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00:00 * Extrait de « La vie de la vie » de Nicolai Herbeau *
00:19 Place à la critique et place aujourd'hui à deux livres noirs, un polar, cannibale,
00:24 sur fond d'Amérique Trumpiste et anti-vax.
00:26 C'est le dernier Stephen King et il s'appelle « Oli » et un thriller historique dans l'Italie fasciste des années 40.
00:33 C'est « Dans la maison de mon père » de Joseph O'Connor et je crois qu'on a tous adoré cette table.
00:38 On va en débattre, Géraldine, avec Élise Lépine, journaliste littéraire au point.
00:42 Bonjour Élise.
00:43 Bonjour.
00:44 Face à vous, François Angelier.
00:45 Bonjour François.
00:46 Bonjour.
00:47 Vous êtes producteur de l'émission Obligé en France Culture.
00:48 Absolument.
00:49 C'est le dimanche à 15h et critique littéraire au Monde des Livres.
00:52 Soyez tous les deux les bienvenus dans les Midi de Culture.
00:55 Et on commence avec « Oli » de Stephen King, sorti aux éditions Albain Michel.
01:06 C'est une vieille ville qui n'est plus au mieux de sa forme.
01:11 A l'image du lac au bord duquel elle a été construite, il reste quelques quartiers bien conservés.
01:16 Les habitants de longue date seraient sans doute d'accord pour dire que Sugar Heights
01:20 est le plus joli d'entre eux et que la plus jolie rue est Ridge Road qui signe en pente
01:25 douce de Belle Collège, l'université de lettres et de sciences, à Deerfield Park,
01:29 3 kilomètres plus bas.
01:30 En chemin, Ridge Road longe beaucoup de demeures cossues, dont certaines appartiennent à des
01:34 professeurs d'université et à quelques notables locaux, médecins, avocats, banquiers
01:39 et cadres supérieurs en haut de l'échelle.
01:42 Voilà, le cadre est posé.
01:43 Une petite ville du Midwest, un quartier aisé, des universitaires vieillissants.
01:48 Derrière les jolies maisons victoriennes se cache pourtant l'horreur.
01:52 Évidemment, on est chez Stephen King.
01:54 Des disparitions sans lien apparent ponctuent les années dans ce quartier.
01:58 Profs de fac, bibliothécaires ou skaters boutonneux ont comme du jour au lendemain
02:02 été effacés des radars.
02:04 De quoi éveiller la curiosité de Holly que les fans de King connaissent déjà.
02:08 Cette quinca accro aux clopes en prise avec une mère toxique est une inspectrice hors-pair.
02:14 Sur fond d'Amérique Trumpiste et avec moult discours anti-anti-vax, on retrouve tous les
02:20 ingrédients d'un bon et gros Stephen King.
02:22 Avec cette particularité, on connaît les assassins dès le début.
02:26 De quoi tuer le suspense ou l'augmenter ? Qu'en avez-vous pensé ?
02:30 Elise Lépine.
02:31 Alors, moi j'ai apprécié cette lecture.
02:34 J'ai passé un très bon moment à lire ce gros pot-là parce que c'est un pavé.
02:37 520 pages.
02:38 520 pages et on en a pour son argent quand on lit les 520 pages.
02:42 On est attrapé dès le début.
02:43 C'est vrai qu'on sait dès le départ qui tue et pourquoi.
02:47 Et qui a été kidnappé par ces deux tueurs grabataires qui en fait mangent des gens pour
02:53 retrouver une jeunesse.
02:54 Ils sont complètement complotistes, persuadés qu'en mangeant de la jeune chair, ils ne
02:58 vont pas mourir.
02:59 J'ai trouvé qu'on était embarqué.
03:02 C'est plutôt malin de réussir à nous tenir en haleine sur autant de pages en nous donnant
03:07 d'emblée le nom des criminels, leur mode opératoire et puis qui sont les victimes
03:13 etc.
03:14 L'enjeu du livre c'est de savoir si Holly va arriver, comment est-ce qu'elle va déterminer
03:18 qui sont.
03:19 Elle part sur plein de fausses pistes, elle fait des erreurs etc.
03:21 C'est une héroïne attachante qui a ses failles, qui vient de perdre sa mère du
03:24 Covid etc.
03:25 Donc ça c'est intéressant.
03:26 Après moi qui suis, il faut le dire, une fétichiste de Stephen King.
03:32 Je l'ai adoré quand j'étais adolescente et je l'ai adoré pas seulement parce qu'il
03:36 m'a apporté des grands moments de lecture, de frissons etc.
