• il y a 8 mois
Transcription
00:00 La charge raciale, si on devait résumer,
00:01 c'est le poids qu'on porte dans une société majoritairement blanche
00:05 en tant que personne racisée.
00:06 Quand je vois ce silence autour de la charge raciale,
00:08 je veux investir ce silence, je veux poser les questions
00:11 et je veux déranger justement.
00:12 Cette charge raciale, elle a, on va dire, trois volets.
00:16 Elle a une charge qui est historique,
00:18 qui vient du passé esclavagiste, colonial de l'Occident.
00:22 Une charge qui est institutionnelle,
00:24 face aux institutions que sont la police, le milieu médical,
00:27 mais aussi les institutions comme la famille et le couple.
00:30 Et enfin, une charge qui est intra-personnelle,
00:33 c'est-à-dire qui est liée à comment on se pense en tant que personne racisée.
00:37 Et c'est cette charge qui nous oblige en fait à être dans une injonction,
00:40 à adopter des stratégies d'adaptation.
00:42 Dès le plus jeune âge, dès petit, on comprend que notre couleur de peau,
00:45 la manière dont on est vu par la société,
00:47 nous renvoie à l'autre, à l'étranger,
00:49 à la personne qui n'est pas tout à fait d'ici,
00:51 qui n'est pas tout à fait du territoire français.
00:53 Et donc, on veut appartenir, ce qui est normal,
00:56 et donc on va copier les codes des majoritaires.
00:58 La manière de parler, la manière de s'habiller,
01:00 lisser l'accent par exemple si on vient de quartier populaire,
01:04 s'habiller d'une certaine manière pour appartenir.
01:07 Mais en fait, ce génie de l'adaptation-là,
01:09 le fait qu'on sache tous ces codes-là,
01:11 c'est un prix.
01:12 C'est un prix émotionnel, c'est un prix psychique,
01:15 c'est un prix financier aussi.
01:16 Et ça nous coûte beaucoup de porter ces masques-là.
01:19 Donc en effet, on sait s'adapter, on est des caméléons,
01:22 mais à quel prix en fait ?
01:23 Le prix émotionnel, le prix physique et le prix psychologique.
01:27 Il y a aussi le rapport dans l'espace public
01:29 quand on se confronte à la police par exemple.
01:31 Là aussi, il y a quelque chose qui se joue de cette charge raciale.
01:34 Comment éviter la police ?
01:35 Même moi, en tant que femme, je suis moins contrôlée par la police,
01:38 mais pourtant, quand je vois un homme noir, un homme racisé
01:40 se faire arrêter par la police,
01:42 j'ai mon cœur qui serre, je veux sortir mon téléphone
01:44 parce que je me dis, il pourrait y arriver quelque chose.
01:47 Il pourrait y avoir ce basculement-là.
01:48 Donc ça, c'est une charge aussi qu'on se porte.
01:50 Le racisme est une affaire de santé publique.
01:52 En 2020, il y a eu un article qui est sorti,
01:54 publié par le ministère de la Santé,
01:57 où on disait qu'il y avait en effet un lien entre la classe sociale,
02:00 le pays d'origine et en fait le fait de contracter de manière plus forte
02:04 le Covid et d'avoir des charges allostatiques.
02:07 Une charge allostatique, qu'est-ce que c'est ?
02:10 C'est le fait de cumuler des comorbidités.
02:12 Et quand on est une personne racisée,
02:14 en plus de l'accès aux soins qui est parfois difficile,
02:16 on l'a vu avec Anissa, on l'a vu avec Noemi Mousenga
02:19 qui ont demandé de l'aide parce qu'elle se sentait mourir, partir,
02:22 et à qui on a refusé de l'aide et l'urgence médicale,
02:27 ça déjà, ça nous confronte à une mort qui est prématurée.
02:30 Mais en plus de ça, à cause du stress,
02:33 cette charge allostatique-là est grossie,
02:35 et ce qui fait qu'on a des comorbidités,
02:37 des maladies chroniques, des crises cardiaques prématurées.
02:41 Et tout ça, ça fait partie de ce que j'appelle le racisme vicarian,
02:45 c'est-à-dire que le fait de vivre, de voir à la télé,
02:49 de voir que potentiellement une personne de son entourage,
02:52 son neveu, son oncle, son père,
02:53 pourrait mourir sous les bras de la police,
02:58 et bien ça crée un stress, on est en hyper-vigilance.
03:00 Et quand on parle de stress, on parle évidemment d'un terreau fertile
03:04 pour les maladies plus ou moins à long terme.
03:06 Le gaslight racial, en fait c'est ce qu'on vit,
03:09 c'est dire que le racisme n'existe plus,
03:12 qu'on en fait trop, qu'on est une victime,
03:14 mais qu'en fait ce n'est pas très important
03:16 parce qu'en fait on est tous égaux,
03:18 que cette personne ne voit pas les couleurs,
03:19 bref, plein d'arguments comme ça,
03:21 qu'on connaît en fait, nous en tant que personnes racisées,
03:23 les personnes en face croient nous dire des choses révolutionnaires,
03:26 mais c'est une chanson qu'on connaît par cœur,
03:28 on en parle même parfois du bingo raciste par raciste.
