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Il a publié son premier roman fin août aux éditions Albin Michel,"Tout le bruit du Guéliz". Il figure dans la première sélection du prix Goncourt annoncée la semaine dernière : ce matin nous découvrons Ruben Barrouk, écrivain prometteur.

Retrouvez Nouvelles têtes présenté par Mathilde Serrell sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes

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00:009h51, place aux nouvelles têtes Mathilde Serrel, ce matin votre invitée, le plus jeune
00:05des auteurs à figurer sur la première liste du Prix Goncourt, son premier roman « Tout
00:11le bruit du guélise » est publié chez Albin Michel, Ruben Barouk est dans notre studio.
00:30Vous la connaissez, cette chanson de Philippe Catherine, Ruben Barouk ?
00:42C'est la banque-son de votre livre, mais on va comprendre pourquoi.
00:47Tout le bruit du guélise, votre premier roman revient sur les traces de votre famille séparade
00:51à Marrakech, dans le quartier juif du Mela, dont tout le monde est parti à la fin des
00:55années 60, sauf votre grand-mère Paulette, et vous vous demandez bien pourquoi ?
00:59Tout le monde est parti, mais pendant très longtemps, les populations juives et musulmanes
01:03du Maroc ont vécu en harmonie.
01:05La mémoire de ces vies, c'est ce bruit que seule Paulette semble encore entendre,
01:10et que sa fille et son petit-fils tentent de saisir avant l'oubli.
01:14Ce petit-fils, c'est vous, Ruben Barouk, qui a 27 ans, et que ce premier roman, vous
01:18êtes retrouvé directement dans la liste du Prix Goncourt, aux côtés de Mélisse
01:22de Quérangale ou Kamel Daoud, vous étiez où et dans quel état quand vous l'avez
01:26appris ?
01:27Je me suis bouleversé, déjà, ça paraît très très loin, le Goncourt, pour quelqu'un
01:40qui, comme moi, est aussi loin de ce milieu-là, donc bouleversé, mais très heureux, je crois.
01:51Vous n'étiez pas en robe de chambre comme Proust ?
01:53Je n'étais pas en robe de chambre comme Proust, quand je l'ai appris, j'étais
01:57au bureau, et j'avais mon éditrice, qui n'arrêtait pas de m'appeler, mais j'étais
02:01en réunion et je ne pouvais pas partir.
02:03Quel bureau, c'est quoi ?
02:06Oui, il travaille dans la pub.
02:07Je travaille dans la pub.
02:08D'accord.
02:09Et j'ai tout de suite compris qu'il y avait quelque chose, et je suis sorti, et
02:14j'ai vu, et elle m'a envoyé la liste, et on a été heureux ensemble.
02:18Et vous ne pouviez pas sauter dans les bras de vos clients, là, sur le coup, pour le
02:21renoncer ?
02:22Non, je ne pouvais pas sauter dans les bras de mes clients, parce qu'ils n'auraient
02:23pas compris.
02:24Vous avez appelé votre grand-mère, j'espère ?
02:26Absolument.
02:27Comment elle a réagi ?
02:28Elle était contente, elle ne sait pas ce que c'est que le Goncourt, mais elle était
02:37ravie, elle était fière aussi, et je lui en ai lu des passages à cette occasion-là,
02:44et ça lui a plu.
02:46Votre grand-mère, elle vous surnomme « Mchikpara ». Dans ce roman, ça veut dire quoi ?
02:51Ça veut dire, on pourrait dire « mon amour », mais ça veut dire « je prends ton mal,
02:58je prends ta peine, je prends ta douleur ». Donc elle m'appelle comme ça depuis que
03:03je suis petit, et elle m'a appelé comme ça tout au long du voyage qu'il racontait
03:10dans ce roman.
03:11On va en parler, justement, cette première page du roman commence justement sur un coup
03:16de téléphone à la grand-mère, nous avions l'habitude de l'appeler pour lui souhaiter
03:19de Paris un bon Shabbat, parce qu'elle est au Maroc, à Marrakech, mais depuis plusieurs
03:23semaines, le bruit en avait décidé autrement.
03:26Alors le narrateur et sa mère vont voir ce qui se passe, qu'est-ce que c'est que ce
03:30bruit ? C'est votre histoire, ce voyage en 2022 ? Ce bruit a vraiment existé, qu'est-ce
03:35que c'est ?
03:36Ce bruit a vraiment existé, donc effectivement, on revient un petit peu à la genèse du livre,
03:43ça fait plusieurs semaines qu'elle nous appelle, qu'elle se plaint d'un bruit, qu'elle n'arrive