03:38 Mais aussi parce qu'il m'a apporté des clés pour affronter le monde.
03:41 Quand je lisais Miséry, quand je lisais Carrie, quand je lisais Jessie ou les autres
03:46 ou ça ou Cimetière etc. ou Shining, je comprenais et je n'avais pas le droit de les lire
03:51 ces livres.
03:52 Mes parents n'étaient pas trop d'accord.
03:53 Donc je les lisais en cachette sous ma couette.
03:55 Et en fait je trouve qu'il était en avance sur son temps parce qu'il nous disait qu'est-ce
04:00 que c'est qu'être une femme dans un monde violent où les femmes sont les premières
04:03 à souffrir des violences masculines.
04:05 Qu'est-ce que c'est que s'assumer et rester forte face au harcèlement.
04:08 Il brisait le tabou des règles, il parlait de violences conjugales, il parlait de comment
04:13 on se sent quand on est comme ça, crispé sur soi-même dans un monde qui est dur.
04:17 Et moi ça m'a bouleversé, ça m'a donné de la force et ça m'a donné une colonne
04:20 vertébrale.
04:21 Ça a été très important.
04:22 Je pense qu'aujourd'hui une adolescente de 13 ou 14 ans qui va lire Holly ne trouvera
04:26 peut-être pas cette lecture du monde qu'on avait dans la façon dont il allait vers l'extrême
04:32 avec le gore, avec la violence, avec l'horreur.
04:34 Là je trouve que son discours, c'est comme s'il voulait se racheter de faute qu'il
04:38 n'avait pas commise.
04:39 Comme si d'un coup il disait "je vais porter une morale" alors qu'il la portait déjà
04:43 dans la transgression.
04:44 Il nous donnait déjà des clés.
04:46 Là aujourd'hui il parle du Covid, beaucoup dans son livre.
04:49 Toutes les trois pages, les antivax sont des méchants, il faut porter son masque, l'héroïne
04:54 met bien son masque, elle se lave les mains, etc.
04:55 Et transgression ultime, cette femme elle fume.
04:59 Holly elle allume des cigarettes.
05:00 Chaque fois qu'elle allume une cigarette aussi, toutes les deux ou trois pages, elle
05:03 a un frisson de culpabilité et on comprend que voilà.
05:07 Alors que quand on pense aux anciens livres, à Jesse par exemple, où on avait un nécrophile
05:11 qui arrivait avec un sandwich avec une langue humaine de cadavre à l'intérieur et que
05:15 l'héroïne mangeait son sandwich sans savoir que c'était une langue humaine.
05:18 Il se passait quelque chose.
05:20 C'était horrible.
05:21 C'était horrible et en même temps ça disait quelque chose du monde.
05:23 Là c'est moins horrible, il est quand même plus en sourdine sur l'horreur.
05:26 Et en même temps ce qu'il nous dit du monde, c'est un discours un peu moraliste.
05:30 Donc vous trouvez qu'il est devenu moralisateur tout en perdant de sa transgression et de
05:35 tout son horreur.
05:36 C'est la transgression qui je trouve donnait l'impulsion de ce qu'on pouvait comprendre
05:41 de la grille de lecture du monde qui nous donnait, qui était aussi moraliste à l'époque.
05:44 Il disait des choses sur les violences, sur les rapports entre hommes et femmes.
05:47 Il a toujours dénoncé les mots de la mère.
05:49 Il n'a jamais commis de faux pas.
05:51 Stephen King, moi je repense à ses livres, il n'a pas été sexiste, il n'a pas été
05:56 au contraire.
05:57 Il a porté un flambeau avec cet aspect horrifique.
06:01 Là, bon, on lit un très bon livre.
06:03 On est très embarqué.
06:05 On ne perd pas de sous si on les dépense dans une librairie pour acheter ce livre.
06:08 Mais si on veut avoir le frisson de Stephen King, il faut lire Shining, Miséri, Carrie,
06:14 etc.
06:15 - Et pas Holly.
06:16 - Et il faut lire Holly.
06:17 - Parce que c'est bien, je le prononce comme si on allait au lit.
06:19 - On peut lire dans son lit.
06:20 On peut lire Stephen King au lit.
06:21 Mais essayez bien de lire Holly, ce livre-là.
06:24 Mais je pense qu'il ne faut pas commencer par ce livre.
06:28 - François Angelier.
06:29 - Oui, je suis d'accord avec Élise qui a à peu près tout dit.
06:32 - Ah bah oui, mais il reste encore du temps.
