La magistrate à la tête du Syndicat unité magistrats SNM FO, Béatrice Brugère, était l’invitée de #LaGrandeInterview de Sonia Mabrouk dans #LaMatinale sur CNEWS, en partenariat avec Europe 1.
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00:00 Bienvenue et bonjour Béatrice Brugère.
00:03 Bonjour, merci de votre invitation.
00:05 Et merci de votre présence, vous êtes magistrate, secrétaire générale du syndicat Unité Magistrat FO
00:10 et vous êtes l'auteur d'un livre remarqué au titre sans doute révélateur de la situation qui est la nôtre,
00:15 La colère monte aux éditions de l'Observatoire.
00:17 Il y a quelques semaines, Béatrice Brugère, nous parlions ici même de Philippe battu à mort en Grande-Synthe
00:22 par des adolescents de 14 et de 15 ans.
00:24 Depuis quelques jours, c'est Mathis, malheureusement,
00:27 regardé par un mineur du même âge qui fait tragiquement la une de l'actualité.
00:30 Ces faits de société s'enchaînent aujourd'hui au-delà des statistiques et des chiffres.
00:34 Est-ce que déjà, du haut de votre expérience et de votre carrière, vous avez déjà connu,
00:39 non pas tant dans la répétition des faits, plutôt que dans leur intensité, un tel enchaînement ?
00:46 Alors oui, votre question est intéressante parce qu'en fait, les chiffres ne disent pas grand chose sur l'augmentation de la violence.
00:55 C'est surtout l'intensité qui est intéressante.
00:57 C'est-à-dire que ce que l'on constate, c'est qu'on a des faits de plus en plus graves,
01:01 commis par des gens de plus en plus jeunes et souvent avec des actes quasi de barbarie
01:06 et surtout une absence totale d'empathie.
01:09 Donc ça, c'est assez marquant parce que c'est vrai que sur l'augmentation des violences,
01:16 on voit aussi un changement majeur.
01:18 C'est-à-dire qu'on a de plus en plus de gens qui sont incarcérés,
01:22 non pas pour des atteintes aux biens, mais pour des atteintes aux personnes.
01:26 Donc on voit très bien que là, on est sur un changement sur la nature de la violence
01:31 et sur la nature de la délinquance qui doit interroger de toute façon notre société dans sa globalité.
01:36 Et j'allais dire, dans ce cas-là de plus sacré, si je peux dire, quand vous avez dit "manque d'empathie",
01:41 le pédopsychiatre Maurice Berger, à propos de ces très jeunes capables d'ultra-violence, voire de barbarie,
01:46 vous l'avez dit, décrit une atrophie, presque une absence totale d'empathie.
01:50 Même si l'autre n'était plus humain. Est-ce que vous diriez ça aussi, Hebert?
01:54 Oui, c'est intéressant parce que lui, il approche d'un médecin.
01:57 Et il décrit très bien comment justement le cerveau fonctionne
02:01 et comment on peut justement, j'allais dire, atrophier une partie de son cerveau,
02:06 parce que c'est le rapport déjà à la compréhension, à l'éducation,
02:11 mais c'est aussi le rapport à la langue.
02:14 C'est-à-dire quand on ne maîtrise pas la parole, il reste les coups.
02:18 Quand on ne sait pas parler, il reste la violence.
02:21 Et donc on voit très bien qu'un enfant qui n'a pas eu un développement non plus,
02:25 ou en tout cas qui était lui-même aussi victime de violences,
02:27 ou qui n'a pas eu un développement neurobiologique dans un environnement affectif,
02:32 on crée déjà, d'une certaine façon, les conditions d'une violence.
02:37 Je ne dis pas que tout le monde est conditionné pour être violent,
02:39 mais en tout cas on ne l'aide pas à pouvoir développer ce qu'on appelle la parole,
02:44 qui justement stoppe la violence.
02:46 - Absence totale d'empathie, ça veut dire déchaînement parfois de barbarie.
