L'histoire officielle nous présente une France de l’Occupation divisée en deux : celle de la Résistance qui ne put être que de gauche et surtout communiste et celle de la Collaboration, de droite et surtout d’extrême droite. Pourtant, sur fond d’antibellicisme, dont la genèse est compréhensible après le traumatisme de la boucherie de 14-18, des anciens combattants, mais aussi tout un pan de la gauche pacifiste de l’entre-deux-guerres, vont chanter les louanges du nouveau régime installé à Vichy. Beaucoup des socialistes et des libertaires regroupés quelques années auparavant au sein du Centre de Liaison contre la guerre ou de la Ligue des droits de l’Homme deviendront des partisans de la collaboration. Dès la mi-juin 1940, la presse parisienne, réagissant au traumatisme historique de la défaite, appelle à répudier un passé désormais honni. Cette volonté unanime de rupture et de renouveau politique contraste avec la multiplication des journaux politiques de gauche, tenants de la collaboration et souvent rivaux. L’engagement, jugé aberrant, du courant socialiste et de sa presse en faveur de l’Allemagne nazie fut pourtant bien réel.
La Revue d'Histoire européenne : bit.ly/42tCcbT
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00:36 Bonjour et bienvenue dans "Passez présent", l'émission historique de TVL,
00:40 présentée en partenariat avec la revue d'Histoire Européenne.
00:44 Revue d'Histoire Européenne, dont le dernier numéro, qui est toujours en kiosque,
00:48 traite de la collaboration de gauche.
00:51 C'est un sujet gênant pour l'intelligentsia, totalement occulté après la guerre,
00:55 sous la pression d'un véritable terrorisme intellectuel.
00:58 Il a fallu attendre les années 80 pour que la vérité ressurgisse.
01:02 Les choses ne sont pas aussi simples que ça, et l'histoire réelle est parfois une pilule dure à avaler,
01:08 surtout lorsqu'elle ne correspond pas à la doxa officielle.
01:11 Effectivement, depuis la fin de la guerre, on nous présente une France de l'occupation divisée en deux.
01:16 Celle de la résistance, qui ne peut être que de gauche, et surtout communiste,
01:20 et celle de la collaboration de droite, et surtout d'extrême droite.
01:24 Pourtant, sur fond d'antibellicisme, dont la genèse est compréhensible
01:28 après le traumatisme de la boucherie de 14-18, des anciens combattants,
01:32 mais aussi tout un pan de la gauche pacifiste de l'entre-deux-guerres,
01:36 vont chanter les louanges du nouveau régime installé à Vichy.
01:39 Beaucoup des socialistes et des libertaires, regroupés quelques années auparavant
01:43 au sein du Centre de liaison contre la guerre ou de la Ligue des droits de l'homme,
01:47 deviendront des partisans de la collaboration.
01:50 Outre la figure bien connue d'un Jacques Doriot, ancien dirigeant éminent du Parti communiste,
01:54 avant qu'il ne fonde le PPF, l'antiparlementarisme se développe également
01:58 chez les néo-radicaux et les néo-socialistes, qui ont rompu en 1933 avec la SFIO.
02:04 Partisans d'un État corporatiste autoritaire, ils vont aussi venir renforcer l'État français,
02:09 voire choisir le camp de l'ultra-collaboration.
02:12 La personnalité la plus emblématique en étant certainement Marcel Déat,
02:15 normalien, héros de la guerre de 14-18, qui deviendra ministre du Maréchal Péta.
02:20 Le dossier que vous propose la Revue d'Histoire européenne
02:22 retrace l'histoire de cette gauche collabo, et l'un des articles est consacré à la presse,
02:26 à cette presse collaborationniste issue de la gauche.
02:29 Et nous recevons l'auteur de cet article, Pierre-Denis Boudriot.
02:32 Pierre-Denis Boudriot, bonjour.
02:33 – Bonjour.
02:34 – Vous êtes docteur en histoire moderne et contemporaine,
02:37 et vous êtes l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment "L'épuration" 1944-1949,
02:42 paru en 2011 aux éditions Grand Chèque,
02:45 de l'ennemi intérieur de la 3ème République entre 1938 et 1940 aux éditions de Chéry en 2014.
02:52 D'ailleurs vous étiez venu nous en parler sur ce même plateau il y a un an.
02:56 Vous aviez inauguré la nouvelle saison du nouveau passé présent.
03:00 Et ensuite, dernier ouvrage, "Bagné-Camp de l'épuration française"
03:04 aux éditions Oda et Zarn en 2021.
03:08 Et j'ajoute que vous êtes un contributeur régulier de la Revue d'Histoire européenne,
03:12 et que justement vous signez dans le dernier numéro,
03:15 l'article consacré à la presse de gauche durant la période de l'occupation,
03:20 presse officielle et en pignon sur rue, 100 ans.
03:24 Alors déjà on va faire un petit panorama.
03:28 Bon, durant la guerre 39-40, jusqu'à l'armitice, la presse paraît régulièrement,
03:35 même s'il y a déjà des premières censures,
03:38 notamment à l'encontre de la presse communiste.
03:40 Voilà, de l'humanité par excellence,
03:42 puisque l'humanité est interdite le 27 août 1939 par le gouvernement d'Aladier
03:48 pour avoir cautionné le pacte de non-agression germano-soviétique.
03:53 Ils vont même jusqu'à, c'est un détail, détruire les plombs de l'imprimerie.
03:58 La police va...
04:00 Oui, ils saisissent les exemplaires, ils interviennent en province, partout,
04:04 et ils détruisent les plombs, ce qui est assez rare quand même.
04:07 Alors, la fin de la guerre arrive, la défaite de la France,
04:13 Paris est occupé, j'impose qu'il y a un moment de flottement
04:17 où là plus rien ne paraît, comment ça se passe ?
04:19 Oui, très bref, étonnamment bref.
04:22 Alors, l'entrée des troupes allemandes a lieu le 14 juin 1940,
04:28 et pour le pittoresque de l'affaire, on cite le cas du journal de Gustave Hervé,
04:34 La Victoire, qui continue, ou plutôt qui reparaît
04:39 au moment où les troupes allemandes rentrent dans Paris,
04:42 et c'est évidemment jugé parfaitement incongru,
04:45 et ce journal ne va pas faire long feu.
04:48 Et vous avez des journaux, comme Le Matin,
04:51 qui était un des principaux titres d'avant-guerre,
04:54 qui, eux, paraissent à quelques heures près le 14 juin également.
04:59 Et puis après, tout va très vite, vous avez Paris soir,
05:02 donc Le Matin, Le Petit Parisien,
05:05 qui étaient les plus gros tirages d'avant-guerre,
05:07 mais qui, eux, restent en 1942, des organes de presse
05:11 qui tirent à 300 000 exemplaires, donc en 1942, pour Paris soir.
