• il y a 7 mois
À 9h20, Juliette Binoche est l'invitée de Léa Salamé. Elle incarne Gabrielle Chanel dans la série "The New Look", créée par Todd A. Kessler, actuellement disponible sur Apple TV+. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-mercredi-01-mai-2024-2650710

Category

🗞
News
Transcription
00:00Bonjour Juliette Binoche. Bonjour. Merci d'être avec nous ce matin.
00:04Si vous étiez une héroïne historique, un livre et une émotion, vous seriez qui, vous seriez quoi ?
00:09Alors, j'ai joué Georges Sand, donc je pense à Georges Sand.
00:13Une émotion...
00:17Alors, aimer, c'est une énorme émotion qui se démultiplie à perpète.
00:23Mais, je ne sais pas, on va dire...
00:27Embrasser. Embrasser. Embrasser. Dire oui, quoi.
00:31Et un livre, le dernier que j'ai lu, qui n'est pas encore paru, mais qui va être vraiment...
00:37Pour moi, c'est un livre, une bombe.
00:39Ça s'appelle La forteresse des âmes mortes, par Sandrine Chenivès,
00:43qui va sortir aux éditions Actes Sud et que j'ai lues.
00:48C'est une amie, elle m'a demandé de faire la préface.
00:51Et je trouve que ce livre est admirable.
00:54C'est un voyage dans la Chine et aussi un voyage intérieur, puisqu'elle va rencontrer des maîtres taoïstes
01:00et elle va faire face à elle-même, à des entités qui sont en elle.
01:06On attend ce livre, écoutez, on va le voir, on va le suivre.
01:09« Les seuls beaux yeux sont ceux qui vous regardent avec tendresse », disait Coco Chanel.
01:13Vous êtes d'accord avec elle ?
01:15C'est très beau, je trouve.
01:17Oui, parce qu'elle a plein de citations assez dures, de formules,
01:21et elle a cette phrase que je ne connaissais pas et que je trouve très belle.
01:24Elle avait une relation avec Pierre Reverdy,
01:27qui était un grand poète de l'époque avant la Seconde Guerre mondiale.
01:31Ils ont eu une relation très longue avec des allers-retours, si je puis dire.
01:35C'est un poète dont elle aimait s'inspirer.
01:41Elle lui demandait aussi de lui écrire des choses.
01:44C'est un petit peu les deux, peut-être.
01:47« Les seuls beaux yeux sont ceux qui vous regardent avec tendresse ».
01:50Coco Chanel, je vous la cite parce que vous l'incarnez dans « The New Look »,
01:55la nouvelle série de 10 épisodes signée Todd Adam Kessler, à voir sur Apple TV+.
02:00C'est une phrase captivante entre la Deuxième Guerre mondiale et l'après-guerre
02:04qui suit plusieurs grands noms de la haute couture française dans le Paris de l'occupation,
02:09entre ombre et lumière, qui essaye de conserver leur rang, leur nom,
02:13leur maison de couture dans ce Paris allemand, occupé,
02:18et puis leur réputation après la fin de la guerre.
02:20On voit combien pour chacun ce fut compliqué, difficile, ambigu,
02:25combien ils ont dû faire des concessions à leur moral et à leur patriotisme.
02:28On savait que Chanel avait eu une liaison avec un dignitaire nazi,
02:32mais on ne savait pas tout ce que nous révèle cette série.
02:35Vous avez été surprise de découvrir à quel point Coco Chanel avait été complaisante avec les Allemands,
02:41à quel point elle avait collaboré, tout simplement.
02:45Avant la guerre, elle habitait au Ritz.
02:47D'abord parce qu'il faut comprendre que Chanel, c'était une orpheline.
02:51Sa mère est morte quand elle avait 11 ans.
02:54Son père a mis ses filles dans un orphelinat et les garçons dans des familles comme orphelins
03:02et n'ont jamais revu leur père après.
03:05Elle a habité dans des maisons où elle a accueilli Stravinsky à un moment donné.
03:14C'est une femme qui a essayé de reconstituer une sorte de vie familiale,
03:19mais elle n'est jamais vraiment arrivée à ça.
