• il y a 9 mois
Sonia Mabrouk reçoit l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, dans #LeGrandRDV, en partenariat avec Europe 1 et Les Echos.

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00:00 Bonjour à tous et bienvenue à vous au Grand Rendez-vous Europe 1C News Les Echos.
00:06 Bonjour Hubert Védrine.
00:07 Bonjour.
00:08 Merci de votre présence et votre Grand Rendez-vous ce dimanche dans un contexte de tensions fortes et inquiétantes, tensions internationales.
00:14 Vous êtes diplomate, ancien ministre des Affaires étrangères, vous avez aussi été secrétaire général de l'Élysée,
00:20 vous êtes l'auteur de nombreux ouvrages à succès dont le dernier en date s'intitule "Grand diplomate, les maîtres des relations internationales de Mazarin" à nos jours aux éditions Perrin.
00:29 Nous allons bien entendu avec vous évoquer la guerre en Ukraine et la crainte d'une guerre totale.
00:34 Les propos d'Emmanuel Macron sur les troupes au sol et la réponse ou plutôt la menace de Vladimir Poutine.
00:39 Votre analyse Hubert Védrine de la situation explosive est très précieuse, elle l'est tout autant sur la réalité du terrain à Gaza bien sûr.
00:47 La guerre jusqu'où après les images de tir lors d'une distribution d'aide humanitaire et plus largement le Hamas pourrait-il être détruit comme le proclament les dirigeants israéliens ?
00:56 Une trêve est-elle vraiment à venir comme annoncé ?
01:00 Toutes ces questions vous seront posées ce matin par mes camarades Stéphane Dupont-Desecot, bonjour à vous Stéphane.
01:06 Bonjour.
01:07 Et Mathieu Bockcôté, bonjour à vous Mathieu.
01:09 Bonjour.
01:10 Il y a eu cette semaine Hubert Védrine une escalade verbale inquiétante avec l'hypothèse d'une guerre globale évoquée suite aux propos d'Emmanuel Macron faisant référence à des troupes au sol en Ukraine.
01:19 Le président français a maintenu ses propos qui ont provoqué la désapprobation de tous nos alliés.
01:24 Que comprenez-vous de cette déclaration ?
01:28 Il faut la remettre dans un contexte dans lequel une inquiétude s'est répandue sur le possible effondrement de l'armée ukrainienne.
01:40 Vous vous rappelez que dans la période depuis deux ans il y a eu l'époque où l'idée générale c'était que l'Ukraine allait gagner.
01:46 Donc il se posait des questions notamment aux Etats-Unis plus qu'en France sur jusqu'où faut-il soutenir la contre-offensive ukrainienne avec les questions sur le combat sur la Crimée.
01:56 Et là on est dans la phase inverse puisque la contre-offensive a échoué et qu'il y a une inquiétude même pour l'Ukraine compte tenu de ce que l'Ukraine a enduré qui est atroce sur le plan humain.
02:07 Le manque d'hommes, le manque de munitions, le manque d'armes, etc.
02:11 Donc c'est assez logique que les responsables se disent "mais qu'est-ce qu'on fait dans l'hypothèse où ?"
02:17 Je vous rappelle que la ligne générale, il y a beaucoup de nuances, mais la ligne générale c'est celle qui a été fixée par Biden dès l'origine.
02:24 On empêchera Poutine de gagner en Ukraine mais on ne se laissera pas entraîner dans l'engrenage de la guerre en Russie.
02:31 Alors certains pays d'Europe, notamment les proches voisins, militent pour aller plus loin contre la Russie.
02:38 Une grande partie des médias notamment en Europe militent aussi pour aller au-delà.
02:43 Mais en tout cas la question se pose.
02:45 Donc ce n'est pas anormal que le président Macron se dise "dans cette situation on ne peut rien exclure".
02:51 Vous dites des nuances, il y a eu plus que des nuances.
02:54 Les nuances entre "est-ce qu'on se borne d'empêcher Poutine de gagner" ou "est-ce qu'il faut aller au-delà".
02:58 On voit bien que les Polonais et les Baltes sont sur une autre ligne par exemple.
03:01 Mais quasiment tous nos alliés...
03:03 Mais ce n'est pas la question immédiate.
03:04 Mais l'Allemagne en tête a désapprouvé de manière forte. Les nuances sont assez marquées.
03:09 Je disais que ce n'est pas illogique que le président se soit posé la question en disant "il ne faut rien exclure".
03:13 Comment vous expliquez que ces propos ont été aussi mal reçus, ont provoqué un tel tollé et que tous nos alliés se sont dit "ce n'est pas possible".
03:19 C'est le début ça, il faut voir la suite.
03:21 Mais pour le moment ils ont voulu précipitamment se protéger de problèmes internes.
03:25 Dans leur pays, l'opinion, les partis, les coalitions.
03:29 Il y a beaucoup d'hypocrisie.
03:30 Non, non, non, c'est de la politique tactique.
03:32 Mais pour le chancelier allemand, dont la coalition est quand même très très compliquée à gérer, il a voulu couper tout de suite.
03:38 Il n'empêche que la question se pose, si l'Ukraine est en phase, l'armée ukrainienne peut s'effondrer, qu'est-ce qu'on fait ?
03:45 La question qui se pose concrètement c'est l'envoi de troupes de l'OTAN au sol qui affronterait directement l'armée russe ?
03:52 C'est cette question-là qui se pose ?
03:54 Non, parce qu'il ne l'a même pas dit comme ça.
03:56 Même Macron dans sa première formulation ne l'a pas dit comme ça.
03:58 Concrètement, qu'est-ce que ça peut vouloir dire d'autre ?
04:00 En gros, il a dit "on ne peut rien exclure".
04:02 D'accord, notamment cela.
04:04 Les autres se sont protégés.
04:05 Mais ce qui me frappe dans l'affaire, c'est que les réactions et vos questions font comme si ça ne concernait que les Européens.
04:13 Ce n'est pas le cas.
04:15 En réalité, dès l'origine, la lien était fixée par Biden.
04:19 C'est les adultes patrons de l'alliance atlantique de l'OTAN.
04:22 C'est une même alliance.
04:24 Il a dit "on empêchera Poutine de gagner".
04:26 Donc on est dans une phase où, à mon avis, ce n'est pas normal que les Européens se disent, même si c'est des controverses,
04:32 "il faut faire quelque chose, on ne peut pas s'inscrire dans un scénario où il risque de gagner".
04:37 Qu'est-ce qu'on peut faire, nous, en nous rassemblant ?
04:39 Et on voit que les Européens ne sont pas encore ni cohérents ni déterminés.
04:43 La question se pose quand même.
04:45 Elle va cheminer dans la tête même de ceux qui se sont protégés tout de suite des perspectives ouvertes par le président Macron.
04:52 Mais la question se pose pour les États-Unis, à mon avis.
04:55 Donc il ne faut pas intérioriser complètement du point de vue européen que Biden est bloqué et que Trump va revenir.
05:02 C'est important ce que vous dites, Hubert Védinier.
05:04 C'est-à-dire que cette proposition, ce serait comme une forme d'électrochoc dans l'opinion pour les pays occidentaux et au-delà,
05:12 compte tenu d'une réalité du terrain. C'est ça.
05:16 La guerre, oui.
05:17 Oui, mais une guerre qui ne serait pas, comment dire, à l'avantage pour le moment des Ukrainiens.
05:23 Ça s'est retourné par rapport à l'année d'avant.
05:26 L'inquiétude généralisière, peut-être que Zelensky exagère.
05:30 Il a raison dans son rôle, il exagère pour avoir plus de soutien.
05:33 Mais la question se pose de la capacité des Occidentaux, pas que des Européens, à mettre en œuvre ce qu'a dit Biden depuis le début.
05:41 Mais en quoi votre propos, vous dites, ça ne concerne pas que les Européens, ça concerne aussi les Américains.
05:45 Donc permettez-moi d'insister un peu.
05:47 Vous parlez non seulement de troupes occidentales, mais de troupes américaines et françaises et italiennes au sol en Ukraine.
05:53 Je n'ai pas parlé de troupes.
05:54 Ne rien exclure, ça veut dire ne pas exclure la possibilité de troupes au sol.
05:57 C'est un électrochoc pour faire réfléchir ça.
06:00 L'idée générale, c'est qu'on ne peut pas attendre comme ça, passivement, que peut-être l'Ukraine va s'effondrer assez tristement.