05:16 Pour Le Petit Parisien, c'est à 500 000 exemplaires,
05:19 et Le Matin, qui tire en 1942 à 200 000 exemplaires.
05:23 – Donc ce sont des journaux, je dirais, d'information générale.
05:27 – Oui, oui, en effet.
05:28 – D'ailleurs, ils titrent quoi le 14 juin en hommage ?
05:30 On n'a pas d'exemplaires ?
05:32 – Oui, en effet, ça c'est effectivement…
05:34 – Et ils sont soumis quand même à la censure, ou complètement désorganisés ?
05:39 – Ah non, alors la censure ne se met pas en place dès le 14 juin,
05:42 mais ça sera le cas très très vite.
05:44 – Non mais il y avait une censure dès 39, j'imagine ?
05:46 – Ah oui, oui, bien sûr, bien sûr,
05:47 mais eux n'avaient pas particulièrement souffert de cette censure.
05:51 C'était des organes généralistes, mais…
05:54 – C'est des journaux qu'on pourrait comparer,
05:56 ce qu'on a connu avec François, avec Le Parisien, aujourd'hui.
05:58 – Voilà, voilà, effectivement.
06:01 Mais il est certain que c'est allé très très vite,
06:06 et le matin a été financé par les forces d'occupation,
06:15 par Otto Abetz, l'ambassadeur, très très vite.
06:18 C'était notoire, donc là ça montrait à quel point les choses avaient basculé.
06:23 – Les tirages que vous indiquez sont assez importants.
06:26 – Bien sûr.
06:27 – Donc ça veut dire qu'on a une population qui est avide,
06:29 dans cette information, j'imagine.
06:30 – Oui, oui, oui.
06:31 Les plus gros tirages de ces trois titres que je viens de citer
06:34 remontent à 36 évidemment,
06:36 et dans certains cas dépassent le million d'exemplaires du jour.
06:39 – Ça fait rêver.
06:40 – Ah oui.
06:41 – Ça fait rêver de n'importe quel patron de presse aujourd'hui.
06:45 Donc, parler de période de flottement,
06:48 et on va commencer tout de suite avec un fait surprenant,
06:52 qu'un des premiers journaux qui veut reparaître, c'est l'Humanité.
06:58 – Et oui, et l'Humanité…
07:00 – Alors que les dirigeances communistes sont soit en fuite, soit en déserté.
07:04 – Oui, mais malgré tout, il y a quand même, de la part du PCF,
07:08 enfin clandestin, et même si effectivement Thores va aller à Moscou,
07:13 Duclos est dans la clandestinité,
07:15 il y a une démarche assez singulière,
07:18 ce sont deux, Denise Ginelin et Maurice Tréant,
07:22 qui font partie des instances dirigeantes du PCF,
07:26 même s'il n'a plus pignon sur rue,
07:28 qui n'hésitent pas à aller négocier la reparution de l'Humanité
07:33 auprès des puissances occupantes,
07:37 et qui font valoir à cette occasion leur hostilité à l'encontre des Juifs,
07:43 pensant qu'on plaire donc aux Allemands.
07:46 Et la démarche de ces gens-là n'a pas abouti,
07:49 parce que Vichy s'y est opposé formellement,
07:51 mais c'est quand même allé très très loin.
07:53 – Alors qu'il y avait une humanité clandestine qui s'est amenée à le parler.
07:56 – Oui, en effet, mais c'était tout à fait…
07:58 – C'était une sorte de recto verso à peine re-néotypé, à peine lisible,
08:03 qui appelait quand même à la fraternisation avec les soldats,
08:08 qui exhortaient les ouvriers français à aller au-devant des soldats allemands.
08:15 – Effectivement, après bon, à partir du moment où il y a eu l'invasion de la Russie…
08:21 – Bien sûr, et donc cette tentative de reparution
08:27 a recueilli un accueil favorable auprès des autorités allemandes.
08:31 – Et en tout cas, elles se sont montrées réceptives.
08:33 Serait-elle allée jusqu'au bout ? Je ne sais pas, mais ce qui est certain,
08:37 – Ça n'aura pas forcément duré longtemps.
08:38 – Oui, ça n'aura peut-être pas duré bien longtemps de toute façon,
08:40 mais c'est que Vichy s'y est opposé formellement.
08:42 Sinon, en effet, on peut se poser la question.
08:45 – Alors, vont apparaître des nouveaux titres,
08:51 tant que tout se met en place,
08:53 et je crois que le premier va s'appeler "La France au travail".
08:57 – Oui, "La France au travail".
08:58 Alors, ce qu'il faut remarquer à cette occasion,
09:01 c'est que beaucoup de ces organes de presse,
09:04 il y a une trentaine de journaux, donc, dit de gauche, de cette gauche-là.
09:10 Et beaucoup de ces journaux se réclament du monde du travail,
09:13 du socialisme, et certains ont des accents quasi prolétariens.
09:17 En tout cas, ils sont véritablement,
09:20 ils revendiquent leur filiation avec le socialisme,
09:24 et un socialisme national et communautaire.
09:27 – Mais non marxiste.
09:28 – Ah, surtout, voilà. Non marxiste,
09:30 puisque certains dirigeants de ces journaux
09:33 ont rappelé que la lutte des classes était, par essence,
09:38 quelque chose de beaucoup trop conflictuel,
09:41 et qu'il fallait au contraire revenir à un corporatisme,
09:45 corporatisme d'ailleurs défendu par Vichy,
09:50 mais en tout cas, c'était ce corporatisme qui prévalait.
09:54 – Alors, "La France au travail" est dirigé par qui ?
09:57 Il y a qui derrière ?
09:58 – Alors, "La France au travail", c'est quand même,
10:01 effectivement, un petit peu un cas limite,
10:05 puisque c'est donc un quotidien qui fait,
10:10 comment dirais-je, vœu d'antisémitisme,
10:14 un antisémitisme assez forcené,
10:17 et on y retrouve Henri Costeau,
10:20 qui était déjà connu avant-guerre,
10:22 pour, effectivement, son appartenance à des gros puscules,
10:28 on ne peut pas dire plus,
10:30 qui revendiquaient cet antisémitisme, voilà.
10:33 Mais il, quand même, n'y avait pas que cet antisémitisme qui primait,
10:38 c'était également la notion de travail,
10:42 et également de socialisme,
10:46 qui alors, ce faisant, il fait partie de ces titres
10:50 qui ont tenté de capter une partie du lectorat de l'humanité.
10:53 – Oui, d'ailleurs, vous dites, c'est une sorte d'hybride
10:56 entre l'humanité et l'action française.
