler sur les tontes à la libération
01:06:12en montrant qu'elles étaient effectivement liées à la restauration
01:06:15de l'ordre patriarcal.
01:06:17Mais ensuite, il a travaillé sur ces enfants et a montré la somme de souffrances
01:06:22qui pouvaient avoir été générées par ce genre de choix.
01:06:26On a Netza qui nous demande comment était gérée la culpabilité de la population
01:06:31par les quatre puissances alliées et leurs territoires respectifs.
01:06:33Est-ce qu'il y avait un soutien psychologique mis en place ?
01:06:36Est-ce qu'il y avait du lynchage ? Est-ce que ça s'est transmis à la génération suivante ?
01:06:41On l'a vu un petit peu tout à l'heure, on en a parlé.
01:06:43Et si oui, de quelle façon ?
01:06:45Netza a bien repéré qu'il y avait une différence de traitement fondamental
01:06:48entre les différentes zones d'occupation.
01:06:52Nulle part, il y a de la psychologie.
01:06:55C'est vraiment quelque chose, la question de la psychologie,
01:07:01du développement personnel, du trauma, de la résilience, etc.
01:07:05Ce sont des interrogations qui sont nées dans les années 90.
01:07:08Avant cela, on ne sait pas ce que c'est.
01:07:11Les opérations que mettent en place les occupants pour cette question
01:07:16de la culpabilité, elles oscillent entre deux impératifs.
01:07:19Un impératif moral qui est de justice, qui dit que des crimes monstrueux
01:07:25se sont commis, il faut les sanctionner.
01:07:27Et de l'autre, un impératif social et fonctionnel qui dit qu'on a une société,
01:07:31on ne va pas tuer tous ces gens, il faut qu'elle fonctionne,
01:07:33on a besoin des cadres pour les faire fonctionner.
01:07:36Entre les deux, il y a une espèce de louvoiement qui fait qu'on a à la fois
01:07:40d'immenses opérations d'internement des hommes pour essayer de les juger
01:07:45et de mettre en place une évaluation de leur culpabilité.
01:07:48Et de l'autre, ce qu'un historien qui s'appelle Jaeger appelle
01:07:52une amnistie froide, c'est mis en place.
01:07:56Entre les deux, il y a une sorte de via media qui a à la fois fonctionné
01:08:03de façon assez brillante parce que l'Allemagne, 40 ans plus tard,
01:08:07est la cinquième ou quatrième puissance économique mondiale
01:08:11et réussit à mettre en place.
01:08:12Et d'un autre côté, c'est un canard boiteux parce qu'on voit bien
01:08:15que pendant deux générations au moins, le malaise laissé par cette histoire
01:08:21a tourmenté ces générations.
01:08:24Voilà, c'est à peu près ça qu'on peut dire.
01:08:26Je pense qu'une des choses qu'il faudrait quand même souligner dans tout ça,
01:08:31c'est que le judiciaire a plusieurs fonctions.
01:08:34Il y a une fonction qui est une fonction vindicatoire.
01:08:37Il faut apporter le judiciaire aux victimes et à leurs ayants droit
01:08:41pour qu'ils se sentent remis de ce qu'ils ont vécu.
01:08:44En second lieu, il y a une fonction de réaffirmation de la norme.
01:08:50Tu as tué, c'est mal de tuer, tu vas payer.
01:08:53Et en troisième lieu, il y a une dernière fonction
01:08:55qui est une fonction symbolique de rédemption des victimes
01:08:59et qui fait qu'une fois que tu as payé, tu dois pouvoir continuer à vivre une vie.
01:09:06Et ça, c'est très important pour que les sociétés puissent continuer à fonctionner après.
01:09:11Les quatre sociétés dont on est en train de parler ont essayé, bon an, mal an,
01:09:17assez inconsciemment, sans jamais le dire,
01:09:19de trouver leur chemin entre ces trois fonctions.
01:09:22On a Léonard Minier sur Facebook qui nous demande
01:09:26« A-t-on mesuré l'adhérence à l'idéologie nazie au sein de la population allemande dans l'après-guerre ? »
01:09:32« A la début 1945, la population allemande dans son ensemble ne croyait plus en la victoire finale,
01:09:37mais avait l'air de continuer à adhérer à cette pensée.
01:09:40La défaite a-t-elle agi comme une prise de conscience de ce qui avait été fait
01:09:43ou seulement comme une mise en veilleuse ? »
01:09:45Moi, je ne dirais pas adhérence, mais adhésion.
01:09:47Une adhérence, c'est la pâte à pain qui colle à ta main.
01:09:50Tout à fait.
01:09:53C'est hyper intéressant parce qu'au fond, je pense qu'il a exactement,
01:09:59notre interlocuteur, Léonard, a exactement exprimé sa pensée.
01:10:03C'est-à-dire que comme si le nazisme collait aux gens.
01:10:06Et c'est tout sauf une maladresse, au sens où moi, je pense que le 8 mai 1945 n'a pas tué le nazisme.
01:10:16C'est-à-dire que le nazisme, c'est encore une fois ce système de croyance désangoissant
01:10:23qui donne du sens au monde.
01:10:26Au fond, entre le 8 mai 1945 et un peu plus tard, les nazis croient toujours qu'on veut les exterminer,
01:10:34croient toujours que les soviétiques et les juifs vont revenir, etc.
01:10:40Et ce qui va tuer le nazisme, c'est ce qui va affirmer cette croyance-là.
01:10:47Et ce qui va affirmer la croyance, c'est l'hiver 1945-1946.
01:10:51Si les nazis avaient eu raison, alors les soviétiques, les Américains, les Français et les Anglais
01:10:58auraient laissé la population allemande mourir de faim.
01:11:01Il n'y a pas de récolte en avril-mai 1945.
01:11:04Les gens sont occupés à cramer les champs, mourir, se battre, etc.
01:11:09Et donc, il n'y a rien à manger en Allemagne.
01:11:13Et qu'est-ce qui se passe ?
