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Tous les jours dans Culture Médias, Thomas Isle dresse le portrait sonore de l'invité. Ce mardi, c’est Julien Pichené retrace la carrière de Bernard Pivot, un hommage au lendemain de son décès survenu à l'âge de 89 ans.
Retrouvez "Le portrait sonore de l'invité" sur : http://www.europe1.fr/emissions/le-portrait-inattendu

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Transcription
00:00Mais d'abord, dans une émission qui s'appelle Culture Média, on se doit évidemment de rendre hommage à un homme qui a su réunir toute sa vie,
00:08ces deux mots, culture et médias, Bernard Pivot, qui est décédé hier à l'âge de 89 ans, Julien.
00:14Oui, on va revenir évidemment sur ces légendaires émissions de télévision, mais saviez-vous qu'il avait commencé en presse écrite ?
00:20Il a travaillé, il est entré au Figaro en 1958 et il est passé par la radio, par ici même, à ce micro, Thomas, sur Europe 1 en 1970.
00:28Il est repéré par l'un des dirigeants de la station, Lucien Maurice, qui lui propose de tenir une chronique quotidienne sur l'actualité et il le fera entre 71 et 73 chaque matin.
00:37John Colville, ancien secrétaire de sa majesté la reine d'Angleterre et maintenant son banquier, a déclaré devant la télévision britannique
00:45« J'avale mon chapeau si la fortune de la reine s'élève à plus de 2 millions de livres ».
00:51C'est la première fois qu'il parle dans un micro, il y a déjà cette diction, on reconnaît son style à Bernard Pivot.
00:56Je crois qu'il a commencé à lire après la Terminale.
00:59Ça c'est incroyable comme parcours, effectivement.
01:02Il intervenait aussi à l'époque sur notre antenne pour défendre la lecture et la littérature.
01:06En mai 1972, il vient évoquer un sondage sur les Français et la lecture, un sondage qui l'inquiète beaucoup.
01:12Bernard Pivot, ici présent, collaborateur du Figaro et que vous entendez chaque matin sur Europe 1 dans sa chronique pour sourire, nous donnera d'abord tous ses chiffres.
01:21Sur 10 Français, donc âgés de plus de 15 ans, il y en a 6 qui n'achètent jamais de livres.
01:26C'est-à-dire qu'ils n'ont pas acheté un livre pendant les 12 mois précédant cette enquête.
01:30On a les mêmes discussions aujourd'hui, c'est incroyable.
01:33La situation s'est plutôt accentuée.
01:36Bernard Pivot devient d'abord un défenseur des lettres, à la radio, avant de le devenir également à la télévision.
01:42Un an plus tard, en 1973, il présente sa toute première émission sur le petit écran.
01:46Il arrête la radio, présente une émission qui s'appelle « Ouvrez les guillemets » sur la première chaîne de l'ORTF.
01:50Voici le générique.
01:54Ça pulse, ça pulse.
01:56Ça dure un an et demi, ça change de nom en 1975.
02:01Pour devenir apostrophe, on change de plateau, on passe à la couleur, l'émission est calée dans la grille.
02:05A 21h35, le vendredi, le rendez-vous est prêt et là c'est parti pour 15 ans.
02:10De 1975 à 1990, Bernard Pivot va recevoir absolument tout le gratin des personnalités politiques, des artistes, des écrivains, des sportifs, des chefs étoilés.
02:19C'est simple, il a interviewé tout le monde.
02:21Il se révèle être un formidable interviewer, curieux de tout et de tout le monde, écoutant passionnément ses invités.
02:26Vous vous souvenez, en mordillant en général ses lunettes, c'était l'une de ses marques de fabrique.
02:31Alors des moments mémorables, il y en a un paquet.
02:33On se souvient notamment de ce moment où Bernard Pivot avait été contraint de jouer le rôle du videur avec l'écrivain américain Charles Bukowski.
02:39Alors beaucoup trop éméché, pour participer à une émission de télé, on est en 1978.