10:58 – Oui, ce qui est quand même assez étonnant, quand même.
11:01 – Oui, oui, ce sont des contorsions à peine imaginables.
11:05 Oui, oui, mais donc, effectivement,
11:07 ils ont cherché à capter une partie de ce lectorat.
11:10 On ne sait pas bien si ça a été très probant.
11:15 – Et c'est un journal qui tirait un petit peu dans la chiffre ?
11:18 – Alors, là, le chiffre, je ne suis pas sûr.
11:21 Alors, là aussi, il faut signaler que les tirages,
11:24 le chiffre des tirages varie de façon non négligeable
11:28 d'une source à l'autre, d'un historien à l'autre.
11:31 C'est un petit peu, d'ailleurs, un petit peu déconcertant.
11:34 Mais je crois que La France au travail avait quand même,
11:38 je me permets de regarder rapidement,
11:40 voilà, La France au travail, dès août 40, culminé à 200 000 exemplaires.
11:46 Sans doute pour avoir, en effet, détourné une partie du lectorat de l'humanité.
11:51 – Et donc, elle change de titre. Le journal va changer de titre en 40 ans ?
11:55 – Elle change de titre et après, donc, elle fait place à La France socialiste.
12:00 Là aussi, on retrouve dans le titre, cette notion de socialisme,
12:04 c'est la valeur cardinale avec Le travail.
12:07 – Et est-ce qu'on est vraiment dans un discours collaborationniste à 100% ?
12:11 – Alors, non, il y a quand même, alors ça, c'est effectivement assez étonnant.
12:15 C'est que, non pas à propos de ces journaux,
12:18 il y en a d'autres qui n'hésitent pas à, comment pourrait-on dire,
12:27 à faire preuve de nuance.
12:29 Il y a un journal qui est alors à la matière,
12:32 l'exception par excellence, c'est Aujourd'hui.
12:35 Aujourd'hui, dont le directeur, le premier directeur, a été Henri Janson.
12:39 Dialoguiste, écrivain, journaliste, passé par le canard enchaîné, bien connu.
12:45 Et Henri Janson, pendant quelques semaines,
12:50 n'hésite pas à critiquer l'existence de camps d'internement administratifs
12:55 créés sous Daladier, mais qui continuaient d'ailleurs, donc, d'être en service.
13:01 Il n'hésite pas à critiquer, bon, ça c'était le fait des autres journaux aussi,
13:06 le capitalisme, Vichy.
13:08 Et au sein de ce journal, Aujourd'hui, on retrouve Robert Desnos,
13:13 le poète surréaliste, etc., qui lui, en tant que critique littéraire,
13:17 en 1941, à un moment de la sortie des Beaudrats de Céline,
13:21 va éreinter les Beaudrats.
13:24 Même si après, Robert Desnos rejoindra un mouvement de résistance
13:29 et, comme on le sait, mourra en déportation à Theresienstadt.
13:32 – D'ailleurs, on publie un petit facsimile de Aujourd'hui dans la revue,
13:36 avec un texte de Desnos qui s'intitulait "J'irai le dire à la commande en tour".
13:40 – Oui, parce que là… – Et là, finalement, il se moque.
13:43 – Oui, ça ne pouvait pas durer bien longtemps.
13:46 Et à travers ce papier, évidemment, il vitupère l'esprit de délation
13:51 qui caractériserait les Français.
13:54 Mais c'est allé très loin.
13:56 Et alors, ce qu'il faut dire à cet égard, c'est que si de tels journaux,
13:59 il y en a très peu, existent, même de façon très éphémère,
14:03 c'est parce que Otto Abetz, en fin manœuvrier qu'il est,
14:06 a compris qu'il ne fallait pas tout verrouiller,
14:09 et qu'il fallait laisser cette apparence de liberté
14:12 dès lors que ça n'allait pas à l'encontre des intérêts allemands.
14:16 – De façon à ce que tout le monde puisse s'exprimer.
14:19 On voit aussi en revue les différents journaux,
14:24 on parle maintenant d'un journal qui s'appelle "L'Atelier"
14:27 et qui est sous-titré "L'hebdomadaire du travail français".
14:30 – Voilà, encore, effectivement, qui lui aussi,
14:32 alors qu'il est constitué d'anciens syndicalistes CGT, majoritairement,
14:37 et qui va, là aussi, avoir…
14:40 – C'est pas cette tendance René Belin ?
14:42 – Oui, oui, en effet, et qui lui a été l'inspirateur de la charte du travail.
14:47 – Ministre du travail.
14:48 – Voilà, donc d'esprit corporatiste.
14:51 – Et de la retraite par répartition.
14:53 – Ah oui, en effet, déjà, voilà.
14:56 Et c'est un organe de presse qui est quand même assez proche
15:00 du Rassemblement National Populaire de Marseille-Léa.
15:03 – D'accord, et lui, on a un tirage ?
15:07 – Alors, le tirage, il est effectivement beaucoup plus modeste,
15:13 parce qu'il se situe aux environs de 20 000 exemplaires.
15:17 – Oui, ce qui n'est pas énorme.
15:19 – Jusqu'en 44.
15:20 – Alors, il y a un autre quotidien qui est important,
15:24 parce que c'est l'organe central du Parti Populaire Français,
15:29 qui est avec le RNP, l'un des plus gros partis de la collaboration.
15:33 – Absolument.
15:34 – Donc, le "Cris du peuple", c'est également un succès éditorial ?
15:37 – Oui.
15:38 – On dirait combien ?
15:39 – Le "Cris du peuple" n'a pas le succès de l'œuvre qui tira 200 000 exemplaires.
15:45 – L'œuvre, c'est le journal ?
15:46 – De Marcel Déat.
15:47 – De Marcel Déat, du RNP, donc le concurrent.
15:48 – Voilà.
15:49 – Ce sont les frères et les frères ennemis.
15:50 – Et pas seulement M. De Brassy.
15:51 – Ah, tout à fait.
15:52 – Mais je n'ai pas le tirage exact en tête, mais il est bien inférieur,
15:59 vraiment inférieur, d'abord 200 000 exemplaires,
16:02 pour un journal de ce genre, c'était quand même assez exceptionnel.
16:05 – Alors, tout ça, ces journaux-là, le "Cris du peuple",
16:10 le PPF a d'autres publications ?
16:11 – Oui, il a d'autres publications, qui s'adressent notamment au monde ouvrier,
16:17 aux jeunes, je crois aussi au monde féminin,
16:23 donc il a diversifié, comme Marcel Déat a tenté de le faire aussi.
16:26 – Il a diversifié, oui.
16:27 – Oui.