01:11:14Il se passe que les Français, les Britanniques et les Américains font venir des vaisseaux entiers de ravitaillement
01:11:23pour nourrir les populations allemandes.
01:11:28Et plus encore, les soviétiques font la même chose.
01:11:32Les soviétiques font la même chose alors même que, dans leur territoire,
01:11:37un certain nombre de régions, notamment des régions de l'Est de l'Ukraine, connaissent la famine.
01:11:42Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que les soviétiques, en conscience de cause,
01:11:45condamnent à mourir un certain nombre de leur population pour nourrir les Allemands.
01:11:49C'est ça qui tue le nazisme.
01:11:51C'est le fait que cette espèce d'angoisse obsidionnale qui a été ressentie par la population allemande
01:11:57et qui transcende l'appartenance militante,
01:11:59qui faisait que ces gens pensaient qu'on allait les exterminer en tant qu'État,
01:12:06mais aussi en tant que nation, voire en tant qu'entité démographique.
01:12:09Eh bien, ils se sont aperçus à ce moment-là que tout ça n'était pas vrai.
01:12:13Et la croyance, à ce moment-là, elle se déconstruisait et elle s'évapore.
01:12:16Ce qui s'évapore, ce n'est pas seulement la foi nazie, c'est aussi la mémoire de tout ça.
01:12:22C'est-à-dire que quand tu demandes à quelqu'un dans les années 50 ce que ça veut dire être nazi,
01:12:26il te répond oui, c'était on adhérait à des trucs,
01:12:30oui, on voulait telle chose, on voulait de l'ordre, etc.
01:12:34Mais les protagonistes sont incapables de retrouver le cœur émotionnel de la chose.
01:12:40Qu'est-ce qui peut expliquer l'évolution des parties ?
01:12:42C'est Steven Derumo qui nous demande ça.
01:12:45L'évolution des parties néo-nazies depuis les années 90, en Saxe notamment,
01:12:50est-ce qu'on doit s'inquiéter de voir un parti nazi monter prochainement ?
01:12:57Écoute, ma réponse à la question est en train d'évoluer.
01:13:04Elle est en train d'évoluer parce qu'il y a 10 ou 15 ans, je t'aurais dit
01:13:08que les parties d'extrême-droite ne sont pas des parties nazies,
01:13:11ce sont des parties d'extrême-droite.
01:13:13Ce sont l'équivalent de ce que l'on appelait dans les années 20 des Völkisch,
01:13:18c'est-à-dire des ethno-nationalistes, comme peuvent l'être Génération Identitaire,
01:13:23l'œuvre française, une frange du Rassemblement National, l'AFD, Pegida, etc.
01:13:32Il n'en reste pas moins qu'il y a deux choses qui ont changé depuis ce moment-là,
01:13:36même si je ne suis pas un expert des extrême-droites européennes.
01:13:40D'une part, il y a quelque chose qui est de l'ordre de l'attractivité,
01:13:45qui a connu depuis une dizaine d'années une explosion dans toutes les
01:13:50extrême-droites européennes, c'est-à-dire qu'il y a quelque chose de l'attractivité
01:13:54qui est maintenant attaché au militantisme nazi, un peu comme à l'extrême-droite
01:14:00allemande dans les années 20.
01:14:03C'est-à-dire que quand tu vas dans une fac dans les années 20 en Allemagne,
01:14:06le type beau, brillant, bien habillé, qu'elle swag, comme vous dites,
01:14:10vous les jeunes, tu as de fortes chances de le trouver à l'extrême-droite.
01:14:15Ça, c'est quelque chose qui était impensable dans les années 90
01:14:18et même au début des années 2000 en France.
01:14:20À l'heure actuelle, je pense que tu vas dans une université,
01:14:24dans une faculté des sciences juridiques ou de médecine,
01:14:29l'étudiant beau, brillant, attractif, etc., il y a une petite chance
01:14:34que tu le retrouves à Génération Identitaire ou à l'AFD en Allemagne.
01:14:39Et ça, je pense qu'il y a quelque chose qui a changé et qui fait qu'il y a
01:14:42de nouveau une attractivité de tout cela.
01:14:45Après, il me semble qu'une chose n'a pas changé depuis les années 2000,
01:14:49le cœur fondamental du nazisme est qu'il est un projet de refondation
01:14:56socio-biologique utopique d'une entité socio-raciale.
01:15:00Aucun parti d'extrême-droite européen, à l'heure actuelle,
01:15:05ne propose un avenir suffisamment attrayant pour attirer des électeurs
01:15:09ni même des militants.
01:15:10Et ça, je pense que c'est la chose qui différencie fondamentalement
01:15:14les mouvements d'extrême-droite, à l'heure actuelle, du NSDAP
01:15:19des années 1931-1932.
01:15:21On a Anaïs Almasy qui nous dit, tout ça est un sujet vraiment très intéressant,
01:15:28« Étant juif, je ne connais que ce point de vue, comment nous, on a grandi
01:15:32avec le poids de la mémoire, de la transmission de cette mémoire,
01:15:35du devoir de mémoire, des récits de personnes de notre famille
01:15:40qui sont ancrés en nous alors que nous, on n'y était pas.
01:15:43Tout le monde a quelqu'un dans sa famille, dans la famille de ses amis
01:15:46qui a été touché de près ou de loin.
01:15:48Et cet enseignement de la seconde guerre mondiale, elle nous dit,
01:15:51nous suit toute notre vie.
01:15:53Et je vois aujourd'hui ma fille de 4 ans qui commence déjà
01:15:56à me poser des questions.
01:15:58Ce poids, il doit être bien plus pesant et difficile à porter
01:16:01pour tous ces enfants d'après-guerre qui n'étaient même pas nés
01:16:03à l'époque des faits et se retrouvent avec une culpabilité
01:16:06qui n'est pas la leur.
01:16:07J'aimerais vraiment savoir comment on leur a enseigné, en Allemagne,
01:16:11la seconde guerre mondiale et la choix à l'école ?