03:47pas à décrire, qu'elle appelle ma mère, donc sa fille, qu'elle appelle les frères
03:53et sœurs de ma mère, les cousins, et donc la famille est un petit peu éparpillée partout,
03:58il y en a en France, il y en a aux États-Unis, il y en a au Canada, et puis à un moment
04:02en fait où le bruit commence à prendre de plus en plus de place dans sa vie et dans
04:08nos conversations, tous les yeux de tous les cousins, de mes parents, des frères et sœurs
04:15de ma mère, se rivent en fait sur le Maroc et sur Marrakech comme un grand phare au milieu
04:22du désert, et j'ai voulu entrer justement dans le roman par cette grande tour de la
04:31Coutaubiens qui surplombe Marrakech, parce que c'est vraiment ce phare qui nous appelle
04:38là au moment où on y va pour essayer de comprendre ce qu'est le bruit.
04:42Et il faut parler du quartier qui entoure cette tour, le Mela, il y a la vieille synagogue,
04:49il y a le cimetière, il y a la rue de l'étude de la Torah, pour le narrateur, c'est l'occasion
04:52de découvrir ce quartier juif qui a été déserté depuis longtemps par la communauté,
04:56donc à la fin des années 60, tout le monde est parti, dit votre grand-mère, donc en
04:59effet au Canada, aux États-Unis, en Israël, en France, il y avait plus de 200 000 juifs,
05:04au Maroc, il y a eu énormément de départs à ce moment-là, tout a été laissé comme
05:09ça, on se velie.
05:10Et vous, on a le sentiment, vous avez je crois 25 ans à l'époque, même vous, vous n'y
05:13croyez pas que tout le monde vivait en paix ici entre juifs et musulmans à Marrakech.
05:18Absolument, en fait il y a presque une double dynamique, il y a un côté de moi où quand
05:25j'arrive au Mela, j'ai été en fait bercé par tous ces récits dans mon enfance qui
05:33disaient que les juifs vivaient ici, coexistaient ici, avec les populations musulmanes notamment,
05:45et donc qu'il y en avait beaucoup.
05:47Et j'avais quand même cette chose à l'esprit quand j'y suis allé, je pensais trouver
05:51là-bas beaucoup de juifs, et d'un autre côté en fait il n'y avait absolument personne.
05:58Et vous racontez cette anecdote que vous avez justement, c'est un vertige d'un vertige
06:01de l'oubli.
06:02Vous racontez cette anecdote, le narrateur dans le livre, peut-être que vous l'avez
06:06vécu, il y a un groupe d'enfants dans le quartier du Mela qui vous reconnaissent avec
06:10votre mère, mais ils pensent que vous êtes des juifs d'Israël, des juifs du lointain.
06:15Ils ne savent pas que vous avez existé ici avec votre famille, et le narrateur écrit
06:20que ce n'étaient que des enfants, mais s'ils ne savaient pas, eux, des enfants
06:23foulant la même terre que les juifs avaient fui, alors c'était fini.
06:27Vous avez eu le sentiment en fait que tout avait été enseveli dans cette histoire et
06:31votre grand-mère, elle reste là pour que ça se sache ?
06:34Absolument, et je pense que le bruit est en une certaine manière cette manifestation,
06:40cette résistance-là à l'oubli.
06:44Et j'ai essayé de prêter à ma grand-mère, mais je pense qu'elle n'avait même pas
06:48besoin que je le fasse, parce qu'elle incarne à elle seule, presque un personnage très
06:53duracien, qui résiste et qui lutte et qui est têtu, et on traversait comme ça le Mela
07:00et on est allé au Myara, du coup au cimetière juif, après avoir rencontré ses enfants,
07:05où 200 000 corps sont enterrés ici, et elle cultive presque ces tombes-là, et elle prend
07:13soin de ces tombes-là, et je me rappelle très bien ce moment où je marchais derrière
07:17elle et je ne comprenais pas, et j'avais envie de comprendre, et j'avais envie de
07:23lui dire de fuir, de partir avec nous, et malgré ça, elle reste, et elle préserve
07:32quelque chose, et je le remercie.
07:34C'est l'incompréhension qui a été votre déclic, votre moteur littéraire pour ce
07:38premier roman, c'est magnifique, tout le bruit du guélise, et j'espère que chacun
07:43découvrira, c'est toujours dans la première liste du Goncourt, également en lice pour
07:47le Goncourt des lycéens, bonne route à vous Ruben Barraud.
07:49Merci beaucoup.

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