03:21Et à un moment donné, elle a décidé de vivre à l'hôtel.
03:25Donc avant la guerre, la seconde guerre, elle était au Ritz.
03:29Et au moment où les Allemands sont arrivés en France,
03:33elle est partie parce qu'elle a fermé sa boutique,
03:39elle ne voulait pas habiller les Allemands.
03:41Son neveu étant prisonnier des Allemands en tant que soldat français,
03:47elle s'est embringuée dans des relations avec des collabos.
03:54Pour essayer de faire libérer son neveu, à l'origine qu'elle considérait comme son fils.
03:59Il y a des personnes qui disent que c'était son fils,
04:02mais c'est une vie qui est mystérieuse.
04:06C'est ça qu'on apprend.
04:08Il y a plein de points de vue différents sur sa vie.
04:14Quand on doit interpréter un personnage comme ça,
04:17c'est un peu inquiétant parce qu'on a des pensées et des faits
04:25qui sont très négatifs et d'autres qui sont très positifs.
04:28C'est très difficile de savoir dans quel univers on rentre et quels sont les faits.
04:34Mais vous saviez qu'elle avait à ce point...
04:36Évidemment, c'est une icône absolue de la mode française.
04:39Elle a beaucoup fait pour libérer les femmes du carcan,
04:42pour simplifier les habits.
04:44On savait tous qu'elle avait cette part d'ombre pendant la collaboration.
04:49Mais vous saviez qu'à ce point, c'est ça qui est surprenant ?
04:53Oui, mais ce n'est pas surprenant quand on reprend sa vie
04:56et quand on connaît son enfance et tout ce qui s'est passé.
04:58Vous dites qu'il faut retourner à son enfance et à ses souffrances d'enfance.
05:01Pour comprendre la personne, sinon comment l'interpréter aussi et comment la comprendre.
05:05Mais ce que je voulais dire tout à l'heure par rapport au Ritz,
05:07c'est que quand les Allemands sont...
05:09Après le début de la guerre, elle est retournée à Paris
05:12après avoir sauvé son neveu, parce qu'en plus il était malade.
05:17Elle a vraiment sauvé grâce à ce lien de la France collaboratrice.
05:23Elle est arrivée au Ritz et les Allemands étaient déjà au Ritz
05:27et avaient pris sa suite qu'elle avait.
05:31Elle a été fichue en haut sous les combles.
05:35Je crois qu'elle a appelé le directeur du Ritz à ce moment-là
05:39pour avoir une chambre et était ce fameux Spatz
05:45qui était un espion et qui travaillait pour Schellenberg
05:49qui était le grand dignitaire nazi des espions.
05:55C'est comme ça qu'elle était en relation avec eux.
05:58A mon avis, elle a vécu sur une sorte de deal en dehors du monde
06:03puisqu'elle avait arrêté son métier de couturière.
06:09C'est intéressant de comprendre ça parce que je crois qu'elle n'avait pas un sens moral du tout classique.
06:16Elle a compris qu'elle devait gagner sa vie, être indépendante
06:21mais gagner sa vie pas juste pour avoir des sous
06:24mais gagner sa liberté, son bonheur.
06:29Vous dites très tôt qu'elle a appris à mentir, à cacher sa vulnérabilité, à cacher ses origines.
06:34Déjà en s'habillant d'une certaine façon, elle cachait tout.
06:37À partir du moment où elle était élégante et où elle s'habillait bien
06:41on pouvait croire qu'elle n'était pas la pauvre petite qui n'avait rien.
06:45Il faut se rappeler qu'à la fin du XIXe siècle, les femmes n'avaient pas beaucoup de chance
06:51si on était né pauvre, on mourrait pauvre.
06:58Ça, elle ne l'a pas supporté.
07:00Elle a compris qu'il fallait avoir une arme, un bouclier dans la vie
07:04pour être acceptée, qui était le vêtement, les bijoux.
07:10C'est pour ça qu'elle a intégré des faux bijoux
07:12qui, pour elle, faisaient croire qu'elle avait de l'argent, qu'elle avait tout.