02:50 Mais alors dans de telles conditions, je ne vais pas être caricaturale,
02:53 il y a sans doute beaucoup de solutions qui seront apportées,
02:55 ou de premières pistes du gouvernement,
02:57 mais une circulaire qui prévoit des mesures d'intérêt éducatif
03:00 pour des mineurs de 13 à 16 ans,
03:02 sur le modèle des travaux d'intérêt général pour les majeurs,
03:05 telle qu'elle a été annoncée par le garde des Souillards,
03:07 dit-il pour endiguer la violence.
03:10 Est-ce que ça vous paraît être un bouclier aujourd'hui face à ce que vous venez de décrire ?
03:14 - Non, ce n'est pas du tout un bouclier,
03:16 mais on voit très bien qu'on est dans l'urgence de trouver des solutions
03:19 et de faire des annonces.
03:20 Ce qui est important aujourd'hui, et le Sénat d'ailleurs l'a dit,
03:22 mais il n'y a pas que le Sénat,
03:24 c'est qu'il faut réinvestir intellectuellement ce champ-là.
03:26 C'est-à-dire qu'il faut arrêter de sortir des recettes,
03:29 ou d'avoir des idées simplices ou réductionnistes sur les causes de la violence.
03:33 Elles sont complexes, elles sont multiples,
03:35 et elles sont toujours celles d'un parcours individuel.
03:38 Mais ça ne nous autorise pas à ne pas travailler non plus
03:43 sur ce que la société produit,
03:45 sur le délitement sociétal,
03:47 sur ce qu'est une cellule familiale,
03:49 comment aider une cellule familiale,
03:51 sur la place de l'éducation, sur la place des réseaux,
03:53 sur la place de la pornographie, etc.
03:56 Mais le ministère de la Justice,
03:59 et ce n'est pas du fait de ce ministre-là,
04:02 depuis des années, n'a pas investi le champ intellectuel
04:05 pour comprendre ce qui se passe.
04:07 - Donc, conclusion ?
04:09 - Il n'a pas investi quand même.
04:11 - C'est un scénario.
04:13 - Dans le fameux rapport qui est extrêmement détaillé.
04:15 - Extrêmement, qui est un rapport d'octobre 2021
04:17 sur la prévention de la délinquance.
04:19 Ils disent non seulement que les chiffres,
04:21 les statistiques ne sont pas fiables,
04:23 c'est une photographie partielle, voire partielle.
04:25 Ça, c'est déjà un problème.
04:27 Ceux qui s'appuient sur les chiffres pour dire
04:29 "non, regardez, ça n'augmente pas",
04:31 ou "oui, ça augmente",
04:33 en fait, ces chiffres ne sont pas fiables,
04:35 ce sont de vagues indicateurs,
04:37 ils ne sont pas complets, donc ça ne suffit pas.
04:39 - Donc, on ne fait pas d'évaluation des politiques publiques,
04:41 on légifère à l'aveugle,
04:43 on vient encore de réformer,
04:45 il y a à peine deux ans,
04:47 le code de justice des mineurs.
04:49 - En deux temps.
04:51 - Et en plus, on n'arrête pas de le réformer.
04:53 Donc, on légifère à l'aveugle, il n'y a pas d'analyse criminelle.
04:55 - C'est important ce que vous dites,
04:57 pour répondre à un problème,
04:59 si on n'a pas la bonne base,
05:01 le bon diagnostic, c'est un sujet quand même.
05:03 - Nous, on a tiré la sonnette d'alarme.
05:05 Le problème de la justice des mineurs,
05:07 c'est qu'on est sur des totems
05:09 et des tabous en permanence.
05:11 C'est-à-dire qu'il y a des idées toutes faites,
05:13 il y a des espèces de tabous,
05:15 de dénis, et on a l'impression
05:17 qu'il faut toujours faire la même chose.
