• il y a 10 mois
Avec Julien Denormandie, ancien Ministre et auteur de "Nourrir sans dévaster" (Flammarion)

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##L_INVITE_POLITIQUE-2024-02-13##

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Transcription
00:00 (Générique)
00:07 - Bonjour, bonjour à toutes et à tous, les Français veulent savoir, parlons vrai ce matin avec Julien Denormandie,
00:12 ancien ministre de la Ville et du Logement, puis ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation.
00:17 Julien Denormandie, bonjour. - Bonjour.
00:19 - Merci d'être avec nous. - Merci à vous.
00:20 - Vous avez coécrit avec Éric Orsona, aux éditions Flammarion, ce livre que j'ai entre les mains,
00:28 qui a pour titre "Nourrir sans dévaster". Vous êtes partis tous les deux à la chasse aux contradictions,
00:34 nous aimons le pain mais pas les céréaliers, nous adorons les vaches mais condamnons les éleveurs,
00:40 alors comment nourrir sans dévaster ? Nous allons ouvrir votre livre,
00:43 mais j'ai d'abord 3-4 questions purement politiques à vous poser.
00:47 Julien Denormandie, je lis votre nom partout dans les sondages d'opinion sur les élections européennes,
00:52 conduirez-vous la liste Renaissance, modem horizon, aux européennes ?
00:57 - Non, ça n'est pas du tout d'actualité, ça n'est pas du tout aujourd'hui une question sur la table.
01:05 J'ai aujourd'hui d'autres engagements, des engagements au bénéfice du climat,
01:11 dans un projet entreprenarial, au bénéfice de la finance à impact,
01:16 c'est-à-dire comment peut-on faire de la finance autrement.
01:19 Je suis très heureux dans ces nouveaux engagements, je pense qu'on peut servir l'intérêt général
01:24 d'autres façons qu'uniquement la politique, et je vais même vous dire,
01:29 je pense qu'il est important quand vous êtes engagé en politique, de savoir faire aussi d'autres choses.
01:34 Je pense qu'il est essentiel de ne jamais être dépendant de la politique,
01:38 je pense qu'il faut ne pas avoir de carrière linéaire.
01:41 Donc peut-être un jour je referai de la politique, mais pas aujourd'hui,
01:45 et au moment où je vous parle, mon engagement il est dans le climat.
01:49 - Mais vous l'a-t-on proposé ?
01:51 - Non on ne me l'a pas proposé, mais je crois que beaucoup de personnes connaissent mon souhait justement
01:59 d'avoir cette carrière riche de différentes expériences,
02:05 que ce soit en politique ou que ce soit en dehors de la politique.
02:08 Et je crois que c'est de bonne gestion, ou en tout cas de bonne philosophie,
02:15 que de savoir faire d'autres choses aussi dans la vie.
02:17 - Si le président de la République que vous avez choisi comme Premier ministre, vous l'auriez accepté ?
02:22 Votre nom a circulé là aussi, vous le savez, c'était possible,
02:27 puis le choix s'est porté sur Gabriel Attal, c'était possible, mais vous l'auriez accepté ?
02:33 - Cela fait partie des fonctions qui ne peuvent se refuser, je le crois très sincèrement.
02:38 Servir son pays au gouvernement est évidemment un honneur,
02:43 évidemment une très lourde responsabilité, cela vous permet je crois de faire bouger beaucoup de lignes,
02:50 mais encore une fois, cela ne vient en rien minimiser ce que je vous ai dit précédemment.
02:57 Je crois profondément que cet engagement politique,
03:01 il ne faut jamais sombrer dans la dépendance à la politique.
03:06 La liberté que vous pouvez avoir, parce que vous savez qu'à un moment vous allez vous engager en politique,
03:12 mais à l'autre moment vous allez faire d'autres choses, est essentielle,
03:15 surtout pour être bon en politique, surtout pour ne jamais oublier quel est votre boussole,
03:20 faire changer les choses, affronter les vents contraires, etc.
03:25 Et donc au moment où je vous parle, j'ai 43 ans, j'ai déjà ces expériences-là,
03:33 j'espère en construire d'autres, et puis la vie est longue.
03:36 - Oui, la vie est longue, et on ne sait pas ce qui peut se passer.
