Historien et journaliste, Eric Branca vient de publier un ouvrage en forme de chronique indiscrète de la France d’après-guerre (1944-1954) : "La République des imposteurs". La IVème République constitue pour notre pays l’une des périodes les plus folles de l’histoire contemporaine. Et pourtant, cet ancien monde est très négligé par l’historiographie actuelle.
Comme le Directoire après la Terreur, ces dix années virent d’immenses fortunes s’édifier sur le crime et la corruption. Des carrières fulgurantes se bâtirent sur l’imposture avant de s’effondrer dans la honte. Et même d’anciens collaborateurs parvinrent au sommet de la hiérarchie judiciaire… grâce aux procès de l’Epuration.
A tous les étages de la société, le travestissement, le mensonge, la dissimulation deviennent alors les artifices communs pour s’adapter aux temps nouveaux. A l’heure où la défiance revient en force dans le débat public et où l’accusation de mensonge est celle que les Français lancent le plus volontiers au visage des "puissants" qui nous gouvernent, ressusciter cette étrange période s’imposait. Eric Branca y parvient avec son sérieux et son expertise habituelles. Quand la IVème République rappelle la Vème finissante….
Comme le Directoire après la Terreur, ces dix années virent d’immenses fortunes s’édifier sur le crime et la corruption. Des carrières fulgurantes se bâtirent sur l’imposture avant de s’effondrer dans la honte. Et même d’anciens collaborateurs parvinrent au sommet de la hiérarchie judiciaire… grâce aux procès de l’Epuration.
A tous les étages de la société, le travestissement, le mensonge, la dissimulation deviennent alors les artifices communs pour s’adapter aux temps nouveaux. A l’heure où la défiance revient en force dans le débat public et où l’accusation de mensonge est celle que les Français lancent le plus volontiers au visage des "puissants" qui nous gouvernent, ressusciter cette étrange période s’imposait. Eric Branca y parvient avec son sérieux et son expertise habituelles. Quand la IVème République rappelle la Vème finissante….
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00:00Bienvenue Eric Branca, vous êtes historien et journaliste, vous venez de publier un
00:09ouvrage en tout point passionnant, La République des imposteurs, c'est chez Perrin et c'est
00:14en vente sur le site TVL, vous pouvez aller directement à la boutique, vous procurez
00:17cet ouvrage qui est une chronique indiscrète de la France d'après-guerre 1944-45 jusqu'à
00:241954, passionnant et incroyablement impressionnant et on va en parler tout de suite.
00:29La 4ème République, elle constitue pour notre pays l'une des périodes les plus
00:34folles de l'histoire contemporaine et pourtant, comme vous le rappelez vous-même, cet ancien
00:38monde est très négligé par l'historiographie contemporaine et quelles en sont les raisons ?
00:43Alors, il y en a deux, on s'intéresse au début de la 4ème République, c'est-à-dire
00:48à la libération, à l'épuration et puis à la fin, c'est-à-dire les drames coloniaux,
00:53l'Indochine, l'Algérie, donc à sa naissance et à sa mort, mais quand elle a été en
00:57vitesse de croisière, si j'ose dire, on en parle très peu, or c'est une période
01:02qui a vu non seulement des scandales, mais des situations vraiment inédites, à mon
01:09avis, il faut remonter au directoire, en gros entre la Révolution Française et l'Empire
01:16pour trouver des situations pareilles.
01:18Mais ça c'est très troublant, parce que vous êtes le seul à avoir dit jusqu'à
01:21un nouvel ordre que l'après-guerre et le directoire c'est quasiment le même combat,
01:25Ah oui, complètement, dans l'ordre de la corruption, dans l'ordre du mensonge, d'où
01:32le titre des imposteurs.
01:34Alors il y a une raison matérielle à ça, dont on ne parle jamais, c'est que sous la
01:39Révolution, beaucoup d'archives patrimoniales avaient disparu, il n'y avait pas d'état
01:43civil, mais c'était les églises, les presbytères qui gardaient les actes de naissance et beaucoup
01:48ont brûlé.
01:49Pendant la fin de la guerre, enfin à partir de 1942-43, à la grande époque des bombardements
01:53américains, dans certaines régions, notamment en Normandie, dans l'ordre de la France,
01:57on avait eu 20 à 30% des archives qui ont disparu, et donc c'était la tabula rasa
02:02de l'état civil.
