• il y a 8 mois
Anne Fulda reçoit Agathe Natanson pour son livre «Chantons sous les larmes» dans #HDLivres

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Transcription
00:00 -Bienvenue à l'heure des livres, Agathe Nathanson.
00:02 Alors, on vous connaît, vous êtes comédienne,
00:05 on vous a vu au cinéma, à la télévision, dans des séries.
00:08 Et là, vous écrivez un joli livre
00:11 qui s'appelle "Chantons sous les larmes,
00:13 lettres à Jean-Pierre Mariel", un livre qui est paru au Seuil,
00:16 un livre qui est donc adressé à Jean-Pierre Mariel,
00:19 qui fut votre grand amour, disparu il y a cinq ans.
00:23 Qu'est-ce qui vous a décidé à prendre la plume
00:27 pour vous adresser à lui ?
00:28 Quand avez-vous décidé cela ?
00:30 -Moi, j'aime écrire toujours des petits bouts, comme ça,
00:34 sur des tickets de métro, des petits bouts de nappes,
00:37 un petit carnet, j'ai toujours un petit carnet sur moi
00:40 où j'écris ce qui me passe par la tête,
00:42 et j'ai toujours aimé écrire des lettres,
00:45 j'écris encore à mes enfants de Paris à Paris
00:47 ou à des amis de Paris à Paris, donc j'aime les lettres.
00:50 Et quand Jean-Pierre est parti,
00:52 on m'avait demandé d'écrire un livre sur lui,
00:55 j'ai dit que je ne pouvais pas,
00:56 parce que c'est un Jean-Pierre intime,
00:59 c'est un Jean-Pierre qui n'est qu'à moi,
01:01 donc je ne pouvais pas écrire sur cet homme-là.
01:04 Et puis, comme évidemment, c'était un immense chagrin,
01:08 j'ai commencé à lui écrire des lettres
01:11 qui, à l'origine, n'étaient pas faites pour être publiées,
01:14 c'était juste pour lui dire ce qu'était ma nouvelle vie de veuve
01:18 et ma nouvelle vie sans lui et combien il me manquait,
01:21 mais c'était aussi, surtout, pour lui raconter cette nouvelle vie.
01:25 -Vous venez de prononcer ce mot, "veuve",
01:27 qui est un mot qu'on n'utilise plus guère.
01:29 Et vous écrivez, c'est assez joli,
01:31 "c'est très fragile, une veuve,
01:33 "comme une poupée qui a perdu son enfant roi,
01:36 "son protecteur, son tyran, parfois."
01:38 Comment ça se fait que ce terme gêne les autres, en fait ?
01:43 Ce terme et ce statut, d'ailleurs.
01:45 -Le statut, de toute façon, l'absent gêne aussi.
01:49 C'est un sujet tabou d'avoir perdu quelqu'un.
01:52 On ne peut quasiment pas en parler
01:54 parce que ça gêne les autres, ça les met dans un état d'embarras,
01:58 ils ne savent pas trop quoi dire.
02:00 Donc, petit à petit, il faut lutter
02:03 pour que l'absent ne disparaisse pas de nos vies
02:07 et continuer à dire son mot.
02:09 Je trouve que le mot de "veuve", ça dit bien ce que ça veut dire.
02:12 On est dans un état particulier et on est dans un monde à part,
02:17 le monde des veuves et des veufs, qui n'est pas le monde de tout le monde.
02:20 -Dans ces lettres dont vous évoquez votre complicité,
02:24 votre amour, vos soirées entre amis,
02:26 vous vous adressez à lui comme s'il était encore là.
02:30 Est-ce que c'est quelque chose que vous faites encore dans la vraie vie ?
02:33 On a l'impression de vous lire.
02:35 -Oui, je lui dis bonjour tous les jours,
02:38 je lui dis bonsoir tous les soirs.
02:40 Dans la journée, je pense à lui mille fois,
02:42 pour rien, pour tout, ou quelques fois, je ne pense pas à lui
02:45 parce que je suis trop occupée.
02:47 Mais je ne lui parle pas.
02:49 Dans la journée, dans la vie, je ne lui parle pas du tout,
02:53 à part bonjour et bonsoir.
02:54 Il est là, comme s'il était à côté de moi.
02:57 Là, il n'est pas très loin.
