• il y a 8 mois
Dans cette vidéo je vous propose de mêler deux thématiques dont on parle souvent sur cette chaîne, les musées et les guerres. Cette fois-ci, on ne va pas vous parler d’un musée de la guerre, mais bien d’un musée en temps de guerre !

Écrit par Benjamin Brillaud et Julien Hervieux : https://www.youtube.com/@1OdieuxConnard

Montage : Thomas Bernaudin

➤ Retrouvez l'épisode dédié à l'histoire du Musée de Picardie :
https://dai.ly/x8ubkz4

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Transcription
00:00 Mes chers camarades, bien le bonjour ! Sur cette chaîne, je vous parle souvent de guerre
00:03 et de musée. Cette fois-ci, j'ai décidé de mêler les deux thématiques pour vous
00:07 parler non pas d'un musée de la guerre mais d'un musée en guerre. On a déjà abordé
00:11 l'an passé l'histoire du musée de Picardie et justement c'est un très bon exemple
00:15 d'un musée qui a su traverser les conflits en restant toujours debout, comme dirait un
00:20 chanteur français un peu connu.
00:21 Il faut bien comprendre une chose, la mission d'un musée est de protéger les œuvres
00:26 qu'il renferme. Et même en temps de paix, les menaces ne manquent pas. Vols, dégradations,
00:32 accidents, humidité, sécheresse et même insectes. Il y a beaucoup à faire et croyez-moi,
00:38 c'est pas évident.
00:39 Alors si c'est déjà tout un travail en temps de paix, imaginez un peu quand la guerre
00:44 s'en mêle. Et pour le coup, le musée de Picardie a traversé la guerre franco-prussienne
00:48 de 1870-1871, la première et la seconde guerre mondiale. On peut dire que si le musée était
00:55 un homme, il aurait un peu serré les fesses. Allez, direction 1870 pour faire le point
01:00 sur la situation.
01:01 La guerre arrive à Amiens en 1870, lorsque la France prend les armes contre le royaume
01:07 de Prusse. Et comme la guerre ne tourne pas vraiment à l'avantage des français, c'est
01:11 toute une armée prussienne qui se dirige sur Amiens et qui occupe la ville à partir
01:15 du 29 novembre 1870. Le président de la commission du musée, Charles Dufour, craint les pillages
01:21 des soldats ennemis, qui pourraient être tentés de se servir.
01:24 La décision est alors prise de cacher les œuvres ayant le plus de valeur.
01:28 La question étant où ? Parce que des œuvres, il y en a vraiment de toutes les natures et
01:35 certaines sont plus grosses que d'autres. Alors il faut pouvoir adapter la cachette
01:39 et le transport pour l'amener jusqu'à cette dernière.
01:41 A Paris, certaines œuvres ont déjà été évacuées des musées impériaux pour être
01:45 mises en sécurité, parfois jusqu'à Brest. Mais le musée de Picardie, qui est à cette
01:51 époque encore le musée Napoléon d'Amiens, est lui rempli d'œuvres qui doivent être
01:55 protégées coûte que coûte et c'est donc au sein même du bâtiment que Charles Dufour
01:59 va dissimuler autant de pièces majeures qu'il le peut, en espérant que les soldats prussiens
02:03 ne fouillent pas trop les lieux en profondeur. Mais à sa grande surprise, les Prussiens
02:08 ne pillent pas le musée et font quelque chose de plus étonnant. Ils s'y arrêtent, y
02:15 entrent et le transforment en hôpital militaire. Des lits sont dressés dans les salles du
02:22 musée où des toiles sont pourtant accrochées au mur. Les soldats prussiens se retrouvent
02:26 donc en convalescence dans les vastes salles du musée Napoléon avec pour décoration
02:30 deux chambres par exemple, une réplique à l'échelle 1/1 du « Radeau de la Méduse
02:34 » de Géricault.
02:36 Si vous avez déjà fait un séjour à l'hôpital, honnêtement, je doute que vous ayez le droit
02:40 au même luxe !
02:41 L'occupation va durer 237 jours, durant lesquels le musée fonctionne comme un véritable
02:47 petit hôpital prussien, avec son personnel qui va et vient, ses cuisines qui tournent
02:51 à plein régime et ses blessés qui peuvent flâner dans ce musée portant le nom de Napoléon.
02:56 Et vu qu'ils viennent de tous contribuer à défaire le dit Napoléon III, je pense
03:00 qu'ils ont dû en savourer l'ironie pendant un petit moment !
03:02 Finalement, le 22 juillet 1871, les Prussiens s'en vont. Mais vous vous doutez bien que
03:10 cela a laissé des traces. Les planchers ont été dégradés par les lits qui y ont été
03:14 traînés, les décors ont sérieusement souffert, et il faut des mois de travaux pour qu'enfin
03:19 le musée réouvre en 1872.