02:43Au revoir. Au revoir. Au revoir.
02:46Ok.
02:48Finalement, il ne tient pas tellement la bouteille, cet écrivain américain.
02:52Vous ne voulez pas l'emmener, là ?
02:54Monsieur... Monsieur...
02:56C'est votre faute, il fallait mettre un fond de vague, il fallait mettre de l'eau dedans.
03:00Mais il a porté ses bouteilles.
03:01Ah, il a porté ses bouteilles.
03:02Il a porté ses bouteilles.
03:03C'était la télévision qu'il lui offrait, moi.
03:05Il a porté lui-même ses bouteilles.
03:07Je ne savais pas qu'on pourrait porter sans manger, moi.
03:09Quelle époque.
03:11Le direct, évidemment, c'était en direct.
03:13Autre moment mémorable, en 82, l'historien Paul Guth est face à Daniel Cohn-Bendit, ancienne figure de mai 68,
03:18qui est venu sur le plateau de Bernard Pivot pour évoquer les communautés alternatives.
03:22Et ce jour-là, pour l'animateur, ce n'était pas évident.
03:25Alors, il y a jalousie, il y a fidélité, il y a très peu de partout, monsieur Guth.
03:31Il y a pas mal de drogues, les drogues douces, les petits gâteaux au hache.
03:35Ah, fantastique.
03:36D'ailleurs, j'en ai pris un ce soir.
03:38Fantastique, je vous dis.
03:40Moi, je me sens en forme, décontracté, ça va très bien pour moi.
03:43Paul Guth a pris un biftec, il est en pleine forme.
03:45Moi, je défends à fond, et dans ces communautés, c'est une valeur, c'est les drogues douces.
03:50Il se passait toujours quelque chose sur le plateau d'Apostrophe, ça allait très loin parfois.
03:54Selon les calculs d'audience de l'époque, Thomas a attiré chaque vendredi plusieurs millions de téléspectateurs,
03:59entre 2 et 6 millions d'après les estimations, ce qui est exceptionnel, évidemment, pour une émission littéraire.
04:06Le journaliste Patrice Duhamel, ancien directeur général chargé de l'antenne de la deuxième chaîne,
04:10a bien connu Bernard Pivot.
04:11Je lui ai demandé comment il expliquait ce succès.
04:13Pour lui, c'était le roi de l'alchimie.
04:16Cette alchimie, il l'avait en lui.
04:18Il disait pas, je vais faire le buzz en faisant discuter deux personnes qui se détestent.
04:23C'était pas ça.
04:25Il voulait constituer un plateau pour que chacun puisse dire librement ce qu'il pensait du livre de l'autre,
04:32mais aussi pour que le débat puisse s'organiser, et pas seulement avec un seul thème,
04:36mais autour de plusieurs thèmes.
04:38Là où vous avez raison, c'est que c'était parfois un spectacle,
04:41mais c'était surtout à chaque fois, il y avait des surprises.
04:44Donc les téléspectateurs, ils aimaient Pivot, ils aimaient les livres qu'il recommandait,
04:51mais ils aimaient aussi venir voir cette émission parce qu'ils savaient qu'il y aurait des surprises.
04:56Il y avait des surprises, et puis passer chez Pivot, c'était la consécration suprême pour un artiste.
05:00Comme nous le rappelle également Patrice Duhamel, ça boostait les ventes.
05:04Et puis il se passait quelque chose de formidable,
05:06faut pas être nostalgique, mais enfin quand même, si on pouvait recommencer ça, ça serait très bien,
05:12c'est que le lendemain, dans toutes les librairies de France,
05:14il y avait un bandeau sur les livres qui avaient été présentés la veille au soir,
05:18et donc c'était le samedi matin, un jour où beaucoup de Français vont dans les librairies,
05:23et il y avait marqué « Vues chez Pivot » hier soir, et ça faisait vendre des milliers et des milliers de livres.
05:28C'était formidable.