02:58 -Durant ces dernières années,
03:00 vos dernières années de vie en commun,
03:03 il a eu la maladie d'Alzheimer.
03:05 Face à cette maladie, vous avez eu, d'abord,
03:08 c'est ce qu'il avait souhaité,
03:10 une forme de désir, de repli, de déni.
03:12 -Oui, c'est-à-dire que lui n'a jamais su qu'il avait la maladie.
03:16 On n'a jamais parlé de maladie à la maison, ni ailleurs.
03:19 D'ailleurs, il a continué à vivre le plus longtemps possible,
03:23 normalement, si j'ose dire.
03:25 J'étais un peu sa béquille, j'étais tout le temps là.
03:28 Mais Jean-Pierre avait naturellement
03:30 une extravagance telle qu'on ne savait pas très bien
03:34 quand, effectivement, ça déraillait un peu,
03:36 si c'était son extravagance naturelle
03:39 ou si c'était la maladie.
03:40 Tous les gens étaient bienveillants autour de lui.
03:43 Donc, on n'a jamais eu à dire qu'il était malade.
03:46 -Est-ce que, pour vous, d'une certaine façon,
03:49 cette maladie ne vous a pas préparé à la suite ?
03:52 Il y a un moment où il n'est plus là, sans être là ?
03:55 -Pas du tout. C'est ça qui est bizarre.
03:58 Bien sûr que, les derniers temps, il n'était plus là, du tout.
04:01 C'est un deuil blanc. Il était absent totalement,
04:04 mais physiquement, il n'avait pas changé.
04:07 Physiquement, il était le même.
04:09 Et pas une seconde, j'ai pu penser que ça allait arriver.
04:12 Pas du tout. C'est ça qui est bizarre.
04:14 Je pensais qu'il allait rester,
04:17 mais je ne le souhaitais pas, certainement.
04:19 Je pensais qu'il allait rester comme il était.
04:22 Je pensais qu'il n'allait pas partir.
04:24 Et puis, brusquement, il est parti.
04:26 Brusquement. En 12 jours, c'était fini.
04:29 -Et alors, vous racontez, vous lui racontez,
04:31 finalement, votre vie sans lui,
04:34 votre vie que vous essayez de pimenter,
04:36 mais elle a perdu de sa saveur, même le goût des repas.
04:39 Il y a cette espèce de parabole de la boîte de sardines.
04:43 C'est assez amusant.
04:44 -Effectivement. Au début, c'est drôle,
04:46 parce qu'au début, enfin, drôle, si on veut,
04:49 je mettais deux couverts systématiquement
04:52 à tous les repas.
04:53 Et puis, petit à petit, j'ai lâché les deux couverts
04:56 et petit à petit, j'ai plus eu envie de manger.
04:59 C'est-à-dire que, seule, chez moi,
05:01 j'ai pas envie ni de déjeuner, ni de dîner.
05:04 Alors, je bricole un tout petit peu.
05:06 Effectivement, les sardines, c'est super,
05:08 parce qu'on ouvre la boîte.
05:10 On mange pas dans la boîte, on est civilisé.
05:13 Mais voilà, on ouvre une boîte de sardines et c'est fait.
05:16 On mange pas beaucoup de vaisselle,
05:18 c'est bon pour la peau.
05:20 -Vous, qui avez connu l'homme public et l'homme privé,
05:23 qu'aimeriez-vous qu'on retienne de lui ?
05:25 Quelle est la facette qu'on n'a peut-être pas perçue ?
05:28 -Je pense que c'est un homme qui, parfois,
05:31 pouvait un peu impressionner.
05:33 Il était grand, il avait une grande voix,
05:35 il avait quelque chose d'intimidant, je pense,
05:38 alors qu'en fait, c'était l'homme le meilleur du monde.
05:42 C'était un homme extrêmement généreux,
05:44 extrêmement bienveillant,
05:47 et avec jamais...
05:49 Même pas un mot méchant pour faire rire les autres.
05:52 Faire rire les autres, oui, mais jamais avec un mot méchant.
05:56 -Merci beaucoup, Agathe Nathanson.
05:58 C'est un très joli livre, "Chantons sous les larmes",
06:01 lettre à Jean-Pierre Mariel.
06:03 -Merci de m'avoir reçue.
06:05 ...
06:09 [SILENCE]

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