03:22 Et dès 1875, puisque la France est dénapoléonisée, le musée Napoléon devient le musée de Picardie.
03:31 Si vous pensez que le conservateur du musée va pouvoir souffler un peu, vous faites erreur.
03:35 Car en 1914, non seulement la première guerre mondiale éclate, mais une fois de plus, Amiens
03:42 est sur le chemin des armées allemandes.
03:43 L'Etat, mieux préparé, fait déjà rapatrier une partie des œuvres du musée à Paris
03:50 pour les mettre en sécurité. La ville connaît alors une première et très brève occupation
03:54 du 31 août au 11 septembre 1914, mais la bataille de la Marne oblige les troupes allemandes
04:00 à rapidement quitter Amiens sans avoir causé de dégâts.
04:02 En tout cas, pas dans le musée. Puisque non loin, les Allemands ont bombardé la cathédrale
04:08 de Reims, et s'en prendre à un monument, c'est s'en prendre à la culture.
04:12 L'événement a d'ailleurs un retentissement international et servira à la propagande
04:18 alliée durant toute la guerre, alors qu'en face, les Allemands accuseront justement les
04:22 Français de se cacher derrière leurs œuvres d'art.
04:27 L'art est donc à la fois acteur de la guerre par la propagande, mais aussi victime par
04:32 la destruction. Et hélas pour le musée d'Amiens, épargné jusqu'ici, en 1918 le front se
04:38 rapproche à nouveau dangereusement de la ville.
04:40 Et cette fois-ci, l'artillerie allemande entre en action contre la cité, ce qui complique
04:45 sérieusement la situation du musée de Picardie. Le 26 mars 1918, deux bombes tombent sur le
04:51 musée, détruisant plusieurs peintures et de nombreux dessins de la collection du toit,
04:56 très importantes pour l'histoire locale. Un mois plus tard, de nouveaux obus tombent
05:00 sur le musée et la mise en sécurité des œuvres devient plus urgente que jamais.
05:04 Quant aux pièces des collections du musée qui étaient pourtant supposées être en
05:09 sécurité à Paris, la ville ayant elle aussi subi des bombardements, il a fallu les évacuer
05:14 de nouveau, et cette fois-ci, jusqu'à Toulouse.
05:17 Au moins, là, on espère que les obus allemands, on les entendra pas, et si c'est le cas,
05:22 c'est que c'est mal barré. En tout cas, une question se pose toujours. Qu'est-ce
05:25 qu'on va bien pouvoir faire des œuvres qui sont encore proches du front et entreposées
05:29 au sein même du musée bombardé ?
05:30 C'est là qu'intervient un nouveau service fraîchement créé, le Service de Protection
05:35 et d'Évacuation des œuvres et objets d'art. Une unité de l'armée spécialisée dans
05:40 la sauvegarde du patrimoine en danger. Ces militaires interviennent dans les musées,
05:44 mais aussi dans les églises et les monuments, partout où des œuvres culturelles sont menacées
05:49 par la guerre.
05:50 Pour faire simple, une sorte de GIGN chargée de venir sauver la joconde quand elle est
05:54 en danger quoi !
05:55 Les hommes de cette unité dédiée au Front Nord se rendent donc à Amiens sur ordre du
05:58 ministère des Beaux-Arts pour évacuer les précieuses œuvres encore présentes au musée
06:02 de Picardie avant de les enfermer dans des dépôts plus sûrs, à l'écart du front
06:07 et bien gardés.
06:08 Par exemple, les peintures de Puvis, absolument monumentales et qui décorent le musée depuis
06:13 des décennies, sont démarouflées durant cette période. C'est à dire qu'on les
06:18 décolle pour les préserver. Une opération aussi impressionnante que délicate qui permettra
06:23 de sauver ce véritable trésor.
06:25 Les œuvres sont donc sauvegardées mais pas le bâtiment qui, bien que vide, est proche
06:31 de la préfecture et donc continue à subir les bombardements allemands qui abîment les
06:35 décors, les verrières et toute l'architecture des bâtiments du musée.
06:39 Le 11 novembre 1918, l'armistice trouve donc le musée inutilisable. Ses collections
06:46 ont été presque intégralement sauvées mais elles ne peuvent pas retrouver leur
06:50 place au musée et il faudra de longues années de travaux et de réparations pour qu'ils
06:54 découvrent enfin ce qui arrivera en 1922.
06:57 Comme vous pouvez le voir, le musée de Picardie n'a pas vraiment une histoire facile. Mais
07:03 comme vous l'avez deviné, c'est pas fini.
