Les Français sont nombreux posséder dans leurs armoires des vêtements commercialisés par ces grandes enseignes connues pour leur tarif accessible et le renouvellement fréquent de leurs collections…
Des vêtements issus de ce que l’on appelle la « Fast Fashion », cette mode à petit prix qui ne respecte pas beaucoup l’environnement ni les bonnes conditions de travail de ceux qui confectionnent ces produits.
Alors, le consommateur doit-il complètement revoir sa façon d’acheter des vêtements ? L’univers de la mode doit-il se remettre en question ? Quel est rôle des industriels et des gouvernements dans cette affaire ?
Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.
Année de Production : 2023
Des vêtements issus de ce que l’on appelle la « Fast Fashion », cette mode à petit prix qui ne respecte pas beaucoup l’environnement ni les bonnes conditions de travail de ceux qui confectionnent ces produits.
Alors, le consommateur doit-il complètement revoir sa façon d’acheter des vêtements ? L’univers de la mode doit-il se remettre en question ? Quel est rôle des industriels et des gouvernements dans cette affaire ?
Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.
Année de Production : 2023
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00:00 "Fast fashion, les dessous de la mode à petit prix" signé Gilles Beauvon et Édouard Perrin.
00:05 Documentaire dont on sort un peu bousculé, il faut bien le dire, nous achetons tous des vêtements.
00:09 Sommes-nous tous alors un peu responsables de cette situation et des drames qui se jouent ?
00:14 Avec nous pour en parler, Élise Naccarato, bienvenue à vous.
00:17 Vous êtes responsable de campagne climat chez Oxfam France,
00:20 experte des conséquences sociales du changement climatique.
00:22 Vous avez cofondé l'association Ibou, qui accompagne les transformations écologiques et sociales.
00:27 Noémie Leclerc, bienvenue à vous également. Vous êtes journaliste pour le magazine Glitz Paris,
00:31 hebdomadaire d'investigation digitale sur le secteur du luxe.
00:35 Et avant cela, vous officiez pour le magazine Elle.
00:38 Julia Fort, bienvenue à vous également, cofondatrice de la marque de vêtements responsable L'Homme
00:42 et membre du collectif En mode climat.
00:45 Frédéric Godard, bienvenue à vous également, sociologue de la mode, enseignant-chercheur.
00:49 Vos recherches portent sur la dynamique des industries créatives.
00:52 Vous êtes l'auteur de Sociologie de la mode aux éditions La Découverte
00:55 et co-auteur avec Zoé Touron de la BD La mode déshabillée chez Casterman.
01:00 Merci à tous les quatre d'être ici.
01:02 Énormément d'éléments dans ce documentaire.
01:04 On va essayer d'avancer par étapes.
01:06 Restons d'abord sur les fabricants et les industriels.
01:09 Le film nous dit en gros, toutes ces marques de fast fashion sont totalement irresponsables.
01:14 Élise Naccarato, êtes-vous d'accord avec cela ?
01:16 D'un point de vue environnemental, social, humain, sanitaire, cette mode est une catastrophe ?
01:21 C'est ce qu'on voit dans le documentaire.
01:23 Effectivement, on a des conséquences de la fast fashion qui sont délétères
01:28 pour la majorité des individus.
01:30 Et on voit qu'il y a une petite minorité d'individus, en l'occurrence ces grandes marques,
01:34 qui font du profit sur le dos de la majorité,
01:37 que ce soit sur les ouvrières, les ouvriers qu'on a vus dans ce reportage,
01:41 que ce soit sur la santé environnementale,
01:44 et puis sur l'empreinte eau, l'empreinte carbone de ces vêtements.
01:48 Donc il y a effectivement une non-durabilité qui est vraiment caractéristique.
01:54 En fait, c'est ce qui caractérise la fast fashion.
01:57 Tout le monde est d'accord avec cela sur ce plateau, Noémie Leclerc.
01:59 Aucune nuance à apporter à ce documentaire qui, disons-le, est à charge,
02:03 et peut-être à juste titre, mais c'est à vous de me le dire.
02:05 Moi, je pense effectivement que les enseignes de fast fashion
02:09 ont une responsabilité dans le sens aussi où elles créent un nouveau normal auprès du consommateur.
02:15 Je vois par exemple ma grand-mère qui était ouvrière textile dans le Nord
02:19 il y a des dizaines d'années.
02:20 Maintenant, ça lui paraît délirant de payer 30 euros pour une robe,
02:24 alors qu'il suffit d'aller dans une usine pour constater que 30 euros,
02:27 ce n'est pas grand-chose pour le travail que ça demande
02:30 et pour la pénibilité même du travail en usine,
02:32 même dans la production qui est en France.
02:34 Ça reste un travail difficile.
02:36 Intéressante cette comparaison avec le passé,
02:38 effectivement, entre le textile, la main d'œuvre, les machines.
02:40 En fait, c'est une note qui n'est pas du tout au bon prix, Julia Fort.
02:43 Oui, moi, ce que je trouve intéressant, c'est qu'on cible beaucoup la fast fashion,
02:48 c'est-à-dire les enseignes comme H&M, Primark, Ezra,
02:51 qui sont caractérisées par le renouvellement de leur collection.
02:53 Sauf qu'en fait, ce qui est paradoxal, c'est que tout l'univers de la mode
02:58 produit dans ces usines, les marques à logo.
03:00 Dans les décomptes du Rana Plaza, on a trouvé des étiquettes de la fast fashion,
03:04 on a trouvé des étiquettes de marques de sport, de marques à logo, etc.