02:03Donc c'était, je dis que c'était une provocation pour tous les malhonnêtes.
02:08Qui vont s'engouffrer dans la vache.
02:09Qui vont s'engouffrer à l'intérieur.
02:10Puis vous ajoutez à ça des faux papiers qui avaient été faits pour la Résistance,
02:15des gens qui étaient dans les administrations, qui avaient fait de vrais faux papiers en
02:19quelque sorte, puis ces papiers ont disparu, soit que leurs détenteurs ont été arrêtés
02:24par la Gestapo, par la police de Vichy, soit que les résistants eux-mêmes s'en sont
02:28servis après-guerre pour des activités moins justifiables.
02:31On va voir quelques cas, mais avant, quand même, une question, parce que pour illustrer
02:36cette période, vous mettez en exergue le film de Jacques Audiard, né d'un roman
02:39de Jean-François Degnaud, un héros très discret, et vous affirmez qu'à tous les étages
02:45de la société, j'ai bien noté, tout n'était que travestissement, mensonges et dissimulation.
02:50Je vous rappelle, Éric Branca, qu'on parle d'une période où s'illustrent des personnalités
02:56comme De Gaulle, Pidot, Blum, Amadier, Pinet, Edgar Ford, travestissement, mensonges et
03:03dissimulation.
03:04Vous me connaissez, vous savez bien que De Gaulle, je ne le comprends pas là-dedans.
03:07Mais il est clair que sous son gouvernement, ces choses ont prospéré, on ne peut pas
03:13dire le contraire.
03:15Et donc, tous ces personnages-là, vous leur donnez une responsabilité dans ce cas-là ?
03:19Bien sûr, bien sûr.
03:20Quand un gouvernement…
03:21C'est quand même loin de l'imagerie, d'épinal, quasiment, pour Blum, Amadier,
03:26même Président Pinet.
03:27Quand vous voyez qu'un personnage comme le procureur général Mornay a été désigné
03:32pour juger le maréchal Pétain, alors qu'il avait été l'un des trois très hauts magistrats
03:38qui avait statué sur la situation des juifs naturalisés pendant la guerre, vous vous
03:45dites qu'il y a tout de même quelque chose qui cloche.
03:48Non, parce qu'il était un magistrat qui n'avait pas prêté serment de fidélité
03:53au chef du État.
03:54Oui, parce qu'il était à la retraite.
03:55Et c'est ça, la vérité.
03:56C'est que De Gaulle voulait quelqu'un qui n'ait pas prêté serment.
03:58Et donc, on a trouvé ce personnage qui était à la retraite et on a découvert ensuite,
04:02c'est d'ailleurs Pierre Laval qui a son procès à faire marquer, qu'il s'entendait
04:05très bien pendant la période précédente.
04:08Ce qui a d'ailleurs rendu fou furieux Mornay, et ça peut expliquer aussi les conditions
04:13assez épouvantables de la mort de Pierre Laval.
04:14Monsieur Mornay intervient directement dans les derniers moments de Pierre Laval ?
04:19Absolument.
04:20Pierre Laval se suicide, comme vous savez, et il avale une capsule de cyanure, il donne
04:24ordre qu'on le ranime, ça se passera comme ça deux fois, et il sera emmené à peine
04:29conscient devant le platoon d'exécution, alors que les médecins présents disent qu'il
04:34faut le laisser tel qu'il est, on ne va pas ranimer un mourant.
04:37Mais si on l'a ranimé, et ça c'est une exigence de Mornay.
04:40M. Mornay qui dit qu'il fallait obtenir pour Pétain et Laval la peine de mort au
04:47nom, c'est ça qui est intéressant, de la haine sacrée.
04:50Absolument, c'était son expression, c'était son expression, c'est un personnage qui
04:54pendant la guerre, il faisait partie des trois magistrats qui statuaient sur la situation
05:01du juif, et il est celui qui en a gracié, enfin qui en a, qui a fait en sorte que le
05:05juif le plus possible soit dénaturalisé, et donc aille vers les camps, c'est incroyable
05:10parce que les juifs français qui n'étaient pas dénaturalisés, ils étaient protégés,
05:15leur situation n'était pas enviable, mais ils étaient protégés, alors que les autres
05:18on sait ce qui leur arrivait.