06:06 Est-ce que c'est un message aussi à Vladimir Poutine, qui semble-t-il ne comprend que le rapport de force ?
06:11 Comment vous l'interprétez ?
06:13 Ça dépend de la suite.
06:14 Alors dans l'immédiat, ce n'est pas un message diffusif parce que Macron ne dit rien d'être exclu.
06:19 Et tous les autres disent si, il n'y a pas de troupes au sol, ce qu'il n'a pas dit exactement d'ailleurs.
06:23 Mais à mon avis, Poutine, il attend la réaction américaine par rapport à ça.
06:27 Si on arrive à réengager les Américains, malgré le blocage de Biden, malgré l'idée du retour de Trump,
06:35 et que c'est l'ensemble de l'Alliance qui dit oui, on va empêcher Poutine de gagner en Ukraine,
06:40 on revient sur des questions d'avions, de missiles, mais pas des questions de troupes.
06:45 Ça, c'est le signal qu'à mon avis, Poutine doit regarder.
06:47 Il doit savoir que les réactions, disons, précipitées des dirigeants européens,
06:52 vous savez que c'est compliqué de gérer les démocraties depuis aujourd'hui,
06:55 il doit savoir que ce n'est pas le dernier mot.
06:57 Donc, regarder la suite par rapport à ça.
06:59 Et la suite pour moi, c'est réengagement américain ou pas.
07:03 Ça change tout.
07:04 Donc l'analyse, Hubert Véronique, que vous en faites ce matin,
07:06 est très différente de ce qu'on a entendu ces derniers jours.
07:08 Ce n'est pas du tout un manque de maîtrise de sa parole d'Emmanuel Macron.
07:12 Au contraire, ça agit comme un électrochoc,
07:14 comme s'il avait voulu prendre les devants pour un petit peu provoquer une réaction forte,
07:19 quitte à ne pas aller jusqu'au point où la ligne blanche des troupes.
07:23 C'est ça, au sol.
07:24 Je ne suis pas son point de parole et je ne suis pas dans sa tête.
07:27 Vous comprenez bien le jeu diplomatique.
07:29 Donc, j'ai dit d'analyser avec vous.
07:30 Je dis quelles que soient les raisons, quelles que soient les motivations,
07:32 quelles que soient les circonstances, la question posée ne peut pas être balayée.
07:36 Qu'est-ce qu'on fait si l'Ukraine est sur le point de craquer ?
07:40 Donc, cette question va cheminer.
07:42 Et moi, je voudrais qu'elle ne chemine pas uniquement dans la tête des Européens,
07:45 mais que ça nous renvoie à Washington.
07:47 Je rappelle que les États-Unis, c'est les États-Unis qui ont accepté de faire l'alliance.
07:52 Truman, en 1949.
07:54 Bon, ils ne sont pas en Europe pour des raisons caritatives, ni philanthropiques.
07:58 Ce n'est pas simplement une compagnie d'assurance qui dit
08:01 "J'arrête de vous protéger parce que vous ne payez pas".
08:03 Donc, il y a un problème d'enjeu mondial pour les États-Unis.
08:07 Si les Européens avaient bâti depuis le temps une Europe de la défense,
08:10 ce n'est pas le cas, bon.
08:12 Les signaux qui viennent des États-Unis ne sont pas très bons.
08:15 Les signaux qui viennent des États-Unis ne sont pas très bons.
08:18 Entre ce que dit le Congrès qui bloque l'aide et Trump qui dit que si vous ne payez pas, on se retire.
08:23 Et alors, est-ce qu'il faut s'incliner devant ça ?
08:25 Qu'est-ce que ça veut dire "s'incliner", Hubert Védrine ?
08:28 C'est-à-dire, aujourd'hui, est-ce que, de votre point de vue,
08:30 jusqu'où faut-il aller dans la défense de l'Ukraine et des Ukrainiens ?
08:33 Est-ce que vous mettez des limites ou alors… ?
08:35 Non, non, on n'est pas là.
08:36 On en est empêchés que l'Ukraine, l'armée ukrainienne, soit vaincue.
08:40 C'est ça l'urgence.
08:41 Tout le reste, on verra après.
08:43 Mais il n'y a pas de raison de faire des masochistes européens.
08:46 Ça ne concerne que nous.
08:48 Il n'y a pas de raison non plus de faire un peu de bravache européenne.
08:53 Comme l'avait dit le président de la Commission, Jacques Santer, il y a longtemps,
08:56 au début des guerres yougoslaviennes,
08:58 quand il avait dit « c'est l'heure de l'Europe ».
09:00 Non, ce n'est pas que l'heure de l'Europe, c'est l'Alliance.
09:04 Et moi qui suis gaulot-mithérandien, vous le savez,
09:07 on n'est pas de la même famille politique,
09:08 je suis gaulot-mithérandien historiquement,
09:10 mais je sais bien que l'Europe de la défense,
09:12 que j'appelle moi aussi de mes voeux, n'existe pas aujourd'hui.
09:15 Il n'y a pas les moyens, il n'y a pas la volonté, il n'y a pas le mode de décision.
09:18 Donc il faut réimpliquer les États-Unis, en dépit de ce que vous dites,
09:23 c'est-à-dire le blocage de Biden et l'inspectif de Trump.
09:25 Il n'y a aucune raison d'être les bras ballants devant ça.
09:28 Mais alors qu'est-ce que ça veut dire ?
09:29 J'essaie de traduire concrètement votre propos.
09:31 Qu'est-ce que ça peut vouloir dire,
09:32 faire en sorte que l'Ukraine ne perde pas et que la Russie ne l'emporte pas ?
09:36 Qu'est-ce que ça peut dire ?
09:37 À terme, ça veut dire quoi ?
09:38 Un effondrement de Poutine ?
09:40 Un retrait complet des troupes russes de l'Ukraine ?
09:42 Une reconquête des territoires perdus ?
09:44 Des concessions territoriales ?
09:45 Vous mélangez la conjoncture et à terme.
09:47 Parce que cette liberté croisée un peu.
09:49 Non mais d'abord il faut empêcher le risque de l'effondrement de l'armée ukrainienne.
09:53 C'est ça la priorité.
09:55 Et je ne crois pas que les Européens,
09:56 même s'ils se remettaient mieux d'accord qu'la semaine dernière,
09:59 sur ce qu'ils peuvent faire en plus,
10:00 ils peuvent certainement faire plus,
10:02 je ne crois pas que ça suffise.
10:03 Et il n'y a pas de raison de disons de dispenser les États-Unis
10:07 de leur rôle de leader de l'Alliance.
10:09 Donc par rapport aux États-Unis,
10:10 il faut également ne pas être inhibé.
10:12 Et il y a donc le Congrès comme cible,
10:14 encore plus que la Maison Blanche.
10:16 Donc il y a des choses à dire, encore une fois.
10:18 Est-ce que les Américains aujourd'hui,
10:20 alors leur système est dysfonctionnel et on entend n'importe quoi,
10:22 mais ils sont la puissance numéro un.
10:25 Ils ne vont pas préserver leur position, leur mode de vie,
10:28 leur niveau en étant isolationnistes bêtes.
10:31 Alors qu'ils ont pratiqué un mélange des deux,
10:33 et toujours, isolationnisme, internationalisme.
10:36 Donc il faut réintégrer ça.
10:38 Et pour moi, c'est l'addition et la redémonstration
10:41 de la volonté européenne, mieux préparée que la fois d'avant,
10:45 et de la détermination américaine
10:47 qui peuvent faire réfléchir Poutine pour arriver à arrêter la guerre.
10:50 Alors après, il y a le moyen de terme dont vous parlez.
10:53 Il y a plein de questions.
10:55 Vous dites réfléchir Poutine.
10:57 Vladimir Poutine a agité cette semaine la menace nucléaire.
10:59 Dissuadé. Dissuadé Poutine.
11:01 Ce n'est pas la première fois,
11:03 mais là, nous sommes à un moment de tension paroxystique important.
11:06 D'abord, est-ce que vous croyez en une guerre totale ?
11:09 Mais il l'a toujours dit.
11:10 Non, sur la guerre nucléaire, il l'a toujours dit.
11:12 Et aujourd'hui, est-ce que vous le prenez au sérieux ?
11:14 Comment ?
11:15 Vous le prenez au sérieux lorsqu'il dit ça ?
11:17 C'est le président de la Russie, il faut le prendre au sérieux.
11:19 Moi, personnellement, je n'y crois pas,
11:21 mais ça ne veut rien dire que j'y crois.