03:08 Et encore plus intéressant, c'est que les plus gros vendeurs de vêtements en France
03:13 ce ne sont pas les Zara, H&M,
03:16 les plus gros vendeurs de vêtements, c'est d'abord KIA, ensuite Leclerc,
03:19 ensuite Carrefour, ensuite Auchan, Action, Lidl.
03:22 Donc vous voulez dire que ça va bien au-delà des marques dont on parle tout le temps ?
03:25 Ça va bien au-delà des marques qui sont connues pour leur aspect mode.
03:28 En fait, finalement, ce problème de la mode qui pollue, qui exploite,
03:32 c'est le problème de la mode low cost.
03:33 C'est vraiment toutes ces marques de mode qui sont parties dans des pays
03:36 pour produire au plus bas coût possible.
03:39 Et ce plus bas coût, en fait, il a un coût qui n'est pas payé par la marque,
03:42 mais il a un coût environnemental et humain qui est assumé par les pays de production.
03:45 Et je précise quand même qu'on a évidemment tenté de joindre les responsables de ces marques,
03:49 de les inviter sur ce plateau et qu'on a été face à des refus.
03:52 Frédéric Godard, le documentaire s'apesantit beaucoup sur Zara.
03:56 À juste titre, c'est un peu dur ? C'est un peu injuste ?
04:00 J'ai l'impression que le documentaire est exceptionnel parce qu'il offre une compréhension fine,
04:04 des documents très rares sur les choses qui sont en général cachées.
04:07 Donc ça, chapeau au documentariste. Ça, c'est vraiment exceptionnel.
04:13 Je pense qu'il y a un point important, c'est qu'on comprend dans le documentaire,
04:16 c'est que la mode n'est pas une industrie isolée.
04:18 En fait, elle est reliée aux autres industries, l'agroalimentaire, l'industrie chimique.
04:25 C'est intéressant, on voit aussi le rôle du transport.
04:28 Voilà, ça a un impact important.
04:30 Donc, je crois que c'est difficile d'isoler la mode et c'est aussi difficile d'isoler une seule marque.
04:34 Je pense que c'est un phénomène collectif, en fait.
04:38 Donc, on peut en désigner une, mais les autres sont là aussi.
04:41 Et ce qu'on découvre aussi dans le documentaire et ce que peut-être beaucoup de téléspectateurs
04:44 et téléspectatrices vont découvrir, c'est cette histoire d'ultra fast fashion.
04:48 Alors là, qui est encore le pas d'après, dans l'ultra fast fashion, la marque Boohoo est citée.
04:54 Mais si on regarde bien, il y en a d'autres.
04:55 Il y a SHEIN, évidemment, dont on parle beaucoup depuis quelques années.
04:58 Et puis, depuis peu, Temu, qui est en train d'apparaître, d'émerger.
05:03 C'est un phénomène qui vous semble inquiétant, Julia Fort ? C'est pire que tout ?
05:08 Pour moi, c'est un phénomène qui est dans la continuité de ce qu'est la fast fashion.
05:12 Si on reprend ce que c'est la fast fashion, c'est deux critères principaux.
05:16 C'est les bas prix qui sont obtenus par la production dans des pays qui sont moins de 10 ans,
05:19 socialement et écologiquement.
05:21 Et c'est les incitations à consommer, qui peuvent être de trois genres.
05:23 Promotion, réduction, largeur de gamme, c'est-à-dire le choix et usage de la nouveauté,
05:29 c'est-à-dire renouvellement des collections.
05:31 Qu'est-ce qu'a fait l'ultra fast fashion ?
05:33 Elle a poussé au maximum tous les critères d'incitation de consommer.
05:36 Les promotions et les soldes sont utilisés à outrance.
05:40 La largeur de gamme est démentielle, c'est-à-dire que sur le site Sheen,
05:43 vous avez un demi-million de références, alors que c'est plutôt une dizaine de milliers
05:46 sur un site comme H&M ou Zara.
05:50 Et enfin, le renouvellement des collections.
05:52 Zara a été connue pour renouveler ses collections deux fois par semaine.
05:55 Sur Sheen, c'est chaque jour des milliers de nouvelles références qui arrivent.
05:59 Est-ce que c'est pire ? En tout cas, ces marques-là produisent dans les mêmes usines
06:03 et ces marques-là, qui sont caractérisées aussi par la vente sur Internet,
06:06 ne représentent pas plus de 15 à 20 % du marché.
06:08 Et ça, ça stagne.
06:09 C'est-à-dire la vente en ligne de vêtements en France,
06:11 c'est max 20 % du marché pendant le Covid et c'est redescendu depuis.
06:15 C'est-à-dire que l'ultra fast fashion est présente, elle est visible,
06:19 donc elle nous ulcère, mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg.
06:22 Le gros des vêtements qui sont vendus en France, c'est parler qui habille,
06:26 parler le clair, c'est des vêtements qui sont vendus en magasin
06:28 où il n'y a pas forcément de la pub sur les réseaux sociaux.
06:30 Donc, je trouve ça effectivement effrayant,
06:33 mais la situation était déjà effrayante avant que cette ultra fast fashion.
06:37 Et elle n'est que la conséquence d'un cadre légal
06:39 qui permet l'existence de ce genre de pratiques.
06:41 Juste un petit zoom sur Chyyne et Temu, qui ne sont pas cités dans le documentaire,
06:44 mais qui me semblent des acteurs assez majeurs de cette ultra fast fashion.
06:48 Les deux sont des e-commerçants chinois.