03:32 Donc la personne te dit un truc raciste,
03:34 mais elle va jurer et te faire des équations par A + B
03:37 que ce qu'elle dit n'est pas raciste.
03:38 Donc ça c'est ça le gaslighting racial,
03:40 et en face, soit on a la force et on monte au front,
03:43 et en fait on démontre, une fois de plus en termes pédagogiques,
03:46 pourquoi, comment c'est raciste,
03:49 soit on laisse tomber et en fait on ravale,
03:51 et en général ça nous coûte aussi.
03:54 Donc la charge mentale qui a été popularisée
03:56 par la dessinatrice Emma a eu un boom,
04:01 et je ne vais pas mentir, moi aussi évidemment j'ai compris plein de choses,
04:04 en termes d'injonction, du fait d'être une femme,
04:07 donc d'avoir tout le temps à penser, à anticiper, etc.
04:11 Sauf que pour la charge raciale,
04:13 il y a la peur viscérale de mourir.
04:17 Et c'est ça la charge raciale,
04:19 c'est d'être confrontée à la mort de manière prématurée.
04:23 Parce que c'est ce que Audrey Lord disait,
04:25 et ses paroles vivent en moi,
04:26 "nous n'étions pas censées survivre"
04:28 et pourtant on est là.
04:29 Et ce n'est pas pour minimiser l'une,
04:31 mais c'est pour montrer à quel point c'est déséquilibré
04:34 entre le bruit médiatique que la charge mentale a eu,
04:37 et en fait la charge raciale que je découvre
04:39 sous les mots de Maboula Soumaoro en 2018,
04:42 à quel point ce concept-là, il n'y a pas eu tant d'écho.
04:45 Et je me suis posé la question,
04:46 mais c'est quoi ce silence autour ?
04:48 Parce que la France ne veut pas regarder son passé en face,
04:51 parce que la France pense que c'est déjà dépassé,
04:53 toute cette question, qu'on est progressiste,
04:55 qu'on ne va qu'en s'améliorant.
04:57 Et pourtant, le backlash, le retour de bâton,
05:00 on le voit avec la loi immigration,
05:02 on le voit avec les politiques de plus en plus contraignantes
05:04 au niveau des personnes étrangères,
05:06 au niveau des personnes qui essaient justement d'avoir une vie digne,
05:09 on le voit à quel point ce n'est pas si ouvert que ça.
05:12 Et donc moi quand je vois ce silence autour de la charge raciale,
05:15 je veux investir ce silence, je veux poser des questions,
05:17 et je veux déranger justement.
05:18 L'expérience noire, elle est traumatique,
05:21 c'est une blessure, mais on n'est pas que ça.
05:24 Il y a une conception très sociologique de la condition noire,
05:27 on est conditionné à la souffrance, etc.
05:29 Mais il y a aussi la noirité, ce que moi j'appelle la noirité,
05:31 c'est cette force qui nous permet de nous reconnaître,
05:35 de partir aussi de boulots, de relations qui sont toxiques,
05:38 qui sont invivables pour nous,
05:40 c'est le fait de se retrouver aussi communautairement,
05:42 franchement j'emploie le mot adécent,
05:45 pour lécher nos plaies, pour se guérir,
05:47 pour faire silence politique aussi,
05:49 et ensuite venir avec un agenda qui est carré,
05:51 un agenda politique, médiatique, militant,
05:54 et après évidemment de manière concrète,
05:56 c'est se donner le droit de ne pas porter toute cette charge,
05:59 on n'est pas seul à lutter,
06:00 et ça pour moi c'est déjà un mouvement que je vois
06:03 à travers les réseaux sociaux,
06:05 on a beau les critiquer mais en termes de force de frappe,
06:07 c'est incroyable, c'est la nouvelle génération aussi
06:10 qui n'a clairement pas le temps,
06:11 qui pour elle ce n'est même plus une question de lutte,
06:13 en fait c'est l'évidence que de ne pas accepter le racisme,
06:17 tous les hismes, le validisme, le sexisme, l'homophobie etc.
06:21 et donc pour moi ça me donne de la force pour la suite,
06:23 et j'espère qu'avec ce livre ça va s'aimer,
06:25 ça va faire éclore d'autres études sur la question,
06:29 d'autres travaux qui vont allier le psychologique,
06:33 les affects et le politique,
06:35 parce qu'en France on a un peu de mal avec les affects,
06:37 avec les émotions, qu'on va enfin prendre au sérieux
06:39 nos expériences intérieures,
06:41 et qu'en fait on va faire éclore des révolutions.
06:44 *musique*
06:45 Colmini ! Colmini ! Colmini !

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