16:28 – Et il y en a une que je trouve intéressante, qui occupe une place particulière,
16:31 c'est "Le rouge et le bleu", qui lui est un hebdomadaire,
16:34 et qui se présente comme la revue de la pensée socialiste,
16:38 et il est fondé par un personnage assez intéressant.
16:41 – Ah oui, oui, tout à fait, Charles Spinaz, qui lui est encore,
16:45 une fois, vient de gauche, vient de la gauche.
16:47 – De la SFO.
16:48 – Voilà, de la SFO, et qui a aussi manifesté une très grande ouverture d'esprit,
16:54 une indépendance d'esprit qui lui a attiré les foudres de ses concurrents,
16:58 parce que tout ce monde de la presse est toujours en rivalité, ça c'est chronique,
17:04 et "Le rouge et le bleu" était vraiment au nid des autres organes de presse.
17:11 Et ils ont fini, donc ses adversaires ont fini par obtenir l'interdiction du rouge et du bleu.
17:16 – Sous quel prétexte ?
17:18 – Parce qu'en fait, il aurait été suspecté d'abord de complaisance démocratique,
17:25 parce que Charles Spinaz, oui c'était la formule à l'époque,
17:28 Charles Spinaz lui voulait bien aborder la collaboration,
17:32 mais dans ce qu'il appelait "l'égalité des droits",
17:35 et il se refusait à toute flagornerie, toute adulation.
17:39 Ce qui évidemment était fort déplaisant pour les autres.
17:43 Et donc les autres, les rivaux ont obtenu l'interdiction du rouge et du bleu.
17:48 Je crois d'ailleurs que ça n'a pas duré bien longtemps,
17:50 puisque le journal a été interdit en août 1942.
17:53 – Oui, donc il n'a pas duré longtemps.
17:55 Parce que Spinaz lui, il était ministre SFIO d'un gouvernement Blum en 1936.
18:00 – Absolument, oui.
18:01 – Et il est tombé comment dans la collaboration ? C'est un pacifiste ?
18:05 – Oui, alors là aussi, vous avez des voies d'accès plus ou moins rapides
18:12 à la collaboration, dont par excellence le pacifisme.
18:16 Là, le pacifisme et le socialisme sont véritablement des voies royales
18:20 d'accès à la collaboration.
18:22 Spinaz ne fait pas exception.
18:24 Il faut effectivement se référer à sa participation,
18:28 enfin à son portefeuille dans le 1er ministère Blum,
18:32 et ensuite à une évolution comme tant d'autres,
18:36 à partir du moment où les Allemands arrivent à Paris.
18:39 – Est-ce que des gens comme Spinaz emmènent derrière eux
18:42 leurs collaborateurs, d'anciens militants de la SFIO,
18:47 pour collaborer à tous ces titres ?
18:49 – Oui, il y a en effet un certain nombre, je suis obligé de dire comme à chaque fois,
18:55 un certain nombre d'éléments de cette mouvance qui suivent les leaders.
19:02 Et alors à ce sujet-là, il y a quand même quelque chose qui est fondamental,
19:06 c'est la typologie de cette gauche collaborationniste
19:11 qui est d'une diversité à peine imaginable.
19:14 Parce que vous avez bien évidemment le courant socialiste,
19:17 les néo-socialistes, vous avez pas mal d'anciens cégétistes, de la SFIO,
19:23 vous avez un nombre non négligeable de Dreyfusards,
19:26 vous avez là encore un nombre non négligeable d'anciens membres
19:31 du comité de vigilance des intellectuels antifascistes,
19:36 qui a été fondé en 1934, vous avez des pacifistes,
19:40 enfin bref, la liste est trop longue,
19:42 mais ça c'est quand même une caractéristique majeure.
19:45 – Et tous ces gens-là se tirent dans les pattes ?
19:47 – Alors ils se tirent dans les pattes en effet,
19:50 parce qu'il y a un moment où les leaders tels que Déa et Dorio
19:55 entraînent leurs troupes, et il y a donc un phénomène de regroupement,
20:00 et aussi de radicalisation.
20:03 À partir de 1941, avec l'entrée des troupes allemandes en Union soviétique,
20:08 on assiste à un phénomène de radicalisation, voire d'extrémisation,
20:13 donc de sur-enchères et de basculement dans un antisémitisme
20:19 particulièrement virulent.
20:20 Donc là les choses sont beaucoup plus nettes,
20:22 et chacun doit prendre position.
20:24 – Et alors, chose également surprenante que vous indiquez,
20:29 c'est la revendication de l'héritage de Jaurès par ces gens-là.
20:34 – Oui, Jaurès, très vite, très tôt, a été considéré
20:39 par l'ensemble de cette gauche comme le promoteur du rapprochement franco-allemand.
20:45 Le promoteur, le pionnier, et donc sans trop assister sur le fait
20:50 que s'il n'avait pas été assassiné, il aurait probablement rejoint l'Union sacrée,
20:57 je pense qu'effectivement ça aurait été le cas.
20:59 Mais c'est vraiment la figure tutélaire de cette gauche
21:03 en matière de rapprochement franco-allemand.
21:05 – Donc ils se revendiquent réellement ?
21:07 – Ils se revendiquent, ils discutent même l'héritage en quelque sorte,
21:10 parce que plus jauréciens que moi, ça n'existe pas, etc.
21:13 Ça va peu près ça.
21:14 – Et alors, le rouge et le bleu est interdit en 1942,
21:22 et va lui succéder un autre journal qui lui aussi a un nom très spécial,
21:27 – Oui, Germinal.
21:28 – Germinal.
21:29 – Oui, Germinal.
21:30 – Là on fait après Jaurès, on fait dans le Zola.
21:33 – Ah oui, c'est vrai que c'est très ouvriériste si je puis dire.
21:37 Mais Germinal qui n'a qu'une existence très éphémère,
21:39 parce qu'il ne paraît que quelques mois, en 1944,
21:43 il s'arrête de paraître en août 1944,
21:46 comme la plupart de ses journaux, il cesse de paraître le 17 août 1944,
21:53 et le surlendemain, le pari se soulève.
21:57 – Donc lui Germinal c'est avril…
22:00 – Avril 1944, août 1944.
22:02 – Alors il est dirigé par qui ?
22:04 – Alors oui, il est dirigé par Paul Reeves,
22:08 qui lui aussi est un ancien de la famille des socialistes,
22:12 c'est un ancien député socialiste, et comme tant d'autres, franc-maçon.
22:17 Là aussi on n'est pas à une contradiction presse,
22:20 mais en général les anciens francs-maçons se dépêchent
22:26 de répudier toute appartenance,
22:30 et au contraire versent dans une critique farouche de la franc-maçonnerie.
22:34 – Et il y a des collaborateurs un peu célèbres je crois, des pères célèbres.