06:50 Les deux cassent les prix d'objets fabriqués en Chine de très basse qualité
06:54 et les deux déploient des campagnes marketing et publicitaires digitales
06:58 extrêmement agressives.
06:59 La Chyne a compris, Frédéric Godard, qu'il y avait un marché
07:02 à cause aussi de la baisse du pouvoir d'achat.
07:05 Alors, je dirais que toutes ces marques d'ultra fast fashion,
07:08 c'est le développement d'une logique de l'industrie qui remonte au 19e siècle.
07:13 Et après la Seconde Guerre mondiale, le prêt-à-porter,
07:16 la mode rapide, la mode ultra rapide.
07:18 De certaine façon, d'un point de vue industriel, c'est ahurissant.
07:21 Ils ont poussé une logique industrielle.
07:23 C'est exceptionnel ce qu'ils font, de certaine façon.
07:25 Maintenant, je pense que du point de vue de la production,
07:28 effectivement des producteurs chinois, c'est une façon de répondre
07:30 à une demande occidentale.
07:32 Qui existe, qui est là.
07:34 On va en parler, bien sûr, de la demande de la clientèle.
07:37 Elles sont presque en train de rendre fréquentable la fast fashion.
07:40 C'est peut-être ça.
07:41 Le pire dans la situation, c'est qu'on va plus zoomer sur Temu et Chyne
07:45 que sur les autres qui n'ont pas des pratiques.
07:47 Mais en fait, comme le disait Julia, on peut faire un focus sur telle marque
07:51 ou telle marque sur l'ultra fast fashion.
07:54 Est-elle pire que la fast fashion ?
07:56 Et en fait, éventuellement, ça peut nous détourner
08:00 de la vraie interrogation qui est comment est-ce que collectivement,
08:03 comment est-ce que socialement, on laisse faire ?
08:04 On crée un cadre commercial, on crée un cadre réglementaire
08:09 et législatif qui permet le développement de marques
08:12 qui vont avoir un coût social, un coût environnemental
08:15 pour l'ensemble de la communauté.
08:17 Si des marques comme les marques que vous citez existent,
08:20 c'est qu'aujourd'hui, elles sont légales,
08:22 elles ont un cadre réglementaire et législatif
08:26 qui leur permet de prospérer.
08:27 Et c'est peut-être le petit bémol que je mettrais
08:31 sur le documentaire qu'on vient de voir,
08:32 qui fait un focus assez important sur l'individu,
08:36 sur les incitations, sur les influenceurs, les influenceuses,
08:39 qui sont un vrai levier, bien sûr, d'incitation à l'achat.
08:43 Mais moi, je retourne la question, c'est comment est-ce qu'on se protège ?
08:47 Comment est-ce qu'on s'organise collectivement pour faire en sorte
08:51 que ce ne soit pas à l'individu, au consommateur,
08:53 de faire des choix difficiles ?
08:54 Aujourd'hui, on est pris dans des injonctions contradictoires
08:57 avec de la publicité ultra-ciblée en permanence,
09:01 que ce soit sur les écrans, les réseaux sociaux,
09:03 mais aussi dans la vie en général,
09:05 pour nous demander d'acheter de la fast fashion.
09:07 Et en même temps, on voit des documentaires qui nous disent
09:10 en fait, vous êtes en train d'hypotéquer...
09:12 - C'est mal, c'est mal ce que vous faites.
09:13 - Voilà, exactement. - Ça culpabilise le consommateur.
09:16 - En mettant la responsabilité sur l'individu.
09:19 Nous, ce qu'on dit chez Oxfam, c'est que cette responsabilité,
09:23 elle est collective.
09:24 On peut et on doit faire en sorte qu'il y ait un cadre
09:27 réglementaire, législatif, économique,
09:30 qui ne permette pas le développement de ce genre de marques.
09:34 En ce moment même, il y a des discussions au niveau européen
09:37 sur une directive sur le devoir de vigilance,
09:42 donc une responsabilité des marques et des donneurs d'ordre
09:46 envers leurs sous-traitants.
09:47 Ça, ce serait une possibilité de les rendre responsables,
09:51 puisqu'on l'a vu, c'est toujours "ah mais c'est pas de ma faute,
09:54 c'est le sous-traitant".
09:55 Donc on peut légalement, collectivement,
09:58 on peut faire autrement.
10:00 - C'est vrai que je disais tout à l'heure en sortie de film
10:02 qu'on sortait un peu bousculé de ce film, Noémie Leclerc,
10:04 mais parce qu'effectivement, en tant que consommateur,
10:06 on culpabilise en fait et on met face dos à dos
10:09 un peu deux types de clientèles, des clientèles qui ont les moyens
10:13 de mettre en accord leur valeur, leur portefeuille et leur vêtement,
10:16 et puis une clientèle qui ne peut pas.
10:18 - Alors je pense effectivement, comme tout le monde l'a dit,
10:21 que c'est plus un système qui est à remettre en question,
10:23 par exemple, le luxe qui inspire la fast fashion,
10:26 on fait des défilés, il y a des fashion week,
10:29 ce qu'on adore dire aux journalistes de mode,
10:31 c'est "il y a tout le temps des fashion week".
10:33 C'est le cas, il y a beaucoup de fashion week,
10:35 et si on remettait plus en perspective tout ça,
10:37 peut-être qu'il y aurait moins de fast fashion
10:39 parce qu'il y aurait moins d'inspiration,
10:40 il y aurait moins de renouvellement,
10:41 et je pense effectivement qu'ensuite il y a un sujet sur l'influence,
10:45 sur comment tous ces milieux s'influencent.