07:04 Et que le musée ne soit pas tiré d'affaires, quelqu'un d'autre l'a deviné. Cet homme,
07:09 c'est Albert Rose, le nouveau conservateur du musée de Picardie et célèbre sculpteur
07:14 de son état. En 1938, il sent bien que fort prochainement, on pourrait avoir besoin de
07:20 protéger à nouveau le musée et ses œuvres face à la guerre. Plan d'évacuation des
07:25 œuvres, mise en caisse, mesures de protection, Albert Rose prévoit toute une procédure
07:31 pour sauver les collections du musée et les bâtiments et grand bien lui en prend puisqu'en
07:35 1939 éclate la seconde guerre mondiale.
07:38 Le plan d'Albert Rose est mis en exécution et une partie des collections quitte le musée
07:45 pour être mise en sécurité dans différents lieux. Seulement voilà, la France capitule
07:51 et une fois de plus, Amiens est occupée. Et si en 1870, les Prussiens avaient installé
07:57 un hôpital dans le musée, cette fois-ci, ils y verraient bien… la Commandantour,
08:03 le siège des autorités militaires locales allemandes. Rien que ça. Albert Rose, qui
08:07 sait que le musée avait souffert de sa première occupation, fait tout pour empêcher ce projet.
08:11 Y compris dormir au sein même du musée pour que personne ne puisse y entrer sans son autorisation.
08:17 Et à force de négociations et d'utilisation de son influence, il parvient à éviter que
08:22 les Allemands n'installent leur quartier dans les murs dont il a la garde.
08:25 Mais la guerre n'est pas finie, il faut donc continuer à évacuer les œuvres, par
08:30 exemple pour les sauver des bombardements qui tombent sur la ville. Le musée est ainsi
08:35 entièrement vidé de son contenu en 1942 et parce que rien n'est jamais simple, il
08:39 faut de nouveau déplacer les œuvres lorsqu'à partir de 1944, le front s'ouvre à nouveau
08:45 en France, se déplace, cause des destructions et menace des dépôts d'œuvres.
08:50 Je vous l'ai dit, un musée en guerre, c'est toute une histoire et c'est pas facile
08:55 à gérer. Et d'ailleurs, c'est bien beau de parler d'évacuation et de préservation
08:58 des œuvres, mais concrètement, comment ça se passe ?
09:01 Pour commencer, il y a ce qui ne bouge pas, les bâtiments. Et pour les protéger, on
09:06 les fortifie tout simplement. Barricades aux fenêtres pour protéger du souffle des bombes
09:10 ou bien un montagne de sacs de sable, on fait avec ce qui est disponible. Des poutres peuvent
09:16 venir soutenir les éléments qui risqueraient de s'écrouler en cas de bombardement et
09:19 de manière générale, on renforce la structure du bâtiment. Les verrières, précieuses,
09:24 elles sont souvent démontées, mises en caisse et évacuées lorsque cela est possible.
09:28 Quant aux sculptures, on n'hésite pas à bâtir autour d'elles de véritables sarcophages
09:33 de bois au sein desquels les œuvres devraient résister à la plupart des chocs.
09:36 Et pour les éléments mobiles, on procède à des mises en caisse réalisées par des
09:41 experts qui décrochent et démontent tout ce qui peut l'être avant de le placer dans
09:45 des caisses rembourrées que l'on charge à bord de camions et de trains avant de les
09:49 envoyer vers des lieux de stockage. Ça peut être par exemple un château à l'écart
09:53 des bombardements, Albert Rose y a recours durant la seconde guerre mondiale. Cela peut
09:58 aussi être de véritables entrepôts souterrains capables de résister aux bombardements gardés
10:02 par l'armée et dignes de certaines scènes bien connues d'Indiana Jones.
10:07 Et ce genre de dispositif dont je vous parle n'appartient pas au passé. La France dispose
10:12 aujourd'hui encore de plans d'évacuation des œuvres et ils ont servi encore récemment
10:15 puisqu'en 2016, le Louvre y a eu recours pour la mise en sécurité préventive d'œuvres
10:20 en vue de la crue de la Seine.
10:23 Mais revenons donc au musée de Picardie, parce qu'il ne suffit pas de traverser les
10:28 guerres, il faut aussi pouvoir s'en remettre. Et si je viens de vous raconter comment le
10:31 musée a bravé trois conflits, ce n'est pas pour ça qu'il va pouvoir souffler un
10:35 peu, loin de la même.
10:37 Imaginez-vous, le musée et ses collections atteignent la libération pour se retrouver
10:42 au milieu d'amiens ravagés par les bombardements et qui n'est plus qu'un champ de ruines.
10:48 La ville doit se reconstruire pour entrer dans une nouvelle ère et le musée va l'y
10:53 accompagner sous l'influence du nouveau conservateur nommé cette année Robert Richard.