05:19 Or, faire toujours la même chose produit
05:21 ce que l'on constate aujourd'hui,
05:23 c'est-à-dire une délinquance des mineurs
05:25 qui est de plus en plus violente,
05:27 qu'on n'arrive pas à stopper,
05:29 des juges des enfants qui sont débordés,
05:31 et en plus, on a légiféré,
05:33 en tout cas, c'est ce que nous pensons dans notre syndicat,
05:35 à contre-temps et à contre-sens.
05:37 - Avec la fameuse justice à deux temps, c'est bien ça.
05:39 C'est ce que dit d'ailleurs notre consultant
05:41 et ancien magistrat Georges Fenech,
05:43 il parle quand même d'une justice là,
05:45 contre-productive.
05:47 - Oui, parce qu'en fait, la construction d'un mineur
05:49 a quelque chose d'encore plus important
05:51 dans la construction de l'interdit,
05:53 c'est qu'il faut, et c'est ce que dit encore
05:55 le pédopsychiatre Maurice Berger,
05:57 qu'il rencontre la réalité de la sanction.
05:59 Les paroles n'ont aucune importance.
06:01 On est par exemple sur un pressupposé
06:03 que parfois c'est gratuit, vous savez ce qu'on appelle
06:05 une forme de sursis qui fout une progressivité.
06:07 Il dit non, c'est faux. Si les faits sont très graves,
06:09 au contraire, le mineur a besoin de ce qu'il appelle
06:11 la butée. La butée, c'est la rencontre physique
06:13 avec une vraie sanction.
06:15 Donc c'est pour ça que nous on dit
06:17 que toutes les mesures
06:19 qui ont été prises sont contre-productives.
06:21 Parce qu'on a coupé en deux,
06:23 en fait, c'est quoi la césure ?
06:25 C'est qu'on a fait deux audiences
06:27 au lieu d'une audience.
06:29 Donc on dit plus vite, vous êtes coupable,
06:31 mais on attend plus longtemps la sanction.
06:33 Et donc ça ne va pas parce qu'un mineur,
06:35 un an, déjà un an,
06:37 c'est passé depuis très longtemps,
06:39 il ne comprend pas et on confond
06:41 le temps judiciaire et le temps éducatif.
06:43 - Béatrice Brugère,
06:45 vous avez parlé de totem
06:47 et de tabou,
06:49 aussi une forme de déni. Parlons-en,
06:51 qui sont ces mineurs et comment expliquer
06:53 ces nouvelles formes de violence ? Y a-t-il aussi
06:55 un aspect culturel
06:57 qui est mis de côté quand on sait,
06:59 par exemple, que cette famille afghane
07:01 dont le fils est donc suspect
07:03 dans le meurtre de Mathis est décrite
07:05 à notre micro et par
07:07 l'entourage, par le quartier, comme étant
07:09 extrêmement violente aujourd'hui ?
07:11 Est-ce qu'il y a aussi une forme de déni
07:13 à ne pas tenir compte d'un aspect culturel
07:15 contre lequel il faudrait d'ailleurs lutter
07:17 par l'intégration, l'assimilation ?
07:19 - On ne peut pas lutter contre des choses qu'on ne comprend pas
07:21 ou que l'on ignore. - Encore aujourd'hui, on ne le comprend pas ?
07:23 - Mais on l'ignore, donc c'est-à-dire
07:25 qu'il n'y a pas d'études, il n'y a rien,
07:27 on ne fait pas ça. Le seul qui, à peu près,
07:29 ou en tout cas, mit le point sur ce que vous êtes
07:31 en train de dire, c'est-à-dire
07:33 des pratiques, des rapports à la violence
07:35 qui sont différents,
07:37 homme égalité, égalité homme-femme,
07:39 exactement, ou des familles
07:41 monoparentales où il n'y a pas de figure
07:43 paternelle, ou des
07:45 exportations de violences
07:47 dans la manière de sanctionner,
07:49 ou des expositions à la violence, etc.,
07:51 ou tout simplement une déstructuration
07:53 de certaines familles, tout ça est totalement
07:55 dans le déni, et si
07:57 on n'est pas prêt à regarder
07:59 les choses comme elles sont, à ce moment-là,
08:01 on ne pourra pas y répondre. Bien évidemment
08:03 qu'il y a des spécificités
08:05 qui sont très intéressantes, encore une fois,
08:07 Maurice Bergé le raconte
08:09 dans son livre sur, justement,
08:11 la violence des mineurs,
08:13 sur cette extrême violence qu'il faut comprendre.