07:21Alors que c'était juste des faux bijoux.
07:23En tout cas, on voit combien elle a peur de ne pas y arriver,
07:26elle a peur de perdre ce qu'elle a conquis.
07:28C'est ça aussi qui va l'amener à collaborer avec les Allemands.
07:31Parce qu'à l'origine, elle veut sauver son entreprise, il y a son neveu qu'elle veut sauver
07:34et puis il y a les parts de son entreprise qu'elle veut sauver
07:37où elle va collaborer avec les Allemands.
07:39Elle dit d'ailleurs dans la série, à un moment, dans les bras de son amie,
07:41vous dites, vous Coco Chanel, mes parents, mes amis, mes amoureux,
07:45tous m'ont abandonnée.
07:47Elle a eu une vie...
07:49Elle a eu une vie difficile et surtout vers la fin,
07:51on l'était complètement comme enfermée en elle-même.
07:54Et malgré son château du pouvoir et de la mode,
08:00parce qu'elle est revenue quand même, cette grande couturière,
08:06quand elle est revenue avec son costume chemise-veste.
08:12Mais Chanel en fait, moi je pense, de ce que je ressens, c'est qu'elle voulait du luxe.
08:19Ce n'est pas l'argent qui l'intéressait, c'était le luxe.
08:23Donc l'apparence de l'argent.
08:25C'est-à-dire de désirer quelque chose d'impossible.
08:28Et c'est pour ça que son Chanel n°5, tout ce qu'elle a construit,
08:33c'était plus dans ce désir du luxe.
08:35Et c'est là un petit peu la confrontation qu'elle a eue avec l'Evertimer,
08:39les deux frères qui étaient des industriels,
08:42qui avaient déjà eu un pied dans l'industrie cosmétique.
08:48Et ils se sont liés ensemble.
08:50Il faut quand même comprendre qu'à l'époque, quand ils ont signé le contrat,
08:54alors que c'était le nom Chanel, alors que c'était les créations Chanel,
08:58elle avait 10%, l'Evertimer avait 70%.
09:02Et le directeur des Galeries Lafayette, qui avait fait rencontrer les deux parties,
09:07avait 20%.
09:09Elle avait que 10% de sa boîte.
09:11Alors que c'était elle.
09:13Elle a commencé à faire un procès avant la Seconde Guerre mondiale,
09:17avant les Allemands,
09:19mais avant d'essayer de se servir des Allemands pour récupérer ses pourcentages.
09:25Et en fait, elle voulait tout à un moment donné.
09:29C'est vrai que quand on rentre dans son histoire et dans la série,
09:32il y a un parallèle entre la vie de Dior et la vie de Chanel.
09:37Et leur concurrence frontale.
09:39Qui, entre Christian Dior et Coco Chanel, sera le plus grand couturier de Paris
09:43dans les années d'après-guerre ?
09:45On voit ça aussi.
09:47Effectivement, il y a une concurrence entre les deux
09:49et on les voit tous les deux se dépatouiller
09:51avec la présence des Allemands pendant 3 ans, 4 ans,
09:53pour essayer de sauver leur nom, leur réputation et tout ça.
09:56C'est ça qui est fort aussi, c'est de voir le parallèle avec Dior,
09:59avec Balmain, avec Balenciaga, avec tous les autres couturiers.
10:03Ces logos Chanel, Dior, Balenciaga, Balmain, etc.
10:07De connaître l'histoire de ces personnes,
10:10c'est passionnant parce que ça fait partie de notre histoire
10:14et on ne le connaît pas.
10:16Il y a toujours la compétition entre ces maisons-là,
10:19mais ça a commencé bien avant.
10:21Oui, encore aujourd'hui, vous avez raison.
10:23Dior, au départ, a été un moment donné assistant de Chanel
10:29quand elle a fait les costumes d'un des spectacles de Jean Cocteau.
10:33Parce que ces personnes-là, à un moment donné,
10:36elles se bataillent les artistes,
10:38elles se bataillent les femmes pour porter leur création.
10:42Ce qui est toujours un petit peu le cas aujourd'hui.