03:40 Julien Denormandie, juste une dernière question, ensuite je passe à l'agriculture.
03:44 Mais vous avez vu l'impatience, comment se fait-il qu'il n'y ait pas encore de tête de liste de la majorité aux européennes ?
03:50 N'est-il pas temps de la désigner ?
03:53 - Oui et non, c'est-à-dire que les élections européennes sont absolument essentielles,
03:59 et je crois qu'on ne le redira jamais assez.
04:02 Dans le livre d'ailleurs, on y viendra, mais on le montre à quel point l'Europe
04:07 est un élément fondamental dans la protection du consommateur, dans le soutien aux agriculteurs.
04:13 Et donc ces élections européennes, elles sont essentielles,
04:16 surtout dans un monde incroyablement incertain,
04:19 que ce soit en Ukraine, que ce soit les prochaines élections aux Etats-Unis d'Amérique,
04:25 que ce soit au Proche et Moyen-Orient.
04:28 Et donc l'Europe, c'est ce socle de stabilité, mais aussi cet élan de croissance et de prospérité pour notre pays.
04:37 Et donc ces élections sont essentielles.
04:39 Maintenant, ces élections ont lieu dans quelques mois encore.
04:43 - Le 9 juin.
04:45 - Et je crois que la question n'est pas simplement la tête de liste,
04:49 la majorité va s'organiser, la majorité d'ailleurs est déjà organisée,
04:53 il y a le gouvernement en place également.
04:57 Donc voilà, cette tête de liste viendra,
04:59 mais ça ne me paraît pas être un problème qu'elle ne soit pas encore nommée.
05:02 - Bien, Gabriel Attal recevra, parlons d'agriculture,
05:05 Gabriel Attal recevra la FNSEA et les jeunes agriculteurs cet après-midi.
05:10 Le président de la République recevra tous les syndicats agricoles avant le salon de l'agriculture.
05:17 Les syndicats sont prêts à de nouvelles actions si les mesures récentes ne sont pas concrétisées.
05:25 Ils mettent la pression sur le gouvernement aujourd'hui,
05:28 sur plusieurs points, il ne voit pas venir.
05:31 Il faut absolument tenir ses promesses, Julien Denormandie.
05:36 - Alors ça c'est un point fondamental dans la vie de manière générale,
05:40 en politique singulièrement, sinon comment voulez-vous renouer ce lien entre les Français et la politique ?
05:47 Mais je dirais encore plus dans le monde agricole.
05:49 Vous savez, le monde agricole, qui est un monde que je connais bien,
05:52 c'est un monde qui est capable d'accorder sa confiance,
05:55 mais alors la confiance, elle repose sur des engagements tenus.
05:59 Le jour où vous ne tenez pas vos engagements,
06:01 bon courage pour gagner la confiance du monde agricole.
06:04 Je crois que c'est quelque chose, en tout cas,
06:08 sur lequel moi je me suis toujours efforcé à, dès que j'annonçais quelque chose,
06:13 mettre en place les mesures et faire en sorte qu'engagement pris, engagement tenu.
06:18 Et puis, une fois que j'ai dit ça, je peux vous dire que je fais confiance au monde agricole
06:23 pour rappeler au gouvernement les engagements qu'il a pris,
06:27 et puis je fais aussi confiance au gouvernement pour mettre en œuvre les engagements qu'il a pris.
06:32 Et je crois que c'est essentiel, parce que derrière tout le mouvement agricole qu'on a vu,
06:37 évidemment qu'il y a une question de confiance.
06:39 Évidemment qu'il y a la confiance entre les agriculteurs et la société,
06:42 entre le monde agricole, le monde politique, entre le monde agricole et le monde économique.
06:47 Vous savez, sur les barrages, il y a eu une phrase absolument essentielle
06:54 qui a été écrite un jour sur une pancarte par un agriculteur, il s'avère que je le connais,
06:58 il s'appelle Bruno Cardo, je le salue, il disait "Aimez-nous et nous ferons le reste".
07:03 Et je trouve cette phrase incroyablement forte, parce qu'en amour, c'est bien la confiance qui règne.