10:58 C'est lui aussi un conservateur de guerre, puisqu'il était jusqu'alors en charge
11:03 justement des dépôts de protection des œuvres du département de la Somme. Il est donc tout
11:08 désigné aussi bien pour rapatrier les collections qui sont dispersées sur tout le territoire
11:12 que pour relever le musée au milieu des ruines.
11:14 Sauf que déplacer des œuvres, ça prend du temps, beaucoup de temps. Et le musée
11:22 pendant ce temps là a quand même besoin de vivre. Alors comment va-t-il faire avec
11:25 des salles d'exposition qui sont incomplètes ? Robert Richard a bien sa petite idée !
11:30 D'abord en combattant ce vieux cliché qu'on croise parfois encore aujourd'hui, comme
11:35 quoi les musées seraient des lieux poussiéreux où il ne se passe jamais rien. Et pour ça
11:40 Robert Richard va donc multiplier les expositions, les vernissages vont devenir de véritables
11:44 événements où l'on se presse pour voir mais aussi pour être vu, ce qui n'est
11:48 sans doute pas pour déplaire aux élus locaux. Mais Robert Richard va plus loin, il va mettre
11:53 en place dans les expositions des œuvres d'art d'artistes locaux, d'enfants
11:57 et d'étudiants du département. Une stratégie payante puisque pour qu'une population s'approprie
12:02 un musée, le mieux reste de l'y exposer. Le conservateur va ainsi proposer un programme
12:07 culturel toujours plus riche, avec jusqu'à plus d'une dizaine d'expositions thématiques
12:11 par an, ce qui est beaucoup, mais aussi un programme novateur et varié. Et là on fait
12:16 le grand écart, un mois on propose au public d'admirer une collection de timbres et le
12:20 mois d'après, c'est des avions de collection, en passant par des photographies, des maquettes
12:25 et quantité de sujets qui amènent les visiteurs à se presser pour découvrir les nouveautés
12:29 du musée.
12:30 Quand les visiteurs, ils associent nouveauté et musée, on peut le dire, le pari est plutôt
12:35 réussi.
12:36 Notre conservateur pourrait s'arrêter là, mais je vous l'ai dit, c'est un homme
12:40 d'action qui ne se repose pas sur ses lauriers. Il va donc ouvrir le musée aux associations
12:44 culturelles locales pour lier le musée au paysage culturel d'Amiens et de la Somme
12:49 avant de lui-même sortir pour prendre la tête de l'association de la maison de la culture
12:52 dès sa création, puis de créer de nouveaux musées hors des murs du sien, comme le musée
12:57 d'histoire naturelle, celui d'art local, d'histoire générale, bref, rien ne l'arrête.
13:02 Au point que lorsqu'il trouve un théâtre de marionnettes à vendre, il le rachète pour
13:06 le faire entrer au musée et y organiser des représentations. Pour vous donner quelques
13:10 chiffres, en 1950, le musée n'accueillait que 9000 visiteurs par an.
13:15 7 ans plus tard, et grâce aux idées de Robert Richard, il accueille 42 000 visiteurs annuels,
13:22 presque 5 fois plus. Et ce, alors que les collections du musée sont incomplètes et
13:27 que leur rapatriement est toujours en cours et ne s'achèvera qu'en 1960, 15 ans après
13:33 la guerre.
13:34 Lorsque Robert Richard quitte ses fonctions en 1978, sa mission est accomplie. Le musée
13:40 de Picardie s'est remis de la guerre et il est plus dynamique que jamais. Ses bâtiments
13:44 ont été modernisés, ses expositions sont prisées, mais Robert Richard a tellement
13:50 innové que ses projets ont fait de l'ombre aux collections permanentes du musée. Ce
13:53 qui est quand même ballot. Et c'est donc à la nouvelle conservatrice, Véronique Allémanie,
13:57 que va revenir la mission de mettre en valeur les richesses du musée, mais désormais en
14:02 temps de paix.
14:03 Trois guerres, deux occupations, des bombardements, des évacuations, le musée de Picardie c'est
14:09 vraiment la preuve qu'un musée, c'est pas seulement un lieu pour raconter l'histoire,
14:13 c'est aussi un lieu où elle s'écrit, où elle se déroule.
14:16 Et ça, j'espère que vous l'aurez apprécié dans cette vidéo.
14:18 Merci au musée de Picardie et à Somme Tourisme pour ce partenariat, merci à Julien Hervieux
14:23 de la chaîne "Un Odieux Connard" pour la préparation de l'émission, on se retrouve
14:26 très bientôt sur la chaîne pour un nouvel épisode, salut !
14:29 [Musique]

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