10:45Et elle disait, Dior c'est l'extravagance,
10:47moi c'est la simplicité, la simplicité c'est mon style,
10:50la robe ne doit pas porter la femme,
10:52c'est la femme qui doit porter la robe.
10:54Oui, il y avait un côté pratique chez Chanel.
10:57Il faut mettre un vêtement, c'est beau,
11:00mais il faut pouvoir bouger dedans,
11:02il faut pouvoir être libre dedans.
11:04Et elle a libéré la femme du carcan, du corset,
11:07de la longueur,
11:09de tout ce qu'il fallait mettre les uns sur les autres.
11:15Il y avait une dizaine de couches différentes.
11:19Et donc, elle a enlevé tout ça,
11:25elle a simplifié, déjà en prenant du jersey,
11:28qui était vraiment les doublures que les hommes mettaient
11:32sous leur veste.
11:35Et elle l'a utilisé dans les années,
11:38même pendant la Première Guerre mondiale,
11:40pour l'utiliser comme matériau souple.
11:44Pour simplifier la vie des femmes.
11:46Tout simplement, parce que pendant la Première Guerre mondiale,
11:48les femmes avaient besoin de bouger.
11:50Les hommes étaient partis à la guerre,
11:52il fallait qu'elles prennent,
11:54elles prenaient elles-mêmes les rênes de la vie.
11:58Et donc, ces vêtements ont vraiment été
12:02en adéquation avec la vie de tous les jours.
12:04Juliette Bina, je sais que vous avez lu énormément
12:06pour préparer ce rôle-là, pour rentrer,
12:08pour comprendre Chanel.
12:10Il n'y a pas beaucoup d'archives de Chanel.
12:12Il y a beaucoup de bouquins, mais il n'y a pas beaucoup.
12:14Il n'y a pas beaucoup, on l'entend parler.
12:16Il y a notamment cet extrait,
12:18une de ses rares télés, on est en 1959,
12:20où elle parle justement des femmes et de leurs vêtements.
12:22On l'écoute.
12:24Qu'est-ce qu'il y a de plus difficile dans votre métier ?
12:26Permettre aux femmes de bouger aisément.
12:30Ne pas se sentir déguisée.
12:34Ne pas changer d'attitude, de manière d'être,
12:38selon la robe dans laquelle on les a fourrées.
12:40C'est très difficile.
12:42Et ça, je crois que c'est le don que je possède.
12:45Si tant est que ce soit un don,
12:47je crois que je l'ai.
12:49Il faut savoir dans le corps humain ce qui bouge et ce qui ne bouge pas.
12:51Oui, et le corps humain bouge tout le temps.
12:55Le corps humain bouge tout le temps.
12:57Elle a plein d'aphorismes,
12:59de citations qu'on lui a collées.
13:01Je ne sais pas si elle les a toutes prononcées.
13:03Je voulais vous tester sur 3 ou 4.
13:05Vous me dites si vous êtes d'accord avec Chanel ou pas.
13:07Personne n'est jeune après 40 ans,
13:09mais on peut être irrésistible à tout âge.
13:11Oui, je pense que c'est un fait.
13:13Montrer ses cuisses ?
13:15Oui.
13:17Ses genoux ?
13:19Jamais.
13:21C'est une vue de l'esprit.
13:23Elle était obsédée par ça.
13:25Les femmes ne doivent pas montrer les genoux,
13:27ne doivent pas montrer leurs bras.
13:29Oui, elle avait des idées bien précises
13:31sur ce qu'il fallait montrer ou pas.
13:33Le luxe n'est pas le contraire de la pauvreté,
13:35c'est le contraire de la vulgarité.
13:37Ah oui.
13:39Je pense que le luxe,
13:41c'était sa façon
13:43de retourner
13:45la pauvreté qu'elle a vécue
13:47dans l'enfance.
13:49Oui.
13:51C'est un jeu de mots.
13:53Elle a aussi dit
13:55que la mode se démode,
13:57le style, jamais.
13:59On peut lui reconnaître qu'elle a toujours donné le style
14:01et que son style est toujours aujourd'hui.
14:03En 2024, on continue de s'habiller comme elle.