10:47 Je pense qu'effectivement, ce qu'on a pu voir,
10:51 Wuxin, Temmü, ont des pratiques déplorables,
10:54 mais ce sont des pratiques qui sont aussi partagées par l'industrie du luxe,
10:58 qui produit aussi à bas coût, qui cherche à maximiser ses profits.
11:03 C'est l'industrie de la mode, de manière générale,
11:05 qui est à remettre en question.
11:06 - C'est intéressant ce que tu dis, le luxe a aussi une part de responsabilité.
11:08 - Oui, je pense que comme tout producteur,
11:12 tout metteur en marché a une responsabilité là-dedans,
11:15 et je pense aussi que si la fast fashion pose des questions d'accessibilité à la mode,
11:22 on doit aussi voir le problème à l'envers.
11:24 Est-ce qu'il n'y a pas d'abord une responsabilité des gens
11:26 qui ont les moyens d'acheter,
11:27 mais aussi qui ont les moyens de produire avec des meilleures conditions de travail ?
11:32 - Je voudrais vous lire les propos, et Julia Forge, je vais vous donner la parole,
11:35 les propos d'une consommatrice interrogée dans l'émission 7 à 8 sur TF1,
11:37 à propos de Temmü, justement, précisément.
11:40 Elle s'appelle Sandy, et elle dit "je trouve tout, je peux me faire plaisir".
11:45 C'est une femme qui a deux enfants, qui ne travaille pas.
11:46 Son mari est employé à la retraite.
11:49 Après toutes ses charges payées, il reste à la famille 300 euros pour vivre.
11:52 C'est difficile de condamner cette clientèle-là,
11:55 qui a envie de se faire plaisir, et on peut le comprendre,
11:58 mais qui le fait, donc on le voit,
12:00 au détriment des droits humains et des droits environnementaux.
12:02 - Oui, c'est pour ça que je trouve que ce n'est pas une question des gens,
12:05 parce que même moi, si vous me mettez face à un produit
12:08 et que je peux le payer 10 euros moins cher,
12:10 avec toutes mes convictions, etc.
12:12 J'adore payer moins cher les choses.
12:15 C'est presque notre instinct en tant que consommateur,
12:17 de payer moins cher les choses.
12:19 Ce qui est dégueulasse, c'est de laisser le choix aux gens,
12:21 leur disant "ça c'est un produit qui est fait dans des conditions misérables,
12:24 mais ce n'est pas cher, mais tu n'en auras aucune conséquence,
12:26 et ça, c'est beaucoup plus cher.
12:28 Beaucoup plus cher, c'est mieux fait, mais ça va être beaucoup plus cher que toi".
12:30 Et donc à un moment, si on est tout seul à faire le choix de la consommation éthique,
12:33 à un moment, on est saoulé.
12:35 C'est exactement comme les efforts écologiques.
12:37 Si on est tout seul à arrêter de prendre l'avion,
12:39 arrêter l'avion et qu'on voit autour de nous
12:40 les gens qui font des allers-retours à Dubaï pour le week-end,
12:42 ça nous énerve.
12:43 Mais en fait, le problème, il n'est pas au niveau du consommateur.
12:46 La question, c'est que finalement,
12:48 cette low-costisation de l'industrie textile
12:50 est elle-même partiellement responsable
12:52 de la paupérisation de la population française.
12:55 Si aujourd'hui, il y a en France des gens qui n'ont plus les moyens,
12:59 qui n'ont plus beaucoup d'argent à la fin du mois,
13:01 c'est entre autres parce qu'on a laissé partir notre industrie.
13:04 Dans les années 80, l'industrie textile,
13:06 c'était un gros pourvoyeur d'emplois en France.
13:08 On avait un savoir-faire.
13:09 C'était une industrie qui participait à l'excédent commercial,
13:13 c'est-à-dire ça créait de la richesse.
13:14 Les industries payaient des impôts,
13:17 ça permettait d'ouvrir des écoles, etc.
13:20 Donc on avait un service public qui était...
13:22 - Donc un cercle vertueux. - Un cercle vertueux.
13:24 - Qui a été cassé. - Qui a été cassé.
13:25 Quand on a délocalisé la production,
13:27 on a perdu, depuis les années 90,
13:28 on a perdu 300 000 emplois dans le textile.
13:30 300 000 emplois directs, ça veut dire,
13:32 je ne sais pas combien d'emplois indirects qui disparaissent.
13:34 Parce qu'une usine qui ferme, c'est l'école qui ferme,
13:36 c'est la boulangerie qui ferme, c'est l'agence immobilière.
13:38 Donc on crée du chômage.
13:40 Le chômage, c'est de la pauvreté, enfin ça appauvrit des gens.
13:43 Ça veut dire que c'est des recettes fiscales qui disparaissent.
13:45 Ça veut dire qu'il y a moins d'argent dans le service public,
13:47 ça veut dire qu'il y a moins de richesse en France.
13:48 Et en plus de ça, la France s'endette
13:50 pour faire venir ses vêtements de l'autre bout du monde.
13:53 Le déficit commercial du textile,
13:55 c'est le troisième secteur déficitaire en France.
13:58 C'est 12 milliards d'euros de l'argent des Français
14:00 qui partent à l'étranger chaque année.
14:02 Donc en fait, c'est prendre le monde à l'envers
14:04 de croire que le low cost apporte du pouvoir d'achat d'argent.