06:34 - Non, je suis tout à fait d'accord avec son analyse.
06:38 Il est sûr que King, cinquantième roman, 200 nouvelles, un nombre considérable d'adaptations.
06:42 - Et même plus, plus de 60 romans, je crois.
06:44 - Oui, on en est aujourd'hui considéré comme un trésor national aux États-Unis.
06:49 Barack Obama l'avait d'ailleurs décoré de la grande médaille du mérite américain.
06:55 Donc c'est véritablement une institution littéraire.
06:57 Ce n'est plus du tout une sorte d'auteur de romans d'épouvante, borderline, marginal.
07:03 C'est une sorte de nouveau Mark Twain ou de nouveau Faulkner.
07:07 - Il n'est plus mauvais genre pour vous alors ?
07:09 - Il n'est plus du tout mauvais genre au sens traditionnel du mot.
07:12 Il l'a été profondément.
07:13 Alors le problème de Hawley, c'est qu'il peut à peu près tout se perber, Stephen King.
07:20 C'est de l'horreur résidentielle ou de l'horreur pavillionnaire, totalement anti-gothique.
07:24 Donc on est dans une Amérique moyenne confrontée aux difficultés de la vie, rien de particulièrement
07:29 angoissant apparemment, avec les problèmes de fidélité, les problèmes de commerce,
07:36 d'argent et tout.
07:37 Et à l'intérieur de ça, il commence à créer, je dirais, des voies d'eau.
07:42 Ça se craquelle et brusquement on voit apparaître des incertitudes.
07:47 Le doute apparaît et là, je dirais, il met beaucoup de temps à apparaître.
07:53 C'est vrai qu'on est prévenu au départ.
07:55 Il y a une scène qui est absolument magistrale de fondation où on voit très bien qui fait
08:02 quoi.
08:03 C'est-à-dire le couple de vieillards d'anciennes universitaires qui mettent en place des traquenards
08:11 et des embuscades la nuit pour arriver à piéger des promeneurs égarés, que ce soit
08:16 des gens plus âgés ou des adolescents.
08:17 Ensuite, après, pour leur faire subir un traitement particulier qui doit aboutir à
08:22 la consumeration.
08:23 C'est génial parce qu'en fait, ils se font passer pour grabataires, handicapés
08:26 et ils demandent de l'aide.
08:28 Donc le fauteuil roulant n'a plus de batterie, il faut l'aider dans une montée.
08:31 Il y a un subterfuge qui est absolument merveilleux.
08:33 En plus, c'est génial puisqu'il utilise tous les bons sentiments, les sentiments les
08:38 plus importants, la charité, la compassion, la fraternité pour montrer qu'en les retournant,
08:46 ça devient des armes par destination d'un couple de vieillards pervers.
08:50 Alors évidemment, le début est formidable, mais après, l'enquête, l'investigation,
08:57 le portrait des personnages, la mise en scène de tous les personnages, même s'ils sont
09:01 très attachants, c'est très très long.
09:03 C'est le problème et l'âge.
09:04 Il faut dire quand même que ce roman est construit sur une double temporalité.
09:08 Il y a la temporalité des années 2020, où on suit Holly, l'enquêtrice qui enquête
09:15 sur une disparition, celle de la bibliothécaire, Bonnidal, et qui se rend compte qu'il y
09:18 a eu d'autres disparitions avant, et elle commence à faire des liens.
09:21 Et en même temps, on a d'autres chapitres dans les années 2010, où on comprend que
09:26 ce couple de vieux universitaires sont des cannibales, mais on a du mal à comprendre
09:32 comment tout ça va se retrancher.
09:34 On imagine évidemment, et puis ça se passe.
09:36 Mais c'est vrai que tout ça est assez lent même.
09:39 Il n'y a pas de suspense d'une certaine manière.
09:41 Et puis, François ?
09:42 - Et bien, tout est d'une certaine façon, vide dès le départ.
09:46 Il n'y a pas de suspense.
09:47 Ce qui permet à King de jouer sur un terrain où il est toujours magistral, c'est-à-dire
09:54 des scènes où apparemment il ne se passe rien.
09:56 C'est comme l'invasion des profanateurs de sépulture de Don Siegel, où on voit des
10:00 vieillards qui passent la tondeuse à gazon devant chez eux, qui saluent leurs amis,
10:05 sauf que le problème, c'est comme les envahisseurs, ce ne sont pas des vieillards, c'est des
10:08 clones d'extraterrestres monstrueux.
10:10 Et là, c'est pareil.
