• il y a 8 mois
Dans ses interviews, Sophie de Menthon, présidente du mouvement patronal Ethic, se met dans la peau des patrons...

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00:00 -Bonjour, Philippe Grodner.
00:01 Bienvenue dans "Patrons en question".
00:04 Je suis vraiment contente de vous avoir,
00:06 parce que vous représentez tout ce que j'aime.
00:09 Une entreprise familiale,
00:11 une collection de lingerie éblouissante,
00:14 un développement incroyable,
00:16 et tout a commencé avec votre mère.
00:18 -C'est exact.
00:20 1948, une jeune corsetière,
00:23 à l'époque, c'était le mot qu'on employait,
00:26 ouvrière à domicile, décide, après la Seconde Guerre mondiale,
00:29 de créer son entreprise.
00:31 L'aventure démarre.
00:32 -C'est génial. Elle avait fait des études de mode ?
00:35 -Non, nous avons juste un diplôme,
00:38 car elle était d'un milieu modeste,
00:40 et nous avons un diplôme de corsetière de 1935,
00:43 encore au bureau.
00:44 -Je crois que votre père était un bon gestionnaire.
00:47 -Il s'était marié en 1945,
00:50 et trois ans après, il a dit à ma mère,
00:52 "Au lieu de fabriquer pour les autres,
00:55 "chez toi, pourquoi tu le fais pas à ton compte ?
00:58 "Tu es assez doué dans ce métier,
01:00 "tu créeras les produits et moi, je les vendrai."
01:03 L'histoire a commencé comme ça.
01:05 -C'est une très belle aventure,
01:07 car typiquement, la lingerie féminine, etc.,
01:10 ça a évolué du corset au soutien-gorge.
01:14 Donc, vous avez une vraie sensibilité
01:17 sur la mode, sur ce qui se passe.
01:19 -Il faut être visionnaire, pour ne pas exagérer,
01:22 sans exagérer les mots.
01:24 Pourquoi ? Parce que la lingerie touche au corps de la femme.
01:28 La lingerie a un lien avec la sociologie.
01:30 -Eh oui ! -Les années 50, c'était Bardot,
01:32 puis il y a eu mai 68,
01:34 Jane Birkin. -Jane Birkin !
01:35 -On l'a dit en même temps. -C'était la chudée.
01:38 -On jetait le soutien-gorge par la fenêtre.
01:41 Il a fallu, à chaque fois, que ma mère ait ce talent
01:44 d'anticiper ces évolutions sociologiques
01:46 et adapter ses collections en fonction des modes.
01:49 C'était plus que des modes, c'était des mouvements de fond.
01:53 Aujourd'hui, on est plus à MeToo et à d'autres mouvements,
01:56 mais on pourrait même aller jusqu'à là,
01:58 même si c'est très excessif.
02:00 La lingerie est un produit que je qualifierais
02:03 de sociologique. -C'est le fureux, presque.
02:05 -C'est le fureux, mais aussi très sociologique.
02:08 -Vous avez baigné là-dedans.
02:10 Et donc, à 20 ans, parce que vous avez aimé cette entreprise,
02:14 et c'est vous qui l'avez développée,
02:16 mais à 20 ans, vos petites amies vous inspiriez
02:19 pour faire des castings.
02:20 Comment ça se passait ? -Non, malheureusement, non.
02:24 J'étais très cadré dans notre famille.
02:26 J'avais une grande sœur, j'ai toujours une grande sœur,
02:29 qui a pris un peu le rôle de ma mère,
02:31 bien qu'elle n'ait pas repris la partie créative,
02:34 mais elle supervisait tout ça.
02:36 Dans la famille, les hommes n'avaient pas le droit,
02:39 malheureusement, d'assister au casting.
02:41 C'était comme ça. MeToo n'existait pas,
02:43 mais on n'avait pas besoin.
02:45 -Ce qui me fascine complètement, combien de pays dans le monde ?
02:49 -Une quarantaine. -40 ?