01:16:14Il y a une chercheuse en sciences politiques qui travaille sur ces questions-là
01:16:18qui s'appelle Alexandra Özer, qui est une fille bourrée de talent.
01:16:21Et si tu me donnes l'adresse de cette personne, je lui enverrai les papiers.
01:16:26En Allemagne, ce que l'on peut dire, c'est qu'il y a eu...
01:16:31Je ne sais pas si tu connais, si nos interlocuteurs connaissent
01:16:35le modèle freudien.
01:16:37Pour Freud, il faut une génération pour commettre le crime,
01:16:42une génération pour l'oublier et une génération pour le symboliser.
01:16:47Et donc, l'oublier, c'est le remémorer, j'ai oublié de dire.
01:16:51L'oublier, c'est le remémorer.
01:16:52Et puis la troisième, pour le symboliser.
01:16:53Et donc, c'est ce qui s'est passé.
01:16:55Il y a une génération, celle des années 1930, qui a été la génération
01:17:01qui a commis, on va dire 1790-1930, qui a commis le crime.
01:17:05Les gens qui sont nés à partir de 1935 jusqu'en 1960-1965
01:17:13sont la génération qui a d'abord oublié et qui ensuite s'est remémorée du crime.
01:17:17Et donc, dans cette génération, elle a été socialisée dans une Allemagne
01:17:21du business as usual, tu vois, où c'était le Wirtschaftswunder,
01:17:25le miracle économique.
01:17:26Et donc, on disait qu'il fallait s'occuper de l'avenir et pas du passé.
01:17:29Et donc, on avait des représentations très populaires du truc.
01:17:34On disait que les nazis étaient un petit groupe sans foi ni loi
01:17:38qui a arnaqué les Allemands, qui les a subjugués, qui a appliqué
01:17:44le programme sous la houlette de ce diable qu'est Hitler.
01:17:51Et puis, en fin de génération, tu vois, vers les années 1950-1960,
01:17:58commencent à mettre en place le processus de remémoration.
01:18:01Et donc, c'est aussi eux qui se disent, bon, écoute, c'est plus possible
01:18:05de vivre comme ça.
01:18:06Il faut bien quand même qu'on commence à se le remettre en place
01:18:08et à se le rappeler.
01:18:09Et puis, tu as une troisième génération qui est celle, je dirais,
01:18:13de la symbolisation et dans laquelle les gens vivent avec,
01:18:19essayent d'intégrer la culpabilité pour mettre en place de nouveaux modes
01:18:25d'identification à leur patrie.
01:18:27C'est clair qu'être Allemand, ce sera toujours, désormais,
01:18:30être à la fois l'héritier de Goethe et de Schiller, de Laude à la joie,
01:18:35du Verreil de Zospet, d'Aufnacht und Fintz, et en même temps,
01:18:39le fils de Dachau.
01:18:41Eh bien, il faut inventer un futur là-dessus.
01:18:43Et ce futur, il faut qu'il soit démocratique, rénant et européen.
01:18:46Et c'est ça, symboliser.
01:18:48Et c'est ça, ce qui a été transmis par les systèmes éducatifs allemands
01:18:53jusqu'à maintenant, avec parfois des méthodes.
01:18:56En Allemagne, on a quand même beaucoup employé la pédagogie de la bave
01:19:00dans la gueule en mettant les gens face, les enfants notamment,
01:19:03en présence de photos ou de textes qui, franchement,
01:19:08je ne montrerai pas à mes petits.
01:19:11Moi, je me souviens, j'avais été il y a quelques années à Berlin.
01:19:15J'avais visité une expo permanente.
01:19:18La Folkmarke des Terrors.
01:19:20Voilà, c'est celle-là.
01:19:23Et alors, j'ai visité le truc.
01:19:26Je suis resté une heure, je suis sorti.
01:19:28J'étais déprimé pendant trois semaines.
01:19:30Vraiment, ça a été… Enfin, c'est horrible.
01:19:33Alors que c'est vraiment des panneaux avec des photos et des textes.
01:19:38Quand tu l'as visité, c'était dans les caves de la Prinz-Albrecht-Straße
01:19:41ou il y avait déjà ce musée qui existait ?
01:19:43Non, il y avait le fameux musée pour modernes qui…
01:19:46Parce que dans les années 90, si tu veux, c'était dans les ruines
01:19:49du QG de la Gestapo et c'était…
01:19:51Tu descendis dans les cellules pour lire les panneaux.
01:19:55C'était vraiment quelque chose.
01:19:56C'est quelque chose de la topographie des Terrors.
01:19:58C'est vraiment…
01:19:59Oui, ça m'a énormément marqué.
01:20:01Ça m'a énormément marqué.
01:20:02Marqué, c'est sûr.
01:20:03On a Toto le facteur.
01:20:05Alors, on t'a déjà répondu un petit peu tout à l'heure à cette question-là.
01:20:08Mais que sont devenus les prisonniers de guerre allemands
01:20:10tombés entre les mains des Russes
01:20:12ainsi que les prisonniers russes entre les mains des nazis ?
01:20:14Alors, voilà.
01:20:15Là, on voit beaucoup la symétrie.
01:20:17Les prisonniers de guerre russes tombés entre les mains des…
01:20:22Les prisonniers de guerre soviétiques, pas russes, soviétiques,
01:20:24tombés entre les mains des Allemands,
01:20:29pendant tout le premier semestre de Barbarossa,
01:20:34ces gens sont impitoyablement mis à mort,
01:20:39fusillés, gazés pour certains à Auschwitz,
01:20:42mais la plupart du temps tués par la faim et par la soif.
01:20:47Et ce sont 2,5 millions de morts qui tombent comme cela.
01:20:51Ensuite, les Allemands essayent de les tuer un peu moins vite
01:20:54en les faisant travailler pendant toute la guerre.
01:20:58Ça a quand même été…
01:20:59C'est l'une des grandes tragédies de la Seconde Guerre mondiale
01:21:05d'avoir que le sort des prisonniers de guerre soviétiques
01:21:08et surtout ceux qui reviennent sont considérés
01:21:11comme ayant été contaminés par le mode de vie occidental
01:21:17et que la plupart du temps,
01:21:18ils vont faire quelques mois de filtrage
01:21:28dans les camps des institutions de sécurité staliniennes
01:21:33avant de pouvoir retourner chez eux.