22:39 – Oui, parce que dans l'équipe rédactionnelle apparaissent
22:44 Claude Jammet, brillante intellectuelle,
22:48 qui est le père de Dominique Jammet,
22:51 et également Robert Jospin, qui est le père de Lionel Jospin,
22:56 et qui quand même ont eu une part non négligeable dans la gestion de ce journal.
23:03 – Alors ce qui m'intéressait c'est le financement de ces journaux,
23:08 parce qu'on sait qu'aujourd'hui la presse est entièrement subventionnée,
23:12 avec nos impôts, pas toute la presse, la revue de l'histoire européenne ne l'est pas,
23:17 d'autres journaux amis ne le sont pas non plus,
23:20 donc à l'époque, par qui est subventionnée cette presse ?
23:24 – Vous citez un trust allemand, j'aimerais qu'on creuse un petit peu.
23:28 – Oui, le trust, absolument, le fameux trust ebolain,
23:31 qui est de toute façon indissociable de l'action de l'ambassadeur Otto Abetz,
23:37 et sans l'aval d'Otto Abetz et le soutien financier de ce trust,
23:45 il n'y avait rien de viable, de toute façon la censure aurait fonctionné immédiatement.
23:51 Donc, à titre d'exemple, le trust ebolain,
23:56 avec bien évidemment la bénédiction d'Otto Abetz,
24:00 finance "Les Nouveaux Temps" de Jean Luchère,
24:03 finance "Le Matin" dont on en parlait tout à l'heure,
24:06 il finance également "Germinal" et également l'oeuvre de Marcel Déa,
24:12 ce qui est quand même moins surprenant,
24:14 compte tenu de la proximité de ce mouvement du personnage avec l'Allemagne.
24:19 – Alors, quelle est la ligne éditoriale de "Germinal" ?
24:22 Parce qu'il me semble, en regardant au niveau,
24:24 ne serait-ce qu'au niveau de la maquette de la présentation,
24:26 on a quelque chose d'assez novateur pour l'époque.
24:29 – Oui, absolument.
24:30 – Nos téléspectateurs verront les incrustations sur l'écran,
24:34 mais il y a de l'emploi de photos avec des montages assez surprenants.
24:38 – Ce qui n'est pas commun à cette presse,
24:40 alors l'hebdomadaire de la pensée socialiste française,
24:43 là on occupe le terrain plus encore que les autres,
24:46 le "C" c'est le sous-titre, il n'y a pas d'équivoque.
24:49 Mais la maquette de ce journal, de "Germinal",
24:53 en effet, est assez étonnante parce qu'on y voit,
24:57 notamment dans le numéro qui est présenté,
24:59 un personnage qui abrace des piles de billets,
25:03 il y a un côté un peu accrocheur,
25:07 enfin spectaculaire, volontaire,
25:09 que l'on retrouvera sans doute après-guerre dans d'autres journaux.
25:12 – Oui, on est dans le ton de ce qu'est peut-être le "Crapouillaud",
25:14 de ce qu'est peut-être d'après le "Canard enchaîné" ou d'autres.
25:17 – Oui, il y a une forme de sensationnalisme à travers la photo,
25:22 mais là aussi il n'a pas duré.
25:28 – Non.
25:29 – Aujourd'hui nous en avons parlé,
25:33 nous n'avons pas parlé des "Nouveaux Temps",
25:34 alors qu'est-ce que c'est que les "Nouveaux Temps" ?
25:35 – Alors les "Nouveaux Temps", c'est donc le journal de Jean Luchère,
25:39 financé comme nous le disions par l'Allemagne,
25:43 et qui d'ailleurs est tenu à bout de bras par l'Allemagne.
25:48 Et les "Nouveaux Temps", c'est donc un peu l'organe de presse officieux de l'Allemagne,
25:56 à travers, je vais exagérer un peu, à travers Jean Luchère.
25:58 – Alors qui est ce personnage ? Jean Luchère est un personnage assez surprenant.
26:01 – Ah oui, même plus, on pourrait dire fascinant.
26:04 – On va s'attarder sur Jean Luchère.
26:07 C'est un homme qui lui encore vient de la gauche, pacifiste, socialiste,
26:16 mais surtout pacifiste, qui a noué dès 1930
26:20 des relations d'amitié avec Otto Abetz.
26:23 À l'époque Otto Abetz n'était pas, était encore vaguement social-démocrate.
26:29 Et Otto Abetz, avec Jean Luchère, avait eu l'idée de rassembler les jeunesses
26:35 de l'Allemagne et de la France à l'occasion de grandes rencontres
26:39 auxquelles participait Jean Luchère.
26:42 Et c'est ces relations d'amitié qui ont permis à Jean Luchère,
26:46 une fois qu'Otto Abetz a été nommé ambassadeur à Paris,
26:51 d'obtenir à peu près tout ce qu'il voulait.
26:53 – Mais Jean Luchère était journaliste déjà ?
26:55 – Il a été journaliste, il avait travaillé, alors non pas au "Nouveau Temps"
26:58 qui n'existait pas encore, mais au "Temps", qui est un peu l'ancêtre du monde,
27:02 surtout en matière de typos, mais si, quand même,
27:05 il y avait la tonalité d'ensemble qui pourrait le faire s'apparenter au monde.
27:09 Et donc Jean Luchère est un homme qui est réputé,
27:14 pendant l'occupation d'Andy, noceur, vénal,
27:19 mais qui, très singulièrement, avant d'être fusillé,
27:24 quelques semaines avant d'être fusillé…
27:25 – Et maintenant qu'il est arrêté…
27:26 – Il est arrêté…
27:27 – Il ne s'enfuie pas, il s'enfuie.
27:29 – Il s'enfuit en Allemagne et il tente, comme quelques autres,
27:34 de faire repartir quelques activités de presse et de radio.
27:38 – En Allemagne ?
27:39 – En Allemagne.
27:40 Il a été arrêté, il est jugé en 1946, il va être fusillé en 1946,
27:45 et avant d'être fusillé, voilà cet homme qui avait un passé
27:49 qui ne le prédisposait absolument pas à être, comment dirais-je,
27:54 à être converti, qui se convertit avec une sincérité incontestable,
27:59 à un point qu'il a été cité comme modèle,
28:03 qu'il a servi de modèle à d'autres,
28:05 parce qu'il y a un phénomène quand même là aussi tout à fait important,
28:08 parmi les épurés, les condamnés à mort qui sont promis aux poteaux,
28:12 il y a un grand nombre de ces gens-là qui se convertissent
28:15 ou qui redécouvrent la foi avec une ferveur absolument insoupçonnable,
28:20 dont Luchère est le modèle.