07:09 Et donc faites-nous confiance, mais pas une confiance gratuite,
07:12 une confiance fondée sur des règles, fondée sur des engagements, fondée sur un cadre,
07:18 mais établissons ces règles, ce cadre, ces engagements, et ensuite on fera le reste.
07:23 - Alors Julien Denormandie, vous étiez très populaire lorsque vous étiez ministre de l'Agriculture.
07:29 - De l'Agriculture.
07:30 - Juju revient, j'ai même vu les pancartes sur certains barrages.
07:33 - C'est vrai, ça m'a beaucoup touché.
07:34 - Vous avez vu ? Juju revient.
07:36 Bon, vous disiez, et vous dites dans votre livre "Pas de pays fort sans agriculture forte".
07:41 Respectons-nous encore ceux qui nous nourrissent ? C'est une question que vous posez.
07:46 C'est l'une des questions essentielles d'ailleurs du livre.
07:49 Un jour, la France pourrait se retrouver sans paysans.
07:53 Est-ce qu'aujourd'hui, la France jouit d'une surface agricole suffisante pour nourrir sa propre population ?
08:00 - Oui, oui. Et merci de poser cette question en ces termes, parce que je crois que c'est un point qui est essentiel.
08:08 Oui, nous avons la surface agricole qui pourrait nous permettre de nous nourrir et d'être auto-suffisants, comme on dit.
08:17 Mais là, il y a plusieurs questions qui se posent.
08:21 La première, c'est qu'en dépit de cela, on importe de plus en plus de matières premières agricoles.
08:27 Des fruits, des légumes, de la viande.
08:29 - Mais vous prenez des exemples ! Dans votre livre "Les galettes bretonnes", le blé noir vient de Chine !
08:34 - Mais "Les galettes bretonnes", c'est fabuleux !
08:36 Ce livre, c'est un voyage. Un voyage des terres du Cantal bretonne d'Eure-et-Loire jusqu'aux terres du Cerrado au Brésil,
08:45 en Ukraine, en Égypte, en Chine.
08:47 Et on essaye de montrer, justement, à travers ce voyage, tous les défis de notre monde agricole.
08:52 En se disant, vous l'avez dit, il serait folie de déléguer à autrui notre alimentation.
08:58 Et pour autant, aujourd'hui, nos agriculteurs font face à ces contradictions.
09:03 Les galettes bretonnes, pour y revenir, elles ont été introduites par Anne de Bretagne.
09:06 En tout cas, c'est la légende qui le dit.
09:08 Au moment où je vous parle, nos amis bretons doivent entendre que 80% des galettes bretonnes sont issues de blé noir venant de Chine.
09:18 Pourquoi ? Parce que la culture du blé noir est beaucoup plus compétitive en Chine du fait des coûts sociaux ou des normes environnementales.
09:28 Et cet exemple-là, on en met en avant d'autres dans le livre, dans ce voyage.
09:33 - Les lentilles qui viennent du Canada, la plupart !
09:35 - Les lentilles du puits, ces fameuses lentilles.
09:37 - La moutarde ! Le Canada également, les grains de moutarde !
09:40 - Et la moutarde, c'est très intéressant parce qu'on l'a vu pendant la crise du Covid.
09:43 Je l'avais dit en tant que ministre au moment où on a modifié des normes de production pour la betterave sucrière.
09:50 Et on s'était interrogé sur la moutarde. On ne l'avait pas fait pour des raisons de protection de l'environnement.
09:57 Et j'avais dit à l'époque, mais vous verrez, s'il se passe quoi que ce soit au Canada, on manquera de moutarde dans nos rayons de supermarché.
10:04 On m'avait dit "mais que fait le ministre ? Il agite un chiffon rouge, il joue sur les peurs, etc."
10:10 Souvenez-vous, pendant la Covid, on a eu les dérèglements sur la chaîne logistique et en même temps une énorme sécheresse au Canada.
10:16 Plus de moutarde. Plus de moutarde, on s'en souvient tous.
10:19 Et là, c'est un exemple concret en se disant "mais comment fait-on pour ne pas dépendre des autres ?"
10:24 Quand vous voyez qu'aujourd'hui, une immense partie de nos grains de moutarde viennent du Canada
10:29 pour être produits dans les usines de moutarde à côté de Dijon, vous vous dites "bah c'est vrai".