14:08 En réalité, le low cost se développe sur le dos des pauvres.
14:11 C'est parce qu'il y a de pauvres qu'il y a du low cost.
14:14 Et plus il y a de low cost, plus il y a de la pauvreté.
14:16 Donc c'est malhonnête, c'est un argument malhonnête.
14:20 - Mais c'est du court-termisme.
14:22 - Non, c'est surtout un argument des propres enseignes
14:24 de la fast fashion et du low cost qui disent ça.
14:26 Et d'ailleurs, c'est leur seul argument.
14:27 Elles nous disent "Ah oui, c'est vrai,
14:28 c'est produit dans des collisions de dégâts,
14:29 on va tous mourir, mais les pauvres peuvent s'habiller".
14:32 Et c'est vraiment, mais c'est exactement la même stratégie
14:34 que Leclerc et la question du low cost.
14:38 Ces gens-là se présentent comme les défenseurs des pauvres
14:40 alors qu'ils s'enrichissent sur leur dos.
14:42 - Frédéric, vous êtes d'accord, je vous vois rocher de la tête.
14:45 - Il y a une crise sociale sans précédent en France,
14:47 socio-économique.
14:49 Il y a énormément de facteurs, mais c'est vrai que la destruction
14:51 de l'industrie textile en France,
14:55 beaucoup de marques qui font faillite,
14:57 d'ailleurs, quel que soit le niveau, sauf le luxe qui reste.
14:59 Peut-être que c'est intéressant de revenir aussi
15:00 à cette notion de responsabilité du luxe,
15:03 qui n'est pas nécessairement du point de vue de la production,
15:05 du point de vue technique, mais qui est du point de vue
15:07 de l'inspiration, en fait, et donc de créer des désirs
15:09 et du rêve qu'on veut suivre.
15:10 On parlait d'injonction tout à l'heure.
15:13 Ces désirs, ils viennent de quelque part.
15:16 Et ce n'est pas nécessairement les producteurs low cost
15:18 ou fast fashion qui le créent, ce désir.
15:21 Donc, peut-être un questionnement du point de vue d'enseignes
15:23 de luxe, marques de luxe, de réfléchir à ce qu'elles mettent en avant.
15:26 - C'est l'effet Weblen, non ?
15:27 - Voilà.
15:28 - Mais est-ce que le tort du milieu de la mode n'est pas d'avoir été,
15:32 justement, pendant très longtemps, l'apanage d'une classe sociale très aisée ?
15:36 Je vais vous poser la question à tous, mais je voudrais d'abord
15:38 qu'on écoute cette courte intervention d'un philosophe dans le film.
15:41 - La mode, elle existe depuis la fin du Moyen Âge,
15:46 mais la mode, elle ne concernait que les élites.
15:50 Donc, c'était un tout petit monde qui était en mode de la mode
15:53 et de la séduction du paraître.
15:55 Aujourd'hui, la mode, elle touche absolument tout le monde.
16:00 - À gauche, très bien.
16:02 - Avec la fast fashion, tout le monde, aujourd'hui, peut être à la mode.
16:07 Ça, c'est extrêmement nouveau.
16:09 - Élise Naccarato, pardon pour l'expression,
16:12 mais c'est aussi un peu la revanche du pauvre, cette fast fashion.
16:16 - Je me pose la question.
16:17 Ça fait quoi au témoignage de Sandy qu'on écoutait tout à l'heure,
16:21 qui disait "je me fais plaisir".
16:23 En fait, ce plaisir, c'est quoi ce plaisir ?
16:26 C'est de s'acheter un nouveau t-shirt tous les jours ?
16:28 Est-ce que c'est ça qui fait plaisir ?
16:30 Probablement pas.
16:30 Probablement que le plaisir, c'est d'accéder à quelque chose
16:35 dont elle a l'impression...
16:35 - Peut être un statut social, peut être une réputation.
16:39 Un vêtement dit beaucoup de ce qu'on est, de ce qu'on représente.
16:41 C'est la société qui...
16:42 - Ce plaisir, souvent, il est induit.
16:44 Et encore une fois, on a beaucoup d'injonctions en tant que consommateur
16:48 et surtout en tant que consommatrice.
16:49 On a beaucoup d'injonctions à aller acheter, à consommer,
16:53 justement, et consommer de la fast fashion.
16:55 Et en fait, ce sont les industriels qui vont créer cette injonction
16:58 pour alimenter ce modèle économique qui est non viable.
17:03 Donc, moi, je pense qu'il faut réinterroger cette notion de plaisir.
17:08 - Oui, mais c'est une interrogation presque philosophique.
17:10 Est-ce qu'on peut demander à tous les citoyens
17:13 de se questionner philosophiquement avant d'acheter un t-shirt,
17:16 ou une robe, ou une jupe ?
17:17 - C'est pour ça que pour moi, c'est vraiment une question sociale
17:20 et une question politique.
17:21 En fait, ce système de la fast fashion, c'est un choix politique.
17:25 C'est un choix politique qu'on a fait de faire en sorte
17:27 qu'il y ait une catégorie de la population,
17:29 une majorité de la population,
17:31 qui ne peut s'habiller qu'à Leclerc ou que chez Chine.
17:34 C'est un choix politique vraiment qui a été fait dans ce sens.
17:37 Donc, on pourrait s'organiser différemment,
17:39 on pourrait mettre des règles, des normes différentes.
17:42 On pourrait avoir une sécurité sociale
17:46 et des services sociaux plus importants
17:48 qui permettraient à chacun d'avoir accès à d'autres choses.