11:22 Je ne sais pas si vous y croyez.
11:23 Mais il fait ça pour faire peur aux opinions européennes
11:27 et dissuader les États-Unis de faire trop.
11:30 Il le fait depuis le début.
11:31 C'est son jeu.
11:32 Alors, moi, je peux défendre.
11:34 Il y a des experts qui disent qu'il ne le fera jamais.
11:37 Même le système poutinien, aussi bizarroïde qu'il soit devenu,
11:40 n'a pas envie de se suicider collectivement.
11:42 Il ne le fera pas.
11:43 Il ne serait d'ailleurs pas obéi s'il donnait l'ordre.
11:45 Il y a des experts.
11:46 D'autres qui disent non, il est capable d'absolument tout
11:48 donc il faut prendre un maximum de précautions.
11:51 Ça, ça veut dire réassurance américaine par rapport à ça.
11:55 Mais au-delà de ça, je ne sais pas quels sont les buts de Poutine.
11:59 Il y a plein de spéculations sur quels sont les objectifs réels.
12:03 La seule obsession russe que j'ai observée depuis la fin de l'URSS,
12:06 il y a 30 ans, on résonne sur 30 ans, pas simplement sur 5 ans,
12:10 c'est que les dirigeants russes, à commencer par Yeltsin,
12:14 pro-occidental, étaient obsédés par le sort des russophones,
12:19 ce qu'ils appellent russes, eux, dans leur langage.
12:22 Les russophones restaient en dehors de la Russie après la fin de l'URSS,
12:25 dont le Donbass, dont alors plusieurs pays baltes.
12:28 C'est ça le risque.
12:29 Il me semble que c'est ça la vraie motivation, le fond.
12:32 Mais d'autres personnes qui sont dominantes,
12:34 d'ailleurs je suis minoritaire quand je dis ça,
12:36 d'autres personnes diraient non, non, il veut refaire l'Empire,
12:39 il veut refaire le tsarisme, il veut refaire l'URSS.
12:41 Moi je pense que s'il le voulait, il aurait attaqué massivement en 2022,
12:45 alors que maintenant l'esprit de défense a été réveillé dans toute l'Europe,
12:50 le réarmement a commencé, la mobilisation est énorme, etc.
12:54 Pourquoi il ferait là maintenant quelque chose qu'il aurait pu quasiment,
12:58 en entrant comme dans Duver en 2022, je ne vois pas pourquoi,
13:02 mais je reconnais que je ne peux pas le prouver.
13:04 Donc il faut prendre un maximum de précautions quand même,
13:07 notamment là où il y a des minorités russophones,
13:09 chez les Baltes, le Moldavie, vous voyez.
13:12 Donc je suis, enfin je reviens à ma priorité,
13:15 il faut empêcher que l'armée ukrainienne puisse s'effondrer.
13:19 Après on verra ce que ça veut dire après.
13:22 Est-ce que ça aboutit à un arrêt de la guerre, un cessez-le-feu ?
13:25 Chigner, pas chigner, c'est bon.
13:27 – Et bien évidemment, on va marcher tout et en parler,
13:29 parce que l'après malgré tout rejoint l'immédiatité,
13:32 c'est-à-dire qu'est-ce qu'il faut rentrer après de telles paroles
13:35 dans une logique de désescalade et imaginer comme certains,
13:38 certains peu le disent, la paix.
13:41 Et est-ce que parler de paix aujourd'hui, c'est être pacifiste,
13:44 justement comme le dénonce une partie de la classe politique ?
13:47 – Non mais c'est être hors sujet.
13:49 – Vous allez nous l'expliquer dans quelques instants.
13:51 – Je suis hors sujet pour le moment, De Gaulle.
13:53 – Une courte pause et on se retrouve.
13:55 Le grand rendez-vous en direct, bien sûr, Hubert Védrine,
13:58 la question vous est posée par Mathieu Bockcôté.
14:00 – Alors laissez-moi vous poser ou reposer une question
14:03 que vous considérez peut-être hors sujet, la question de l'après.
14:06 À court terme, il faut empêcher l'effondrement de l'armée ukrainienne,
14:09 très bien, mais à moyen terme, la question de la paix,
14:11 ce mot qui hante néanmoins la vie publique,
14:14 à quoi pourrait ressembler une paix au terme de ce conflit,
14:19 à moins d'accepter que ce dix ans, dix ans, c'est autre chose,
14:22 à quoi pourrait ressembler une paix ?
14:25 – Alors même s'il y a un arrêt des combats,
14:28 parce que de même que l'Ukraine n'a pas réussi à attaquer,
14:32 elle aussi n'a pas réussi à contre-attaquer si on a rétabli le rapport de force.
14:37 On peut imaginer un arrêt des combats,
14:40 je ne suis même pas sûr que ça débouche tout de suite sur un cessez-le-feu signé,
14:44 c'est possible, si c'est le cas,
14:46 je ne vois pas comment des négociations pourraient commencer maintenant,
14:49 Poutine n'a pas du tout intérêt, il a intérêt à attendre Trump,
14:53 et aucun Ukrainien ne peut engager une négociation
14:57 à partir du désastre humain, du calvaire humain de l'Ukraine,
15:01 et sur quoi, bon.
15:03 Donc je vois plutôt un enlisement là,
15:06 et pour qu'il y ait un processus, il faudrait vraiment qu'il y ait un contexte différent
15:10 aux États-Unis, à Moscou, etc.
15:12 et qu'on revienne, mais je ne vois pas comment aujourd'hui,
15:15 aux idées qui étaient celles de Brzezinski dans la décennie 80,
15:19 je rappelle que les vieux réalistes de la guerre froide aux États-Unis,
15:23 qui avaient combattu l'Urse toute leur vie,
15:26 ils regrettaient comme Kissinger qu'on n'ait pas fait d'efforts sérieux
15:29 pour intégrer la Russie dans un ensemble de sécurité.
15:32 Il ne parlait pas de Poutine 2022, je parle du début.
15:36 Bon alors on dit "mais si, parce qu'on a fait le conseil OTAN-Russie,
15:39 enfin des machins comme ça, OTAN-Urs",
15:41 mais c'était ce que j'appelle de la véroterie diplomatique,
15:44 ce n'était pas sérieux en fait.
15:45 Donc Kissinger le regrettait.
15:47 Brzezinski, Polonais d'origine, conseiller du président Carter,
15:51 qui avait théorisé la séparation de l'Ukraine et de la Russie,
15:55 l'Ukraine qui surgit enfin d'une sorte de confusion historique.
15:59 En même temps il disait "il faut neutraliser l'Ukraine,
16:02 il faut un statut de neutralité, des garanties de part et d'autre,
16:05 statut spécial pour la Crimée, etc."
16:07 Ça n'a pas été fait, ça n'a pas échoué, ça n'a pas été fait.
16:11 C'est extravagant en 2024 de penser qu'on peut revenir à ça.
16:14 – Mais vous répondez à court terme, vous répondez à long terme,
16:17 mais vous ne répondez pas à moyen terme, c'est-à-dire…
16:19 – Vous n'avez pas vu ?
16:21 – Je vous suggère les termes qui circulent dans l'espace public.
16:24 – C'est une concession territoriale, c'est une chose qu'on peut imaginer.
16:26 – C'est infaisable maintenant, parce que même dans le cas où l'Ukraine
16:30 vraiment est en danger, où Biden leur dit à un moment donné
16:34 "parce que les Américains sont moins manichins que les Européens sur le sujet,
16:37 comme ils sont centrés sur la Chine, ça les embête,
16:40 donc il y a plein de Singtons qui moulinent des idées sur la suite."
16:44 Mais même dans ce cas, on ne voit pas les États-Unis disant
16:48 à l'Ukraine "renoncez au Donbass", c'est impensable.
16:52 À la limite, ils pourraient dire "arrêtez-vous, ne signez rien,
16:55 ne renoncez à rien, on va geler, essayer de reconstituer
16:59 une sorte de coexistence spécifique, de facto, et on verra."
17:03 Donc je ne vois pas le cheminement, pour répondre à votre question
17:06 en moyen terme, je ne vois pas pour le moment le cheminement
17:09 vers une "solution".
17:11 – Vous parlez d'enlisement, parlons aussi des peuples,
17:13 en l'occurrence les Français, quand ils sont interrogés
17:16 dans les différents sondages, c'est un non total,
17:19 et une grande majorité contre l'envoi de troupes au sol,
17:23 même s'ils soutiennent.
