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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Ah mais c'est vous Marguerite Caton, bonjour !
00:08 Bonjour Guillaume et bonjour à tous.
00:10 Faux malade et vrai escroc ce matin.
00:13 Imaginez un vaste coffre-fort rempli de 250 milliards d'euros environ.
00:18 Spontanément vous l'équipez de codes, de verrous.
00:21 Otez tout cela, on est dans un système basé sur la confiance.
00:25 Pour accéder à cet argent, vous n'aurez qu'à vous enregistrer à l'accueil et déclarer
00:28 combien on vous doit bienvenue à l'assurance maladie.
00:31 Bonjour Franck Bien.
00:32 Bonjour.
00:33 Vous êtes maître de conférence en économie à l'université Paris Dauphine.
00:36 Merci beaucoup d'être venu ce matin.
00:38 Ce qui ressort du rapport publié il y a quelques jours par l'assurance maladie,
00:41 c'est que la fraude est majoritairement le fait désassuré à 54%,
00:46 mais que ce n'est pas celle qui coûte le plus cher.
00:48 Sur les 466 millions escroqués, moins de 20% sont le fait désassuré.
00:53 Comment expliquer ce contraste ? Quelles sont les principales tactiques ?
00:56 Avant de répondre à cette question, je tiens à préciser plusieurs éléments.
01:00 Tout d'abord, la fraude à l'assurance est quelque chose de vieux comme le monde.
01:03 Déjà 2000 ans avant l'an 0, le roi Mourabi avait mis sur ses stèles
01:08 qui représentaient le pouvoir politique, comment régler ces problèmes de fraude à l'assurance ?
01:13 C'est-à-dire qu'un caravanier perdait sa marchandise, un capitaine de bateau perdait son bateau.
01:18 Était-il responsable ou non ?
01:19 Pour répondre à cette question de fraude à l'amoral, il y avait juste une seule réponse.
01:23 On devait jurer devant Dieu qu'on n'était pas responsable.
01:25 Dans ce cas-là, la solidarité s'exprimait, c'est-à-dire qu'on remboursait la cargaison, le bateau, les chameaux, et ainsi de suite.
01:32 Je vous donne juste un exemple de la fraude assez amusante.
01:34 Aux États-Unis, Jacques Roy, médecin à Texas, a escroqué l'assurance santé de 375 millions de dollars américains.
01:41 Il s'est donc vu condamné à 35 ans de prison et a eu un montant de 268 millions, bien inférieur à la fraude.
01:48 Ce qui, ici, pose problème, c'est-à-dire est-ce que cela désincite à frauder, en fin de compte ?
01:55 Après, on revient sur le niveau monétaire de la fraude à l'assurance maladie, comme on l'avait énoncé.
02:00 Il est mesuré à 466 millions d'euros pour 2023.
02:03 Il a plus que triplé depuis 2012.
02:05 Il s'est avéré que la fraude, plus elle est recherchée, plus on la mesure.
02:09 Et est-ce que cette augmentation que l'on voit ici, assez exceptionnelle, c'est vrai en valeur absolue, l'est-elle également en valeur relative ?
02:16 Si on prend en compte les dépenses courantes de santé qui s'élèvent à 316 milliards d'euros, à ce montant de fraude de 466 millions d'euros,
02:26 on a une fraude de 0,15% en montant, ce qui est relativement faible.
02:30 Mais si on utilise le rapport des cours des comptes, c'est vrai qu'il y a un rapport un peu à la louche,
02:34 parce qu'on ne sait pas réellement mesurer la fraude.
02:36 On se rend compte que le montant de la fraude, c'est à peu près de 4 milliards d'euros, ce qui représente à peu près 2%.
02:42 Donc là on se rend bien compte qu'on a un niveau de fraude qui peut commencer à questionner, parce qu'elle devient faible mais relativement importante,
02:49 puisqu'à partir d'un certain moment, si le montant de la fraude devient trop élevé, on va être dans un changement de normes.
02:55 C'est-à-dire que les gens qui étaient plutôt honnêtes peuvent devenir corrompus, parce que tout le monde devient corrompu.
03:01 Vous voulez dire qu'on va se dire "tout le monde le fait, donc moi aussi je vais profiter un peu du système".
03:05 Venons-en à nos assurés, comment fraudent-ils ?
03:08 Comment un assuré peut-il frauder ? Il peut aller sur internet, acheter un kit pour écrire un faux certificat médical,
03:14 il peut demander "Roland Garros arrive, un certificat médical pour regarder les matchs à la télé, le road-foot et ainsi de suite".
03:20 Mais c'est vrai que la fraude des assurés, en montant, est plutôt faible.
03:24 Oui, donc c'est plutôt du côté des professionnels qu'il faut chercher les malversations.
03:28 Ce qu'il faut comprendre, Franck, bien, c'est que l'architecture même de notre système de santé se révèle extraordinairement propice à la fraude.
03:34 Premier exemple, les actes intégralement pris en charge par la Sécurité Sociale, le patient n'a aucun frais à avancer,
03:40 le professionnel déclare et facture ce qu'il veut à l'assurance maladie sans aucun contrôle.
03:45 C'est ce qu'on a observé notamment sur les prothèses auditives, je crois.
03:48 Oui, tout à fait. Mais c'est vrai, comme vous le rappelez, le système de santé est très complexe,
03:52 parce que déjà, tout d'abord, on est, comme le disait Haro dans son article séminal, on est dans un monde d'incertitudes multiples.
03:59 Le patient va voir son médecin, il reporte mal ses symptômes, la pathologie, on peut avoir des signaux différents pour une même pathologie et ainsi de suite.
04:07 Et en de plus, la prestation qui est offerte est un bien de confiance.