17:52 Donc, encore une fois, je renverse un petit peu la question sur l'individu,
17:57 oui, mais qu'est-ce qu'on fait collectivement
17:58 pour faire en sorte que ce faire-plaisir, en fait,
18:00 se soit accessible à tout le monde,
18:02 et que le système économique, le système de la mode,
18:06 il ne vienne pas encore renforcer des inégalités.
18:08 - Je vais continuer de me faire un peu l'avocat du diable,
18:10 mais Frédéric Godard, la mode, c'est aussi facteur d'émancipation,
18:14 et notamment pour les femmes,
18:16 ça a été aussi une manière d'affirmer qui elles étaient,
18:18 ce qu'elles représentaient dans la société,
18:20 et d'émancipation, même leur liberté de mettre une jupe,
18:24 une jupe courte, vous voyez, la mode,
18:26 ce n'est pas juste de l'apparence, c'est quelque chose de léger.
18:32 - Alors, c'est vrai que je pense que tout le monde
18:33 peut avoir une réflexion philosophique sur la mode.
18:36 Franchement, c'est une discussion que tout le monde devrait avoir.
18:39 Dans le secteur de l'éducation, puisque c'est un peu mon champ,
18:41 je pense que ce qu'on fait, c'est d'essayer
18:44 d'augmenter le niveau de conscience autour de ces questions,
18:48 de faire venir des professionnels qui parlent aux étudiants,
18:51 aux étudiantes, et qui échangent avec elles et avec eux.
18:55 Donc, effectivement, je dirais que la mode,
18:57 c'est une façon d'avoir une forme de contrôle aussi
19:01 sur la personne qu'on est, sur son environnement.
19:04 Ce n'est pas uniquement la mode, je dirais que c'est le style en général,
19:05 c'est la façon de s'exprimer, c'est ce qu'on mange,
19:07 c'est la façon dont on parle.
19:08 Donc, la mode en fait partie.
19:09 C'est un peu plus large que ça.
19:11 Donc, c'est une façon d'avoir un contrôle sur son identité.
19:15 Dans un monde qui est extrêmement chaotique, extrêmement difficile,
19:18 je ne suis pas étonné de voir que la mode devient aussi un refuge
19:21 pour beaucoup de monde, pour notre identité,
19:23 pour notre capacité à contrôler quelque chose,
19:25 alors qu'on ne contrôle pas grand-chose en réalité.
19:28 Et de ce point de vue-là, il y a un aspect effectivement positif.
19:29 La question, c'est comment on garde cet aspect positif
19:33 sans les aspects complètement destructeurs qu'on a à côté,
19:37 ailleurs que ça, comme on a vu dans le reportage.
19:39 Et donc, à travers l'éducation probablement,
19:43 apprendre aux jeunes comment on répare un vêtement,
19:47 comment on valorise, c'est quoi le style.
19:50 Comment je peux m'exprimer ?
19:51 Mais pardon, n'insistez pas que les jeunes.
19:52 Je veux dire, par exemple, quelqu'un qui a trouvé un emploi
19:55 et qui a envie d'être présentable le jour de son entretien,
19:58 et bien il va aller potentiellement s'acheter une petite veste,
20:01 un petit costume, et pas trop cher,
20:02 parce qu'en plus il n'est pas sûr de l'avoir l'emploi,
20:04 donc l'investissement ne doit pas être énorme.
20:06 Je veux dire, c'est toute la société,
20:07 les employeurs vont apprécier qu'il y ait une jolie veste,
20:09 presque toute neuve, le jour d'un entretien.
20:11 Noémie Leclerc ?
20:12 Alors, je pense qu'on est en 2024 avec la mode,
20:16 là où on était dans notre assiette il y a quelques années.
20:19 On se disait qu'être VG, c'était pour être à la mode,
20:24 justement, ou pour se distinguer.
20:26 Mais au final, on voit,
20:28 maintenant il y a quand même beaucoup de gens qui ont conscience
20:29 que manger beaucoup de viande ou ne pas faire attention du tout
20:32 à ce qu'on met dans son assiette, c'est un danger pour soi,
20:34 et que c'est aussi une façon de…
20:36 enfin, que c'est important finalement,
20:38 de faire attention à ce qu'il y a dedans dans son assiette.
20:40 Et je pense, j'espère en tout cas,
20:41 qu'on prend cette route-là pour la mode aussi,
20:43 et qu'on se rendra compte qu'un t-shirt à 5 euros,
20:47 c'est déjà dangereux pour les producteurs,
20:49 pour les ouvriers et les ouvrières qui travaillent dessus,
20:51 c'est dangereux pour soi-même.
20:53 Quand on voit les produits chimiques qu'il y a sur des vêtements de fast fashion,
20:56 on n'a pas très envie de les mettre.
20:58 Et voilà, c'est plus une réflexion globale, je pense, à avoir sur…
21:01 Qui est en train de commencer, vous voulez dire, et qui avance.
21:02 Je pense que ça commence.
21:04 Je pense qu'il y a quand même aussi une tendance à la seconde main et au vintage,
21:08 même si…
21:10 Alors, on peut aussi évoquer l'essor des plateformes de seconde main
21:13 qui finalement s'inscrivent dans un contexte,
21:17 comme on le dit depuis tout à l'heure,
21:19 qui n'est pas si vertueux que ça.
21:22 Par exemple, il y a beaucoup de gens maintenant
21:23 qui vont acheter des vêtements sans se poser du tout de questions,
21:26 toutes les questions qu'on évoque depuis tout à l'heure.