14:05Elle a vraiment révolutionné la mode
14:07chez les femmes. Juliette Binoche, je ne peux pas ne pas
14:09évoquer avec vous cette interview
14:11très forte que vous avez accordée à Anne Diatkin
14:13qui a été publiée le week-end dernier
14:15dans Libération. Vous y racontez calmement
14:17avec une grande précision ce que c'était
14:19d'être actrice dans les années
14:2180-90 quand vous avez commencé.
14:23Et en vous lisant,
14:25on se dit que c'était
14:27vraiment une fausse au lion,
14:29que les jeunes filles, les jeunes actrices, étaient vraiment
14:31réduites à leur corps, à leurs seins,
14:33à leurs fesses, à leur sexe.
14:35C'était vraiment ça ce que vous appelez la
14:37marchandisation de mon corps ?
14:41C'est vrai que c'était...
14:45Déjà, quand on est actrice,
14:47jeune actrice,
14:49et qu'on ne sait pas
14:51comment réaliser ce rêve-là,
14:53on y va petit à petit
14:55mais on fait face à des situations
14:57qu'on découvre parce que
14:59qui peut savoir comment ça se passe ?
15:01Et on est la seule ou le seul
15:03à croire à son chemin parce que
15:05ce n'est pas un travail de fonctionnaire.
15:07Chaque jour est différent,
15:09on ne sait pas si le mois suivant
15:11on va avoir du travail.
15:13C'est quand même un...
15:15Il faut y croire très fort.
15:17S'il n'y a pas vraiment une foi
15:19totale,
15:21on ne peut pas résister
15:23à certaines demandes.
15:25Et dans les années 80-90,
15:27c'est vrai qu'en sortant
15:29des années 70,
15:31il y avait une demande
15:35d'une certaine...
15:37de la nudité dans les films.
15:39Et ça, je me souviens d'une conversation
15:41avec André Téchinet à l'époque,
15:43en 85, quand il m'avait dit
15:45qu'il ne voulait plus
15:47filmer
15:49les acteurs ou les actrices,
15:51enfin les actrices que
15:53à la tête, il voulait
15:55que le corps soit engagé.
15:57C'est un regard plutôt une bonne nouvelle
15:59parce qu'on est entier.
16:01Donc c'est important
16:03de jouer entièrement.
16:05Mais il y avait quand même
16:07cette...
16:09Obsession de la nudité.
16:11Vous racontez comment tout passait
16:13par des photos. Il fallait envoyer
16:15des photos de préférence nues aux réalisateurs
16:17pour qu'ils vous choisissent pour leur film.
16:19Vous aviez même transformé votre salle de bain
16:21en laboratoire pour développer vous-même
16:23vos photos de nues prises par votre copain.
16:25Non, pas de nues.
16:27La première fois qu'on m'a demandé
16:29d'apporter une photo,
16:31on m'avait demandé d'apporter
16:33une photo nue.
16:35Mais ensuite, quand j'ai développé
16:37une photo, non, ce n'était pas une photo nue.
16:39Je me suis dit, allez quand même aller loin.
16:41Et puis quand même, vous expliquez
16:43globalement que la plupart des castings consistaient
16:45à jouer une scène nue en minodant.
16:47Oui, pas en minodant.
16:49En jouant vraiment,
16:51c'était le challenge.
16:53Mais pratiquement à chaque scénario,
16:55il y avait une scène nue.
16:57Mais ça veut dire quoi ?
16:59C'était parce que c'était vendeur.
17:01Je n'avais pas spécialement un beau corps.
17:03Mais il fallait se donner
17:05complètement.
17:07Vous racontez l'intensité violente de votre histoire
17:09avec Léo Scarax, les difficultés de tournage
17:11avec Jean-Luc Godard, avec Jacques Doyon,
17:13avec d'autres. Vous racontez tout en fait.
17:15Les attouchements, ce baiser que tel réalisateur
17:17vous a imposé, cet autre qui vous a
17:19peloté de force dans votre loge.
17:21Très vite je disais non,
17:23ça suffit, j'ai mon amoureux.