10:11 On voit des vieillards qui prennent le thé, qui invitent des petites étudiantes, tout
10:16 va très bien.
10:17 Mais nous, on sait.
10:18 Donc, il est très très fort pour justement injecter des toxines dans des scènes qui
10:24 apparemment sont des scènes secondaires et totalement anodines.
10:27 - Mais ce procédé de connaître les assassins dès le début, ça arrive dans plein de polars
10:32 en fait.
10:33 - Ça arrive dans plein de polars.
10:34 - Alors, comment on injecte du suspense ? Comment est-ce que King réussit vraiment ?
10:37 - C'est la psychologie de son héroïne.
10:39 Je pense que c'est Holly qui a du mal à ouvrir ses yeux.
10:43 Et toute la question, c'est comment est-ce qu'elle va se dessiller et comment est-ce
10:45 qu'elle va finalement voir ce qui est en train de se produire dans sa petite ville
10:48 où des gens disparaissent.
10:50 Et là, je trouve que… Alors moi, j'ai moins senti l'effet de lenteur parce que
10:52 j'étais quand même accrochée au livre.
10:54 Il m'a tenue jusqu'à la fin.
10:56 J'étais en appétit et j'étais nourrie par le livre.
11:00 Après, je trouve que là où il est intéressant, c'est qu'il nous montre une Amérique qu'il
11:04 dénonce.
11:05 C'est-à-dire qu'il nous montre une Amérique, comme le disait François, où tout va bien,
11:07 tout est en apparence parfait, etc.
11:09 Et on a du mal à voir l'espèce de gros serpent de mer qui est en train de ronger
11:14 les fondations du pays, des petites pelouses ou pas si étondeuses.
11:18 Et en fait, tout ça va leur claquer à la tronche.
11:21 Et on le voit et on sent que Stephen King a un regard profond sur la politique de son
11:26 pays, qu'il est inquiet et qu'il veut dénoncer dans ce livre l'espèce de fascination,
11:33 de ronronnement, d'état de stupeur dans lequel sont les Américains face à un Trump
11:38 qui revient en force, face à des discours complotistes pour finalement anti-masque,
11:43 contre le vaccin, qui peut-être, on peut raconter n'importe quoi aux gens, leur faire
11:47 croire qu'en mangeant de la cervelle de jeunes garçons, ils ne vont plus avoir de
11:50 sciatique.
11:51 Tout ça en fait…
11:52 Oui, c'est surtout sur les rhumatismes d'ailleurs.
11:53 C'est les rhumatismes, la sciatique et puis un petit peu Alzheimer.
11:56 Et en fait, on voit qu'il veut mettre en garde ses lecteurs électrices contre des
12:03 discours ronronnants qui peuvent sembler un peu inoffensifs ou dilués comme ça à l'échelle
12:07 d'une grande nation et qui en fait sont un fort poison qui prend la vie de…
12:12 Il y a un petit garçon quand même qui est assassiné par ces deux vieux, il y a des
12:15 jeunes filles pleines d'avenir qui sont mangées.
12:17 Voilà, il veut montrer qu'en fait cette nation entière est cannibale et peut devenir
12:22 cannibale.
12:23 François Angelet, vous levez le doigt.
12:25 Oui, comme à l'école, je suis un élève au BIS.
12:28 Ce que je veux dire c'est qu'effectivement, il y a toute une méditation, une réflexion
12:35 de King sur la mécanique sociale avec cette idée que le conservatisme un peu sénile
12:41 est en train de dévorer les forces vives américaines via peut-être…
12:45 Ce qui est drôle parce que Stephen King, il n'est pas tout jeune tout jeune non plus,
12:49 il a 116 ans.
12:50 Il se débarrasse de plus en plus, je dirais, de l'arsenal, voire de l'attirail horrifique
12:55 pour mener une réflexion purement sociologique et purement psychologique sur la société
12:59 américaine.
13:00 Il a de moins en moins besoin de faire peur avec des monstres pour montrer que les vrais
13:05 monstres en définitive sont simplement des monstres qui se jouent dans les urnes.
13:09 Et ça, là on est peut-être à un moment de bascule parce qu'il y a longtemps qu'il
13:15 a basculé.
13:16 Mais je crois que les prochains Stephen King seront peut-être de moins en moins horrifiques
13:21 au sens traditionnel.
13:22 Est-ce qu'ils sont pas un peu plus drôles ? Juste pour qu'on conclue un peu là-dessus.
13:25 Parce que moi j'ai trouvé quand même qu'il y avait certains moments qui étaient assez
13:27 drôles.