10:35 - Mais vous posez la question, Julien, comment fait-on ?
10:37 Comment fait-on ? La France importe 30% de la viande que nous consommons.
10:44 Nous importons 30% de la viande que nous consommons.
10:47 Nous sommes le troisième importateur mondial de tomates.
10:50 - Exactement.
10:51 - Comment fait-on ?
10:53 - Tout ce voyage que nous mettons en avant dans le livre qui est profondément optimiste,
11:01 c'est-à-dire qui part d'un constat sans concession, mais qui ouvre les pistes de cette forme de réconciliation.
11:08 Alors il y a beaucoup de choses.
11:10 La première, moi je crois profondément, et je reviens ce faisant sur votre question européenne,
11:16 la première c'est qu'il faut repenser un certain nombre de règles de commerce international.
11:20 Ce qui est épuisant, ce qui est aberrant, ce que plus personne ne peut comprendre,
11:24 c'est comment se fait-il qu'on laisse entrer dans notre pays des produits qu'on n'aurait pas le droit de fabriquer chez nous,
11:31 de faire pousser chez nous.
11:33 Alors quand je dis ça, c'est l'exemple de la moutarde, c'est l'exemple du poulet.
11:37 Je raconte dans le livre cette scène incroyable.
11:39 J'ai vécu en Égypte, j'ai un enfant qui est malade, mon aîné, je vais chez le pédiatre,
11:45 le pédiatre me dit "il faut lui donner de la moxiciline".
11:48 Je cherche une pharmacie, je demande conseil, et la nounou de mes enfants me dit "allez au supermarché".
11:54 Je lui réponds "mais au supermarché il n'y a pas d'antibiotiques".
11:57 Elle me dit "non, mais votre fille a besoin de poulet".
12:00 Elle a besoin de poulet. Pourquoi ?
12:02 Parce que c'est du poulet brésilien, bourré aux antibiotiques de croissance,
12:06 et donc vous aviez ce faisant, protéines plus amoxiciline, dans la même assiette.
12:11 Et là, c'était pas il y a 40 ans, c'était il y a 15 ans.
12:14 Aujourd'hui, 50% du poulet qu'on mange en France, notamment dans la restauration hors domicile,
12:20 c'est du poulet qui vient de l'extérieur.
12:23 Et donc, il faut mettre, par exemple, je me suis beaucoup battu en tant que ministre là-dessus,
12:28 ce qu'on appelle les "close-miroirs", non-attrocement technique,
12:32 mais qu'on a entendu ces dernières semaines...
12:35 À l'occasion du libre-échange, des accords de libre-échange.
12:37 Mais moi je suis pour le libre-échange.
12:39 Vous êtes pour les accords de libre-échange ? Vous êtes favorable ?
12:41 Je suis pour commercer, mais je dis simplement, ce commerce, il doit répondre à des règles.
12:48 Il ne faut pas opposer les deux.
12:50 Le monde agricole d'ailleurs est un monde qui est profondément en faveur du commerce.
12:55 Il y a plein de secteurs agricoles qui sont excédentaires en termes de ce qu'on appelle balance commerciale.
13:00 Mais il faut mettre des règles.
13:02 Il faut dire, on est pour l'ouverture des marchés, mais avec une règle très simple,
13:06 c'est ce qu'on n'a pas le droit de produire, on ne peut pas le faire importer.
13:09 Pour freiner les importations, il faut aussi un comportement,
13:13 un comportement et du consommateur français,
13:15 et un comportement même de l'État, des collectivités locales, dans les cantines par exemple.
13:21 Pourquoi n'impose-t-on pas des produits français, plutôt que d'acheter des produits importés ?
13:27 - Exactement, la loi aujourd'hui, elle impose, mais elle n'est pas respectée suffisamment.
13:32 Elle impose d'avoir au moins 50% de produits locaux, dont 20% de produits bio.
13:38 Mais quand j'étais ministre, on a passé un texte réglementaire,
13:42 et je le dis parce que tous ceux qui nous écoutent l'aient bien en tête.
13:46 Dorénavant, quand vous emmenez vos enfants dans les écoles,
13:50 vous savez souvent, vous avez ce menu pour savoir ce que les enfants vont avoir à la cantine.
