• il y a 9 mois
Il a inventé un monde et des langues qui vont avec. Jeune auteur à la lisière de la science-fiction, Martin LIchtenberg publie un premier roman vertigineux aux éditions Héloïse d’Ormesson, "La Roche". Il est ce matin l'invité de Mathilde Serrell. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes/nouvelles-tetes-du-mercredi-21-fevrier-2024-9501900

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00:00 Les Nouvelles Têtes, Mathilde. Ce matin, un jeune poète cinématique, Martin Lichtenberg,
00:06 est dans notre studio. Portrait sonore.
00:09 Autour de la maison, l'arbre sans fin dort encore. Il n'a pas de début, pas de fin.
00:16 Au bout d'une branche, il y a toujours une autre branche et des feuilles. Beaucoup de feuilles.
00:22 De sa lecture des œuvres de Claude Pontier enfant, il a gardé l'amour des mots avec lesquels on joue à l'infini.
00:29 Ses premiers chocs esthétiques, ce seront les cimes des montagnes chez ses grands-parents
00:33 et sa première matrice, Le roi et l'oiseau de Prévert et Grimaud.
00:38 Premier étage, affaires courantes, contentieux, trésorerie, orfèvrerie, trésor public, impôts et taxes, liquidation, solde de coupons, familles royales,
00:48 prison d'état, prison d'été, prison d'hiver, prison d'automne et de printemps, bagnes pour petits et grands.
00:54 En quatrième, c'est le déclic de l'écriture avec une nouvelle fantastique en termes de genre,
01:00 puis au lycée, des centaines de poèmes sans intérêt en termes de style.
01:04 Pour inventer ses propres images, il se tourne alors vers le cinéma.
01:08 Silence plateau s'il vous plaît. Moteur. Ça tourne. Action.
01:15 D'abord, objet d'étude, la matière cinématographique devient son quotidien.
01:20 Il est régisseur sur les tournages, multiplie les voyages, puis décide de remettre les mots au centre du village.
01:43 S'inspirant de l'un de ses auteurs de chevet, Alain Damasio, qu'on entendait ici avec Rone, et de sa langue qui creuse un ailleurs,
01:50 il s'attelle à son premier roman, ce conte d'anticipation, où le monde est submergé et des gens, lardés d'espoir,
01:58 dérivent vers une île fantasmée. Ça s'appelle La Roche, ça vient d'être publié chez Héloïse Dormeson.
02:04 Martin Lichtenberg, bonjour. - Bonjour.
02:07 - Vous avez 27 ans, vous êtes toujours régisseur dans le cinéma. Les mots, quand vous les voyez, vous les travaillez comme des effets spéciaux ?
02:16 - Oui, c'est exactement ça, je les adore et j'aime énormément jouer avec, jongler avec, en faire...
02:22 Pour moi c'est vraiment une matière première à travailler.
02:26 - C'est une matière explosive ? - Complètement. Complètement explosive.
02:29 Un truc qui est prêt à te péter dans les mains, et dont tu dois faire... qui doit être animé, qui doit être mu.
02:39 - Lardé d'espoir ? - Oui, exactement.
02:43 - C'est assez frappant, c'est assez désespérant également, mais il y a un monde qui explose, rien que dans Lardé d'espoir.
02:51 - Oui, il y a une idée de violence, il y a une idée de nécessité d'espoir. Lardé d'espoir, c'est l'idée...
02:57 - Comme des coups de couteau ? - Voilà, comme des coups de couteau.
02:59 On n'a pas le choix en fait, on garde la tête haute, on essaie de la garder hors de l'eau,
03:06 et d'avancer coûte que coûte face à tant d'adversité.
03:11 - La Roche, c'est presque un scénario, ce livre, c'est un premier roman, donc vous parlez de contes poétiques,
03:18 c'est aussi peut-être de la surréalité, puisqu'on en parlait à l'instant.
03:22 Vous avez créé un monde flottant avec des castes, il y a les Rocheux, la classe populaire qui travaille dur
03:28 pour gagner un hypothétique billet de train vers la capitale, objet de toutes les convoitises.
03:32 Il y a les Rocailleux, les anciens rebelles, qui ont abandonné tout espoir, qui se morfondent dans une débauche arrosée de magma.
03:38 C'est le mélange qui tourne dans les bas-fonds.
03:40 Et puis il y a les Carriéreux, qui tentent de maintenir les apparences d'une grandeur passée et la gardent.
03:45 Le pouvoir répressif, corrompu aussi, qui gère les départs et les élus, les avant-gardiens.
03:51 On les appelle. Comment est venue cette terminologie ?
03:54 Les Rocheux, les Carriéreux, on entend presque Carriériste.
03:57 Pourquoi tous ces mots sont venus du minéral ?