05:19Mornay était un des plus farouches partisans de la dénaturalisation.
05:25D'ailleurs pour montrer que l'époque était un intérot favorable à toutes les usurpations,
05:30à tous les complots, vous prenez des exemples parfois inimaginables, en réalité c'était
05:35mais pour l'imposteur, c'était le seul élu de la nation député qui n'a pas été
05:41gratifié de la moindre notice biographique, dites-vous, et on apprend rapidement pourquoi.
05:46Voilà, il s'appelait Jacques Ducreux, son vrai nom était Dacnay, c'était le nom
05:50de sa mère, et ce personnage avait fait partie de l'agence Interfrance pendant la guerre,
05:55c'était une des pires agences collaborationnistes qui était payée directement par les autorités
05:59allemandes, en plus il faisait du renseignement pour l'ESD, les services secrets de la SS,
06:03où il dénonçait tout le monde, et il espionnait même le gouvernement de Vichy, et ce personnage
06:08avait été évidemment recherché, condamné à mort, à juste titre, à la Libération,
06:13il s'est échappé, il a changé d'identité, il s'est fait grossir de quelques kilos,
06:18une bonne vingtaine, personne ne l'a reconnu, avec une fausse identité et plusieurs jeux
06:24de faux papiers, il réussit à se faire appeler Dacnay, il se fait élire député
06:29radical aux législatives de 1951, et début 1952, il a eu un accident de voiture, et
06:34cet accident de voiture, il glisse sur une plaque de verglas, et les gendarmes découvrent
06:39dans sa serviette un jeu de faux papiers, beaucoup d'argent, des passeports, des noms
06:47différents, etc., c'est terrible pour le parti radical qui avait promu un des pires
06:53personnages de la collaboration sans le savoir, et qui d'ailleurs, soit dit en passant,
06:57faisait campagne pour la probité publique, il s'était fait élire sur le thème de la probité.
07:01– Voilà, un seul député de la nation qui n'a donc pas sa notice biographique sur
07:05les 16 366 parlementaires recensés depuis 1799.
07:09– Enfin, il y a son nom, c'est tout, il n'y a que son nom, alias Dacnay, et c'est tout.
07:12– Voilà, le député des Vosges, il y a d'autres cas comme ça aussi incroyables ?
07:16– Ah oui, oui, et puis il y a des personnages qui ont plus, vraisemblablement,
07:19fait que causé un tort terrible à l'armée française, je pense par exemple,
07:23il y a quelqu'un qui s'appelait Jacques Perret, Jacques Perret était le héros de l'affaire
07:27dite des généraux, il était l'homme de confiance du général Reverse,
07:34il ne faut pas prononcer Reverse, car ceux qui prononçaient Reverse
07:37étaient très mal vus, puisque pour un général c'est ennuyeux,
07:39et il avait été chargé de faire sa promotion, sa communication, on dirait aujourd'hui,
07:46on ne le disait pas à l'époque, et l'idée était qu'il ait sa cinquième étoile
07:49et surtout qu'il devienne chef d'état-major général des armées, ce qu'il est devenu.
07:54Comment se finançait-il ? Car ce malheureux Reverse n'avait pas les moyens de le payer.
07:58Il se finançait en vendant des rapports secrets défense,
08:01et notamment le fameux rapport Reverse qui donnait en 1950
08:05toutes les positions de l'armée française en Indochine,
08:10et il a vendu ce rapport aux vietmines, sans doute aux communistes chinois,
08:14sans doute aux soviétiques, et puis aussi aux américains,
08:16qui comme vous le savez, en Indochine, jouaient un double jeu
08:19et avaient tout à fait envie de prendre notre place
08:21une fois que nous en aurions été chassés.
08:24Et bien ce personnage qui était donc recherché pour fait de collaboration,
08:27oui ça j'ai oublié de le dire, il avait en plus, il avait été milicien,
08:31et il joignait l'utile à l'agréable, si j'ose dire,
08:33puisqu'il était celui qui fournissait et qui fabriquait les uniformes de la milice.