28:22 Mais c'est un homme qui a joué un rôle essentiel, Jean Luchère,
28:27 en matière de presse, non seulement par ses relations avec Otto Abetz,
28:31 mais parce qu'il a été président de l'association des titres de presse de France.
28:39 C'était donc un mania de la presse, c'était le principal mania de la presse.
28:43 Il avait donc tous les leviers en main.
28:45 – Il y a une agence de presse aussi qui est…
28:47 – Alors oui, il y a une agence de presse, l'Interfrance,
28:49 fondée en 1937 par Dominique Sordet, qui elle,
28:52 je pense que ça a dû donner des idées par la suite,
28:56 avait comme clientèle plus de 200 titres de journaux en France
29:02 pendant l'occupation.
29:04 Et donc il alimentait tous ces journaux avec certaines lignes directrices, évidemment.
29:10 – Et alors quels sont tous ces journaux-là ?
29:14 Est-ce qu'ils sont tous entre les mains des autorités allemandes ?
29:17 Enfin je veux dire en termes financiers, en termes d'influence, en termes…
29:20 Est-ce qu'il y a une censure permanente ? Comment ça se passe ?
29:22 – Alors il y a une censure, et là encore, ça montre à quel point tout cela peut être complexe.
29:27 C'est que la censure est évidemment permanente,
29:34 mais on a remarqué quand même qu'Otto Abetz était capable d'aller contre la censure,
29:41 momentanément, pour défendre certains titres, qu'on n'a pas à l'esprit,
29:45 mais il y en a eu peu.
29:47 Donc ça montre qu'Otto Abetz faisait prévaloir les intérêts tactiques
29:51 avant justement d'autres intérêts de propagande.
29:55 Ça c'est quand même une chose qui est à noter.
29:58 – Et par rapport à Vichy, ces journaux…
30:00 – Ce sont des journaux très critiques, qui en veulent à Vichy,
30:05 qui répudient d'ailleurs Vichy, à part "L'effort" et "L'Action française"
30:11 – Mais ce ne sont pas des journaux d'ouvre.
30:13 "L'effort" est un journal…
30:15 – Alors c'est un journal à l'origine socialiste,
30:17 mais qui n'a pas cette tonalité aussi ouvriériste,
30:21 aussi engagée que les autres titres qu'on a cités.
30:24 Et donc ces journaux, sous la coupe allemande,
30:31 sont en effet des journaux qui dépendent financièrement et politiquement
30:37 de l'Allemagne, d'Otto Abetz.
30:39 Il ne peut pas y échapper.
30:41 – Et cet anti-vichysme, si on peut dire, lui est alimenté par les Allemands.
30:45 Enfin, il est totalement approuvé par les Allemands.
30:47 – Oui, mais on peut aussi dire qu'ils n'ont pas besoin d'être
30:50 véritablement poussés par les Allemands,
30:52 parce qu'il y a, bien avant-guerre, une hostilité très marquée
30:59 vis-à-vis, bien sûr, de ce que deviendra Vichy,
31:03 donc ce côté réactionnaire,
31:07 qui veut véritablement maîtriser le monde ouvrier,
31:13 ça, ça indispose au plus haut point toute cette presse issue de la gauche.
31:18 C'est pour ça qu'il y a un antagonisme absolument inexpiable.
31:22 – Et jusqu'en 1941, est-ce que ces journaux-là
31:25 apparaissent en zone libre et en zone occupée ?
31:27 – Ah non, non, non, là, en effet, ce sont des journaux
31:30 qui sont massivement parisiens,
31:33 enfin, en tout cas parisiens, et ensuite diffusés…
31:36 – Après 1942.
31:38 – Après 1942, on retrouve quelques titres,
31:40 mais il y a quand même un tropisme très net sur Paris, évidemment,
31:44 comme toute la vie culturelle de l'époque.
31:46 – Et il n'y a pas d'équivalent en province ?
31:48 – Non, on n'a pas l'équivalent…
31:50 – Il n'y a pas de presse régionale ?
31:52 – Non, pas à ce point-là, non, non, en effet, oui.
31:55 – Alors, ce qui est intéressant aussi, c'est que sont-ils devenus,
32:00 ces journaux, aucun n'a survécu ?
32:03 – Non, non, non, aucun, il faut noter que…
32:07 – Même au niveau des titres ?
32:09 – Des titres, oui.
32:10 – Aujourd'hui, ils existent toujours, c'est le nouveau nom du parisien d'ailleurs.
32:13 – C'est vrai, c'est vrai, mais non, non, ils n'ont pas survécu,
32:17 donc, au-delà du 17 août, et il y a un titre,
32:20 mais j'ai quelques doutes, dont on dit qu'il a paru le 22 août,
32:25 alors que Paris se soulève le 19 août,
32:27 ça, bon, c'est presque anecdotique, mais non, ils n'ont pas survécu du tout.
32:32 Et au contraire, ils ont, puisqu'on a parlé de la grande spoliation
32:35 de la presse française à la Libération,
32:38 ils ont à leur tour occupé des locaux,
32:40 comme Coston avait occupé les locaux du Grand Orient de France,
32:44 voilà, ils ont occupé massivement les locaux, et occupé précédemment…
32:48 – Ils ont récupéré les accords, parce qu'en plus, les imprimeries,
32:50 j'imagine qu'à l'époque, chaque journal avait sa propre…
32:52 – Oui, oui, oui, donc…
32:54 – C'est pas comme aujourd'hui, où on envoie…
32:56 – Non, non, en effet.
32:57 – On envoie un imprimant, les fichiers.
32:59 – Et alors, donc, que sont devenus les hommes derrière ces journaux ?
33:02 Ce bon Luchère, on vient de le dire, a été fusillé,
33:06 avec bien d'autres également.
33:09 Sinon, il y en a qui ont continué leur carrière après la guerre ?
33:13 Soit dans la presse, soit dans la politique ?
33:15 – Oui, alors, dans la presse, vous avez quelques exemples connus,
33:19 comme Lucien Combelle, qui était donc à Révolution Nationale,
33:24 qui était aussi un journal dit "collaborationniste",
33:30 qui, lui, après avoir purgé neuf ans, je crois,
33:36 pas loin de neuf ans de prison et de centrale,
33:39 a refait une carrière à la radio, a écrit quelques livres,
33:44 mais ils ne sont pas si nombreux.
33:47 Vous avez également Benoît Méchain,
33:50 lui n'était pas particulièrement versé dans le journalisme,
33:54 qui, lui, a fait dix ans plein, d'abord a été condamné à mort,
33:57 gracié, dans des circonstances d'ailleurs assez mouvementées.
34:00 Après, au sortir de ses dix années de prison,
34:02 on sait qu'elle a été là, donc, ses activités de biographe,
34:06 vous avez un certain nombre de ces personnes
34:08 qui ont pu se rétablir, mais pas tant que ça.
