Le 13/14 reçoit aujourd'hui, vendredi 8 mars 2024, l'autrice, compositrice, interprète, Olivia Ruiz dont le sixième album studio "La Réplique" est sorti le 1er mars dernier, un opus qui résonne notamment comme un manifeste féministe.
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00:00 Bonjour Olivia Ruiz, merci d'être avec nous dans ce 13/14 aujourd'hui.
00:04 Au moins deux bonnes raisons de vous inviter.
00:07 D'abord cet album qui est sorti la semaine dernière, il s'intitule « La réplique »,
00:11 13 morceaux en français et en espagnol.
00:14 Votre sixième album studio, le premier depuis 8 ans puisque vous êtes ces dernières années
00:19 consacrée à l'écriture avec deux romans.
00:21 On va en parler également et le titre qui ouvre l'album c'est précisément « La réplique ».
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01:09 On va parler de cette chanson, de cet album, mais aussi de votre autre passion, la littérature,
01:15 puisque vous serez avec nous la semaine prochaine dans ce 13/14, juste avant 14h.
01:18 Vous nous proposerez tous les jours une carte blanche, on rentre un petit peu dans le détail
01:22 dans quelques minutes, avec également les questions des auditeurs.
01:25 0145 24 7000, vous passez également via l'application France Inter.
01:30 « La réplique », c'est le titre de l'album, on vient d'en écouter un extrait.
01:33 C'est un mot qui peut prendre plusieurs sens, la réplique.
01:37 Quel sens vous lui donnez, vous, Olivia Ruiz ?
01:40 Moi, je me suis beaucoup interrogée.
01:42 C'est ce multiple sens qui m'intéressait justement.
01:45 Il y a la réplique du volcan, il y a la réplique, la palcopie.
01:49 En même temps, il y a la réplique, le rebond, le retour de bâton.
01:55 La réponse.
01:57 Et puis surtout, il y a une rythmique dans ce mot.
02:00 Il y a quelque chose qui claque et qui le rend assez agréable à chanter et prononcer.
02:05 Dans la réplique, il y a à la fois quelque chose qui célèbre la liberté, l'indépendance.
02:14 Il y a aussi un refus de se laisser emmener dans les injonctions à devenir la femme dite parfaite.
02:27 Que la société ou les médias veulent bien nous compter comme telles.
02:32 Il y a beaucoup de choses finalement.
02:35 Moi, j'ai pensé à la réplique du tremblement de terre.
02:38 Ça continue de secouer, même après le tremblement de terre.
02:42 Et j'ai pensé à "Me Too" spontanément.
02:45 Vous aussi, en écrivant cet album, il y a beaucoup de références au combat des femmes.
02:50 Est-ce que vous avez pensé à ça, au choc qui a été "Me Too" il y a quelques années,
02:53 et aux répliques qu'on continue de vivre ?
02:55 Je crois qu'effectivement, quand on est connecté au monde dans lequel on vit,
03:00 on ne peut pas ne pas être touché dans sa chair quand on est une femme,
03:04 par les témoignages qu'on lit, qu'on entend.
03:07 Et forcément, ces femmes-là habitent plus ou moins le disque, selon les chansons,
03:14 mais elles ont été des inspirations.
03:17 D'abord par leur courage, en libérant leur parole,
03:21 et puis aussi les femmes qui sont les porteuses de ces nouvelles.
03:27 Je pense à de nombreuses activistes qui nous transmettent cette information
03:31 qui n'était pas forcément si facilement accessible que ça, jusqu'à quelques années.
03:36 Vous avez écouté le journal, et tout à l'heure, notre reportage en direct de la Place Vendôme,
03:41 où Emmanuel Macron célébrait l'inscription dans la Constitution de la liberté garantie de l'IVG,
03:47 et Catherine Ringer, qui a interprété la Marseillaise il y a quelques minutes,
03:51 et qui a remplacé "un sang impur abreuve nos sillons",
03:55 ce sont les paroles de la Marseillaise, par "une loi pure" dans la Constitution.
03:59 Comment vous avez senti ça, Olivia Ruiz ?
04:02 Je suis vraiment une fan depuis mon plus jeune âge de Catherine Ringer.
04:08 Je pense que c'est prendre cette liberté-là, de changer les mots de la Marseillaise,
04:14 c'est tellement elle, et c'était le moment.
04:18 En effet, je me sens remplie d'émotion, j'ai hâte de pouvoir voir cette séquence,
04:23 et pas seulement l'avoir entendue,
04:28 parce que je pense que ça promet un grand moment d'émotion, c'est pas rien.
04:33 Vous parlez dans l'album d'un féminicide, c'est la chanson "Tu danses",
04:39 et vous avez expliqué récemment que vous aviez vous-même eu à subir ce type de violence.
04:44 Pourquoi avoir pris la parole ?