08:40Et donc lui, alors il était poursuivi pour fait de collaboration,
08:43poursuivi pour trafic d'influence, pour mise en danger de nos soldats,
08:46il a disparu en Amérique du Sud, on ignore quand il est mort,
08:49vraisemblablement au début des années 60,
08:51mais il est passé entre les gouttes de l'histoire avec une facilité déconcertante.
08:56– Parce qu'à chaque moment, dans cette période-là de la 4ème République,
08:59on retrouve au plus haut niveau des complicités.
09:01– Ah mais c'est ça, on a retrouvé, quand la DST a fait une enquête sur ce Péret,
09:07elle a trouvé toute sa comptabilité, c'est-à-dire qu'il avait plusieurs carnets
09:12avec des sommes en francs, en anciens francs,
09:15enfin 200 000, 300 000, 400 000 anciens francs,
09:17un peu plus de 1 000 000 aussi, et en face, le nom du destinataire.
09:22Et donc il y avait des dizaines de parlementaires
09:24et des ministres qui étaient concernés.
09:27Alors il y a eu des procédures à haute cour qui ont commencé,
09:29puis ça a été soit des non-lieux, soit ça s'est enlisé, on n'en a plus parlé.
09:35– À travers le cas Mornay qu'on évoquait,
09:37le procureur général qui a fait condamner le mariage Alpétin et Pierre Laval,
09:42il y a le cas de toute la magistrature.
09:44Alors une magistrature dont vous dites qu'elle était épuratrice,
09:46mais pas épurée.
09:48– Elle n'est pas épurée.
09:50Jean-Galtier Boissière, le grand Jean-Galtier Boissière
09:53qui était à la tête du crapouillot qui avait créé le crapouillot
09:56et qui avait été, il faut le dire, exemplaire pendant toute la guerre,
09:59a dit finalement on a fusillé que des journalistes.
10:02Il n'y a pas un magistrat, pas un.
10:04Il y en a qui ont été relevés, d'autres qui ont été déplacés, mais c'est tout.
10:08Et vous avez des gens qui ont quand même condamné des résistants,
10:11qui ont siégé dans les commissions spéciales,
10:15dans les sections spéciales de Wi-Fi,
10:17et qui se sont retrouvés de fausses épurateurs,
10:20à l'encontre de gens qui n'étaient seulement que dénoncés
10:24et qui n'étaient pas tous coupables.
10:26– Cette même non-épuration, elle existait dans la police.
10:28La police a été plus épurée finalement ?
10:30– Absolument, absolument.
10:32La police a été nettement plus épurée que la magistrature.
10:36D'ailleurs ce n'est pas compliqué, elle n'a pas été épurée la magistrature.
10:39Il n'y a pas eu de révocation.
10:41Il y a eu quelques mises à la retraite, il n'y a même pas eu de révocation.
10:45– Vous démontrez aussi bien évidemment que cette période-là,
10:47c'est celle qu'on évoque, celle de l'épuration.
10:49C'est un moment aussi oublié de nos livres d'histoire,
10:53des fois par un peu de tristesse ou honte ou difficulté,
10:57parce que vous parlez d'au moins 12 000 victimes.
11:00– Oui, à peu près.
11:02Il y a un chiffre qui a couru après la guerre et qui était faux,
11:04qui était un chiffre de 100 000, c'est évidemment très exagéré.
11:07Il avait d'ailleurs été évoqué en réponse aux mensonges des communistes
11:12qui prétendaient qu'ils avaient eu 100 000, puis ensuite 70 000,
11:14puis ils se sont arrêtés à 50 000 fusils.
11:16C'est évidemment faux.
11:17Ils en ont eu beaucoup, c'est incontestable,
11:18mais en tout cas pas ce chiffre-là.
11:19Et donc on a dit, oui mais il y a eu aussi 100 000.
11:21Non, ce n'est pas vrai, il n'y a pas eu 100 000 morts.
11:23Il y a vraisemblablement 12 000, peut-être un peu plus,
11:26parce qu'il y a des gens qui n'ont pas porté plainte.
11:29Mais dans cette affaire d'épuration sauvage,
11:31qui s'est tout de même très vite arrêtée,
11:33que De Gaulle a arrêtée dès qu'il a repris les choses en main
11:36à partir de septembre, octobre 1944,
11:39la résistance n'est pas seule en cause.