17:24 – Oui mais il y a beaucoup de soutien en dehors de l'emploi des troupes.
17:26 – Je souligne, néanmoins, on est obligé de préciser
17:29 que c'est une guerre qui coûte, il y a de nouveau des lignes de crédit,
17:33 de l'argent, des milliards qui sont envoyés, jusqu'où aussi
17:38 on peut tenir avec le soutien des peuples et la volonté des peuples ?
17:41 J'ai l'impression que c'est presque le sujet dont on parle peu aujourd'hui.
17:44 – Non, parce que périodiquement il y a des sondages,
17:47 on voit que le soutien est élevé, les gens sont horrifiés
17:50 par ce qui arrive à l'Ukraine, donc ils sont d'accord pour plus de munitions,
17:54 plus d'argent, des promesses, genre intenables, moralement on comprend,
17:58 mais intenables, genre l'Ukraine dans l'Union Européenne,
18:01 mais pas pour l'envoi des troupes.
18:02 Je pense que c'est comme ça à peu près partout,
18:04 peut-être encore plus verrouillé en Allemagne éventuellement,
18:07 mais ça ne veut pas dire un abandon.
18:09 Donc s'il y a un schéma qui se reconstitue,
18:11 réengagement crédible des Américains par rapport à la plus large puce…
18:15 – Concrètement, cette réimplication, ce réengagement des Américains,
18:19 qu'est-ce que ça peut vouloir dire ?
18:20 – Il y a un sommet de l'OTAN dans trois mois à Washington
18:25 pour célébrer les 75 ans de l'organisation.
18:29 Vous croyez que les Européens vont y aller comme ça uniquement
18:32 pour se faire engueuler parce qu'ils n'ont pas mis assez d'argent ?
18:35 Que les Européens ne vont rien dire et que les Américains vont dire
18:38 « nous on est paralysés, le Congrès, etc. »
18:41 Donc c'est un sommet qui n'a aucun sens.
18:43 – Donc c'est l'échéance du réengagement ?
18:45 – C'est pour ça que je parle dans une interview récente,
18:47 il y a trois mois, pour que les Européens réengagent les Américains,
18:51 non pas pour qu'ils fassent le job à leur place,
18:54 mais pas pour que les Européens le fassent sans jeu.
18:56 Donc ça se joue beaucoup, ça se joue.
18:58 – À vous d'être clair, ça vous est clair ?
18:59 – Ça vient sur l'opinion, ça.
19:00 Si c'est recrédibilisé dans l'opinion, les gens vont dire
19:02 « ok, il n'y a pas vraiment d'enveloppe,
19:04 mais nous on est capable de faire plus pour arrêter la guerre. »
19:08 – À vous d'être clair, on a l'impression que tout repose sur les États-Unis
19:11 et que c'est un peu, qu'ils doivent compenser nos défaillances
19:15 et notre incapacité à soutenir l'Ukraine en envoyant des munitions.
19:19 – J'en peux pas ces mots.
19:20 Il y a une alliance qui existe depuis 1949, à la demande des Américains,
19:25 non, excusez-moi, je corrige, à la demande des Européens,
19:30 depuis un protectorat militaire américain sur l'Europe en réalité.
19:34 – Protectorat militaire ?
19:35 – Oui, en pratique, oui, sauf parce qu'il n'y a pas de décision sans elle,
19:38 sauf en Europe, dans l'Europe il y a un ou deux pays,
19:42 surtout la France en fait, la France pour des raisons gaullistes,
19:44 devenue gaullo-mitterrandienne, donc il y a une situation,
19:47 donc je ne renvoie pas sur les Américains seuls,
19:50 je me méfie des Européens seuls.
19:52 – Est-ce que les propos d'Emmanuel Macron,
19:54 dont on a parlé au début de l'émission,
19:56 ce n'est pas une manière, ces propos très offensifs,
19:59 de camboufler un peu notre incapacité, notre impuissance à soutenir l'Ukraine ?
20:03 – C'est une façon de dire, on ne peut pas ne pas réfléchir
20:06 à l'hypothèse d'un effondrement de l'Ukraine.
20:08 – Bon, s'il y a…
20:09 – On ne sait pas que les Américains, on ne sait pas que les Européens,
20:12 donc je parle de l'Alliance, il y a une Alliance,
20:14 quand il y aura une Europe de la Défense, je ne sais quand,
20:17 on parlera aujourd'hui.
20:18 – Oui, mais ça c'est un vœu pieux.
20:19 – Je parle d'aujourd'hui.
20:20 – Monsieur Védrine, c'est un vœu pieux,
20:21 depuis qu'on fait du journalisme, ça fait plus de 20 ans,
20:24 on entend parler de l'Europe de la Défense, et je pense que nos aînés…
20:27 – Non mais moi je ne vous parle pas de l'Europe de la Défense,
20:29 je dis que précisément, comme elle n'existe pas encore, en dehors des colocs,
20:33 il faut réintégrer le fait que c'est l'Alliance Etats-Unis-Européens,
20:38 donc je ne suis pas du tout dans l'utopie, au contraire,
20:41 après bien sûr il faut lancer le processus, une Europe de la Défense
20:44 qui puisse fonctionner par elle-même,
20:46 mais ce n'est pas la position des autres Européens.
20:48 – On n'a pas le temps.
20:49 – Ne perdons pas notre temps, parce que l'urgence,
20:50 je ne parle pas de vous dans la discussion, mais en vrai,
20:53 parce que l'urgence c'est qu'il n'y ait pas de risque d'effondrement
20:56 de l'armée ukrainienne qui nous placerait devant des décisions
20:59 beaucoup plus graves.
21:01 – Mais est-ce qu'il faut pour ça engager une désescalade ?
21:05 – Non, c'est l'inverse.
21:06 – C'est fini la désescalade ?
21:07 – C'est l'inverse.
21:08 – Ah oui ?
21:09 – Donc une escalade ?
21:10 – Il faut d'abord rétablir l'équilibre de la dissuasion.
21:12 – D'accord, donc on reste dans le rapport de force.
21:14 – Après il sera bien le temps d'aborder les questions dont vous parlez,
21:17 sur la suite, est-ce qu'on a un arrêt des combats ?
21:19 Tant mieux, il y aurait moins de morts, un cessez-le-feu,
21:22 peut-être une négociation indirecte ?
21:25 Parce qu'autant je ne vois pas l'Ukraine discuter avec Poutine,
21:28 qui n'a pas intérêt d'ailleurs, autant on peut imaginer que les Indiens,
21:31 les Turcs, les Chinois, je ne sais qui etc.
21:33 commencent à discuter entre eux.
21:35 – Bernard Védrine, pardonnez-moi, en quelques années,
21:36 on est passé d'un Emmanuel Macron qui a dit qu'il ne fallait pas
21:39 humilier la Russie et donc Poutine, à maintenant,
21:42 on n'exclut pas des troupes au sol, ceux qui nous regardent
21:45 et qui nous écoutent ce matin, quand ils se sont réveillés
21:47 avec la déclaration d'Emmanuel Macron, se disent,
21:49 même si on soutient l'Ukraine, est-ce qu'on serait capable d'engager,
21:53 et là on parle d'une guerre globale, nos vies, pour l'Ukraine ?
21:57 C'est une vraie question morale, politique, militaire, peut-être civilisationnelle,
22:01 je ne sais pas ce que vous en pensez sur ce point.
22:04 – D'abord on ne peut pas vivre que dans l'instantané,
22:07 même si on est à la télé, donc il faut raisonner sur la durée.
22:11 Bon, peut-être que Macron aurait dû dire, on n'aurait pas dû humilier,
22:15 il aurait rejoint Kissinger, Brzezinski, Mershimer et plein de gens
22:19 qui considèrent que la politique occidentale a été mauvaise pendant 10 à 15 ans,
22:24 pas que sur la Russie d'ailleurs, dans plein de domaines.
22:27 Après qu'il ait tenté au début de voir s'il y avait encore quelque chose à faire,
22:31 par rapport à Poutine, ce n'est pas critiquable en choix,
22:34 car les États-Unis de l'époque n'étaient pas…
22:36 – Ils n'étaient pas naïfs.
22:37 – Alors ça n'a pas marché, donc on est dans autre chose,
22:39 donc il s'adapte comme tout le monde.
22:41 Mais revenons à la vraie urgence, il faut rétablir le rapport dissuasif
22:47 par rapport à une éventuelle offensive russe, c'est ça l'urgence.
22:50 Après viennent toutes vos questions.