01:21:36Leur sort a été la double peine, on va dire.
01:21:39En ce qui concerne maintenant les prisonniers de guerre allemands
01:21:44en Union soviétique,
01:21:45il y en a quand même beaucoup qui sont parvenus, c'est sûr,
01:21:48mais ils sont parvenus parce que leur traitement est assez représentatif
01:21:52de ce qu'a été le chaos et le désastre économique, matériel
01:21:56et démographique de la guerre en Union soviétique.
01:22:00C'est-à-dire que l'Union soviétique a perdu pratiquement
01:22:0328 à 29 millions de personnes pendant la guerre.
01:22:07Toute sa partie occidentale, c'est-à-dire la partie la plus productive,
01:22:11est un champ de ruines absolu et les prisonniers de guerre allemands
01:22:17sont autant victimes, peut-être même un peu moins,
01:22:20que les populations civiles des conditions sanitaires désastreuses
01:22:23qui dominent dans cette période-là.
01:22:27Il y a, je crois, quelque chose comme 3 millions d'Allemands
01:22:32qui sont entre les mains des soviétiques en 1945
01:22:36et il y en a 2,5 millions qui rentrent.
01:22:39Donc il y a quelque chose comme entre 250 et 500 000 prisonniers
01:22:44de guerre allemands qui meurent dans les conditions de détention.
01:22:49On a Professeur Fromage qui nous demande si les associations
01:22:51d'anciens combattants du côté allemand ont fait un travail
01:22:55de repentance, justement, ou au contraire,
01:22:57ils auraient eu un discours minimisant les crimes passés.
01:23:01Les associations d'anciens combattants, c'est une excellente question.
01:23:05Bravo Professeur Fromage.
01:23:08C'est une excellente question parce qu'elles sont le symptôme
01:23:12de la normalisation d'Adenauer, de ce miracle économique allemand.
01:23:19J'ai un ami historien belge qui dit qu'Adenauer,
01:23:22c'est le nazisme qui a réussi parce qu'il y avait un fureur,
01:23:26on est passé d'Hitler à Adenauer, un type quand même beaucoup
01:23:29plus chaleureux et sympathique.
01:23:31On avait ein Volk, ein Reich, ein Führer.
01:23:35Maintenant, les Allemands sont en fait tous réunis dans les deux Allemagnes,
01:23:39RFA et RDA.
01:23:40Ein Reich, bon d'accord, la RFA, c'est quand même un tout petit empire,
01:23:44mais c'est un empire qui est quand même assez agressif économiquement
01:23:48et commercialement.
01:23:49Et ein Führer, comme je disais, on a remplacé le fureur moustachu
01:23:52par le dirigeant rénant Adenauer.
01:23:56Et donc, si tu veux, effectivement, c'était quoi la question ?
01:24:02Je ne me rappelle plus.
01:24:03Sur les anciens combattants.
01:24:05Sous Adenauer, tu as toute une campagne d'opinion qui dit,
01:24:11et qui est basée sur les associations d'anciens combattants,
01:24:15mais quand même, nous les Waffen-SS, on était des soldats comme les autres.
01:24:19Et donc, on aimerait bien avoir une pension d'anciens combattants
01:24:23comme les autres.
01:24:24Donc, tu vois, les types qui ont cramé les villages en Ukraine,
01:24:28qui ont pu faire l'Idis, etc.
01:24:34étaient en train de dire, vous savez, nous, on a été des combattants
01:24:36comme les autres.
01:24:37Et donc, il y a eu quand même à ce moment-là, si tu veux,
01:24:39une réaction disant, écoutez, vous allez quand même faire attention
01:24:45parce que le discours qui était resté à ce moment-là,
01:24:49c'était la Wehrmacht avait été restée propre et honnête
01:24:53et la Waffen-SS, c'était les grands méchants.
01:24:55Et donc, ce discours-là faisait que les SS,
01:24:59ce discours-là avait été intériorisé par les anciens combattants
01:25:02et les associations d'anciens combattants.
01:25:04Et donc, elles le transmettaient, si tu veux.
01:25:07Et puis, à partir des années 2000, 90, 95, 2000,
01:25:10les associations d'anciens combattants ont été en gueute
01:25:14aux nouvelles enquêtes qui ont été lancées par la nouvelle génération
01:25:17d'historiens dans lesquelles on a montré que la Waffen-SS
01:25:21était évidemment appliquée jusqu'au cou dans les crimes
01:25:24et que la Wehrmacht avait, elle aussi, mis en place des normes
01:25:28de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.
01:25:31Et donc, depuis, on ne les entend plus beaucoup.
01:25:33– Et ils ont continué à toucher leurs pensions ?
01:25:35– Alors, ça, c'est un truc que je connais moins bien,
01:25:38mais non, la Waffen-SS, petit à petit, à coup de scandale médiatique,
01:25:45les pensions ont été de moins en moins versées.
01:25:47Il n'en reste pas moins qu'il y a encore, je crois,
01:25:50il y a encore une dizaine d'années, il y avait des vétérans
01:25:53d'Oradour-sur-Glane qui touchaient des pensions en Allemagne.
01:25:55– Après Professeur Fromage, restons, j'ai faim là, du coup.
01:25:58Sandwich-œuf-ton-maillot qui nous demande,
01:26:00de ce que je comprends, après la Première Guerre mondiale,
01:26:05en France, il y avait un fort sentiment antimilitariste.
01:26:08Est-ce que c'était la même chose en Allemagne ?
01:26:10Est-ce que ça existait ?
01:26:12– C'est une excellente question, mais il faut l'affiner un peu.
01:26:18De ce que je comprends en Allemagne, en France,
01:26:20il y avait un fort sentiment antimilitariste.
01:26:22Ce sentiment antimilitariste, il est apparu extrêmement tard.