11:41Il y a eu aussi d'authentiques maquis de malfaiteurs,
11:45de bandits qui se sont fait passer pour des résistants.
11:47J'en citais notamment le fameux maquis Lecau,
11:50ce qu'on appelle maquis alors que ça n'avait rien d'un maquis.
11:52C'était exactement comme les grandes compagnies sous l'Ancien Régime
11:55ou les chauffeurs au XIXe siècle.
11:58Ce personnage était un pris de justice avant-guerre
12:01qui avait été engagé par la Gestapo en 1941,
12:03sorti de prison pour infiltrer les maquis.
12:06Et qui, ayant le vol dans le sang, avait fini par voler les Allemands en 1944.
12:11Il avait vu un coffre-fort ouvert à la commandanture,
12:13il avait pris ce qu'il y avait dedans.
12:14Et donc, il s'était retrouvé à son tour poursuivi par la Gestapo.
12:19Et donc, ça lui a servi, au moment où il a senti le vent tourner,
12:21à se faire passer lui-même pour un résistant.
12:24Et il a créé un faux maquis qui s'appelait le maquis Lecau,
12:27qui a sévi essentiellement en Indre-et-Loire,
12:31mais en gros dans toute la région de l'Ouest de la France.
12:36Et il a pillé des châteaux, torturé des malheureux
12:42qui avaient pour seul défaut d'être des bourgeois,
12:46des châtelards, des gens vus, etc.
12:48Il les torturait, il les tuait, il les volait.
12:51Et alors ensuite, évidemment, il a été tout de même confondu.
12:54Et c'est la résistance, et c'est Michel Debray, pour ne pas le nommer,
12:57qui était commissaire de la République à Angers,
12:58qui l'a fait arrêter, il a été fusillé.
13:00Mais c'est le seul qui a été fusillé.
13:02Et ces personnages ont tout de même sali la réputation de la résistance,
13:08bien que ça n'ait pas été des résistants.
13:11– Et vous dites que ça n'a pas sali le général de Gaulle.
13:12Il est au courant de tout ça ?
13:15– Il est au courant, il y a mis fin, il y a mis fin.
13:19De Gaulle explique dans ses mémoires qu'il a une jolie phrase,
13:23il dit, j'étais comme Macbeth penché au-dessus du chaudron des sorcières.
13:27Il n'a pas pu immédiatement mettre fin à tout ça,
13:30parce qu'il ne maîtrisait pas l'entièreté du territoire français.
13:33Et que sa priorité était une priorité qui allait au-delà du maintien d'ordre,
13:36qui était une priorité de recouvrement de la souveraineté nationale,
13:42et notamment de l'indépendance de la France.
13:43Il fallait aller aux frontières, il fallait chasser les Allemands,
13:46et puis surtout, il fallait prendre des gages en Allemagne
13:49pour faire partie, pour être à la table des vainqueurs à la fin.
13:51Et donc il dit qu'il a eu à choisir, très clairement il le dit,
13:55entre un maintien de l'ordre, c'est-à-dire consacrer au maintien de l'ordre une armée
14:02qu'il considérait comme mieux employée à combattre les Allemands.
14:06Et donc il y a eu ces 4 ou 5 mois qui ont été très très compliqués.
14:08– Sur ces 12 000 victimes, est-ce qu'on peut considérer
14:10qu'il y avait 12 000 coupables qui avéraient,
14:13qui méritaient sous une forme ou sous une autre la peine de mort par leur comportement ?
14:16– Certainement pas, il y a eu, je considère, nous allons dire que la justice a fait son travail.
14:21Eh bien la justice, nonobstant ce que nous avons dit sur les magistrats,
14:25a condamné 750 personnes, à peu près.
14:30Je cite de mémoire, c'est peut-être un tout petit peu plus à la condamnation à mort.
14:33Le reste, c'est de l'épuration extra-judiciaire.
14:37Alors dans cette épuration extra-judiciaire,
14:39il y a évidemment des gens qui s'étaient affichés avec les Allemands,
14:41qui avaient trafiqué avec les Allemands, qui avaient dénoncé des résistants,
14:44et ceux-là n'ont sans doute pas volé.
14:46Mais il y a eu aussi des gens qui ont été victimes d'une justice politique.