13:54 Aujourd'hui, vous avez le droit de demander l'origine de toutes les viandes qui sont servies,
14:00 que ce soit à l'école, que ce soit dans les restaurants,
14:02 que ce soit dans le restaurant de votre entreprise, partout.
14:06 Jusqu'alors, ça n'était que pour la viande bovine,
14:10 aujourd'hui c'est pour tous les types de viandes.
14:12 Demandez, là où vous allez déjeuner ce midi, où vos enfants vont déjeuner,
14:16 d'où vient le poulet. Un poulet brésilien, ça n'a rien à voir avec un poulet français.
14:22 - Surtout pas de cordon bleu, ultra transformé, une trentaine d'ingrédients, j'ai lu ça dans votre livre.
14:27 Des volailles broyées, agglomérées, bon couteau, bon couteau !
14:31 Ça fait peser, ça permet de vendre de l'eau.
14:35 - C'est une aubaine pour les industriels.
14:37 - Une aubaine pour les industriels.
14:38 - Vous savez, cette histoire du cordon bleu qu'on raconte, elle est passionnante.
14:41 Le cordon bleu d'abord, et je l'ai redécouvert en écrivant ce livre avec Eric Orsona,
14:47 c'était d'abord une décoration.
14:49 C'était la plus belle décoration pour la Légion d'Honneur.
14:53 C'est Bonaparte qui y met fin en 1802 en créant la Légion d'Honneur.
14:57 - Mais d'ailleurs, dans votre livre, il y a des références historiques qui sont passionnantes.
15:01 On revient sur certains faits historiques en lien évidemment avec l'agriculture.
15:09 C'est passionnant.
15:10 - Mais je crois qu'il est toujours important de savoir d'où on vient, justement, pour guider ce chemin.
15:15 Et donc, ce qu'on essaye de mettre en avant en racontant cette histoire du cordon bleu
15:20 qui se passe dans un supermarché de Réloir, c'est notre rapport à l'alimentation.
15:25 On a perdu trop souvent ce rapport à l'alimentation.
15:28 Commettons, plus d'éducation à l'alimentation, la reconnaissance des aliments, la reconnaissance du goût.
15:34 - Et la nutrition. L'alimentation et la nutrition.
15:37 - Et la nutrition.
15:39 On donne cet exemple effarant qui se passe aux États-Unis
15:43 où aujourd'hui on voit aux États-Unis des appartements qui sont construits sans cuisine.
15:48 Il n'y a pas de cuisine.
15:49 - Il n'y a pas de cuisine.
15:50 - Pourquoi ? Parce qu'on se dit on va se faire livrer la nourriture.
15:53 Quelle société voulons-nous ?
15:55 Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es.
15:59 Fameuse phrase "aucun bien entendu".
16:03 Mais je crois que c'est essentiel.
16:04 Et encore une fois, ce chemin, ce voyage qu'on écrit avec Eric Orsona,
16:08 ça n'est pas que ces constats-là.
16:10 C'est surtout une vision pour réussir cette question essentielle de nourrir sans défaster.
16:16 - Mais alors pourquoi n'avez-vous pas réussi ?
16:17 Vous avez été ministre de l'agriculture et de l'alimentation,
16:20 apprécié vraiment par les agriculteurs.
16:23 Pourquoi n'avez-vous pas réussi à mieux éduquer, à mieux...
16:27 Le laps de temps était insuffisant.
16:29 - Oui, on s'est battus.
16:30 - Mais vous êtes battus contre quoi et contre qui ?
16:33 - Contre plein de choses et on a mis des initiatives.
16:38 Sur l'éducation, par exemple, on s'est beaucoup engagé dans ce qu'on appelle la "semaine du goût",
16:44 c'est-à-dire remettre l'éducation et l'alimentation dans les classes.
16:47 Il y a des choses où on aurait aimé aller plus loin.
16:50 Je pense, par exemple, dans les études de médecine, la nutrition n'est que très peu enseignée.
16:55 Il s'avère que quand j'étais ministre, on était en plein Covid.
16:57 Mon collègue à la santé avait aussi d'autres choses, priorités à gérer.
17:05 On s'est battus sur l'origine des aliments.