04:01 C'est la roche en fait, tout simplement. Je ne sais pas du tout pourquoi j'ai pensé à cette idée de roche.
04:07 Peut-être mon amour de la montagne, de l'escalade, ça a dû venir de ça.
04:12 Et roche, de la roche, tout est venu graviter autour du champ lexical de la roche, du minéral.
04:20 Ce qui est intéressant, c'est qu'on est dans un monde qui n'est pas daté.
04:24 C'est pour ça que vous ne parlez pas d'anticipation. Je ne peux pas vous dire qu'on est en 2072 ou 2127.
04:29 Pour autant, on se doute bien que si ce monde est submergé, c'est un petit peu qu'il ressemble au nôtre.
04:35 Et il y a plusieurs langues qui se croisent. Il y a un roman qui s'écrit dans le roman, qui est le personnage de Lou,
04:40 une petite fille, et qui pose cette question tout au début.
04:43 Comment nous nous sommes retrouvés là ? À quel moment avons-nous laissé nos corps s'extraire de la piste ?
04:48 C'est un roman qui se passe au moment où on se réveille dans le monde qu'on n'aurait pas voulu, mais qu'on va devoir gérer ?
04:54 Oui, d'une certaine façon. Je suis un enfant de ma génération.
04:59 Et comme tout enfant de ma génération, j'ai grandi avec cette idée qu'on ne va pas dans le bon sens.
05:05 Et avec cette angoisse d'un monde, d'un avenir très sombre, mais qui reste hyper mystérieux.
05:13 Parce qu'on ne sait pas exactement ce qui pourrait arriver. Et je pense que c'est une idée qui transparaît énormément dans la roche.
05:20 Et qui est une idée aussi qui vous est venue en réaction. On peut penser à des blockbusters.
05:25 Ça avait été un four Waterworld avec Kevin Costner, mais ce sont des choses qui sont travaillées par le cinéma, le cinéma grand spectacle.
05:33 Vous vouliez faire d'autres images, vous dites, contre des images qui sont fabriquées de toutes pièces et qui ont le pouvoir de séduire et de mentir.
05:40 Vous disiez fissurer ce que nous on regarde d'habitude sur grand écran.
05:44 Oui, mais c'est un truc qui me fascine complètement dans le cinéma.
05:48 C'est cette capacité, dans le cinéma et dans les images de manière générale.
05:52 C'est la capacité du cinéma à mentir, à montrer des images qui peuvent être fabriquées de toutes pièces, comme je l'écris.
06:01 Et qui peuvent mener, complètement duper le spectateur.
06:06 Les mots, c'est des antidotes.
06:08 Oui, peut-être. Je pense qu'on peut mentir avec les mots aussi, mais les images, il y a vraiment l'idée de la preuve par l'image.
06:15 Et en fait, je pense qu'il y a cette volonté de déconstruire cette idée dans La Roche.
06:22 Dans La Roche, qui se lie, comme on irait voir, presque un grand film.
06:26 Il y a des langues qui se croisent. C'est un monde avec des langues.
06:29 Vous avez un peu fait votre Tolkien, vous avez écrit "Des langues pour votre monde".
06:33 Il y a un musicien, qui était avant sur des pianos, qu'on a pu croiser dans les aéroports, qui s'appelle Sol.
06:41 Et lui, il parle un peu comme si on était dans une chanson de rap.
06:45 "Je m'installe, foule dans mon dos, pose, je fixe la tour mère en mode provoque et ronde train-train sur la loco des notes carrées.
06:52 Les sons s'envolent, violents, furtifs, ça flotte, crochette et ça mitraille.
06:56 Foule épatée, ponte sur le cul et l'autre poireau, la façade grave."
07:00 Est-ce que vous parlez bien le sol ? Traduisez-moi ce qu'il dit.
07:04 C'est pas mal dit comme ça.
07:06 C'est un langage que j'ai pas mal travaillé, mais qui est venu assez spontanément.
07:15 J'avais vraiment cette envie de créer un langage rythmé, un langage qui percute et qui explose, comme on disait tout à l'heure.
07:26 Et avec cette idée de mouvement qu'on retrouve dans le cinéma, de créer une forme de spectacle par les mots.
07:37 Et là-dessus, vous êtes dans les pas d'Alain Damasio, pour vous ?
07:40 Créer un ailleurs avec sa langue et garder cette ampleur poétique, cinématographique, qui n'est pas de la science-fiction technique ni politique ?
07:50 Complètement. Je pense que c'est Alain Damasio qui m'a guidé vers cette libération des mots.
08:02 Et après, retrouver, renouer avec la poésie malgré tout, une poésie qui est plus moderne.
08:10 Je vous conseille, vous l'avez compris, "La Roche" de Martin Lichtenberg.
08:14 C'est publié aux éditions Eloïse Dormeson. Bonne route à vous.
08:17 Merci Mathilde.

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