21:27 Qui en achètent encore plus.
21:28 Qui en achètent plus en se disant « si ça ne me va pas, je le revendrai ».
21:30 Et ça, c'est aussi des choses qui sont alimentées,
21:33 que ce soit par le luxe, par la fast fashion.
21:37 D'ailleurs, savoir où commence et où s'arrête la fast fashion,
21:39 je trouve que c'est aussi une question qu'on peut se poser.
21:42 Mais avec tout ce système de drop, d'édition limitée,
21:44 qui est devenu un peu la norme,
21:46 on va vouloir acheter tout de suite sans se poser de questions
21:49 parce que c'est un truc marketing.
21:51 On se dit « ils sont en quantité limitée, ils me le font absolument.
21:54 Et puis, si ça ne me va pas, je le revendrai et ce n'est pas très grave.
21:56 Et je pourrais même me faire du profit en le revendant. »
21:57 C'est tout le paradoxe de la situation.
21:59 C'est même presque buesque.
22:00 C'est-à-dire qu'il y a une prise de conscience,
22:02 mais cette prise de conscience provoque un marché de la seconde main
22:05 qui lui-même n'est pas forcément très vertueux, Julia Fort,
22:08 qui pose aussi des questions de livraison, d'écologie
22:12 et donc d'achat compulsif parce qu'on se dit « on peut revendre derrière ».
22:15 En tout cas, l'essor du marché de la seconde main
22:19 ne s'est pas accompagné d'une réduction de volume de vêtements neufs
22:22 qui sont mis sur le marché.
22:23 Donc c'est très clair.
22:24 Et je pense que c'est quelque chose d'avoir en tête
22:25 parce que là, ce qu'on voit dans le documentaire,
22:27 c'est l'impact individuel de certaines étapes.
22:31 La production de viscose, la teinture, etc.
22:33 qui sont catastrophiques et qui sont catastrophiques,
22:36 entre autres, enfin surtout parce qu'elles sont produites
22:38 dans des cadres qui ne traitent pas ces déchets-là.
22:41 Par exemple, on a des usines de teinture en France,
22:43 on en a une dans le parc naturel du Ballon des Vosges,
22:47 c'est Velcorex, ils traitent l'eau usée,
22:48 vous pouvez boire l'eau qui sort de leur station d'épuration
22:50 parce qu'on sait traiter les eaux usées.
22:51 En fait, c'est ça toute la tristesse de ce documentaire.
22:55 C'est qu'on sait faire ces processus chimiques en traitant les pollutions.
22:59 Mais il faut y mettre les moyens, le personnel ?
23:00 Il faut y mettre les moyens.
23:01 Et quand vous êtes dans une course au bas prix,
23:03 comme c'est actuellement dans la mode,
23:05 et bien, ça, c'est typiquement les genres de choses qui sautent.
23:07 C'est les salaires des ouvrières, c'est la protection de l'environnement.
23:10 Mais je veux revenir sur le sujet principal de la mode,
23:13 c'est bien sûr les pollutions individuelles
23:14 qui peuvent être liées aux pays dans lesquels on produit,
23:16 donc qui sont liées à la course au bas prix,
23:18 mais c'est surtout le volume de vêtements qui sont produits chaque année.
23:21 La fast fashion, ce qu'elle a provoqué,
23:23 c'est une explosion du volume de vêtements qui sont vendus.
23:27 En France, en 2022, on n'a pas encore les chiffres de 2023,
23:31 c'est 3,3 milliards de vêtements qui ont été vendus aux Français,
23:34 c'est-à-dire 50 pièces textiles par an par Français, neuves.
23:37 Dans les années 80, c'était la moitié.
23:39 On a doublé, plus que doublé notre consommation de vêtements.
23:43 Et donc, les pièces que vous achetez là,
23:46 vous dites "ah ben maintenant je peux m'acheter une veste",
23:48 alors que dans les années 80, c'était peut-être plus compliqué d'acheter une veste.
23:51 Certes, mais c'est pas du tout la même veste que vous achetez.
23:53 Parce que pour accompagner ce doublement de la quantité de vêtements,
23:56 aujourd'hui, 50% des fibres qui sont utilisées dans le textile, c'est du polyester.
24:00 Donc je peux vous dire que c'est pas la même chose d'acheter une veste en laine
24:03 qu'une veste en polyester.
24:04 On parlait d'identité.
24:05 Y a pas d'identité à acheter des vêtements qui sont produits
24:08 à la chaîne, par les chaînes de low cost.
24:11 Acheter une fois par jour un t-shirt 100% polyester, c'est pas...
24:17 Non, mais c'est le changement, c'est la couleur différente,
24:20 en fonction de l'humeur, parce que c'est aussi ça le vêtement,
24:22 c'est l'affirmation de son humeur, de son...
24:24 Mais on a toujours pu affirmer son...
24:26 Alors pour le coup, là, ce que cette mode, elle permet,
24:29 c'est de faire du jetable.
24:30 C'est vraiment ça qu'elle permet.
24:31 Elle dit, vous achetez, et c'est tellement pas cher que vous en rachetez d'autres.
24:34 Mais elle ne permet pas plus que dans les années 80 d'exprimer une identité.
24:38 Au contraire, il y a une homogénéisation du style qui est liée au fait que ce soit
24:42 quelques géants qui se partagent finalement, qui partagent le marché.
24:45 Et si vous regardez, les gens se sont habillés très similairement.