17:07 - Mais vous êtes battus contre les lobbies aussi ?
17:09 - Parfois j'ai perdu. Sur l'origine des aliments, c'est une histoire qu'on raconte dans le livre.
17:14 Une entreprise française, Lactalis, pour ne pas l'animer, a gagné l'action en justice que j'ai menée contre elle
17:22 au moment où Lactalis a décidé d'enlever l'origine du lait sur les briques de lait.
17:26 - Mais attendez, on enlevé l'origine du lait français sur les briques de lait ?
17:32 - Sur les briques de lait, exactement.
17:34 - Avec du lait français, et c'est une entreprise française qui fait ça ?
17:37 - Qui fait ça, et j'ai perdu, j'ai porté le sujet en justice,
17:40 et on a perdu devant la Cour de justice européenne.
17:43 C'est des combats, parfois vous gagnez, parfois vous perdez.
17:48 Je comprends votre question, et je l'assume totalement en disant que c'est facile de dire ça maintenant.
17:53 En vrai, je crois que tous ceux qui ont suivi mon action quand j'étais ministre,
17:56 ce livre est en cohérence avec la vision que j'ai toujours développée.
17:59 Les clauses miroir, ces fameuses clauses pour empêcher,
18:02 je me suis beaucoup battu, par exemple, sur le poulet brésilien, tant et si bien,
18:06 et on le raconte dans le livre, que quand on va au Brésil avec Eric Orsona,
18:10 à l'ambassade on nous dit, il y a certaines zones du Brésil, il ne faut pas que vous y alliez.
18:14 Tout le monde a vu quand vous étiez ministre, vous n'avez eu cesse de taper contre le poulet brésilien,
18:18 merci de ne pas aller dans ces zones-là, vous allez y être accueillis très fraîchement,
18:23 pour ne pas dire très froidement.
18:26 Mais donc, j'ai eu des victoires, j'ai eu des défaites,
18:29 ce que je voulais dans ce livre, c'est montrer que c'est possible,
18:32 il y a un chemin, nourrir sans dévaster, dévaster notre environnement,
18:35 nos agriculteurs, nos solidarités,
18:38 et je crois qu'il faut en parler aussi, la solidarité vis-à-vis des pays alliés,
18:43 comme l'Égypte, comme ces pays du pourtour méditerranéen,
18:46 qui vivent le changement climatique de manière incroyablement forte,
18:53 et qui aujourd'hui sont dépendants d'importation, notamment d'importation de blé,
18:59 quand vous voyez qu'en Égypte, aujourd'hui, le blé vient de Russie,
19:01 moi ça me pose un vrai problème, je préfère qu'il vienne d'Europe.
19:04 - Oui, Julien Zor m'en dit, vous êtes battu aussi contre les pratiques commerciales,
19:08 parce que là aussi, vous êtes heurté à des pratiques,
19:12 vous parlez du mystigris dans votre livre, j'ai beaucoup aimé cela,
19:15 c'est vrai que chacun se passe le mystigris, et qui est la victime ?
19:18 - Ben l'agriculteur ! - Exactement !
19:20 - L'agriculteur ! - Exactement !
19:22 Le mystigris, ça veut dire quoi ? C'est qu'en gros, aujourd'hui,
19:24 quand vous demandez à la grande distribution de faire quelque chose,
19:26 elle passe le mystigris à l'industriel,
19:29 et l'industriel passe le mystigris à l'agriculteur,
19:32 et on raconte dans le livre des scènes ubuesques,
19:35 par exemple, la fin du broyage des poussins mâles,
19:40 où à la fin, évidemment, personne ne veut payer,
19:43 donc on se retente vers l'agriculteur, en disant "que faire ?"
19:46 et donc on a mis en place, avec une innovation débordante,
19:49 on a mis en place des mesures pour faire en sorte qu'il y ait un partage
19:53 de cette demande, qui est une demande citoyenne fort légitime.
19:56 On met en avant ce rapport de force, et je crois qu'il faut l'assumer,
20:00 parce qu'une relation commerciale, c'est un rapport de force,
20:03 donc il faut rentrer dedans. Quand j'étais ministre, j'ai passé la fameuse loi
20:06 dont tout le monde parle en ce moment, la loi Egalim 2.