22:52 – Il y en a une autre, ensuite il y a un terme qui revient souvent,
22:54 on l'a entendu tout récemment, "économie de guerre".
22:56 Est-ce que l'Europe doit se placer dans une situation d'économie de guerre ?
22:59 – Si ça consiste à dire qu'il faut travailler plus, la réponse est oui.
23:04 – On est tous d'accord là-dessus, mais "économie de guerre" ça veut dire un peu plus.
23:07 – Qu'est-ce qui est d'accord là-dessus ?
23:09 Rappelez-vous les manifs sur les retraites.
23:11 – D'accord, mais vous comprenez "économie de guerre" par "travailler plus", c'est tout ?
23:15 – C'est ce que dit Jacques Attali tous les jours, il a raison.
23:17 C'est d'abord travailler plus, produire plus.
23:20 – D'accord, et à l'inverse ?
23:21 – Travailler plus, produire plus.
23:22 – Et à l'inverse on avait promis de, comment dire,
23:24 de susciter l'effondrement de l'économie russe, c'est le cas ?
23:28 – Alors ça c'est les… non ce n'est pas le cas parce que les Européens
23:32 sont encore dans une phase disons, parfois déprimée, mais la triomphaliste.
23:36 On est les maîtres du monde, rappelez-vous la théorie de Fukuyama
23:39 au moment de la fin de l'URSS, on est les maîtres du monde, on a gagné.
23:43 Donc on peut sanctionner qui on veut, on peut sermonner,
23:45 sanctionner, bombarder qui on veut, ça c'est la vision américaine qui est inexacte.
23:49 On s'est bien rendu compte que les sanctions occidentales
23:52 ne sont plus suffisamment globales et hermétiques pour faire s'écrouler l'économie russe.
23:59 Je vous rappelle que quand Poutine a attaqué l'Ukraine,
24:02 bon c'est une attaque évidente, une invasion, aux Nations Unies,
24:05 il a été condamné par 140 pays, normal, et il y a 40 pays
24:09 représentant les deux tiers de l'humanité qui n'ont pas voulu prendre parti,
24:14 n'ont pas qu'ils aiment Poutine et encore moins la guerre,
24:16 mais ils ne veulent pas être dans notre camp.
24:18 Donc il faut que les occidentaux comprennent enfin
24:20 qu'ils sont dans un monde dans lequel ils n'ont plus le monopole,
24:23 y compris en termes de sanctions.
24:25 Donc pourquoi pas les sanctions à certains moments, mais ça ne suffit pas.
24:28 Ça ne peut pas tenir lieu de politiques dans tous les domaines.
24:32 Mais c'est compliqué pour les occidentaux parce qu'ils sont tellement arrogants
24:35 en termes de puissance comme les américains, ou tellement idéalistes,
24:38 vous vous en moquez tout le temps, les européens, bijounours,
24:42 donc il faut atterrir dans le monde réel.
24:45 – Ce travail et plus dont vous venez de parler,
24:48 concrètement comment ça pourrait s'organiser, qu'est-ce qu'il faudrait faire ?
24:53 – Dans toute l'industrie d'armement par exemple.
24:55 – C'est ce qu'on fait déjà non ?
24:57 – Non, peut-être pas, peut-être monter.
25:00 – On va continuer à en parler justement sur ce sujet.
25:02 – Je voulais dire que l'économie de guerre,
25:04 ce n'est pas l'économie gérée par l'armée, il faut expliquer aux gens.
25:07 D'abord travailler plus, qu'ils sont prêts à travailler plus.
25:10 – On a marqué la pause, pardonnez-moi Hubert Védrine,
25:13 on va continuer à en parler, c'est très important ce que vous dites
25:15 sur la politique des sanctions, on comprend qu'elle est en partie inutile,
25:19 on va élargir notre spectre à ce qui se passe aussi évidemment aux Proches-Orients,
25:23 votre analyse est très très importante sur ce sujet,
25:26 puis on parlera des grands diplomates, évidemment avec cette fresque dans votre livre.
25:30 – Oui je suis venu pour ça, rappelez-vous.
25:32 – Mais bien sûr, entre autres, mais ça rejoint tout ce qu'on dit, à tout de suite.
25:36 [Silence]
25:38 – Et nous poursuivons en direct ce grand rendez-vous Europe 1C News,
25:41 les Echos avec notre invitée, l'ancien ministre des Affaires étrangères,
25:44 Hubert Védrine, auteur de l'ouvrage "Grands Diplomates, les maîtres des relations internationales"
25:49 de Mazarin à nos jours, aux éditions Perrin, on va largement en parler,
25:52 mais tout d'abord, évidemment, focus sur ce qui s'est passé il y a quelques jours
25:56 avec une distribution alimentaire qui a tourné au drame.
25:59 Jeudi 29 février, des soldats israéliens ont ouvert le feu à Gaza
26:04 sur une foule pendant la distribution d'aide qui a tourné au chaos avec de nombreux morts.
26:08 Ça, Hubert Védrine a reconnu des tirs de soldats se sentant menacés, disent-ils, par la foule.
26:13 La France a exprimé sa profonde indignation, bref, il y a eu une avalanche de réactions.
26:17 Que dit une telle tragédie de la situation sur place, selon vous ?
26:22 – C'est des horreurs qui s'ajoutent à d'autres et qui sont inévitables dans la situation où ils sont.
26:28 Rappelez-vous que Gaza était déjà l'enfer sur terre, avant.
26:32 Sarkozy le disait il y a quelques années.
26:34 – L'enfer sur terre ?
26:36 – C'est la pire prison à ciel ouvert dans le monde, Sarkozy, avant.
26:40 Donc l'engrenage, l'atrocité des attaques du Hamas, l'horreur de la guerre de Gaza, bon qu'est-ce que vous voulez.
26:46 La seule question intéressante c'est qu'est-ce qui permet d'en sortir ?
26:50 – Et alors ?
26:51 – Il y a une réponse aujourd'hui, immédiatement à ça ?
26:54 – Il y a la réponse à ce court terme, qu'est-ce qui peut permettre d'arrêter les combats ?
26:59 Je pense que l'Australien a quand même le sentiment qu'ils ont pour l'essentiel détruit l'activité militaire du Hamas.
27:05 Il y a l'humanitaire à court terme, etc.
27:08 C'est pathétique la vie de ces gens.
27:10 – Restons, pardonnez-moi, sur l'humanitaire.
27:13 – Mais après, la seule vraie question c'est la solution de fond.
27:15 – Hubert Védrine, pardonnez-moi, je veux encore rester sur la situation,
27:18 on passe trop vite sur ce sujet-là, parce que là ce qui se prépare aussi éventuellement,
27:22 c'est une prochaine offensive terrestre sur Rafah, qui est l'extrême sud du territoire.
27:26 C'est le dernier bastion urbain où les soldats n'ont pas encore pénétré.
27:31 Quelles conséquences cela aurait sur le terrain ?
27:35 Et je vous vois affecté, semble-t-il, par ces images.
27:38 – Ce sera la même chose en pire.
27:40 Vous connaissez très bien la situation.
27:43 Après l'attaque du Hamas, les horreurs de l'attaque du début,
27:48 il y a quand même cohésion autour de Netanyahou,
27:51 même si sa popularité s'est effondrée complètement.
27:54 Et il n'y a pas de puissance en Israël ou à l'extérieur
27:57 qui puisse arrêter l'action de l'armée israélienne.
28:00 L'idée d'éradiquer le Hamas, ce qu'ils n'arriveront jamais à faire complètement,
28:05 parce que c'est un système aussi politique que militaire en fait,
28:08 il n'y a pas de porte qui puisse l'arrêter.
28:10 Alors on voit bien que Biden, qui ne peut plus tenir sur la position classique
28:14 de soutien à 200% à Israël, essaie de le corriger,
28:18 mais en réalité il n'y a rien qui puisse arrêter vraiment.
28:21 Et le jour où ça s'arrêtera, vous verrez qu'une grande partie de l'opinion israélienne
28:25 dit "on n'a pas été assez loin, on n'a pas détruit tout le Hamas,
28:28 il reste des dégâts dangereux, etc."
28:30 Donc il faut revenir à la seule question qui en effet m'affecte moi,
28:35 parce que dans ma vie au pouvoir très longue,
28:37 j'ai participé à presque tous les processus de paix.