02:51 -Une quarantaine de pays. -A peu près combien de boutiques ?
02:54 -15 filiales commerciales, une centaine de boutiques
02:58 à l'enseigne, aujourd'hui,
02:59 et 80 % de notre chiffre d'affaires à l'exportation.
03:02 -C'est très intéressant.
03:04 Vous exportez, et on est très contents,
03:06 car notre balance de commerce extérieur,
03:09 on sait ce qu'il en est, mais vous fabriquez où ?
03:12 -Nous fabriquions en France, historiquement,
03:14 mais entre nous, pas de langue de bois.
03:16 Aujourd'hui, ce n'est plus possible, depuis longtemps,
03:20 car nous sommes des industries de main-d'oeuvre,
03:22 même les Japonais n'ont pas su inventer de robots
03:25 qui fassent des soutiens-gorges.
03:27 Nous fabriquons au Maghreb et dans l'océan Indien,
03:30 mais toute la création et toutes les matières premières
03:33 sont européennes.
03:35 -En plus, on est le pays de la lingerie,
03:37 de la broderie, la dentelle de Calais.
03:39 Je crois que c'est nous qui symbolisons ça.
03:42 -Absolument, et ça le reste encore vrai,
03:44 simplement, aujourd'hui, l'assemblage du produit lui-même
03:48 compte pour l'essentiel du prix de revient.
03:50 Je dis souvent qu'il faut réconcilier
03:52 le citoyen et le consommateur.
03:54 -La citoyenne et le consommateur.
03:57 -La citoyenne et la consommatrice,
03:59 c'est-à-dire celle qui ne veut pas trop dépenser,
04:02 mais en même temps, qui voudrait qu'on fabrique en France.
04:06 -Quel est le secret de plaire ?
04:07 C'est très difficile, dans les sous-vêtements.
04:10 En plus, la femme moderne, aujourd'hui,
04:12 elle prend un truc dans son tiroir.
04:15 -Il y a deux critères fondamentaux.
04:17 Il y a effectivement ce critère du plaisir ou de la séduction,
04:21 mais il y a aussi le critère du confort,
04:23 parce qu'il y a un rôle physiologique.
04:26 Une femme porte un soutien-gorge de 12 heures par jour,
04:29 voire plus, donc il faut qu'elle soit confortable,
04:32 qu'elle l'oublie en même temps,
04:34 et selon les événements de sa vie,
04:36 selon les moments de la journée,
04:38 elle peut porter une lingerie différente.
04:40 -Vous pensez à la femme sportive,
04:43 à la femme qui s'en fiche,
04:45 à la bimbo qui ne pense qu'à ça ?
04:47 Vous les prenez en ligne de compte.
04:49 -Oui, on les prend en ligne de compte,
04:52 et j'irai plus loin aussi,
04:53 puisqu'on parlait il y a quelques minutes de sociologie,
04:56 on prend aussi les différences culturelles.
04:59 Le monde latin est beaucoup plus sensible,
05:01 par exemple, aux broderies à la couleur,
05:04 alors que le monde anglo-saxon s'en fiche beaucoup plus
05:07 et va chercher des choses pas transparentes,
05:10 pleines, beiges, noires, beaucoup plus classiques.
05:13 Selon les pays où nous exportons,
05:15 nous adaptons nos collections pour répondre à cette typologie.
05:18 -Est-ce que vous allez...
05:20 C'était un fleuron de l'industrie française.
05:24 J'ai envie de dire que c'est plus de l'industrie française,
05:27 c'est un fleuron de la mode.
05:29 Vous faites des maillots de main magnifiques.
05:32 Vous avez diversifié encore ?
05:34 -Lingerie de nuit, home wear, beaucoup,
05:36 car aujourd'hui, le cocooning,
05:38 c'est une tendance très importante dans la sociologie.
05:41 -Ca a été bon pour vous ? -Très bon.
05:43 Très bon quand on nous a laissé rouvrir nos boutiques.
05:46 C'était un peu compliqué,
05:48 encore que c'était la bonne période pour développer le e-commerce.