13:28 Ils se fichent un petit peu même des victimes elles-mêmes, même de ces assassins, ils sont
13:31 un petit peu ridicules, ils font plus peur.
13:34 Ils sont presque un peu drôles.
13:35 Non c'est vrai, il y a des moments drôles, notamment quand il y a cette jeune fille
13:38 vegan, ils leur font manger les deux vieux méchants, ils font manger du foie cru à
13:43 leurs victimes pour qu'ils soient encore plus nutritifs.
13:45 Et il y a une fille vegan qui dit "non moi je suis vegan, je ne mangerai pas votre morceau,
13:50 donnez-moi de la salade".
13:51 Très belle scène d'ailleurs.
13:52 Très belle scène.
13:53 Elle est pleine de fougue.
13:56 Et ça je trouve que c'est drôle parce qu'effectivement Stephen King n'est pas non plus le jouet
14:01 de son époque.
14:02 On voit qu'il continue de dire "moi tout ça, le véganisme etc. ça me fait un petit
14:07 peu rigoler, il nous fait un petit peu rigoler avec ça".
14:09 Donc il se rachète quand même un mauvais genre.
14:11 Aussi en riant un peu de certaines obsessions.
14:15 Non mais parce que fondamentalement les deux vieillards qui incarcèrent leurs victimes
14:22 dans leur cave pour leur donner du foie cru, c'est grotesque.
14:25 C'est ridicule dans la référendum, dans la chose même.
14:29 Donc lui, il accentue légèrement vers l'horreur ce grotesque.
14:34 * Extrait de "Goodbye Holly" de Stephen King *
14:57 Ce dernier roman de Stephen King s'appelle donc "Holly" traduit par Jean Esch et disponible
15:03 aux éditions Albin Michel.
15:05 * Extrait de "Holly" de Stephen King *
15:15 Nous parlons à présent de ce roman "Dans la maison de mon père" de Joseph O'Connor.
15:20 Traduction de Karine Chichereau et c'est aux éditions Rivage.
15:23 * Extrait de "Holly" de Stephen King *
15:31 La dame l'air noire poussive à plaques diplomatiques s'avance prudemment dans la via di Cianove.
15:37 Entre grognements et nuages de gaz d'échappement au plomb,
15:41 tandis que des gouttes de neige fondue crépitent sur le capot.
15:45 Un réverbé ropal et solitaire jette un coup d'œil éclair à son propre reflet
15:49 dans une flaque d'eau fangeuse qui s'amenuise là où un tuyau a fui.
15:54 Battant au rythme irrégulier du néon cassé de l'enseigne d'un café,
15:58 le démon "Morte al fascismo" grossièrement peint sur un volet.
16:02 Connaissez-vous Hugues O'Flaherty ?
16:06 On doit à ce prêtre irlandais attaché au Vatican d'avoir sauvé la vie de milliers de Juifs et soldats alliés
16:12 alors que Rome était occupée pendant la Seconde Guerre mondiale.
16:15 Inspiré de son histoire vraie, Joseph O'Connor imagine une de ses missions la veille du Noël 43.
16:22 Entouré d'un colonel, d'une ex-chanteuse, d'une reportère ou encore d'un ambassadeur
16:26 et d'un vendeur de cierges, Hugues, sous couvert d'orchestré, une chorale,
16:30 doit accomplir ce qu'il appelle le "redimento".
16:33 Mais je n'en dirai pas plus.
16:35 Alternant les temporalités, les points de vue et les styles, le roman est à le temps
16:39 et nous mène inexorablement au duel entre le prêtre "Grande Gueule", fan de moto et de boxe,
16:44 et le chef SS Paul Hopman.
16:47 François Anjoulier, avez-vous comme moi plus qu'aimé ce livre ?
16:51 J'ai adoré ce livre. De toute façon, O'Connor, je suis addict.
16:55 J'avais adoré le précédent, "Le Bal des Ombres", qui racontait dans cette Londres victorienne,
17:00 devenue aujourd'hui mythique, la naissance de Dracula, avec le trio Henri Irving,
17:06 Bram Stoker, Hélène Théry, la comédienne, le grand directeur de théâtre et tragédien,
17:12 et puis Bram Stoker qui était le secrétaire un peu amant de Henri Irving.
17:17 Et donc, on voyait dans cette Londres victorienne, cette espèce de grande sarabande
17:23 à la fois littéraire et théâtrale. Donc c'était déjà très très bon.
17:26 Et là, on a vraiment un roman extraordinaire.