01:26:25Si Sandwich-œuf-ton-fromage avait été en France dans les années 21, 22, 23, 24,
01:26:33il serait tombé sur une haine anti-allemande et un militarisme
01:26:36qui seraient extrêmement importants.
01:26:38C'est à partir des années 30 que l'antimilitarisme et le pacifisme
01:26:41se mettent à dominer en France.
01:26:43Cette chronologie n'est absolument pas valable pour l'Allemagne
01:26:46où l'antimilitarisme est resté un sentiment ultra minoritaire
01:26:52pendant toute la période.
01:26:55Pendant toute la période, la grande majorité des Allemands
01:27:00est restée persuadée, un, qu'elle était rentrée en guerre à Resson
01:27:03pendant la Première Guerre mondiale, deux, que c'était une guerre
01:27:05qui avait été une guerre de survie de l'Allemagne
01:27:09et donc qu'elle était parfaitement légitime.
01:27:12Il n'y a pas de pacifisme dominant en Allemagne avant le mouvement
01:27:21pour la paix des années 60-70.
01:27:23On a ensuite Captain Armorica qui nous dit
01:27:30« ça peut paraître con, encore une fois non, il n'y a pas de question con,
01:27:34je me demandais s'il y avait de réels mouvements de résistance en Allemagne
01:27:37ou est-ce que le régime coercitif empêchait réellement tout développement
01:27:40de résistance ou d'opposition ? »
01:27:42C'est une magnifique question et elle a nourri des décennies
01:27:46de travail d'historien.
01:27:48Il faut qu'on s'entende sur ce que c'est que la résistance.
01:27:54Et là, il y a un historien qui s'appelle Yann Kershaw
01:27:57qui a introduit un concept, c'est le concept de dissension
01:28:00et qui permet de déployer tout l'ensemble.
01:28:04Et un autre historien qui s'appelle Alf Ruske
01:28:06qui a employé celui de Cantassois, Heigensin.
01:28:08Et donc, avec ces deux concepts-là, on arrive à montrer
01:28:10qu'il y a une palette très large de possibilités de résistance.
01:28:14Vous connaissez tous cette photo où on voit une marée humaine
01:28:17en train de faire le salut éclairien et puis un homme, un seul,
01:28:20qui reste les bras croisés et qui, évidemment,
01:28:23finit dans sa camp de concentration un peu plus tard.
01:28:26Mais on la connaît, ça c'est déjà une résistance,
01:28:28ça demande un courage immense.
01:28:30La résistance, ça peut être aussi de faire semblant
01:28:34ou de jamais dire Heinrich en disant bonjour, alors que c'est obligé.
01:28:38La résistance, ça peut être la résistance intérieure d'Heinrich Böll
01:28:43dans laquelle, pendant des années et des années,
01:28:47tu te taies et tu ne produis pas.
01:28:53La résistance, ça peut être aussi ce geste de courage fou
01:28:56qu'est celui de Stauffenberg d'essayer de tuer Hitler, etc.
01:29:01Ce que l'on peut dire, c'est que la résistance est restée,
01:29:04du début jusqu'à la fin, jusqu'au suicide d'Hitler,
01:29:08est restée un mouvement qui a été ultra minoritaire,
01:29:11mais qui a connu une très grande diversité d'expressions.
01:29:14Aïz Les, qui nous demande ce que sont devenus les Waffen-SS
01:29:17des divisions étrangères européennes, comme la division Charlemagne, par exemple.
01:29:22La division Charlemagne a été taillée en pièces
01:29:25au moment de la dernière bataille de Berlin
01:29:29et les survivants ont fondé le Front National, tranquillement.
01:29:33On peut tracer le même type de destin pour la plupart des divisions.
01:29:46La Légion Wallonie a constitué le noyau de l'extrême droite belge,
01:29:54belge-francophone, il n'y a que les Ukrainiens,
01:29:59évidemment, il n'y a que les Ukrainiens et les Croates,
01:30:03les gens qui sont issus de pays qui ont été ensuite sous le régime communiste,
01:30:07où effectivement les gens n'ont eu d'autre choix
01:30:10quand ils ne pouvaient que démigrer.
01:30:13Ils sont devenus des colons en Australie, au Canada, etc.
01:30:18D'ailleurs, j'ai vu des photos de SS indiens,
01:30:23où vous avez carrément les turbans et tout,
01:30:26tu peux nous dire un peu pourquoi il y avait des SS indiens ?
01:30:30Il y a une petite légion de quelques centaines de personnes
01:30:33qui est mise en place par un dirigeant nationaliste indien.
01:30:38On a l'impression que les Indiens sont des sortes de peace and love,
01:30:44on est un peu enfumés par les Beatles et leurs gourous.
01:30:50Il n'en reste pas moins que je rappelle qu'à l'heure actuelle en Inde,
01:30:53c'est un homme qui a à peu près les mêmes positions que Trump,
01:30:55qui est au pouvoir, et qui l'appelle régulièrement au massacre des musulmans,
01:30:59et que le dirigeant nationaliste indien concurrent de Gandhi dans les années 40
01:31:11a effectivement contribué à la formation de cette vaffanessesse indienne.
01:31:17Elle a existé, mais elle n'a véritablement été utilisée qu'à des fins propagandistiques.
01:31:28On a Adrien qui nous pose la question,
01:31:30c'est quoi la différence entre le nazisme et le fascisme ?
01:31:34Cette belle question !
01:31:38Cette question, elle a aussi pour réponse des bibliothèques entières,
01:31:42avec une interrogation qui commence dès les années 20 et 30.
01:31:48L'un des pires génocidaires sur lequel je me suis interrogé,
01:31:52qui s'appelle Otto Hollendorf, l'un des futurs très grands génocidaires,
01:31:56va étudier le fascisme militant nazi, va étudier le fascisme,
01:32:00et en revient en disant que le fascisme et le nazisme,
01:32:03ce sont deux choses totalement différentes.