14:50– Alors qui est responsable ?
14:52C'est le Parti communiste qui met en pratique sa justice populaire,
14:54et une opération sans entrave ?
14:56– Le Parti communiste est particulièrement illustré dans le sud de la France,
15:00notamment à Nîmes, à Toulouse, etc.
15:04où il y a eu vraiment des tribunaux populaires,
15:06et quand De Gaulle, ça a été un de ses premiers actes quand il est rentré en France,
15:11d'aller sur place pour remettre de l'ordre de l'attente.
15:14Mais si vous voulez, entre le débarquement, donc 6 juin,
15:18et le retour de De Gaulle à Paris, 25 août 1944,
15:23il y a eu énormément d'excès, bien sûr.
15:25– Quand il arrive à Paris, le général De Gaulle,
15:28on a ces images en mémoire de son arrivée à Notre-Dame-de-Paris,
15:33il y a des tirs, il y a des tirs qui, dit-on, le visent, ou visent la foule,
15:39et on interprète cela comme étant, bien évidemment, des derniers snipers,
15:44si vous permettez l'expression, du pouvoir vichyste ou de la collaboration.
15:48– Vous dites que ce n'est pas vraiment le cas ?
15:49– Non, De Gaulle lui-même le dit, je cite De Gaulle dans ses mémoires,
15:53lui ne croit absolument pas à ça,
15:54lui, il pense que c'est une manœuvre du Parti communiste pour l'intimider,
15:58parce qu'au même moment, le premier acte de De Gaulle,
16:00d'ailleurs ça va arriver dans les jours qui suivent,
16:02c'est de désarmer les milices communistes.
16:04Et les milices communistes disent, mais nous, nous sommes très utiles,
16:07parce que c'est à nous de faire l'épuration, etc.
16:09Et lui pense, il l'écrit dans ses mémoires,
16:12c'est drôle parce que c'est des passages qui sont rarement cités.
16:15On cite tout le temps De Gaulle, on cite les mémoires, mais on ne les lit pas,
16:18il faut les relire, c'est très intéressant,
16:19il met en cause le Parti, là-dedans.
16:21Et d'ailleurs, quelques jours après, il désarme les milices communistes,
16:24et il leur dit, si vous voulez servir votre pays, il faut rentrer dans l'armée.
16:28– Alors c'est une sphère complètement délétère de l'après-guerre,
16:31vient le temps des comploteurs et des complotistes,
16:34et on a le cas par exemple d'un ministre de l'Intérieur,
16:36là aussi je découvre dans cet ouvrage cela,
16:38c'est un passage incroyable, en juin 47,
16:40qui convoque une conférence de presse parce que l'on a, je cite,
16:43tenté de renverser la République.
16:46– Absolument.
16:47– Voilà, mais c'est en fait une stratégie plutôt qu'un concours.
16:49– Voilà, c'est l'histoire du plan bleu.
16:51Alors le plan bleu, c'était une bande d'illuminés et d'escrocs,
16:54très importants, et d'escrocs,
16:56qui voulaient notamment soutirer de l'argent aux services français
16:59et aux services américains, on était en pleine guerre froide à l'époque,
17:02on avait l'obsession d'un coup de force communiste,
17:05obsession qui n'était pas entièrement factice,
17:07mais qui était tout de même assez exagérée,
17:09et donc il y avait des agrefins qui soutiraient de l'argent,
17:13aux patronats, aux gens qui en avaient, et puis aux américains,
17:18c'était le tout début de la CIA qui s'implantait en France,
17:22avec les fameux réseaux stay behind,
17:24c'est-à-dire des gens qui étaient prêts à résister à une invasion soviétique,
17:27et ces agrefins soutiraient de l'argent,
17:29et puis il y en a qui ont fini par croire à leur mission,
17:33notamment un pauvre châtelain breton, un peu simplet,
17:37pas du tout malhonnête, mais qui s'est fait totalement manipuler,
17:40et à qui on avait dit vous serez le prochain Président de la République,
17:44et alors évidemment tout ça a été démantelé,
17:47on a trouvé des américains là-dedans,
17:48on a trouvé mais essentiellement des escrocs,
17:51et le ministre de l'intérieur socialiste de l'époque,
17:55Édouard Depreux, on s'est dit mais c'est formidable,
17:59on va dire que c'est les gaullistes qui sont derrière,
18:01parce qu'à l'époque la 4ème République a deux ennemis eux-mêmes adverses,
18:07les partis communistes et les gaullistes qui se combattent,
18:09mais on essaie de les embrguer dans des complots en l'occurrence qui n'existent pas.