17:28 Parce qu'il travaille sur une situation historique dont je vous laisse quand même à penser.
17:33 On est en décembre 1943. On est à Rome.
17:37 Le régime fasciste de Mussolini s'est effondré et ne subsiste vaguement que dans l'enclave de Salo.
17:44 Et donc, vous avez ce face-à-face à la fois métaphysique, historique et politique,
17:49 deux hommes à ma droite, Heinrich Himmler, l'empereur de la SS, et de l'autre, Pidouze.
17:55 Donc on peut penser ce qu'on veut, mais bon, face à face, ces deux hommes étaient là.
17:59 C'est-à-dire d'un côté, l'Église catholique avec sa structure mondiale, sa politique intérieure,
18:04 ses obligations, je dirais, ecclésiales, et en même temps, le devoir de charité,
18:09 de soutien à la parole évangélique, et en face, l'ordre SS qui doit de toute façon
18:14 sauver les meubles en Italie. Et c'est ce face-à-face extraordinaire.
18:17 Et entre les deux, qu'est-ce qu'il y a ? On a peint, les Allemands ont peint sur la place Saint-Pierre
18:22 une espèce de longue barrière blanche qui marque la frontière entre l'État italien devenu nazifié.
18:29 Néanmoins, les alliés montent vers le nord, donc les choses sont extrêmement tendues.
18:35 Et de l'autre, le Vatican.
18:36 Neutre.
18:37 Neutre, absolument. Et alors la question c'est, les SS vont-ils envahir le Vatican ?
18:42 Et là, c'est une espèce de vision quasiment métaphysique, puisque c'est ce qu'on appelle
18:46 le catéchone dans le récit évangélique, c'est la force qui retient l'antéchrist.
18:50 Si les nazis envahissent le Vatican, c'est le déchaînement de l'antéchrist, c'est la fin de l'histoire.
18:55 Je vous donne une vision un peu théologique. La vision politique est beaucoup plus prosaïque,
18:59 puisque le personnage qui incarne, ça dépend, Himmler avec des ailes dans le dos,
19:03 c'est l'archange mauvais, c'est Oppmann, qui dirige la Gestapo et la SS, qui nazifie totalement Rome.
19:11 Et en face, il y a donc l'ordre Vatican, l'église vaticane catholique-romaine,
19:17 qui essaie de jouer sa partie, et il y a ce personnage totalement hallucinant, romanesque,
19:24 fantasque, qui a toutes les intelligences, tous les talents, qui parle six langues,
19:29 qui est passionné de boxe, qui est ce Monsignor irlandais, qui s'est baladé un peu partout dans le monde.
19:35 En Palestine, à Haïti.
19:37 Et qui organise, qui a une mentalité de boxeur, et qui ne veut pas baisser les bras et raccrocher les gants,
19:44 et qui s'affronte de manière frontale aux SS.
19:47 Et le roman, qui est un roman choral, qui fait la parveille à la fois à des archives enregistrées,
19:52 Donc post-guerre.
19:55 Voilà, bien après, des archives enregistrées, des récits de mémoire, des témoignages,
20:00 arrivent à créer un climat où on est à la limite entre le fantastique, le témoignage historique,
20:06 la réflexion morale, c'est formidable !
20:09 Alors je suis tout à fait d'accord, je précise avant de vous donner la parole,
20:12 que comme dans le livre de Stephen King, il y a aussi deux temporalités.
20:16 Il y a le récit de la mission de Noël 43, et il y a les récits des autres personnages,
20:24 qui interviennent en général, qui viennent d'après la guerre, dans les années 60,
20:28 ce qui fait qu'on a de cette organisation et de cette mission-là,
20:33 une vision complètement mosaïque, qui nous fait saisir les moindres nuances,
20:37 le niveau de tension de cette mission-là.
20:40 À vous Élise Lépine, qu'en avez-vous pensé ?
20:42 C'est un livre que j'ai aussi adoré, et que je trouve extrêmement important dans cette période.
20:47 Il est magistral d'abord parce qu'il y a ses voix, il y a ses époques et il y a ses voix.
20:51 Et je trouve qu'on voit l'immense talent de Joseph O'Connor dans la façon dont il fait résonner ses différentes voix.
20:56 À chaque fois, c'est très incarné, à chaque fois c'est très différent.
20:59 On entend chaque personnage parler, et en même temps, tout ça est merveilleusement écrit,
21:04 et on voit vraiment la plume d'un écrivain avec son unicité.
21:08 Je trouve ça assez génial.