17:25Vous avez eu le courage très vite de dire non
17:27là où d'autres...
17:29Je disais la vérité, j'avais un amoureux, donc ça me parait absolument impossible qu'on m'embrasse.
17:31Oui, mais c'est vrai, vous étiez jeune comme
17:33d'autres, mais là où d'autres se sont
17:35laissés faire, vous, vous avez
17:37mis les limites assez vite.
17:39Oui, et puis il y en a d'autres qui ont mis plein de limites.
17:41C'était...
17:43Je ne crois pas...
17:45L'éducation est tellement importante.
17:47J'avais une mère qui ne m'avait
17:49pas mis en garde par rapport à ça, parce qu'elle
17:51ne savait même pas que
17:53ça se passait comme ça dans le cinéma.
17:55Et quand elle l'a vue au rendez-vous pour la première fois, elle était vraiment
17:57étouffée.
17:59Elle était vraiment...
18:01En fait, je vais vous dire, parce que
18:03dans le texte, j'avais mis un cri étouffé.
18:05Et la journaliste a enlevi
18:07étouffé, donc ça m'est revenu.
18:09Donc votre mère a eu comme un cri
18:11étouffé de vous voir nue
18:13dans le rendez-vous de Dessinée, à ce point
18:15nue, elle ne pensait pas que c'était ça.
18:17Et elle était étonnée, elle m'a dit
18:19« Comment t'as fait ? »
18:21Et j'ai cru qu'elle m'admirait, mais en fait, non.
18:23C'est qu'elle était horrifiée.
18:25Aujourd'hui, les choses ont changé.
18:27Dans le cinéma, les choses ont changé.
18:29Oui et non.
18:31Parce que moi, j'ai lu un scénario, il n'y a pas si
18:33longtemps, il y avait des descriptions
18:35de scènes de nus
18:39très, très
18:41développées.
18:43Et je me suis...
18:45On n'en finira jamais.
18:47Je comprends la nudité
18:49parce qu'il y a un côté où il faut
18:51être vrai. Mais après, c'est
18:53comment c'est tourné, comment c'est
18:55filmé, c'est plus
18:57compliqué. Vous dites dans cet entretien
18:59« Toutes ces blessures provoquent une rage
19:01mais aucune envie d'arrêter. Tout est pardonné,
19:03tout est transformé, tout masculté. »
19:07Vous avez une manière de parler de tout ça ?
19:09De tout ce qui vous est arrivé ?
19:11Évidemment, on le lit dans le contexte de Me Too,
19:13de tout ce qui se passe du cinéma français
19:15qui est déchiré sur les affaires de Pardieu, sur Gilles Godrech
19:17et tout ça. Et on a l'impression que vous racontez
19:19les choses. Oui, ça c'est vrai, ça s'est
19:21passé, tout ça s'est passé. Mais qu'il y a une forme de sérénité
19:23dans votre manière de raconter les choses.
19:25Comme si la rage
19:27avait été là, mais que ça
19:29a participé du parcours
19:31qui vous a construit.
19:33Oui, et puis on transforme les choses en soi.
19:37Et puis, au moment où le fait,
19:39il faut que ce soit
19:41hyper clair en soi.
19:43Et je crois que c'était un don de moi,
19:45je me donnais, j'étais au service de quelque chose
19:47qui était plus grand que moi.
19:49Et c'est ce que je dis dans l'article,
19:51je plongeais d'angle la tête
19:53la première parce que
19:55je ne pouvais pas le faire autrement.
19:57Je ne pouvais pas justement m'inoder ou faire
19:59semblant, parce qu'il y avait un côté
20:01et il fallait être entier. Vous dites « j'acceptais
20:03tout, même les humiliations avec fougue ».
20:05Oui, alors tout, non.
20:07Tout, non.
20:09Mais la nudité, le froid,
20:11l'humilité.
20:13Oui, parce que
20:15je ne pouvais pas
20:17faire autrement, de toute façon.
20:19Ou alors il fallait
20:21que je dise non
20:23aux rêves
20:25que j'avais d'être actrice. Donc, je n'ai pas
20:27dit non, j'ai toujours dit oui.