04:47 Je pense que Nadia, la victime que j'évoque,
04:52 d'abord elle est entrée dans ma vie par Sarah Baruc,
04:55 romancière qui a mené un énorme travail d'enquête
05:00 pour retrouver les proches des 125 victimes de l'année précédente,
05:04 son projet, et qui est allée interroger toutes les familles ou les amis des victimes
05:10 pour dresser des portraits de ces femmes-là,
05:13 et puis qu'on s'en souvienne, et qu'elles continuent d'exister
05:19 par ce recueil de nouvelles qui s'appelle "125 et des milliers".
05:25 C'est cette lecture qui vous a donné...
05:27 Alors c'était des enregistrements que nous avons reçus,
05:30 et nous avons eu à écrire, les 125 autrices en l'occurrence,
05:33 sur ces enregistrements, en dressant le portrait de Nadia, je me suis attachée à elle.
05:38 Et c'est pour ça qu'elle s'est aussi invitée sur mon disque, je crois.
05:43 Et effectivement parce qu'elle est emblématique d'un combat qu'il faut continuer de mener.
05:48 Et c'est aussi ce qui vous a conduit à prendre la parole sur vous, ce qui vous est arrivé ?
05:53 Non, c'est mon engagement auprès de Caroline Perroné pour l'association "On m'endort pas",
05:58 qui finalement d'abord m'a permis de réaliser que moi aussi j'avais échappé à ce type d'agression,
06:03 alors que je ne me l'étais pas forcément formulée.
06:06 Sur le coup ?
06:07 Oui, et si je m'engage auprès d'elle, c'est parce qu'effectivement je crois qu'il y a une grande nécessité sur ce terrain-là.
06:14 On a l'impression que c'est très lointain, et en fait non, la soumission chimique est partout, pas seulement dans les soirées.
06:21 C'est ce qui vous est arrivé ? Une tentative de soumission chimique ?
06:24 Oui, mais moi j'ai eu de la chance, alors ce n'est pas vraiment un sujet.
06:28 Le sujet est surtout toutes ces femmes qui le subissent encore, et le fait qu'on n'évoque pas ce sujet
06:34 parce qu'il semble très lointain alors qu'il ne l'est pas du tout.
06:38 Donc l'association "On m'endort pas" est plus qu'utile.
06:44 "Je suis de celles qui nagent à contre-courant, qui refusent le sens du vent, qui refusent d'être la réplique de la réplique de la réplique".
06:52 Qu'est-ce que vous faites ? Ce sont les paroles de la chanson.
06:54 Qu'est-ce que vous faites à contre-courant, Olivia Ruiz ?
06:57 A peu près tout, très cher.
07:00 C'est vrai que je ne réfléchis pas forcément dans la logique universelle.
07:10 C'est vrai que j'ai toujours été un peu indépendante.
07:14 Le fait d'avoir grandi dans un café, élevé par une famille, un village entier,
07:19 et en même temps, vous savez ce que c'est, plus on est nombreux à surveiller un enfant, moins on le surveille.
07:24 Plus il est libre.
07:26 Je pense que ça par exemple, c'est quelque chose qui a été assez fondateur d'un esprit libre tel que le mien.
07:34 Par exemple, à l'école, on me disait "Si au programme, il y avait un livre de telle auteur,
07:38 j'allais lire trois livres du même auteur, mais pas le livre qui était au programme".
07:44 Ce genre de choses.
07:46 Je n'allais pas dire un problème avec la discipline, parce que si c'est moi qui m'impose la discipline,
07:51 je n'ai pas de problème avec, mais oui, avec peut-être la liberté, un attachement fort à ma liberté.
08:02 Aujourd'hui encore, vous faites des choix contre toute logique,
08:04 parce que vous dites "mon instinct et mon phare".
08:08 C'est ça l'expression que vous employez ?
08:10 Je crois que oui.
08:12 Je crois que parfois, on devrait aussi se pencher un peu plus sur les signaux que nous donne notre corps
08:17 face à une situation et se relier un peu plus à nos instincts primaires
08:21 pour avoir un éclairage différent de celui que notre cerveau bien rationnel nous donne.
08:25 Alors sur cet album, il y a la réplique, il y a aussi "À toi".
08:28 À toi, qui n'est ni d'ici ni d'ailleurs, à toi, le poisson migrateur,
08:42 à toi, qui m'enrichit de tes couleurs, à toi, qui flotte ton visage,
08:50 à toi, ton âme et sa valeur, à toi, qui a pour seul bagage ton courage et ton cœur.
09:11 À toi, qui est une chanson hommage à tous ceux qui doivent quitter leur terre,
09:16 entre autres, quand beaucoup d'artistes aujourd'hui délaissent un peu cette cause des migrants,
09:22 c'est plus une cause très populaire.
09:24 Je ne suis pas certaine.
09:26 Vous trouvez encore ?
09:27 Oui, je vois pas mal de personnes engagées auprès de SOS Méditerranée,
09:30 notamment pas forcément en présentiel, parce qu'effectivement, ils sont basés à Marseille.
09:36 Et moi, par exemple, j'ai eu la volonté mille fois d'aller leur rendre visite ou d'offrir un petit concert,
09:41 mais c'est moins pratique en raison de la distance.