21:10 Ce que j'ai adoré aussi, c'est que ce personnage, ce héros de Hugues O'Flaherty,
21:15 c'est un être extrêmement charismatique.
21:18 Moi, je suis tombée un petit peu amoureuse de lui. On imagine, je ne sais pas, Russell Crowe ?
21:22 Il le sait quand même de dire qu'il est rougeaux.
21:24 Oui, il est rougeaux, mais ce n'est pas grave. Il a l'air d'avoir des beaux yeux bleus.
21:27 Et puis, je ne sais pas, il dégage un truc. Je pense que si je l'avais rencontré,
21:30 moi, je serais tombée raide, amoureuse de lui.
21:32 Ça m'est un peu arrivé là dans les pages.
21:34 Et surtout, je trouve qu'il dit quelque chose de la spiritualité.
21:38 Dans cet air-là, où les forces sont face à face, où tellement de morts arrivent,
21:45 où il y a une puissance mortifère qui tombe sur le monde et qui menace avec une apocalypse en ligne de mire,
21:52 je trouve qu'il y a cet homme qui a une foi, qui fait ça parce qu'il croit en quelque chose,
21:57 parce qu'il a un humanisme chrétien.
21:59 Moi, je trouve qu'on peut le lire en étant tout à fait athée, agnostique, etc.
22:03 et en même temps, ressentir ce que c'est que l'humanisme d'un homme qui a la foi,
22:09 qui croit en Dieu et qui veut aider son prochain.
22:12 Et je trouve que là, l'auteur, si je puis dire, remet un peu l'Église au milieu du village,
22:17 dans une histoire de l'Église catholique qui n'est pas toujours très belle,
22:21 dans une vision qu'on peut avoir de gens qui ont la foi, qui font des choses qui ne sont pas toujours très belles non plus.
22:27 Il nous dit finalement voilà ce que c'est qu'aimer son prochain et prendre des risques
22:31 à un moment où quelque chose de diabolique est en train de s'abattre sur le monde,
22:35 prendre des risques pour essayer de ramener la lumière.
22:38 J'ai trouvé ça assez spectaculaire.
22:40 Et puis, il y a cette dimension, si je vous suis bien, Elie, de morale sans moralisation,
22:45 pour le coup, à l'inverse de King, mais il y a quand même aussi du suspense.
22:49 Parce qu'en fait, quand on entend les voix de ses compagnons qui l'ont aidé,
22:54 puisqu'on lit leurs témoignages des années 60, on se dit "ils ont survécu, tout s'est bien passé, etc."
23:00 Et pourtant, là, c'est pas comme dans le King où on sait tout dès le début.
23:04 J'arrive pas à faire des comparaisons, mais voilà.
23:06 On se dit "mais est-ce que ça va marcher ? Comment ça va se passer ?"
23:09 C'est comme dans l'Armée des Ombres de Melville.
23:12 Il suffit d'une seconde pour que tout bascule et que tout s'effondre.
23:17 Et ça, le génie d'O'Connor, c'est bien de montrer qu'on est dans un roman seconde après seconde.
23:23 Il suffit qu'une décision soit prise au Vatican qui rend impossible telle opération.
23:28 Il suffit qu'on change de sentinelle et qu'on passe de quelqu'un qui est un peu la tête d'oeuvre
23:33 à quelqu'un qui est un nazi militant et qui est très... voilà.
23:37 Et ça, c'est très fort.
23:39 Et je suis d'accord avec Élise, le génie d'O'Connor, c'est aussi dans la chorale.
23:45 Il y a un côté Saint-Coucis, bras cassés, qui l'a recruté un peu comme dans les salons romains.
23:51 Alors il y a la comtesse, très distinguée, très courageuse.
23:54 La comtesse Landini.
23:55 Voilà, un peu andolente.
23:57 Il y a le diplomate homosexuel absolument formidable.
24:00 Sire d'Arcy et Osborne.
24:02 Voilà, qui raconte son affaire.
24:03 Et puis il y a John May.
24:05 Alors John May, ça c'est mon préféré.
24:07 Je vais vous lire un petit extrait si vous êtes d'accord.
24:09 John May, c'est quelqu'un qui est saxophoniste de jazz,
24:13 mais comme ça ne marche pas trop, il est devenu videur dans une boîte.
24:16 Après, il a été recruté, parce que la boîte était un peu une boîte gay,
24:19 il a été recruté par l'ambassadeur ou le ministre des Pays des Potentielles,
24:22 qui l'avait vu, qui trouvait qu'il était costaud, donc il a récupéré,
24:25 et qui l'a amené à Rome.