20:29Et le fait d'être entier,
20:31entière, c'est ce qui m'a sauvée,
20:33en fait.
20:35Mais il y a eu tellement de trahison
20:37aussi.
20:39De trahison ? De trahison, parce que, par exemple,
20:41je me souviens, à la fin de
20:43un tournage,
20:45c'était « Breaking and Entering »
20:47d'Anthony Mingala, ça s'appelait
20:49je ne sais plus comment en français.
20:51C'était le deuxième film que je faisais avec Anthony.
20:53Après le passé anglais ?
20:55Après le passé anglais.
20:57Et il m'avait dit qu'il me
20:59montrerait les scènes nues, etc.
21:01Il m'a promis
21:03et ça ne s'est pas passé.
21:05Et vous les avez découvert à l'écran ?
21:07J'ai découvert à l'écran et j'ai l'impression d'être
21:09trahi. Mais sans arrêt, d'ailleurs,
21:11on a le sentiment d'être trahi.
21:13Parce que,
21:15sauf parfois,
21:17où il y a une parole qui est tenue,
21:19on nous montre les choses,
21:21parce qu'ils pensent, eux,
21:23à leur film.
21:25Et puis, il y a quand même
21:27l'idée de posséder,
21:29chez le metteur en scène, de posséder
21:31les scènes qu'il a faites,
21:33de possession.
21:35Et donc, de plus être dans le partage.
21:37Et donc, de plus être dans le partage.
21:39Ils sont
21:41d'accord pour être dans le partage,
21:43au moment où on tourne. Mais après,
21:45c'est une autre histoire.
21:47Mais à la fois, j'ai été un peu habituée
21:49et il faut savoir lâcher
21:51le bateau.
21:53Et à un moment donné,
21:55on sait qu'on a donné.
21:57Mais,
21:59la chose, c'est que, moi, j'ai jamais aimé
22:01être en contrôle,
22:03comme actrice, parce que je trouve que c'est pas
22:05honnête. Et qu'il faut savoir
22:07se donner complètement. Et après,
22:09on prie,
22:11on espère que le metteur en scène
22:13aura l'œil,
22:15saura faire le bon choix
22:17et aura une...
22:19Et je pense qu'il y a vraiment des metteurs en scène comme ça.
22:21J'ai eu le souvenir, par exemple,
22:23de Bruno Dumont. J'avais joué
22:25dans Camille Claudel.
22:27Et une histoire m'a été
22:29rapportée qu'il était en train de monter avec un monteur
22:31qui avait mis un plan de moi où j'étais
22:33moche, où il y avait un truc
22:35qui était maladroit
22:37ou quelque chose.
22:39Et Dumont lui a dit
22:41« Tu vois pas comment elle s'est donnée ?
22:43On peut pas trahir ça. »
22:45Et ça, c'est pas lui
22:47qui me l'a dit, mais ça m'a été rapporté.
22:49Et ça, on se dit « Ah,
22:51ouf, je suis pas toute seule dans la bataille. »
22:53Il y a cette tribune, cette semaine,
22:55je sais pas si vous l'avez eu, parue dans Elle,
22:57100 hommes qui manifestent
22:59leur soutien au mouvement MeToo,
23:01dont Jacques Audillard et...
23:03Ah, ça fait du bien ! Enfin !
23:05Enfin ! Parce que
23:07c'est pas possible d'avoir que les femmes
23:09qui parlent !
23:11C'est ce que disait Alexandra Lamy à ce micro, il y a deux semaines,
23:13qui disait « Mais où sont les hommes ? »
23:15Ça vous émeut carrément ?
23:17Oui, parce que...
23:19...
23:21...
23:23Parce que ça doit être reconnu !
23:25Si c'est pas reconnu,
23:27ça n'existe pas !
23:29Ça on le sait avec les enfants !
23:31Donc vous attendez
23:33que les hommes, que les réalisateurs, que les acteurs
23:35prennent enfin la parole ?
23:37Mais oui, mais toutes les femmes attendent ça !
23:39C'est comme au moment
23:41des femmes iraniennes de couper
23:43les cheveux. Il n'y a pas un homme qui s'est coupé les cheveux ?