28:40 Donc j'ai connu vraiment, vraiment, une petite minorité très courageuse
28:46 qui au sein d'Israël s'était résignée à ce qu'il y ait un État palestinien,
28:50 et au sein du monde palestinien s'était résignée à reconnaître Israël.
28:54 C'était des minorités, souvent combattues dans leurs camps.
28:57 Ce que j'ai vécu moi sur 30 ans et quelques, c'est des batailles féroces dans chaque camp,
29:02 beaucoup plus qu'un affrontement israélo-palestinien en fait.
29:05 Mais rappelez-vous que Sadat avait été assassiné par un islamiste égyptien,
29:09 que Rabin a été assassiné par un juif fanatique appartenant à des partis
29:13 qui sont représentés dans le gouvernement de Netanyahou, pas le cabinet de guerre.
29:17 Donc la seule chose, il y a l'urgence, il y a l'humanitaire, il y a la vie de ces pauvres gens.
29:22 Mais l'urgence c'est ce que Biden lui-même a dit depuis le début,
29:26 qui n'est pas obligé pour des raisons américaines, il faut retrouver une voie vers un État palestinien.
29:32 – Il n'est pas entendu Biden du tout, on a l'impression que sa parole ne porte pas.
29:37 – Pour le moment, il attend que quelque part en Israël les gens écartent Netanyahou
29:43 pour mettre au pouvoir le général Gantz, qui est un général répressif,
29:47 ou un gars très dur, répressif, c'est normal du point de vue israélien, pour inspirer confiance,
29:52 qui réentame un processus le jour où il y aura un nouveau processus,
29:56 un nouveau Premier ministre soutenu par la Maison Blanche, j'espère,
29:59 par les Européens, les Arabes, etc.
30:01 où ils auront sorti un leader palestinien de prison, qui va redevenir l'interlocuteur.
30:05 – Que vous connaissez, vous pouvez dire ce mot.
30:07 – Alors qu'ils ont tout fait, c'est le…
30:09 – Le barman Barhouti ?
30:11 – Je n'en sais rien, mais en tout cas, dès que le processus aura redémarré,
30:14 les cinglés des deux côtés vont essayer de les éliminer.
30:18 Donc il faut avoir en tête, quand je raconte le processus de paix,
30:21 ce n'est pas pour raconter ma vie, c'est parce que dès que ça va recommencer,
30:24 les mêmes zones extrêmes fanatiques qui n'acceptent aucun État palestinien,
30:29 ou pas du tout Israël, vont recommencer.
30:31 Donc il faudra recommencer avec beaucoup de force de détermination, etc.
30:34 Et là on retombe sur un délai, comme sur l'affaire de l'Ukraine et l'OTAN, assez court,
30:39 parce que si Trump revient, tout cet échafaudage est balayé.
30:45 – Mais la première étape, qu'est-ce que c'est exactement ?
30:47 C'est le cessez-le-feu ?
30:48 C'est Israël qui va jusqu'au bout de son travail pour que le cessez-le-feu soit enfin possible ?
30:52 Quelle est la première étape pour vous ?
30:55 – Alors à mon avis, le fait de… c'est indépendant en fait.
31:00 Il faudrait que les États-Unis obtiennent que les opérations s'arrêtent,
31:05 même si d'un point de vue militaire, ils n'ont pas atteint 100% des objectifs.
31:09 Après il faut remettre dans le jeu les dirigeants arabes,
31:13 qui avaient été imprudents d'allant trop loin dans les accords d'Abraham,
31:16 sans rien obtenir pour les Palestiniens,
31:18 parce qu'on a tous été victimes collectivement de la politique Netanyahou,
31:22 qui disait "il n'y a pas de problème palestinien, on s'en fiche, terminé".
31:25 Et de toute façon, je n'ai pas d'interlocuteur qui a dit
31:28 "il a tout fait pour qu'il n'y ait qu'un monstre en face".
31:30 – C'est important ce que vous étiez en train de dire.
31:32 – Même Nehoud Barak dit ça, il a tout fait exprès pendant 15 ans.
31:34 – Le problème palestinien a été effacé, oublié.
31:37 – Oui, et d'ailleurs, en effet, les Européens baissaient les bras,
31:40 les Saoudiens étaient prêts à normaliser,
31:42 donc il avait réussi quand même, avec l'aide de Trump.
31:45 Mais, moi je pense que c'est une erreur depuis le début,
31:47 ils ont apporté comme sur un plateau, la bombe à retombant de Gaza, aux Iréniens.
31:52 Donc il y a quand même en Israël des gens qui disent "c'est une erreur",
31:56 et comme le disent des magnifiques figures du camp de la paix,
31:59 qui renaient, qui avaient disparu, ils renaient.
32:02 Il y a un politique très connu en France,
32:04 depuis 15 ans ils disaient que Netanyahou, de toute façon, c'est fichu.
32:07 Mais là ils disent, puisque les Israéliens réalisent
32:10 que la politique la plus impitoyable envers les Palestiniens à Gaza,
32:13 et en Cisjordanie, le comportement des plus fanatiques des colons,
32:18 150 000 sur les 700 000, est absolument monstrueux.
32:22 – Vous passez trop vite sur la Cisjordanie, c'est important,
32:25 quand vous dites "monstrueux" c'est-à-dire ?
32:26 – Sur les colons qui arrachent les oliviers, qui empoisonnent les puits,
32:29 qui flinguent les gamins, etc.
32:30 Bon, donc c'est pas les 700 000, c'est les 150 000.
32:33 Alors le raisonnement du camp de la paix, c'est de dire que,
32:35 puisque même ça, ça n'a pas garanti la sécurité aux Israéliens,
32:40 puisqu'il y a eu les horreurs du Hamas en octobre,
32:43 ils vont peut-être redevenir disponibles au raisonnement d'Itzhak Rabinin,
32:47 qui était très dur et très répressif, mais qui a conclu qu'il y avait un problème politique.
32:53 Il avait dit "je négocie avec les terroristes", l'OLP.
32:56 À l'époque l'OLP est présenté comme le Hamas aujourd'hui.
32:59 – Mais il y a une différence de fond, c'est un mouvement rationaliste,
33:02 alors que là c'est un mouvement islamiste.
33:04 – Oui mais enfin, je sais, c'est plus compliqué.
33:07 Mais il y a quand même eu le courage de Rabin,
33:09 qui est l'homme le plus courageux que j'ai vu de ma vie.
33:11 Rappelez-vous ce qu'il disait,
33:13 "je combattrai le terrorisme", qui était celui des Palestiniens,
33:17 "comme s'il n'y avait pas de processus de paix, mais", Israélien,
33:21 "je poursuivrai le processus de paix comme s'il n'y avait pas de terrorisme".
33:24 – Qui peut le dire aujourd'hui ?
33:26 – Pour le moment personne, parce que Netanyahou dit l'inverse.
33:28 Il dit qu'il est le rempart contre l'État palestinien,
33:31 même pas contre le terrorisme, contre l'État palestinien.
33:34 Donc il y a une petite chance faible, je reconnais,
33:38 qui est une sorte de circle vertueux qui redémarre,
33:42 processus si un changement de Netanyahou.
33:45 Maison Blanche, les Arabes, un nouveau Palestinien, c'est un bon.
33:48 Et après il faut aller vite.
33:49 Mais ça peut très bien ne pas marcher du tout,
33:51 ça paraîtrait peut-être comme purement utopique,
33:54 et à ce moment-là on va de drame en drame, de pire en pire.
33:56 – Expliquez-nous.
33:57 – Jusqu'au jour où les du côté arabo-musulmans,
33:59 ils auront des armes bien pires pour attaquer Israël.
34:02 – C'est-à-dire ?
34:03 – Je rappelle…
34:04 – Une attaque massive ?
34:05 – Vous pensez à quoi ? La bombe ou un alliance ?
34:07 – Oui, ou des… enfin bon, je ne détaille pas.
34:10 Mais je signale que le camp de la Péki, René, ce n'est pas des idéalistes.
34:14 Il y a plein d'anciens militaires dedans, en Israël.
34:17 D'ailleurs dans un sondage il y a 15 jours,
34:20 alors 25% des Israéliens sont pour virer tous les Palestiniens.
34:24 – Ça veut dire quoi virer les Palestiniens ?
34:26 – Les déporter en Jordanie ou en Égypte.
34:29 Un peu comme la prison de Jackson aux États-Unis,
34:32 qui avait déporté à l'ouest du Mississippi tous les Indiens qui étaient à l'est.
34:37 C'est les guerres indiennes, vous savez, ça ressemble beaucoup à les guerres indiennes.