05:30Il y avait eu une enquête d'ailleurs, Ipso 183, qui avait établi qu'un tiers des achats de livres en France
05:34étaient dus à l'émission Apostrophe, c'était considérable.
05:37Franck Thillier, vous regardiez ces émissions, Apostrophe, et puis Bouillon de Culture après,
05:42qui a été à l'antenne de 91, qui a pris le droit de 91 à 2001.
05:46Ce qui n'était pas forcément porté sur le polar, pas énormément en tout cas.
05:50Non, pas du tout, et puis c'était vraiment une émission populaire,
05:53et c'était la force aussi de cette émission, c'était de faire aimer la littérature,
05:56même à des gens qui ne lisaient jamais.
05:58Il a ramené des gens à la lecture grâce à son émission,
06:01et moi ce que j'adorais aussi avec Bernard Pivot, c'était la fameuse dictée.
06:05Je me souviens, c'était vraiment le rendez-vous que je ne manquais pas une fois par an.
06:09Je prenais ma feuille et je le voyais comme ça à l'atelier,
06:12et j'essayais de faire cette dictée pleine de pièges.
06:14Et en général, vous prenez une très très mauvaise note.
06:16Oui, j'essayais d'avoir zéro, mais ça m'était beaucoup en orthographe.
06:19C'est vrai qu'il n'y a pas eu que ces émissions, il y a eu les dictées,
06:21il est resté très actif d'ailleurs, même jusqu'à la fin, Bernard Pivot.
06:25Il a écrit plusieurs ouvrages, il a présidé aussi l'Académie Goncourt,
06:29il était célèbre également pour ses postes humoristiques et piquants sur Twitter,
06:33il n'est pas loin d'un million d'abonnés.
06:36J'ai joint hier également Philippe Labreau,
06:38qui partage avec Bernard Pivot son amour de l'art et de la littérature.
06:40Il a démarré au même moment que lui, à la fin des années 50.
06:43Il estime que Bernard Pivot aura eu une importance capitale
06:46dans le monde de la littérature et des médias.
06:48Ce que je tiens à ce que l'on retienne,
06:51c'est que Bernard Pivot aura joué un rôle de prof de lettres,
06:55de libraire, d'éditeur, d'influenceur,
07:00comme il y en a rarement eu.
07:02Et grâce à lui, en partie grâce à lui,
07:04bien sûr il y en a d'autres,
07:06le livre en France continue d'avoir la place qu'il mérite.
07:10Il a fait une œuvre aussi de journaliste,
07:13d'investigateur, d'enquêteur, d'intervieweur.
07:16Il avait un talent fou Bernard,
07:18parce qu'il était honnête, propre, sincère,
07:21dynamique, ambitieux, curieux,
07:24tout à fait indépendant, totalement libre.
07:26Philippe Labreau qui dit que Bernard Pivot
07:28était notamment un influenceur,
07:30pas au sens où on l'entend aujourd'hui avec les réseaux sociaux,
07:32mais c'est vrai qu'il a influencé énormément le monde de la littérature.
07:34Avec une grande présence aussi dans le côté influenceur sur Twitter.
07:38Et il avait écrit ce tweet
07:40« L'habitude des radios de m'appeler à la mort d'un écrivain est si grande
07:43que le jour où je mourrai, elles m'appelleront. »
07:45Voilà, c'est ça en 2016.
07:47Et vous savez qu'il a toujours refusé de faire visiter sa bibliothèque
07:50à Nicolas Caro dans son émission La Voix et Livre
07:52tous les dimanches de 19h à 20h sur Europe 1,
07:54parce qu'il trouvait que c'était trop intime,
07:56ça manquait de pudeur et qu'il disait à Nicolas
07:58« Vous allez rentrer dans mon cerveau. »
08:00Donc il lui a jamais ouvert les portes de sa bibliothèque,
08:02mais ils étaient très proches.
08:04Mais il l'a interviewé plusieurs fois, bien sûr.
08:06Ce matin pour cet hommage à Bernard Pivot.