34:13 Alors, vous avez aussi, donc, un grand nombre de gens
34:17 qui ont été soit condamnés aux travaux forcés à vingt ans
34:20 ou à perpétuité, mais en général, c'était commué
34:23 en vingt ans de travaux forcés, très vite,
34:25 soit gracié, et là, d'office condamné aux travaux forcés à perpétuité.
34:30 Et la plupart sortent en 49, 50, en 53, c'est la grande amnistie,
34:36 et là, c'est quasiment, on vide à peu près toutes les prisons.
34:42 – Et donc, ces gens-là, certains reprennent leurs activités journalistiques.
34:45 – Ils reprennent quelques activités, mais quand même peu,
34:47 parce que là aussi, il y a un phénomène de génération qui joue.
34:50 Ce sont des gens qui ont quand même un certain âge.
34:55 Là, on n'a pas toutes les statistiques à ce sujet,
34:59 mais ils ne sont pas très nombreux, non.
35:01 – Il y a le cas, de toujours, de ce personnage, Spinas,
35:04 qui lui traversa.
35:06 – Et qui, d'ailleurs, quand on le retrouve,
35:09 il a eu quelques soucis, mais il n'a pas été quand même trop…
35:12 – Parce qu'il était engagé comment ? Dans le Rouge et le Bleu, il était le directeur ?
35:15 – Il était le directeur, oui, oui, il était le directeur.
35:18 – Et comment il arrive à s'en tirer ? Il fait comment ?
35:20 – Les magistrats n'ont pas retenu contre lui de charges accablantes,
35:25 parce que son collaborationnisme est quand même allé moins loin que pour d'autres.
35:30 – Et puis le fait qu'il était interdit en 42, j'imagine ça a dû poser.
35:33 – Oui, ça aussi, tout à fait, c'était presque un gage de survie.
35:37 Mais je crois qu'il n'a pas été emprisonné, ou très très peu,
35:43 et il a ensuite tenté de se refaire, donc, avec les élections cantonales,
35:53 une santé politique.
35:55 En 61, il s'est présenté sous l'étiquette des socialistes indépendants en Corrèze.
36:00 Et c'est là où il fait la connaissance de Jacques Chirac,
36:05 et lequel Jacques Chirac sera mis en piste grâce à Spinas.
36:11 Alors, je crois que Jacques Chirac, ses premiers mandats remontent aux, je ne sais plus, les années 60.
36:18 – Donc avec Charles Spinas, c'était le poulain de…
36:21 – Voilà, de Charles Spinas, oui, oui.
36:25 Mais Charles Spinas n'a quand même pas eu une carrière…
36:29 – Oui, non, il a pas eu une grande carrière, il était conseiller général,
36:32 il était maire de son patelin.
36:35 Non mais c'est intéressant le fait qu'il ait rencontré effectivement Jacques Chirac,
36:38 qu'il ait été son mentor en politique.
36:42 – Oui, tout à fait.
36:43 – Bien, Pierre-Denis Baudrillot, merci infiniment pour ce panorama
36:47 de la presse collaborationniste française durant l'occupation.
36:52 Vous reviendrez nous parler de l'épuration d'ailleurs.
36:54 – Avec plaisir, avec plaisir.
36:55 – On en a parlé, ça serait intéressant.
36:59 Vous allez bientôt retrouver la petite histoire de Christopher Lannes.
37:04 Je vous rappelle donc, la gauche collabo, une histoire gênante.
37:09 Le numéro est toujours en kiosque pour un mois encore environ.
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37:19 et bien sûr de vous abonner à notre chaîne YouTube.
37:22 À bientôt !
37:23 [Générique]
37:35 Non, la campagne de France de 1940 n'a pas été qu'une promenade de santé pour les Allemands.
37:40 Non, leur offensive n'a pas été qu'un petit road trip en Panzer.
37:44 En 1940, les Français ont perdu, oui, pour tout un tas de raisons,
37:48 mais les Français se sont battus vaillamment, courageusement, sur plusieurs points.
37:52 Parmi ces batailles aujourd'hui oubliées, la bataille de Stone figure en bonne place.
37:56 Les Allemands l'ont surnommée le "Verdun de 1940"
38:00 car elle a bien failli faire basculer le cours de la campagne et de la guerre.
38:04 Dans ce petit village des Ardennes, les B1 bis français ont tenu tête aux Panzer allemands,
38:09 leur coupant la route et menaçant même de faire tout basculer par une contre-offensive décisive.
38:14 Retour sur une bataille méconnue, oubliée, qui est pourtant la plus violente,
38:19 la plus importante et la plus décisive de la bataille de France.
38:23 [Générique]
38:37 Je vous ai déjà parlé dans d'autres épisodes, par exemple, du bombardement de Berlin par la France en 1940
38:43 ou encore de la bataille des Alpes contre les Allemands et les Italiens la même année,
38:47 car oui, je le répète, la France a combattu en 1940.
38:51 Eh bien aujourd'hui, justement, je vais vous parler d'un fait encore plus précis,
38:55 une bataille d'envergure la plus grande, qui a bien failli stopper l'offensive allemande à travers les Ardennes
39:01 et même faire basculer le cours de la guerre, la bataille de Stone.
39:05 Nous sommes en mai 1940 et le 10 mai, justement, les Allemands lancent le plan jaune,
39:11 c'est-à-dire leur offensive à travers les pays neutres, la Belgique et le Luxembourg,
39:15 attirant à elles les troupes franco-britanniques qui suivent le mouvement.
39:20 Mais l'attaque principale est ailleurs, c'est à travers les Ardennes que les Allemands comptent nous mettre
39:26 le fameux coup de fossile avec les Panzer Division de Guderian.
39:31 Le 13 mai, elles arrivent à Sedan, franchissent la Meuse et foncent vers l'ouest.
39:36 Sauf que, sur place, sur une crête surmontant un petit village du nom de Stone,
39:43 se tiennent deux belles unités françaises, les plus modernes,
39:47 la 3e Division d'Infanterie Motorisée et la 3e Division de Cuirassé de Réserve,
39:53 leur but, colmater la brèche.
39:56 C'est ainsi que la bataille de Stone commence, le 14 mai,
39:59 opposant ces deux divisions françaises à la 10e Panzer Division,
40:03 accompagnée du régiment d'élite Grossdeutschland.
40:07 C'est un combat de titans entre les forces parmi les plus modernes de leur armée.
40:12 Les Allemands ont la supériorité numérique, logistique aussi,
40:16 mais la position occupée par les Français en surplomb est idéale.
40:20 Quand le combat commence, les chars français montent en ligne de façon désordonnée,
40:25 la faute à un manque de transmission, de coordination,
40:28 alors que les Allemands ont des radios et une reconnaissance aérienne.