34:40 Il faut les réutiliser.
34:41 – Les Apaches ?
34:42 – Les réutiliser, Apaches, Comanches, Chiou, etc.
34:45 Mais dans le même sondage, 31% donc plus d'Israéliens,
34:49 même après les horreurs du Hamas, sont d'accord pour une solution à deux États.
34:54 Alors on ne sait pas comment, vous allez me dire comment.
34:57 – Ça fait 40 ans qu'on en parle des deux États, avec les colonies de peuplement.
35:01 – Pas depuis 15 ans.
35:02 – Est-ce que c'est réaliste encore aujourd'hui ?
35:03 – Pas de, non, ça redevient.
35:05 Depuis 15 ans plus personne n'en parlait.
35:07 Et Netanyahou croyait avoir gagné.
35:09 Et paradoxalement, cette idée qu'ils sont birealistes est réétudiée.
35:15 Sinon pourquoi Biden parlerait d'une voie vers un État palestinien ?
35:19 – Il n'en a pas une rhétorique.
35:21 – Il n'en parlait pas avant, il n'a pas de la rhétorique.
35:24 Et donc il y a une chance ténue, ténue je reconnais.
35:28 – Encore une question.
35:29 – J'espère que là, les Européens et notamment la France…
35:33 – Oui parce que c'est le mot qui n'a pas été prononcé depuis tout à l'heure.
35:35 Vous espérez mais vous n'y croyez pas.
35:36 – Il n'y avait plus de processus.
35:38 – Mais quelle est l'influence de la France, Hubert Védrine ?
35:40 – J'espère que s'il y a un processus, on pourra être utile dans le processus.
35:44 – C'est une phrase à minima.
35:46 – Oui mais on parle de zéro là, de zéro dans le processus je veux dire.
35:50 – Mais notre rôle c'est zéro aussi ?
35:52 – Non mais le rôle de tout le monde.
35:54 – La France, oui mais la France c'était une puissance d'équilibre, ce n'est pas…
35:57 – Qu'est-ce qui a influencé Netanyahou depuis 15 ans ?
36:00 Regardez les mémoires d'Obama, il passe 30 pages à expliquer
36:04 pourquoi est-ce qu'il faudrait faire et pourquoi il ne peut rien faire.
36:08 Donc il faut résigner en termes de redémarrage.
36:11 On va en parler. Pour ça il faut des grands diplomates.
36:14 Et c'est justement le titre de votre ouvrage passionnant.
36:17 On va s'y plonger avec vous Hubert Védrine, à tout de suite.
36:20 Nous poursuivons notre émission "Le Grand Rendez-vous" avec Hubert Védrine,
36:27 ancien chef de la diplomatie, ancien ministre des Affaires étrangères,
36:30 auteur de cet ouvrage "Grands diplomates, les maîtres des relations internationales"
36:34 de Mazarin à nos jours.
36:35 Et la question de savoir qui sont et où sont les talerans et les vergènes contemporains,
36:39 la question vous est posée par Mathieu Bocquete.
36:41 Alors il y a une trame de fond dans votre ouvrage.
36:43 Les grands diplomates ont une capacité qui n'est pas nécessairement donnée à tous,
36:46 c'est de se placer dans la position de leur ennemi et de comprendre
36:49 le raisonnement de leur ennemi et plus encore de tenir compte de leur intérêt
36:53 dans la définition de l'intérêt de leur propre pays.
36:55 Donc un souci d'équilibre, un souci d'être capable de comprendre
36:58 ce qui se passe dans la tête de l'autre.
37:00 Le sommes-nous encore capable aujourd'hui ?
37:02 Beaucoup de grands négociateurs en sont capables.
37:06 Parce qu'en fait ce n'est pas que des diplomates, c'est des grands négociateurs.
37:09 Je voudrais dire au passage d'ailleurs que c'est une idée de l'éditeur Benoît Hiver,
37:13 patron de Perrin, une belle maison sur les choses historiques,
37:16 qui est venu me chercher.
37:18 Et on a choisi 20 sujets, enfin 20 personnes et 20 auteurs.
37:22 D'accord.
37:23 Mais dans ma réflexion en post-face, je fais remarquer que dans les sociétés modernes,
37:28 même de très bons négociateurs comme Sultan Al-Jaber,
37:32 qui a très bien présidé la COP 28,
37:34 ils ne vont pas passer 20 ou 30 ans à ne faire que ça,
37:38 que le temps de sculpter la légende, de sculpter la statue.
37:43 Et donc ça tourne beaucoup plus vite.
37:46 Donc je pense qu'on est dans un monde où tout le monde négocie tout le temps.
37:49 Il faut avoir les qualités que vous rappelez.
37:51 Et en même temps, il n'y aura pas de grandes, grandes figures,
37:54 comme on l'a vu pendant 4 ou 5 siècles.
37:56 Mais dans tous les cas, même pour un patron du CAC 40 qui négocie,
38:00 il faut savoir ce que l'on veut, quel est l'objectif,
38:03 que veut la personne qui est en face.
38:05 Comme l'a écrit Gourdeau-Montagne, c'est un très bon livre,
38:08 "Les autres ne pensent pas comme nous".
38:10 Ah bon ? Bizarre.
38:12 Maurice Gourdeau-Montagne, inspecteur général.
38:14 Ancien Sherpa de Chirac, grand diplomate aussi.
38:17 Il faut être capable de dire sur quoi est-ce que je peux faire,
38:20 le moment venu, un compromis.
38:22 Est-ce que c'est avalable par mon opinion ou pas ?
38:24 Et quel est le compromis que je peux obtenir de l'autre ?
38:27 C'est ça la mécanique, en fait.
38:28 - Et dans l'ouvrage, il y a une figure un peu étonnante,
38:30 on pourrait dire, surtout dans les temps présents,
38:32 c'est le dernier chapitre sur Sergeï Lavrov.
38:34 Alors, dans "Les grands diplomates",
38:36 on considérait de votre point de vue qu'aujourd'hui,
38:38 au cœur de la Russie poutinienne, il y a néanmoins encore aujourd'hui
38:41 un grand diplomate.
38:42 - Oui, parce qu'il est resté très longtemps.
38:44 Ça aurait été, je pense, un peu myope, un peu court, un peu simplé
38:47 de ne pas mettre ce personnage.
38:49 Alors, il en manque 2 ou 3 qu'on pourrait mettre un jour
38:52 dans une édition augmentée, c'est possible, ça.
38:54 Mais ça aurait été un tableau incomplet.
38:56 Et vous remarquerez que les seuls qui sont encore restés très longtemps,
39:00 c'est des gens dans des systèmes despotiques.
39:02 - Oui, bien sûr.
39:03 - Comme la Russie.
39:04 Mais c'est pas un tableau d'honneur.
39:06 C'est pas le rassemblement que des gens qu'on aime.
39:08 C'est pour comprendre le monde.
39:10 Alors, il y a le goût de l'histoire qui est très fort en France,
39:12 tant mieux.
39:13 Mais comme les...
39:15 Je pense que même les Européens bijounours
39:17 commencent à comprendre qu'ils sont pas dans la communauté internationale
39:20 avec 9 milliards de boyscouts,
39:23 mais que c'est comme une foire d'empoigne,
39:25 c'est pas non plus la guerre froide.
39:27 C'est plus compliqué.
39:28 Il y avait l'Est, l'Ouest, le Sud.
39:30 Et là, il y a la question russe-occident, la question Chine,
39:33 le Sud global qui est pas global.
39:35 C'est quand même assez chaotique.
39:37 Donc c'est pas sans intérêt, en dehors de l'histoire,
39:39 de revenir à ces personnages dont certains sont très très connus,
39:42 comme Talleyrand, ou que l'on croit connus, comme Bismarck,
39:45 mais d'autres méritent de l'être à nouveau plus que Vergennes,
39:48 sans parler de Connix, William Pitt, etc.
39:51 Comment les maîtres du monde de l'époque,
39:53 pas les numéros, c'est pas les rois, c'est les ministres,
39:56 comment ils ont réussi à gérer, bien ou mal, les équilibres,
39:59 les rapports de force ?
40:01 En tout cas, c'est un intérêt d'actualité.
40:04 Oui, en ce moment, et c'est pour ça, évidemment,
40:06 je vous remercie d'être là ce dimanche.