08:15 Et si on ne la comprend pas, on ne pourra
08:17 pas la combattre. - Ce qui est incroyable, c'est que le premier...
08:19 Enfin, c'est pas une question politique, mais c'est plus
08:21 que de la politique, c'est très important, il en va
08:23 quand même, presque, du non-assistance
08:25 à mineurs en danger, quand le premier ministre
08:27 dit qu'il faut, comment dire,
08:29 s'attaquer aux racines de cette violence,
08:31 alors si on ne la connaît pas ? - Oui,
08:33 et quand vous parlez de non-assistance à mineurs
08:35 en danger, c'est très intéressant, parce que
08:37 on ne peut pas non plus
08:39 comprendre la violence du mineur d'un d'un camp
08:41 sans mettre en parallèle
08:43 l'affaissement, aujourd'hui, de la protection
08:45 des mineurs sur les mineurs
08:47 en danger, c'est-à-dire que
08:49 une des causes majeures
08:51 de la violence des mineurs, c'est
08:53 des mineurs qui sont maltraités,
08:55 alors la maltraitance peut être extrêmement large,
08:57 et là, vous savez qu'aujourd'hui,
08:59 les juges des enfants n'ont plus les moyens,
09:01 les départements n'ont plus les moyens
09:03 pour faire tous ces placements,
09:05 c'est un sujet extrêmement important,
09:07 donc là, on a des dysfonctionnements
09:09 systémiques, systémiques, qui sont majeurs,
09:11 on a un deuxième problème,
09:13 qui est la déscolarisation,
09:15 et là, ça interroge quand même ce que notre éducation
09:17 nationale est capable de faire ou de ne plus faire,
09:19 on a le problème de la prévention
09:21 des addictions,
09:23 avec un taux de consommation de cannabis
09:25 qui est extrêmement important,
09:27 qui, à la fois, joue sur la santé mentale,
09:29 sur la déscolarisation,
09:31 sur le trafic de stupéfiants,
09:33 et sur la violence. - Mais à chaque fois,
09:35 que des questions de moyens, est-ce qu'il n'y a pas aussi
09:37 un prisme idéologique, parfois,
09:39 à se dire "c'est un mineur",
09:41 pas de passage, évidemment,
09:43 par la case prison, pas de comparution
09:45 immédiate, est-ce qu'il faudrait
09:47 changer totalement ce logiciel ?
09:49 - Oui, mais complètement, par exemple, on a des totems,
09:51 il ne faut jamais, quasiment pas, incarcérer
09:53 un mineur, pourquoi ? On est contre
09:55 les ultra-courtes pertes, je pense
09:57 qu'au contraire, il faut tout de suite
09:59 stopper les parcours de délinquance,
10:01 on est en train d'opposer
10:03 l'éducatif et le répressif
10:05 sur une espèce de partition
10:07 complètement solide, idéologique,
10:09 si vous êtes contre
10:11 le... si vous êtes répressif,
10:13 ça veut dire que vous êtes autoritaire,
10:15 si vous êtes gentil, vous n'êtes que
10:17 sur l'éducatif, on a un problème
10:19 aussi parce qu'on a un trou noir sur les mineurs
10:21 de moins de 13 ans, or, aujourd'hui,
10:23 on s'aperçoit que la délinquance est de plus
10:25 en plus jeune, or, un mineur qui a
10:27 moins de 13 ans ne peut absolument
10:29 pas être
10:31 sanctionné, etc.