23:45Je comprends pas ça !
23:47Je comprends pas ça !
23:49Donc ça vous rassure un peu, cette tribune des hommes
23:51qui enfin parlent ? Mais c'est une nécessité !
23:53Comment vous expliquez ?
23:55Sinon, il n'y a pas de changement !
23:57Mais comment vous expliquez, Juliette Binoche, que
23:59ça date pas d'hier,
24:01ça fait cinq ans, ça a commencé avec Harvey Weinstein,
24:03et puis ensuite il y a eu toutes ces...
24:05Oui, mais ça prend vraiment maintenant, chez nous,
24:07c'est étonnant, il y a un décalage,
24:09et pourquoi pas, de toute façon,
24:11il y a une société qui est prête ou pas prête, mais...
24:13Mais c'est vrai qu'on a beaucoup entendu
24:15d'autres femmes qui ont parlé,
24:17et les hommes...
24:19Pas trop !
24:21Alors moi j'ai eu beaucoup de messages à la suite
24:23de ce témoignage,
24:25d'hommes !
24:27J'ai eu que des réalisateurs hommes qui m'ont...
24:29Qui vous ont dit quoi ?
24:31Qui m'ont...
24:33Qui ont entendu,
24:35en fait, qui m'ont remercié,
24:37ont entendu et qui ont été touchées.
24:39Après votre interview dans Libération, vous voulez dire ?
24:41Il n'y a pas eu d'actrice !
24:43Oui, c'est...
24:45Mais il y a des hommes qui vous ont dit...
24:47T'as mis les mots, quoi !
24:49Oui, qui ont été touchés,
24:51c'est arrivé à eux,
24:53ils l'ont entendu.
24:55Mais c'est vrai qu'on a soif de ce...
24:57Parce que
24:59les hommes se sentent attaqués,
25:01ils se mettent
25:03les uns avec les autres en disant
25:05mais qu'est-ce qu'elles ont toutes ces bonnes femmes à parler tout d'un coup,
25:07on sent traqué et tout,
25:09mais c'est qu'ils ne se mettent pas à la place.
25:11Même en tant qu'acteur, on se met à la place.
25:13Quand on raconte une histoire, on se met à la place.
25:15Les impromptus pour finir,
25:17vous répondez très très vite, on a deux minutes.
25:19Dior ou Chanel ?
25:21C'est dur, hein ?
25:23Non, il n'y a pas
25:25à choisir, chacun fait sa route
25:27et...
25:29La danse ou le théâtre ?
25:31Comme vous voulez
25:33que je choisisse entre les deux,
25:35c'est pas possible.
25:37En plus, je suis en train de monter un documentaire
25:39sur un spectacle de danse.
25:41C'est impossible de choisir.
25:43Quelle mère êtes-vous, sévère ou cool ?
25:45De toute façon, c'est être...
25:47avoir un équilibre
25:49des deux,
25:51c'est difficile.
25:53Être cool, c'est pas forcément...
25:55À l'arrivée, être cool et trop sévère,
25:57c'est pas bien non plus.
25:59La dernière fois que vous avez pleuré, c'est là.
26:01Quel est le plus bel âge
26:03de la vie ?
26:05C'est celui
26:07où on aime,
26:09où on est vrai.
26:11Il n'y a pas d'âge pour...
26:13C'est l'âge
26:15où on se sent
26:17relié.
26:19Et vous l'êtes, là ?
26:21Oui, on a l'impression que oui.
26:23Liberté, égalité, fraternité,
26:25vous choisissez quoi ?
26:31La délivrance.
26:33Il manque ce mot-là.
26:35Question Jacques Chancel pour terminer.
26:37Est Dieu dans tout ça ?
26:39Est Dieu dans tout ça ?
26:41Il nous écoute et...
26:43on n'a pas toujours l'oreille assez fine.
26:45The New Look, la nouvelle série de 10 épisodes
26:47à voir sur Apple TV+,
26:49avec une Juliette Binoche impériale
26:51en Coco Chanel. Merci à vous,
26:53belle journée !

Recommandations