20:09 C'est moi qui l'ai passée en tant que ministre.
20:11 D'ailleurs, je constate aujourd'hui que personne ne veut revenir sur cette loi,
20:14 tout le monde dit "il faut l'appliquer à plein",
20:16 et donc il faut rentrer dans ce rapport de force.
20:18 - Mais ce qui est terrible, c'est que vous passez une loi,
20:20 vous prenez une initiative formidable, Egalim 2,
20:22 mais on n'applique pas la loi. Pourquoi est-ce que dans ce pays,
20:25 bien souvent... - Je ne dirais pas qu'on n'applique pas la loi.
20:28 - On l'applique mal. - Je dirais, les relations commerciales
20:31 entre la grande distribution des industriels et des agriculteurs,
20:34 c'est un rapport de force. Il faut rentrer dans ce rapport de force.
20:38 Certains, notamment la grande distribution... - Mais les agriculteurs n'ont pas la force, justement.
20:44 - Quand je dis "il faut rentrer dans le rapport de force",
20:46 il faut que l'État rentre dans le rapport de force,
20:49 aux côtés des agriculteurs et d'une partie des industriels,
20:53 face aux gros industriels multinationales et à la grande distribution.
20:57 La grande distribution, elle ne connaît que le rapport de force.
21:00 Donc il faut rentrer dedans. Le commerce, il y a ce volet de rapport de force dedans.
21:06 Et donc la loi Egalim 2, c'est l'ensemble du cadre pour faire en sorte
21:09 que l'État joue pleinement son rôle dans ce rapport de force.
21:13 Dans ce rapport de force. Et donc il faut le faire en plein,
21:16 des sanctions, des contrôles, hausser le ton quand il faut hausser le ton,
21:19 c'est absolument essentiel. - Oui, en espérant que nos enfants
21:23 ne vont pas perdre le goût du poisson, le goût du poulet,
21:29 savoir distinguer le poisson du poulet, vous en parlez dans votre livre,
21:33 mais c'est vrai que c'est inquiétant. - On a des témoignages en disant
21:37 effectivement les aliments qui sont de plus en plus reconnus par leur couleur.
21:41 - Oui, par leur couleur. - Mais vous savez, c'est vraiment,
21:45 et on essaie de le montrer, notre rapport à l'alimentation,
21:48 c'est véritablement un rapport de notre société avec ce qu'elle est,
21:53 avec ce qu'elle veut être. Et donc ce livre, c'est aussi une forme
22:00 de mise en avant de la complexité des sujets, de la complexité du vivant,
22:04 dans le volet environnement, de l'importance du sol.
22:08 Le sol, on n'en parle que trop peu, mais... - Et du temps.
22:12 - Et du temps, de la science, comment fait-on pour permettre
22:16 à cette science de nous aider à trouver des solutions ?
22:19 Et à la fin, cette complexité, elle est mise en avant par un dialogue
22:23 que nous avons avec Edgar Morin, incroyable personnage de 102 ans,
22:28 qui s'est toujours battu pour ne jamais sombrer dans le simplisme
22:33 et toujours mettre en avant la complexité des choses.
22:35 Et c'est peut-être là un mal mortifère de nos sociétés,
22:39 dans le débat politique, dans le débat journalistique aussi,
22:42 de sombrer dans le simplisme, de ne pas appréhender la complexité
22:45 des choses. C'est trop simple de dire "Eux, ils n'ont qu'à faire ceci,
22:50 ça ira mieux". Il faut appréhender cette complexité,
22:53 le vivant c'est complexe, l'agriculture, l'alimentation,
22:56 méritent qu'on aborde cette complexité.
22:58 - Merci Julien Denormandie d'être venu nous voir ce matin.
23:01 Je rappelle le titre de votre livre à lire, parce que c'est passionnant,
23:04 vraiment. "Nourrir sans dévaster", aux éditions Flammarion.
23:07 Eric Orsena, Julien Denormandie, merci beaucoup.
23:10 - Merci beaucoup. - Merci. Sud Radio, 8h58,
23:13 dans un instant, vous appelez 0800 26 300 300
23:16 pour témoigner sur toute l'actualité. Je vous attends, à tout de suite.

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