18:15– Je lis le ministre de l'intérieur et c'est amusant,
18:17parce que ça va donner énormément d'actualité à notre propos.
18:22Ensuite, le but des conjurés, explique Depreux,
18:25était de déclencher la guerre civile des troupes blindées en provenance,
18:28les unes de la zone d'occupation, les autres des garnisons bretonnes,
18:31devaient apporter aux insurgés une aide précieuse, etc.
18:35– Il n'y avait personne.
18:36– Ah oui, c'était le grand complot,
18:37c'est pour ça qu'on parle beaucoup de complotisme aujourd'hui,
18:40mais c'était l'époque des complots et des complotistes,
18:43c'est-à-dire des gens qui voyaient des complots là où ils n'existaient pas,
18:47parce qu'il n'y a jamais eu un véhicule militaire mobilisé dans cette affaire-là.
18:51Il y a une grande entreprise, que je ne citerai pas,
18:53qui a prêté deux ou trois camions pour transporter des conjurés
18:57qui ne sont jamais venus, qui ne sont jamais venus.
19:01– Ce type de méthode, elle porte un nom, c'est la stratégie de la tension,
19:05bien sûr, on la verra 20 ans plus tard avec la CIA et les services secrets italiens,
19:10c'est la stratégie de la tension.
19:11Est-ce que, Éric Brancaille, on sort un peu de cet ouvrage,
19:14est-ce qu'elle est d'actualité en 2024 dans le climat de troubles ?
19:17Par exemple, on a l'impression qu'on souhaite des complots fantasmés d'extrême droite
19:21pour un peu amuser ou abuser la galerie.
19:24Est-ce qu'on n'a pas non plus ces gouvernements du mensonge,
19:27ces gouvernements de l'imposture, de la dissimulation ?
19:29– Je crois que quand un gouvernement ne maîtrise plus rien,
19:32qui c'est d'ailleurs des gouvernements qui se sont eux-mêmes dessaisis
19:35de leurs instruments de souveraineté,
19:37je ne veux pas faire de politique sur l'Europe,
19:39mais enfin, les gouvernements d'aujourd'hui sont moins souverains
19:41par leur propre faute que ceux d'hier, et a fortiori davantière.
19:45Et donc, ils sont évidemment tentés de mettre sur le dos des autres leur propre impérité.
19:52– Alors, la seule chose que je vois avant de vous poser la dernière question,
19:55c'est quand même d'essayer d'être l'avocat du diable,
19:57parce que vous dites en conclusion la 4ème république fut en tout point,
20:00et la 3ème en pire, en pire.
20:03– En pire parce que la 3ème a tout de même eu une première partie assez glorieuse.
20:08– Et vous dites, ça a laissé la part belle aux mythomanes, aux corrompus,
20:11et là vous en citez mille autres dans l'ouvrage,
20:13il faut vraiment le lire pour le croire,
20:16qui prospèrent toujours quand l'Etat disparaît et que la forme prime le droit.
20:22Mais en fait, est-ce que ce n'était quand même pas le prix à payer,
20:24en quelque sorte, après les crises, les désordres qui s'affichaient
20:27après une si terrible guerre pour notre nation, voire pour toute l'Europe ?
20:30Est-ce que ce n'était pas prévisible ?
20:32– C'était sans doute prévisible et inévitable,
20:34mais je crois que cette ampleur n'a jamais été aussi…
20:38on n'a jamais atteint une ampleur pareille, vraiment.
20:41C'est pour ça que je compare au directoire
20:43avec le point commun des usurpations d'identité.
20:47Par exemple, après la guerre de 1970,
20:49il y a eu quand même un grand traumatisme, la perte d'Alsace-Lorraine,
20:52il y a eu l'affaire des décorations, il y a eu les chécards de Panama,
20:56il y a eu tout ça, mais il y avait un État qui malgré tout reprenait le dessus,
21:02une volonté générale qui s'appliquait, enfin, vraiment,
21:05la 4ème République, je dirais que le verre a été dans le fruit immédiatement.