01:32:05Philippe Burin, un très grand historien des idées,
01:32:09a montré qu'il y avait de grandes similitudes avec un parti unique,
01:32:16un chef, la propagande, etc.
01:32:20Il n'en reste pas moins qu'il différenciait deux choses,
01:32:22une chose fondamentale dans la structure idéologique,
01:32:25qui faisait que le fascisme était ce qu'il appelait un déterminisme vitaliste,
01:32:30c'est-à-dire que ce qui compte c'est l'énergie du peuple,
01:32:33et c'est ça qui constitue la force unifiante de l'idéologie,
01:32:38alors que chez les nazis c'est un déterminisme racial.
01:32:41Le nazisme est un système de croyance qui lit l'histoire,
01:32:43le monde et soi, au travers du prisme de la race.
01:32:46Et donc, ça c'est la version des historiens des idées.
01:32:51Les historiens du social, notamment les historiens marxistes,
01:32:55pensent que le nazisme est une forme très spécifique de fascisme,
01:32:59et qu'il est un fascisme paroxystique, si tu préfères.
01:33:04On a Daddy Raxor qui nous demande
01:33:06« Peut-on comparer la culpabilité des nazis allemands
01:33:09et les nazis collaborateurs français ? »
01:33:14Il y a quand même une différence énorme.
01:33:17La plupart, la plus grande partie des collaborateurs français
01:33:22n'ont pas de sang sur les mains, n'ont pas tué de façon directe,
01:33:26alors qu'une grande partie des nazis de rang subalterne et médian
01:33:37sont des gens qui ont tué de leur propre main.
01:33:39Ça c'est vraiment une des différences entre les deux.
01:33:43Bien sûr, après tu peux comparer des schreibtischtäter,
01:33:46c'est-à-dire des criminels de bureau.
01:33:48Là, tu peux les comparer.
01:33:51Joseph Darnan est en effet comparable à, je ne sais pas moi,
01:33:57à un heureux SS-Unpolizei-Führer,
01:34:00un chef suprême de la police et des SS régionales.
01:34:02Mais voilà, il y a encore n'importe quel heureux SS-Unpolizei-Führer
01:34:08du front de l'Est à 250 000 morts au compteur.
01:34:11Ce n'est pas le cas de Darnan.
01:34:13Donc on peut comparer les profils idéologiques,
01:34:15on peut comparer sans doute les extractions sociales,
01:34:18mais on ne peut pas comparer les culpabilités malgré tout.
01:34:22On a justement un ancien élève, Alexis, qui pose une question
01:34:29en demandant dans quelle mesure la brigade,
01:34:34c'est-à-dire le Wenger, est l'arbre qui cache la forêt.
01:34:36Je veux dire par là qu'on retient les actions de cette brigade,
01:34:39car elle est composée d'hommes particuliers,
01:34:41mais finalement elle n'a effectué qu'une infime partie des violences à l'Est.
01:34:43Déjà, est-ce que tu peux nous recontextualiser un petit peu ça
01:34:46avant de répondre à la question ?
01:34:47Alors la brigade d'Hirlem Wenger…
01:34:49On a un épisode qui va arriver sur YouTube, je ne sais pas quand.
01:34:53Je ne savais pas si je voulais l'annoncer ou pas.
01:34:55La brigade d'Hirlem Wenger, c'est un objet très…
01:35:01c'est un accélérateur de particules du nazisme.
01:35:04C'est-à-dire que c'est à la fois quelque chose qui est,
01:35:08même dans les brigades nazies, profondément anormal.
01:35:11Et dans le même temps, cette anormalité a été un instrument nazi.
01:35:16C'est-à-dire que les nazis, à partir de 1942, sont confrontés
01:35:22à des mouvements partisans de plus en plus importants à l'Est.
01:35:25Et ces mouvements partisans se cachent dans des forêts
01:35:27et sont appréhendés par les nazis à l'aune d'un imaginaire de la chasse,
01:35:32un imaginaire synergétique extrêmement important.
01:35:35Et donc, ils ont l'idée, un peu avant, dès l'invasion de la Pologne,
01:35:40ils ont l'idée de mobiliser des populations qui sont censées
01:35:44avoir des dons de chasseurs importants pour les tourner
01:35:48contre ces opposants qu'il faut chasser.
01:35:52Et c'est comme cela que naît l'idée de créer une brigade
01:35:55qui serait composée uniquement en bras connus.
01:35:57Elle est confiée à cet homme qu'on appelle Oskar Dielevanger,
01:36:00qui, à partir de 1939, commence à mettre en place les…
01:36:0439 ou 40, j'ai oublié, j'avoue, je ne me rappelle plus vraiment.
01:36:08J'ai écrit un bouquin là-dessus pourtant, je sais,
01:36:10de cendre sur ma tête.
01:36:12Il est chargé de mettre en place cette unité,
01:36:16puis cette unité est envoyée à l'Est.
01:36:19Elle est censée au départ chasser des partisans en Pologne
01:36:24dans le district de Lublin, mais on s'aperçoit qu'à ce moment-là,
01:36:27elle est plutôt gardienne de pasteurs d'hommes.
01:36:30Ce n'est pas des chasseurs d'hommes, c'est des pasteurs d'hommes.
01:36:32Et ils gardent essentiellement des Juifs polonais
01:36:35qui ont été parqués, marqués et mis au travail,
01:36:37et donc domestiqués au plan anthropologique.
01:36:43C'est à partir de 1942 qu'ils sont envoyés à l'Est
01:36:45et où ils sont censés véritablement chasser des hommes.
01:36:52Et à partir de ce moment-là, ils se conduisent effectivement
01:36:55avec une immense brutalité.
01:36:57Ce qui est intéressant dans la question d'Alexis,
01:37:00que je salue au passage, c'est qu'évidemment, tout le monde dit
01:37:03que c'est horrible ce qu'ont fait ces gens-là.
01:37:06Ils ont brûlé des villages, violé des femmes,
01:37:09ils ont échangé contre de la vodka, chassé des hommes, etc.