40:07 Et ce ne sont pas, dans ce tableau-là, dans cette phrase,
40:10 des négociateurs, des experts, des techniciens en tout genre,
40:13 qui se succèdent au même rythme que des chefs d'État,
40:16 qui se réservent d'ailleurs, dites-vous, la première place
40:18 dans le domaine d'action, dès qu'il s'agit de parler
40:20 de l'avenir de la planète et du monde.
40:22 Pourquoi aujourd'hui, une forme de technocratie
40:25 a pris le dessus, semble-t-il ?
40:27 Je vous pose la question sur la diplomatie
40:29 au sens noble du terme.
40:31 Disons, la diplomatie des ministres d'affaires étrangères
40:34 ou des grands diplomates couvre une partie du champ.
40:37 Mais vous avez le rôle des ministres de l'économie
40:41 et des finances.
40:42 Vous avez le rôle des directeurs du Trésor,
40:44 qui sont en connexion entre eux.
40:46 Vous avez le rôle des Sherpas, qu'on a inventés
40:48 pour le G5, devenu G7, le premier ayant été
40:51 pour la France Jean-David Lévite, par exemple.
40:55 Vous avez les Sherpas du G20, vous avez des représentants
40:59 permanents à Bruxelles, à l'OTAN, à New York.
41:02 Donc il y a un ensemble d'acteurs, de décideurs.
41:05 Et donc c'est compliqué de...
41:07 C'est la fin des purs diplomates ?
41:09 Non, ce n'est pas la fin, sauf s'il y a des décisions
41:14 sur les corps qui nous obligeront un jour ou l'autre
41:19 à reconstituer une filière professionnalisante.
41:22 Non, c'est le fait qu'ils sont relativisés.
41:24 Alors d'autre part, il y a un phénomène qui existe
41:26 depuis l'invention des sommets, de l'avion,
41:28 donc des sommets, c'est les numéros 1.
41:30 Donc le numéro 1 attire la lumière dans les sommets.
41:35 Il ne peut pas se passer de tout un système à côté,
41:37 mais c'est complètement différent.
41:39 Alors l'Avrof, c'est encore l'époque contemporaine.
41:41 Il y a même Boutros-Ghali et Kofi Annan.
41:43 Mais si on prend au 16e, disons au 20e,
41:46 on voit bien qu'il y a quelque chose qui relativise
41:49 ce que pouvait être un grand diplomate.
41:51 Il n'y a personne qui soit dans la situation
41:53 de Talleyrand ou de Congrédienne.
41:55 Et même Kissinger, qui a passé la moitié de sa vie
41:59 à faire une sorte de mise en scène géniale,
42:01 très réussie sur lui.
42:02 Par rapport à ça, il dit, je ne crois pas qu'un président
42:06 maintenant pourrait donner un tel mandat
42:09 à un conseiller de sécurité comme j'ai été.
42:12 Un grand diplomate en Occident aujourd'hui,
42:14 est-ce qu'il n'y a pas nécessairement une forme
42:16 d'école de modestie aussi?
42:17 Je m'explique.
42:18 Les Occidentaux, à partir de 90 peut-être avant,
42:20 se sont dit que globalement, l'humanité veut
42:22 la même chose que nous.
42:23 Et aujourd'hui, est-ce que l'étape nécessaire,
42:25 ce n'est pas de se dire qu'il y a des cultures
42:27 qu'on doit prendre la peine de connaître,
42:29 il y a des civilisations qui ne sont vraiment pas les nôtres,
42:31 et l'homme partout sur Terre n'est pas le même.
42:33 J'ai l'impression que c'est la part manquante
42:35 de la mondialisation à l'américaine
42:37 depuis les années 90.
42:38 - Vous avez raison.
42:39 Je suis d'ailleurs assez d'accord.
42:41 - De temps en temps, ce n'est pas mal.
42:43 - Vous le soulignez?
42:44 - Oui, mais je le dis à mes amis que souvent,
42:45 je ne suis pas d'accord.
42:46 - Ah bon? Pourquoi?
42:47 - Vous sauvez vos amis si vous faites bien.
42:48 - Ils sont vos amis, non.
42:49 - Je reviens sur la diplomatie.
42:50 La remarque est juste, mais elle ne s'applique
42:52 pas tellement à la diplomatie.
42:53 Parce qu'ils continuent à négocier,
42:55 même dans l'Europe, au-delà des accords commerciaux.
42:58 Il y a plein de choses qui se négocient tout le temps.
43:00 Par contre, si vous parlez de la vision globale,
43:03 de la, disons, trop idéaliste, un peu utopique
43:07 des Occidentaux après la prétendue fin de l'histoire,
43:10 oui, c'est vrai, ça a désarmé beaucoup l'Occident
43:13 par un mélange de, comment dire,
43:16 de prétention et de désinvolture.
43:18 Pour moi, la politique américaine dans la décennie 90,
43:21 et après, on en a parlé sur la Russie,
43:23 l'Ukraine, on peut en parler sur la Chine.
43:26 Rappelez-vous que ce sont les Américains qui avaient dit
43:29 « les Chinois commencent à nous casser les pieds,
43:31 mais on va les mettre dans l'OMC. »
43:33 Il n'y a en plus aucun critère, on va les mettre.
43:35 Ça va l'aider à s'enrichir et donc à se démocratiser.
43:39 Il n'y a pas plus les Allemands que le gaz russe.
43:42 Bon, donc je suis d'accord globalement par rapport à ça,
43:45 mais le monde occidental est obligé de l'atterrir.
43:48 Il faut qu'on atterrisse en retrouvant la réalité.
43:52 Moi, je défends l'arrière politique,
43:54 je me fais attaquer là-dessus,
43:56 mais je dis que c'est moins pire que l'irréal politique
43:58 dans lequel on a baigné et qui nous rend impuissants.
44:01 Donc on est dans un monde où on n'a pas le monopole,
44:03 les Occidentaux, que les autres ne pensent pas comme nous.
44:08 Il faut arrêter d'attaquer le sud global,
44:11 en disant « ce n'est pas vrai, le sud n'est pas global,
44:13 il est hétéroclite, l'Inde et la Chine, c'est vrai bien sûr. »
44:16 Mais il faut faire comme si de rien n'était.
44:19 Il faut accepter une sorte de rhétorique anti-occidentale
44:21 qui est largement verbale en fait.
44:23 Et les Occidentaux ont une politique assez astucieuse,
44:26 si c'est possible, par rapport à la Chine, l'Inde,
44:29 l'Afrique du Sud, Nigéria, Brésil, tout ça.
44:31 Donc on n'a pas intérêt à crédibiliser en attaquant.
44:35 Donc ça, je le dis parce qu'on n'est pas dominant.
44:38 Si on était resté dominant, alors en bien ou en mal,
44:42 je dirais autre chose, mais je parle de la situation
44:44 et que ça concerne aussi bien le drame ukrainien
44:48 que le proche-orient que le reste.
44:50 Donc voilà le lien qu'on peut faire avec des personnalités
44:53 du 17e, 19e et aujourd'hui.
44:56 – Et voilà pourquoi ce livre est vraiment passionnant,
44:59 on l'a lu avec intérêt en cette période.
45:01 On va conclure en évoquant aussi un essai à venir
45:03 qui peut-être surprendra aussi ceux qui vous connaissent ou pas,
45:06 Hubert Védrine, puisqu'il sera consacré à Albert Camus.
45:09 Camus, le rempart, en un mot parce qu'il faut…
45:11 – Notre rempart.
45:12 – Notre rempart.
45:13 Pourquoi est-il notre rempart en un mot avant de conclure ?
45:16 – C'est une passion d'adolescence à laquelle j'ai voulu revenir maintenant,
45:20 après la vie marquée par le pouvoir.
45:23 Et quand on relit Camus, j'ai tout relu,
45:26 les commentaires sur Camus, les polémiques Camus-Sartre entre autres,
45:30 et je pense qu'il a un rempart contre l'inculture,
45:35 la bêtise, le fanatisme de masse, tout ça.
45:38 – Camus, notre rempart.
45:40 – C'est une source pure qui peut nous abreuver encore.
45:43 – Et qui pour la Méditerranée, source pure, ça va ensemble.
45:46 J'espère qu'on aura l'occasion d'en reparler en tous les cas.
45:48 Merci Hubert Védrine pour ce grand rendez-vous.
45:50 Je remercie évidemment mes camarades Stéphane et Mathieu,
45:53 je vous dis à très bientôt et restez avec nous, je l'espère,
45:55 ce dimanche, bon dimanche à vous sur nos deux antennes et à très bientôt.
45:58 !

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