09:45 Mais non, je crois qu'on est nombreux à être d'abord des descendants de l'immigration,
09:50 donc conscients de la nécessité d'accueillir celui qui demande de l'aide,
09:55 puisque habité par les traumatismes de nos aïeux.
09:59 Vous avez quand même conscience que le débat sur l'immigration en France, il a beaucoup changé ces dernières années.
10:04 Il n'est plus du tout dans les termes d'il y a 10 ou 20 ans.
10:08 Non, absolument, c'est un peu effrayant.
10:11 Et ça demande du coup d'avoir un discours encore plus virulent auprès de nos enfants
10:17 sur l'acceptation, sur la différence, sur le fait d'assister une personne en danger, quelle qu'elle soit.
10:23 Par exemple, ça ouvre de grands débats familiaux, en tout cas chez moi,
10:29 pour justement former finalement à une notion un peu oubliée qui est celle de la solidarité.
10:36 Donc vous mettez ces sujets sur la table en famille, c'est ça que je comprends.
10:39 Oui, absolument, il a 8 ans, il est tout à fait en capacité de comprendre certaines choses
10:44 et surtout de commencer à devenir une personne bienveillante.
10:50 J'en ai dit un mot il y a quelques minutes, l'espagnol a une très grande place dans cet album,
10:56 peut-être plus que jamais. Pour quelle raison ?
10:59 Comment c'est venu le fait d'écrire dans les deux langues et de donner cette place-là à la langue qui était celle de vos ancêtres ?
11:05 J'ai toujours mis un peu d'espagnol, mais c'est vrai que là je me suis un peu plus...
11:10 Je ne me suis pas empêchée. Je crois que je trimballe un sentiment d'illégitimité qui ne m'appartient pas vraiment.
11:16 Je pense qu'il est lié au fait d'avoir désexilé parmi ceux qui m'ont fait grandir.
11:26 Et qui fait qu'il y a un petit héritage comme ça qui n'est pas dit.
11:32 Mais illégitime vis-à-vis de quoi ?
11:35 Vis-à-vis d'énormément de choses et notamment de mes origines.
11:39 Donc l'espagnol je pouvais me l'interdire parfois quand il venait spontanément.
11:44 Aujourd'hui les trois grands-parents espagnols qui m'ont donné la vie ne sont plus là.
11:49 Donc j'avoue que je suis plus en train de me dire "Tant pis".
11:53 Si je prends une petite honte en faisant une faute en espagnol,
11:57 ce qui compte le plus pour moi c'est de continuer à porter la mémoire des miens.
12:03 Le dernier morceau de l'album est en partie en espagnol. Il s'intitule "Abuelo".
12:09 Tu es né le 2 juillet 1923.
12:17 Huit ans plus tard, traversant la frontière espagnole pour trouver un refuge en France,
12:23 tu te promettais de ne plus jamais regarder en arrière.
12:27 Tu es né le 2 juillet 1923 et rien ne te faisait mal, comme tu aimais à le répéter.
12:34 C'est la vie de votre grand-père que vous racontez. C'est une chanson en famille ?
12:40 Oui, avec mon frère, le rappeur Tuan. Rappeur et psychologue auprès de migrants mineurs isolés aussi.
12:47 Et mon père, Didier Blanc. En effet, c'était un moment de pur partage.
12:52 Et en même temps, cette chanson n'est pas là pour rien.
12:55 Cette chanson est là parce que, indépendamment de l'histoire de cet homme qui était mon grand-père,
12:59 elle dit surtout qu'on peut se sortir de tout.
13:04 On peut s'inventer une belle vie, il suffit de peu de choses.
13:07 Une passion et un lien social, en l'occurrence, pour s'inventer une belle vie.
13:14 Même quand on la démarre avec un Evreste à gravir devant soi.
13:19 Une vie, voire même plusieurs, concernant votre grand-père.
13:22 C'est ce qu'on découvre dans cette chanson.
13:24 Ça c'est l'album "La réplique", il est disponible.
13:26 Vous serez avec nous toute la semaine prochaine, juste avant 14h.
13:29 Olivia Ruiz, vous nous ferez partager votre autre passion, la littérature.
13:33 Vous essayez deux romans ces dernières années qui ont touché un large public.
13:36 Vous nous expliquez le principe de ce que vous nous proposez la semaine prochaine ?
13:40 Oui absolument. J'ai choisi pour chaque jour un roman ou un essai qui me tient particulièrement à cœur.
13:49 Je vous en lis un petit extrait, j'en évoque le sujet.
13:53 Et ensuite, j'ai choisi une chanson à vous interpréter en résonance, avec le livre choisi.
14:01 Parfois la résonance est évidente, parfois elle est un peu moins, je vous l'explique.
14:08 Merci beaucoup Olivia Ruiz, on a très hâte de découvrir cette carte blanche la semaine prochaine dans ce 13/14.
14:14 A partir de lundi est l'album "La réplique" évidemment disponible.
14:17 Merci d'avoir accepté notre invitation aujourd'hui, 13h45.