21:09La 3ème, c'est venu plus tard.
21:10Quant à la 5ème, elle a tenu, je dirais, une bonne vingtaine d'années,
21:15et puis les choses ont commencé à se déguîter à un certain moment.
21:18– Quand on parle de la République des valeurs,
21:19il ne faut donc pas parler de cette République-là ?
21:21– Ah, je crois.
21:22– De laquelle il faut parler ?
21:23– Ben, la 5ème a bien commencé pour moi.
21:25– D'accord, 70 ans, alors ne c'est pas de la République des imposteurs
21:28que vous décrivez, malgré un renoncement historique, institutionnel,
21:33politique, sociologique, foncièrement différent,
21:36cette accusation d'imposture est redevenue, de fait,
21:39celle que les Français jettent à la tête de leur dirigeant,
21:42au visage de leur dirigeant,
21:44de la 4ème à la 5ème République finissante.
21:47On a l'impression que tromper le peuple, c'est une constante, finalement.
21:50– C'est une constante quand les instruments de gouvernement ne sont plus là.
21:55– C'est à partir de 1988 que les sondeurs et les politologues
21:59ont vu monter l'abstention, considérablement.
22:02Et puis ensuite, l'accusation effectivement de mensonge,
22:05elle est arrivée, mais alors très nettement,
22:08après l'affaire du traité de Lisbonne,
22:11c'est-à-dire quand les Français ont dit non à la Constitution européenne
22:14et que la Constitution ressoutait par la porte
22:17et rentrait par la fenêtre sous les auspices de Nicolas Sarkozy.
22:20Et là, on a vu la côte de confiance d'à peu près tous les partis se déliter.
22:24Et ça s'est passé sous la 4ème, après l'affaire de la CED,
22:28quand l'affaire de l'armée européenne,
22:30la fameuse armée européenne qui n'avait rien d'européen
22:32et qui était entièrement dirigée par le Pentagone et les États-Unis,
22:35a été rejetée par une coalition qui allait, dès communisme,
22:38à ce qu'on appellerait aujourd'hui l'extrême droite,
22:40puisque pour rejeter la CED, De Gaulle a fédéré tout ça,
22:44mais ça allait, dès communisme, au général Wegand,
22:47qui ne portait pas De Gaulle dans son cœur.
22:49Et cette coalition a triomphé de la CED et à partir de ce moment-là,
22:54personne ne croyait plus, personne,
22:56parce qu'on a expliqué aux Français qu'ils allaient être défendus par eux-mêmes,
22:59alors qu'ils étaient défendus par une armée
23:01dont le commandement était de l'autre côté de l'Atlantique.
23:03Et tout le monde s'est aperçu de cet espèce de décrochage
23:08et s'est allé à toute vitesse, à toute vitesse.
23:11– La 4ème République est morte, pourrie, soit elle-même,
23:14elle a donné naissance à la 5ème, la 5ème est finissante,
23:19en train de pourrir, on peut bien le dire aussi,
23:21c'est moi qui vais le dire, en train de pourrir.
23:23– Qu'est-ce qui va suivre ?
23:24– La 5ème, ce qui l'a sauvée, ce sont ses institutions.
23:28Et quand les hommes ne suivent pas,
23:30ils ne sont pas adéquats avec les institutions,
23:31les institutions sont des charpentes qui ne soutiennent plus rien.
23:34Et la 5ème République, elle a fonctionné
23:38tant que des hommes ont incarné les institutions.
23:40On ne peut plus dire que c'est le cas.
23:42– Et pour que tout cela disparaisse,
23:44que la République des imposteurs disparaisse,
23:45qu'est-ce qu'il faut faire Eric Branca ?
23:47– Alors là, vous sortez, je sors de ma compétence.
23:51– Merci beaucoup, la République des imposteurs,
23:53vraiment lisez l'ouvrage, vous serez surpris
23:57comme je l'ai été par mille faits rapportés
24:01et qui prouvent que véritablement,
24:03il fallait faire cette chronique indiscrète de la France d'après-guerre.
24:05Merci Eric Branca.
24:06– Merci.