01:37:15Et puis on s'aperçoit qu'effectivement,
01:37:18lors de l'opération Cottbus, ils sont responsables de la mort
01:37:20de 15 000 personnes en théorie, mais que quand on regarde,
01:37:24ils ont très vraisemblablement incendié une quinzaine
01:37:31ou une vingtaine de villages, habitants compris,
01:37:35mais que le bilan environ de Russie, c'est 627 villages, habitants compris.
01:37:42Et donc effectivement, la Durllevanger,
01:37:45c'est le séquoia qui masque la forêt.
01:37:49Et dans l'économie du discours à la fois nazi
01:37:52et allemand d'après-guerre, les gens disaient
01:37:54que c'était horrible ce que faisait le Durllevanger, etc.
01:37:57Mais ça masque le fait que des divisions de la Wehrmacht,
01:38:03cette supposée armée aux mains propres,
01:38:06avaient participé à ces crimes elles-aussi.
01:38:09Je précise par ailleurs que le 691e régiment de la Wehrmacht,
01:38:14composé uniquement de Français qui finiront dans la Waffen-SS,
01:38:17s'est aussi illustré pendant ces épisodes-là
01:38:20et qu'il a combattu côte à côte avec la brigade Durllevanger.
01:38:23Et donc, il y a une chose que j'aimerais bien
01:38:26que nous retirions tous de ce live et de tout cela,
01:38:30c'est que nous ne comprendrons rien au génocide des Juifs
01:38:34et à cette immense guerre qui s'est menée en Europe
01:38:38si nous la réduisons face à face entre bourreaux allemands
01:38:41et victimes juives.
01:38:43La guerre qui s'est menée est une guerre qui a été implémentée
01:38:46par les Allemands, mais qui s'est appuyée sur des consentements locaux
01:38:50extrêmement importants et qui donc s'est agencée en une guerre,
01:38:53une gigantomachie entre stalinisme et nazisme,
01:38:57mais qui, sous couvert de cette gigantomachie,
01:39:00a caché des centaines de guerres civiles toutes plus sanglantes
01:39:03les unes que les autres.
01:39:05Et par-delà de tout cela, il y a un consentement européen fondamental
01:39:10à l'extermination des Juifs.
01:39:12La Shoah est impossible à penser.
01:39:14Or, des cent fonctionnaires français,
01:39:19cent gendarmes belges,
01:39:21cent conducteurs de train néerlandais,
01:39:24cent tueurs d'enfants baltes, etc.
01:39:27Justement, on a Gaëtan Le Singe qui parle de déclarations
01:39:30que je n'ai pas entendues, mais peut-être que tu serais plus au courant que moi.
01:39:33Qu'est-ce que tu penses des déclarations de la Commission européenne
01:39:36sur le pacte germano-soviétique et sur la Seconde Guerre mondiale
01:39:39et donc du politique qui décrète sa vision de l'histoire ?
01:39:41J'ai entendu parler de ce truc-là et je dois avouer que
01:39:44ces questions d'appropriation par le politique de l'histoire
01:39:47m'ont tellement toujours arraché d'ébaillement
01:39:50que j'ai un peu oublié ce dont il était question.
01:39:55Je crois qu'il y a...
01:39:57Mais je ne me rappelle plus. Je ne peux pas répondre à cette question-là
01:39:59parce que je n'ai plus les faits en tête, j'avoue.
01:40:01D'accord.
01:40:02Je m'en excuse. Tu m'en excuseras de cette internaute.
01:40:06Non, et puis en plus, on n'est pas forcés d'avoir des réponses
01:40:09à toutes les questions, c'est ça aussi.
01:40:12On a encore plein de questions et je vous remercie vraiment tous
01:40:15pour votre intérêt. Maintenant, ça fait déjà 1h45
01:40:19et même un peu plus qu'on est en live.
01:40:22Donc j'aimerais conclure sur cette partie de questions
01:40:25et te demander si toi, tu avais quelque chose que tu voulais rajouter
01:40:29sur ce sujet en particulier ou un message que tu aimerais passer
01:40:32à tous les gens qui nous regardent concernant cette période.
01:40:36J'ai écrit un bouquin qui s'appelle « La promesse de l'Est »,
01:40:39qui est un bouquin dans lequel j'ai essayé de travailler
01:40:43sur l'utopie nazie et cet espèce de sentiment d'ivresse
01:40:46qui prenait les nazis, qui avait pris les nazis en 1939
01:40:50au moment où ils s'étaient dit « purée, on va y arriver ».
01:40:53Et dans ce livre, ce livre se termine sur l'histoire d'une région
01:40:59dans laquelle les nazis ont essayé d'implémenter leur utopie
01:41:04et dans lequel, à la fin, comme c'est ce dont je parlais tout à l'heure,
01:41:08ils ont soufflé sur les braises de la guerre civile.
01:41:11Et ce que j'aimerais dire, c'est qu'entre juillet 1944 à peu près
01:41:17et 1947, l'Europe a été précipitée par les nazis dans un espèce
01:41:26de cauchemar et d'enfer, d'épuration ethnique, d'errance,
01:41:31de mouvements de population, de guerre civile, de viol, etc.
01:41:38qui a commencé sous les nazis mais qui a continué après.
01:41:41Ce que j'aimerais dire, c'est qu'une grande partie de l'Europe
01:41:45s'est retrouvée à ce moment-là au plus noir de la nuit
01:41:48et dans des camps de transit dans lesquels on n'avait pas trouvé
01:41:54d'autre solution que de parquer les gens avant de les renvoyer
01:41:58aux endroits où on les destinait.
01:42:00Et c'est à ce moment-là qu'a disparu cette Mitteleuropa,
01:42:05qui a disparu définitivement, cette Mitteleuropa extrêmement
01:42:11multiculturelle qui était la marque de l'Europe des années 1920 et 1930,
01:42:16de ces pays où il y avait 30 % de Polonais, 20 % d'Ukrainiens,
01:42:22non j'exagère, 65 % de Polonais, 25 % d'Ukrainiens, 10 % de Juifs
01:42:26et où tout ce monde vivait ensemble, ces villes dans lesquelles
01:42:30on voyait à la fois les minarets des mosquées, la skyline de l'église,
01:42:37qu'elle soit catholique ou orthodoxe, etc.