05:52 Mais en dehors du e-commerce,
05:54 on développe beaucoup de collections maintenant pour le chez-soi.
05:57 -C'est intéressant. Au moins, il y a eu des secteurs d'activité...
06:01 -Qui ont très bien rebondi.
06:03 -Est-ce que vous avez perdu l'espoir de rouvrir vraiment de l'industrie ?
06:08 Est-ce qu'on peut, puisqu'on ne parle que de ça,
06:11 réintégrer des usines ?
06:12 Le coût de la main-d'oeuvre, effectivement, est très lourd.
06:16 -C'est compliqué,
06:17 parce que nous essayons d'intégrer un maximum de métiers en France,
06:21 mais l'assemblage, c'est très difficile de le réintégrer en France.
06:25 Nos simulations nous laisseraient à penser
06:28 que nous serions prêts de tripler le prix de vente de nos produits
06:32 si nous devions les fabriquer en France.
06:35 -Alors à quoi c'est dû, ça ?
06:37 -C'est dû au poids des salaires et surtout des charges sociales en France,
06:41 qui pèsent très lourd,
06:43 même comparé à d'autres pays européens,
06:46 dans notre prix de revient.
06:48 Nous, parce que nous sommes entreprise familiale,
06:51 on a réussi à monter ces usines à l'étranger
06:53 sans faire de plan social,
06:55 parce qu'on avait de la croissance
06:57 et qu'on l'a fait en nous développant, tout simplement.
07:01 Mais aujourd'hui, réintégrer cette partie
07:03 de la fabrication de nos produits en France,
07:06 serait nous priver d'une part de marché considérable.
07:10 -Alors quel serait, pour conclure,
07:12 votre souhait pour votre entreprise ?
07:15 Est-ce que ce serait, effectivement,
07:17 qu'il y ait une diminution très forte des charges sociales
07:21 pour vous réimplanter ?
07:23 Est-ce que ce serait une facilitation du commerce extérieur ?
07:26 Quel serait, pour vous, l'essentiel d'une réforme ?
07:30 -Je pense que le poids des réglementations
07:33 et le poids notamment des charges...
07:35 En France, c'est considérable.
07:37 Nous, on s'est développé à l'exportation,
07:40 on n'a eu besoin de personne, pas d'aide.
07:42 On y est allés, et voilà, on y est allés,
07:45 on a plutôt réussi, on s'est implantés
07:47 dans une vingtaine de pays,
07:49 et c'est pas l'Etat qui est venu à notre aide.
07:52 Par contre, quand on se compare à la moyenne européenne,
07:55 on a encore un poids de charge beaucoup plus lourd
07:58 et qui pèse sur le prix de revient global de nos produits.
08:02 Donc, si on devait agir,
08:03 je pense qu'un des leviers serait celui-là.
08:06 -Alors, vous avez droit à une réponse en oui ou non.
08:10 -Bien.
08:11 -Ce qui m'a intéressée dans tout votre parcours,
08:15 et je voudrais savoir, si c'était à refaire,
08:18 est-ce que vous pensez que le fait de travailler en famille,
08:21 d'avoir une entreprise familiale, c'est un plus,
08:24 ou est-ce que, si c'était à refaire, vous auriez diversifié ?
08:27 Donc, oui ou non, est-ce un plus que de tout faire en famille ?
08:31 -Alors, oui, définitivement, oui, c'est un plus,
08:34 parce que je continue,
08:35 maintenant que j'ai passé la main à la 3e génération,
08:38 dans la défense du modèle de l'entreprise familiale
08:41 à travers une association internationale
08:43 qui s'appelle le Family Business Network,
08:46 et qui est au service de ces familles entrepreneuriales
08:49 pour les aider à développer leurs entreprises.
08:52 -Ecoutez, c'est le mot de la fin.
08:54 Merci infiniment.
08:55 On va s'appliquer à travailler en famille.
08:58 -Merci. Je suis tout à fait d'accord.
09:00 (Générique)
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