40:32 Néanmoins, les forces françaises parviennent à empêcher l'ennemi de prendre le village de Stone
40:37 et sont en position pour lancer une grande contre-offensive.
40:41 C'est là que le moment décisif va se jouer et que les Français vont laisser échapper leur destin
40:47 à cause de la lenteur des transmissions, de l'hésitation du haut commandement
40:52 et des ordres du général Flavigny.
40:54 En effet, à ce moment-là, plutôt que de lancer toutes les forces blindées
40:57 dans une grande contre-offensive décisive, Flavigny va retarder,
41:02 puis annuler l'attaque du 21e Corps d'Armée, ce qui va permettre aux Allemands de se renforcer.
41:08 Flavigny va reporter la contre-attaque au lendemain, ce sera trop tard.
41:12 Le général allemand Hermann Hoth le dira lui-même après la guerre,
41:16 en n'engageant pas toutes leurs forces blindées à ce moment-là, je le cite,
41:21 "les Français manquèrent une occasion favorable,
41:23 cette contre-attaque menée de façon résolue eut pu changer la défaite en victoire".
41:29 Le lendemain, donc, le 15, les Allemands prennent les devants et lancent leur attaque dès l'aube.
41:35 Pendant toute la journée, les camps vont prendre et reprendre le village,
41:39 qui va changer 17 fois de camp durant toute la bataille.
41:43 C'est un combat acharné.
41:45 Les Français sont parfaitement organisés, ou presque,
41:47 avec une bonne infanterie soutenue efficacement par les blindés,
41:51 et aussi par une artillerie décisive.
41:54 Les B1 bis français font des ravages.
41:56 Parmi les Panzers, celui du capitaine Billotte réussira à en détruire 13 à lui tout seul.
42:02 D'ailleurs, vous pouvez retrouver cet exploit parfaitement raconté avec humour par un odieux connard.
42:09 Non, je ne l'insulte pas, c'est son pseudo, un odieux connard.
42:12 Je vous invite vraiment à voir cette vidéo, sa vidéo sur le sujet.
42:16 Le B1 bis s'est donc montré techniquement supérieur au Panzer, qui leur a fait très mal.
42:21 Il est supérieur à eux en blindage, en armement.
42:24 Bon, il a des faiblesses aussi.
42:26 Il est très lourd, donc très gourmand en carburant,
42:28 donc obligé d'aller souvent se ravitailler à l'arrière.
42:31 Mais il a mis à mal l'image de la supériorité matérielle allemande.
42:35 Durant cette bataille, donc, les Allemands ne parviennent pas à se défaire des Français,
42:39 qui leur mettent un véritable coup d'arrêt.
42:41 Mais les Allemands ont l'avantage d'être relevés régulièrement,
42:44 ce qui n'est pas le cas des Français.
42:46 Et pourtant, ils tiennent bon.
42:48 Dans cette bataille, en somme, les choses se sont déroulées comme elles auraient dû se dérouler partout ailleurs,
42:54 c'est-à-dire avec un bon emploi des forces blindées,
42:57 utilisé massivement, intelligemment, en appui de l'infanterie,
43:01 et pas dispersé un peu partout sur le front.
43:03 C'est d'ailleurs ce que fera le colonel de Gaulle, le 17 mai à Montcornet,
43:07 en appliquant les principes qu'il avait exposés dans son livre "Vers l'armée de métiers",
43:12 où il militait pour l'organisation des blindés en grandes unités de chars.
43:17 L'historien Dominique Lormier le dit dans son livre "Sur la bataille de Stone",
43:21 en parlant de l'emploi intelligent des chars associés à l'infanterie et à l'artillerie,
43:26 il nous dit que cette bataille est en quelque sorte, je cite,
43:29 "le modèle de ce qui aurait dû être réalisé sur l'ensemble du front,
43:33 à savoir la rapidité de violente contre-attaque,
43:37 utilisant toute la puissance de feu de l'armement moderne en des points névralgiques".
43:42 Malheureusement, l'état-major et les politiques en ont décidé autrement,
43:46 et on a bien vu ce que ça a donné,
43:48 mais bref, on n'est pas là pour refaire le monde, refaire l'histoire,
43:51 sinon il y aurait pas mal de boulot.
43:53 La bataille de Stone s'achèvera le 21 mai,
43:56 le village était aux Allemands,
43:58 mais l'objectif était réussi pour la France,
44:00 empêcher l'ennemi de percer.
44:02 En cela, la bataille a été un succès défensif français.
44:06 Le problème, c'est que percer à Stone n'était pas l'objectif des Allemands.
44:11 Et c'est pour ça que, sans être une défaite française,
44:14 Stone est une victoire opérationnelle allemande,
44:17 car pendant qu'il fixait les Français très combatifs sur ce point-là,
44:21 sans pour autant les battre,
44:23 il permettait l'avancée de leur division vers l'Ouest,
44:26 qui était leur objectif principal.
44:28 Le bilan est lourd des deux côtés, mais particulièrement côté allemand,
44:31 26 500 pertes, dont 3000 tués, et 24 chars détruits.
44:35 Côté français, on dénombre seulement 7 500 pertes, dont 1000 tués,
44:40 mais 33 chars détruits, notamment par les canons anti-chars.
44:44 Cette bataille fut si dure pour les Allemands que, je l'ai dit,
44:48 ils la compareront beaucoup à l'enfer de Verdun.
44:51 Ah, si seulement le commandement français n'avait pas retardé la contre-offensive,
44:56 si seulement il avait lancé tous nos forces blindées sur les Allemands à Stone,
45:01 alors peut-être, peut-être que le coup de Fossey aurait été dans l'autre sens,
45:06 et qui sait, le cours de la bataille et de la guerre aurait peut-être changé.
45:09 Je ne suis pas un fan des Uchronies, des "si, si, si",
45:13 mais il faut avouer qu'ici, ça ne peut que nous laisser un goût amer quand on y repense.
45:18 Malgré tout, cette bataille est à mettre à l'honneur,
45:21 notamment, particulièrement, pour réhabiliter l'image du soldat français de Carente.
45:26 Je l'ai dit, et je le répète, et je le répéterai,
45:29 les soldats français se sont battus comme des lions en Carente,
45:33 même si le reste n'a pas suivi.
45:35 Je voulais ici donc leur rendre hommage,
45:37 et je continuerai de le faire dans d'autres épisodes à venir prochainement.
45:41 J'espère que ça vous a plu.
45:43 Dites-moi ce que vous en pensez en commentaire.
45:45 N'oubliez pas les pouces bleus,
45:47 et je vous dis à bientôt pour un nouvel épisode sur TV Liberté.
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