10:33 On a désarmé aussi la capacité
10:35 des parents à sanctionner,
10:37 on a désarmé la capacité des professeurs
10:39 à faire régner l'ordre,
10:41 regardez sur l'espace... - Vous l'avez désarmé,
10:43 c'est un désarmement comme vous le décrivez,
10:45 parce qu'il est vrai que s'il n'y a aucun territoire
10:47 qui n'est plus épargné ou sanctuarisé,
10:49 l'école ne l'est plus du tout,
10:51 et malheureusement, quand on dit école, sanctuaire,
10:53 ça c'est du passé. - Oui,
10:55 et regardez par exemple, même
10:57 sur la voie publique, la difficulté
10:59 des policiers à faire régner
11:01 l'ordre public, regardez la problématique
11:03 des bailleurs sociaux
11:05 à faire régner... - C'est le vaste sujet de l'autorité,
11:07 l'autorité qui est scandée,
11:09 mais alors comment on la décrète, ça c'est
11:11 autre chose. - Alors l'autorité,
11:13 c'est pas l'autoritarisme, déjà, l'autorité
11:15 c'est l'exemplarité, c'est la légitimité
11:17 de votre action, et c'est
11:19 l'efficacité, c'est-à-dire que ce n'est pas
11:21 que la parole. Or aujourd'hui, le
11:23 discrédit de la parole publique
11:25 est la crise de l'autorité, parce que
11:27 à force de dire "il faut faire et ne pas donner
11:29 les moyens ou les outils pertinents
11:31 pour agir", et c'est pas que des moyens
11:33 financiers, c'est des moyens
11:35 intellectuels, c'est les moyens, c'est la
11:37 capacité de sanctionner,
11:39 etc. - Les lois sont, je veux dire,
11:41 notre code pénal est plutôt, et même
11:43 il est bien fait, bien adresse. J'en reviens
11:45 par exemple à l'affaire Matisse, comment
11:47 veut-on que les Français comprennent, et je fais référence
11:49 d'ailleurs au titre de votre livre, "La colère montre
11:51 que ce mineur d'origine afghane qui est
11:53 connu des services de police pour des faits
11:55 de vols aggravés n'est pas
11:57 été davantage
11:59 sanctionné, et va passer par
12:01 même une case prison".
12:03 - Eh bien voilà, quand je dis qu'on a
12:05 réformé à contre-temps et à contre-sens,
12:07 il est étonnant que sous le même,
12:09 j'allais dire, la même présidence,
12:11 c'est-à-dire Emmanuel Macron, on vient de
12:13 voter un code qui empêche
12:15 de plus en plus de mettre en détention,
12:17 qui retarde en vrai
12:19 l'application de la
12:21 sanction, pas de la culpabilité, mais
12:23 de la sanction, et qui a supprimé
12:25 la possibilité de faire des
12:27 audiences rapides. - Alors vous ne décrivez des pompiers
12:29 pyromanes. - Exactement, et là vous avez un
12:31 Premier ministre, et il a raison de le dire, qui
12:33 reprend ce que nous, on avait déjà
12:35 proposé au moment du vote de la loi,
12:37 à savoir regarder de près
12:39 l'excuse de minorité pour
12:41 les 16-18 ans,
12:43 faire des comparaisons immédiates si nécessaire
12:45 pour des faits extrêmement graves pour les 16-
12:47 18 ans, or on vient de voter
12:49 exactement l'inverse. Donc c'est vrai qu'il y a
12:51 une incohérence, mais c'est une incohérence
12:53 qui n'est pas propre à la justice des mineurs,
12:55 qui est propre à la justice tout court.
12:57 - D'accord, mais avec une urgence quand même, là,
12:59 avec cet enchaînement qui laisse...
13:01 Ce que vous nous dites, c'est-à-dire qu'on a fait
13:03 exactement l'inverse de ce qu'on aurait dû faire.
13:05 - En fait, il faut revoir tout le logiciel de l'exécution
13:07 des peines, et c'est pas simplement pour les mineurs,
13:09 c'est pour toutes les peines.