24:26 Et alors il donne une vision du père O'Flaherty.
24:30 "Ça ne se voit pas sur les photos, mais le padré, il était costaud.
24:34 Comme on dit d'où je viens, il était ferré à glace.
24:37 Je pensais à Shackleton, à ces pauvres diables en Antarctique,
24:40 avec leur balénière à la coque en bois de Guyane, du chlorocardium,
24:43 tellement dur qu'on ne peut pas y enfoncer un clou.
24:45 C'était ça, le padré, du bois de chlorocardium, à l'ancienne, un dur à cuire,
24:49 ça ne rigolait pas avec lui.
24:51 Il s'habillait dans ce genre-là aussi.
24:52 Si, si, c'est vrai, sur toutes les photos, il a ses fringues de prêtre, évidemment,
24:57 mais lorsqu'il n'était pas de service, c'était une autre histoire.
25:00 Manteau en poils de chameau et feutre noir, carrément,
25:03 des chaussures qu'on aurait pu se mirer dedans, tirer à quatre épingles,
25:06 un mec qui en avait.
25:07 Coupe classique tous les quinze jours, long sur le dessus, court sur les côtés,
25:11 fer à lisser, une touche de brillantine, un maltais que je connaissais quand j'étais minot.
25:15 Il avait fait son temps à Pentonville pour un casse à maille-fer,
25:18 et à sa sortie, il faisait le coq.
25:19 C'était le roi de la basse-cour, le padré.
25:21 C'était un peu ça, c'était le boss.
25:23 - Bravo, merci, merci François.
25:25 - Je précise que c'est un monsignor irlandais.
25:27 - Alors, je cite, le titre, ça s'appelle "Dans la maison du père",
25:30 en fait, c'est un verset de la Bible, Jean 14, 2.
25:34 "Dans la maison de mon père, il y a plusieurs demeures".
25:37 On a parlé des différents personnages, c'est vrai que c'est un roman choral,
25:40 mais il y a aussi la ville de Rome, qu'il ne cesse de arpenter, Élise.
25:43 - Mais oui, il est fasciné, subjugué par Rome, et il est fasciné,
25:47 c'est ça qui est fort aussi dans le livre, c'est qu'il est fasciné par la beauté, cet homme.
25:50 Il fait une chorale, sa couverture, c'est une chorale.
25:53 Et il prenne plaisir à la musique.
25:55 Il écrit "quand nous chantons, nous cessons d'être seulement de lécumes".
25:58 C'est magnifique comme phrase.
25:59 Et donc c'est un roman qui est fort parce qu'il est terrorisant.
26:01 On est terrifié par la violence de ces nazis, parce qu'il peut arriver à chaque instant.
26:04 Et il y aura des morts quand même, il y aura des tortures, il y aura des choses horribles.
26:08 Et en même temps, c'est une ode à la beauté.
26:11 Il y a beaucoup de musique, c'est une ode à la bonté, c'est une ode à la ville de Rome,
26:15 à l'art et à des milliers d'années d'art et de beauté.
26:20 - Et oui, quand ils sont dans des tunnels et qu'ils tombent sur des statues magnifiques,
26:23 grignotées par les vers par exemple, ça c'est une vision incroyable.
26:27 - Et il montre la fragilité de la vie, il montre la puissance du mal,
26:30 et il montre aussi l'éminence de la beauté et l'importance d'aller toujours la rechercher,
26:36 de toujours y croire et de toujours se battre pour elle.
26:39 Pas seulement pour la vie, mais aussi pour la beauté.
26:42 - Oui, le dernier mot François Joliet.
26:44 - La vision de Rome est absolument extraordinaire.
26:46 On pense à la Londres victorienne, c'est à la fois un lieu de mémoire séculaire et un lieu fantastique.
26:52 Le père Offlaherty collectionne les plans de Rome qui pour lui ne sont jamais assez précis.
26:56 Et il y a un moment, il entre, c'est la fameuse nuit, on passe à l'action, et là il se perd dans Rome, c'est extraordinaire.
27:04 - Donc à lire absolument dans la maison de mon père, de Joseph O'Connor, traduction de Karine Chichereau, c'est aux éditions RIVAGE.
27:11 Merci à tous les deux, Élise Lépinon vous lit dans Le Point.
27:13 François Joliet, on vous écoute tous les dimanches à 15h pour votre émission Mauvais Genre,
27:17 où on vous lit aussi dans le monde des livres.
27:19 Toutes les références et tous les débats sont à retrouver sur le site de France Culture et sur l'application Radio France.