04:11 C'est-à-dire que même après consommation, on n'est pas en mesure de certifier la qualité réelle de la prestation perçue.
04:18 Donc, tout ceci explique pourquoi la fraude peut s'insérer dans ce système là, qui est vulnérable par ces multiples incertitudes.
04:25 Si on revient maintenant à notre problème d'audioprothèses, qui est un exemple assez phare, qui est souvent cité,
04:31 dès 2015, des sites spécialisés alertaient déjà sur les possibles fraudes à audioprothèses.
04:36 Je vous prendrai juste un exemple. Pour les audioprothèses, dans la Seine-Saint-Denis, en 2022-2023, on a eu plus de 8 millions d'euros de fraudes.
04:45 Là, c'était bien entendu, on a contrôlé Expost 200, très important, sur lequel il y avait une escroquerie en bande organisée.
04:53 C'est ça qu'il faut voir. Vous allez avoir deux types de fraudes, l'escroquerie en bande organisée et la fraude qui vient d'un médecin qui va surfacturer,
05:00 qui va faire un peu plus d'actes pour augmenter ses revenus. Tout ceci est condamnable.
05:04 Mais aujourd'hui, il faut quand même lutter très fortement contre cette fraude en bande organisée,
05:08 puisque les montants sont très élevés, 2 millions, 3 millions, 20 millions d'euros pour certaines enseignes, dont je terrai les noms, pour lesquelles on les a déconventionnées.
05:17 Et donc, pourquoi l'audioprothèse est-elle le symbole de cette fraude généralisée ?
05:21 C'est parce que si vous regardez, si on achète un appareil fait en France, le coût est à peu près de 300 euros, il est vendu en moyenne 1 500 euros, donc la marge est de 1 200 euros.
05:30 Oui, donc c'est vraiment assez lucratif, vous l'avez dit, c'est important.
05:33 Il y a d'une part une criminalité organisée qui se met dans les failles du système, d'autre part les petites malhonnêtetés des professionnels de santé.
05:40 Et là, on trouve d'ailleurs une autre vulnérabilité de notre système, c'est la tarification à l'acte.
05:46 Vous l'avez dit, on peut surfacturer un acte, voire faire des actes inutiles ou carrément déclarer des actes fictifs.
05:53 Et le tout dans un contexte où on manque de soignants, donc on a tendance à conventionner d'abord et puis après peut-être à contrôler.
06:00 Ce qu'on voit aujourd'hui, c'est une pression de plus en plus importante sur l'assurance maladie pour qu'elle exerce des contrôles.
06:06 Quels sont ces moyens ? Quelles sont les méthodes ?
06:08 Donc ici, déjà, pour la fraude, la repérie, il faut mettre en place des techniques de sondage.
06:14 Il y en a trois qui sont prises en compte. C'est plutôt loin détaillé, donc je n'insisterai pas là-dessus.
06:19 Mais malgré tout, on va raisonner par sondage, par comparaison.
06:22 Et après, une fois qu'on a ces éléments de faisceau de preuve, il faut avoir la preuve réelle.
06:28 Donc là, comment fait-on pour une audioprothèse ?
06:30 Il faut téléphoner à l'ensemble des personnes que l'on suspecte de ne pas l'avoir reçue, pour lequel il y a eu déclaration d'impayment et paiement réalisé.
06:37 En gros, l'assurance santé, comme on l'a dit, c'est une architecture très complexe.
06:42 On a plus d'un milliard d'actes réalisés. On ne peut pas tous les contrôler.
06:46 Donc, il va falloir faire des sondages aléatoires. Et c'est vrai que ceci va limiter un peu la portée.
06:51 Est-ce que le monde politique a pris conscience de la fraude qui existe depuis très longtemps ?
06:55 Déjà, le Figaro, en 2013, parlait de la fraude. Et en 2024, on dit voilà, on a des résultats exceptionnels contre la fraude.
07:01 Mais peut-être qu'on partait de très bas en termes de contrôle.
07:04 C'est ce que dit la Cour des comptes. Elle dit que la science maladie n'a jamais essayé de contrôler dans son rapport de 2020.
07:09 Et là, elle s'y est mise et elle voit les montants arriver.
07:11 Et même, voilà, elle s'y est mise. On se rend compte que le montant de la fraude, c'est 4 milliards estimés pour la fraude sociale, 80 milliards estimés pour la fraude fiscale.
07:19 Mais malgré tout, la Cour des comptes rappelle encore aujourd'hui, et pointe ce fait très important, l'État n'est pas en mesure d'évaluer la fraude aujourd'hui.
07:26 Ce que vous dites, c'est que c'est quand même très compliqué de contrôler. On fonctionne par sondage.
07:30 Peut-être que l'intelligence artificielle est censée être une piste ? Qu'en pensez-vous ?
07:33 Oui, l'intelligence artificielle permettrait de contrôler peut-être la totalité des feuilles de son et des codages, bien entendu.
07:38 Alors là, c'est une piste. Sinon, il y a l'autre piste, mais c'est du côté désassuré. C'est la fusion carte vitale, carte d'identité. Ça, c'est en cours, je crois.
07:44 Oui, ça, c'est en cours. Et ça permettrait de limiter l'usurpation d'identité. Mais on pose la question, pourquoi une personne est obligée d'usurper l'identité d'un autre pour se faire soigner ?
07:53 Peut-être est-ce un problème de couverture pour certaines personnes également.
07:56 Et on retourne sur ce qu'on disait au début, c'est que la fraude désassurée n'est quand même pas le principal problème.
08:00 Merci beaucoup, Franck Bien. Je rappelle que vous êtes économiste, maître de conférences à l'Université Paris Dauphine. Merci.