13:11 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on punit trop tard,
13:13 et parfois trop longtemps,
13:15 et on a un problème de
13:17 saturation, vous le savez, dans tous
13:19 les lieux où on pourrait contenir,
13:21 que ce soit la prison, mais c'est pas que la prison,
13:23 c'est aussi les internats, c'est exact...
13:25 Les centres fermés,
13:27 il n'y a pas de place, etc. Ce qui fait
13:29 qu'aujourd'hui, on fait de la régulation,
13:31 et on ne fait plus
13:33 de l'exécution des peines. - J'ai une question qui peut
13:35 paraître philosophique, mais qui est très concrète.
13:37 Est-ce que tout le monde est vraiment réinsérable ?
13:39 Je veux dire que lorsque vous vous acharnez sur Philippe
13:41 à Grande-Synthe, quand vous êtes à 2 ou à 3,
13:43 vous vous acharnez sur une personne, et pardon de donner
13:45 les détails, mais cet homme a été
13:47 diffiguré à coup de batte de baseball,
13:49 je veux dire, quel adulte
13:51 serez-vous, et quels parents
13:53 serez-vous plus tard dans cette même société ?
13:55 - Votre question, elle est pertinente, parce que c'est la question
13:57 de la réversibilité, c'est-à-dire que quand vous attendez
13:59 trop tard, trop longtemps, pardon,
14:01 parfois il est trop tard pour faire.
14:03 Et c'est pour tous les sujets, c'est pas que
14:05 pour la délinquance. Mais la délinquance,
14:07 c'est là où je dis qu'il faut changer totalement de logiciel.
14:09 - Sinon ? - Il faut au contraire
14:11 agir très vite, y compris
14:13 pour les mineurs, sinon
14:15 on n'a plus de prise.
14:17 C'est-à-dire que les parcours de délinquance
14:19 que vous venez de dire, où les gens sont déjà sans
14:21 empathie, ancrés dans un parcours
14:23 de délinquance, les mesures de réinsertion
14:25 sont quasi impossibles.
14:27 Et c'est exactement la même chose pour le terrorisme.
14:29 Si vous êtes extrêmement
14:31 endoctriné,
14:33 c'est très compliqué de vous faire sortir
14:35 d'un endoctrinement. Donc la prévention,
14:37 c'est la bonne sanction,
14:39 dès le départ, au bon moment. C'est pas
14:41 nécessairement quelque chose de
14:43 violent, c'est quelque chose qui arrive vite,
14:45 bien, proportionnel, et surtout
14:47 certain. C'est surtout la certitude.
14:49 - Pour conclure, Béatrice Brugère,
14:51 qu'est-ce qui manque pour appliquer
14:53 ce que vous dites, et que je le précise,
14:55 c'est de demander, alors vraiment, une majorité
14:57 écrasante de Français, et je le dis, quelle que soit leur conviction
14:59 politique aux Français, qu'est-ce qui
15:01 manque aujourd'hui ? Du courage ?
15:03 - Oui, peut-être qu'il manque du courage, une vision
15:05 aussi, c'est-à-dire arrêter
15:07 de penser avec
15:09 l'événement, avoir une vision
15:11 stratégique à long cours,
15:13 investir le champ intellectuel
15:15 pour ne pas légiférer à l'aveugle
15:17 et sous l'émotion, et surtout,
15:19 ce qui manque, c'est de faire des évaluations
15:21 des politiques publiques, c'est-à-dire
15:23 que la loi sent derrière
15:25 des moyens, et une évaluation
15:27 de sa pertinence
15:29 et de son efficacité ne sert à rien.
15:31 - Évaluation et courage.
15:33 Merci beaucoup, Béatrice Brugère.
15:35 Je vous rappelle le titre de votre ouvrage,
15:37 "La colère monte", aux éditions de l'Observatoire.
15:39 Je vous remercie, c'était votre grande interview.
15:41 - Merci beaucoup de votre invitation.
15:43 [Musique]
15:46 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]