01:42:39À ce moment-là est morte cette Europe qui était l'Europe du vivre-ensemble
01:42:45et du multiculturalisme.
01:42:47Et de facto, ce qui est né après est une Europe des nations.
01:42:50Mais cette Europe, ce que j'essaye de dire ici, c'est que malgré tout,
01:42:54ce que l'on peut dire c'est qu'au plus noir de cette nuit-là,
01:42:56au plus noir des camps de transit, au plus noir de cette errance,
01:43:01les sociétés européennes ont été capables d'inventer deux modèles
01:43:05politiques, économiques et sociaux qui ont constitué le creuset
01:43:10de la refondation de l'Europe d'après.
01:43:12Un modèle basé sur le capitalisme mais aussi l'état-providence,
01:43:16un modèle de la prospérité heureuse qui était celui du modèle
01:43:21de la liberté d'entreprendre et qui s'impose à l'Europe de l'Ouest
01:43:25à l'ombre des Américains.
01:43:26Et de l'autre, un modèle de l'égalité qui est celui des sociétés socialistes
01:43:30qui s'imposent à l'Est.
01:43:35Et ce que j'essaye de dire ici, c'est que pendant 30 ans,
01:43:39entre 1945 et à peu près 1975, ces modèles ont permis
01:43:43la reconstruction de l'Europe.
01:43:45Ce que j'essaye de dire ici, c'est qu'il y a une leçon à retirer
01:43:48de tout ça, c'est qu'au plus noir de la nuit, au plus profond
01:43:52de la détresse sociale, politique et économique de l'Europe,
01:43:56il y a des gens qui ont continué à penser l'avenir, la société
01:44:00et le vivre ensemble.
01:44:01Et que cette leçon-là, c'est peut-être la seule chose
01:44:04qu'on a à apprendre à tous les autres, à tous ceux qui en ce moment
01:44:07sont en train de vivre le même enfer que celui que nous avons vécu
01:44:09à ce moment-là.
01:44:10Et notamment à ces réfugiés syriens à qui nous sommes en train
01:44:13de réfugier depuis des années, l'entrée dans notre petit paradis.
01:44:18C'est ça que j'aimerais qu'on retienne de tout ça.
01:44:21– Merci Christian pour ton intervention sur ces deux heures.
01:44:26Pour terminer rapidement, est-ce que tu aurais une petite sélection
01:44:31éventuellement bibliographique, quelques conseils de lecture
01:44:34pour tous ceux qui nous regardent et qui veulent se renseigner
01:44:38sur cette période ?
01:44:41– C'est difficile, les biographies d'Hitler sont vraiment pas mal,
01:44:46tu vois, celles de Kershaw, celles de Longerich,
01:44:49elles sont vraiment pas mal.
01:44:51Les deux synthèses que Kershaw a mises en place,
01:44:55il y en a une qui s'appelle « To Hell and Back »
01:45:00mais je ne me rappelle plus comment elle s'appelle en français,
01:45:02ça c'est vraiment pas mal.
01:45:05Et puis voilà, il y a un très beau livre qui s'appelle
01:45:08« La quête de la race » d'Edouard Comte et Cornelia Esner
01:45:11qui est le livre le plus intelligent qui a été créé sur le nazisme
01:45:13depuis 25 ans, que je conseillerais.
01:45:16Si tu veux Ben, je pourrais écrire ça et puis on le diffusera d'un autre côté.
01:45:23– Oui, bien sûr, on le retrouvera dans la rediffusion de la VOD
01:45:26qui sera sur un notable bonus.
01:45:28Bon, écoute, en tout cas, fais-nous peut-être un petit peu d'auto-promo,
01:45:31je veux dire, tu nous as fait rêver pendant deux heures avec ton phrasé,
01:45:36donc tu as bien mérité de pouvoir te vendre aussi un petit peu là.
01:45:41– Je ne sais pas, c'est marrant que tu me dises ça,
01:45:47je pense qu'il y a quand même beaucoup plus d'intéressants
01:45:50que de dire que mes propres livres et surtout pas le dernier,
01:45:53c'est-à-dire que le dernier s'appelle « Le soleil noir du paroxysme »,
01:45:55c'est un livre que j'ai mis 10 ans à écrire,
01:45:57mais il est tellement difficile que je préfère ne pas le conseiller.
01:46:05Si les gens veulent lire quelque chose où à la fois j'apparais et où en même temps
01:46:08ils peuvent avoir l'impression d'avoir lu mes trois livres,
01:46:10j'ai un livre qui s'appelle « L'ésurgence d'un historien »,
01:46:12je pense que c'est le plus facile à lire et c'est peut-être le plus agréable.
01:46:17Voilà, donc c'est celui-là que je conseille.
01:46:19– Il y a aussi une autre émission qui existe avec toi,
01:46:22qui a sorti il n'y a pas très longtemps,
01:46:23puisque tu as été invité par le camarade Rivenzi sur Twitch,
01:46:26vous avez parlé de quoi avec Rivenzi ?
01:46:29– De quoi on a parlé ? On a parlé de génocide, on a parlé d'archives,
01:46:34de documentation, on a peut-être un petit peu plus parlé
01:46:41de première guerre mondiale et d'entre-deux-guerres.
01:46:44Voilà, c'est ça qu'on a fait essentiellement, je crois.
01:46:47– Et du coup, vous pouvez retrouver aussi cet entretien sur YouTube,
01:46:51sur les réseaux de Rivenzi, donc n'hésitez pas à aller voir,
01:46:53ça sera largement complémentaire à tout ce qu'on a vu ici
01:46:56et c'est aussi très intéressant.
01:46:58Merci Christian d'avoir été avec nous, de répondre aux questions.
01:47:02On se retrouve très bientôt.
01:47:05Des bisous tout le monde, salut !

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