24:48 Le film, et cela m'a surprise, se termine sur une note assez pessimiste,
24:53 avec une forme de fatalisme.
24:55 "On ne verra pas la fin de la fast fashion", nous disent les réalisateurs.
24:59 Un intervenant nous dit même qu'il n'y a pas de mode éco-responsable possible.
25:03 Ça va vous intéresser, Julia Ford, vous l'avez vu comme moi.
25:06 Je vais vous faire réagir, mais on va réécouter ses propos.
25:08 La mode durable, ça n'existe pas.
25:14 Pas avec les technologies actuelles.
25:16 Désolé de vous décevoir, mais non.
25:19 Tout le monde veut vendre de belles histoires.
25:22 Si on bascule en bio et qu'on augmente les salaires des ouvriers,
25:25 le problème sera réglé.
25:27 Eh bien non, vous ne pouvez pas dire ça.
25:29 Ce n'est pas parce qu'il y a une grosse boîte dans un coin du magasin
25:32 avec un beau logo recyclable dessus que le problème sera résolu,
25:36 et que vous pourrez acheter encore plus de vêtements.
25:40 Vous savez quoi ? On ne peut pas recycler.
25:43 Techniquement, on peut, mais pas d'une façon écologique.
25:46 Alors personnellement, j'ai trouvé ça désespérant.
25:50 Elise Naccarato.
25:51 La mode durable, c'est comme la croissance verte.
25:54 C'est une fable qui permet de maintenir ce système de développement
26:01 qui nous entraîne vers plus de pollution,
26:07 plus de mal-être sanitaire, plus de conséquences...
26:11 Un cercle qui reste vicieux.
26:13 C'est un cercle qui reste vicieux.
26:14 Par contre, là où je vais être un petit peu plus optimiste,
26:17 c'est que moi, je crois qu'aujourd'hui, ce n'est pas le cas,
26:20 mais demain, ce serait possible d'avoir une mode différente.
26:24 Mais par contre, ce que ça veut dire,
26:26 c'est que ça nécessite un changement important,
26:32 pas que de la mode, comme ça a été dit tout à l'heure,
26:34 en fait d'un système de consommation, de surconsommation,
26:39 qui n'est pas que dans l'industrie de la mode,
26:41 mais qui va vers le toujours plus,
26:43 toujours de moins bonne qualité, toujours plus vite.
26:46 On a besoin de remettre en cause ce système.
26:49 Donc le point positif, c'est que c'est possible.
26:52 Je disais tout à l'heure qu'il y a des législations
26:55 au niveau européen qui sont en cours de discussion.
26:57 Donc ce serait possible de réglementer,
26:59 de rendre les responsables responsables
27:02 de vraiment ce qu'ils produisent, en l'occurrence ces industries.
27:05 Aujourd'hui, on n'est pas sur ce chemin-là,
27:07 mais si on y avait une volonté politique,
27:11 ce serait possible d'avoir un cadre différent
27:13 et du coup de créer des envies, de créer des possibilités différentes.
27:18 Mais il faudrait que cette volonté soit mondiale, Frédéric Godard.
27:21 Oui, c'est vrai qu'il y a le risque de déclencher
27:23 des conflits commerciaux avec d'autres pays.
27:25 Donc ça, il faut y penser.
27:28 Donc l'aspect réglementaire, il est central.
27:29 J'irais à l'aspect mouvement sociaux, mobilisation,
27:32 consommateur, consommatrice, central.
27:33 Le troisième point, et c'est là que je serais plus optimiste,
27:35 c'est l'aspect technologique.
27:36 D'ailleurs, l'intervenant dans le documentaire en parle.
27:40 Probablement, aujourd'hui, c'est très difficile de recycler du coton.
27:44 La viscose dans le documentaire apparaît comme étant…
27:48 elle est horrible, ce type de viscose.
27:50 On peut imaginer d'autres technologies qui vous permettraient…
27:53 alors Yocell, ça, on peut en parler, il y a beaucoup de débats,
27:55 mais je pense qu'il y a des possibilités technologiques.
27:57 Le problème, c'est qu'est-ce qu'on fait en attendant
28:00 que ces nouvelles technologies arrivent ?
28:02 Et si ça dure 10 ans, on a des problèmes.
28:05 Donc c'est pour ça qu'il faut changer tout de suite.
28:06 Mais si on joue sur les aspects réglementaires sociaux…
28:09 Oui, mais vous dites ça comme si c'était facile,
28:10 mais comment on met d'accord l'Inde, le Bangladesh, l'Europe,
28:14 les États-Unis pour que les matières soient bonnes ?
28:17 Comment on fait ça ? C'est un sommet mondial sur la mode ?
28:20 Disons que dans le commerce international,
28:22 il y a des relations de pouvoir.
28:25 Donc, possiblement, l'Europe a un pouvoir important économique,
28:27 donc elle peut s'imposer.
28:29 Elle pourrait, dans le rapport de force, elle pourrait être gagnante.
28:33 Si on a une volonté politique, on peut toujours s'imposer.
28:35 Donc j'espère que l'Europe peut le faire.
28:36 Je pense qu'il ne faut pas non plus oublier qu'en France,
28:39 on a aussi des gros conglomérats de luxe et de mode
28:43 qui ont un pouvoir mondial qui pourrait influer sur ça.
28:47 Et je pense que, comme tout le monde l'a dit,
28:50 au-delà de changer la mode,
28:53 comme on en parlait sur la fast fashion,
28:56 il faudrait changer la façon qu'on a de consommer la mode.
28:58 Est-ce qu'il vaut mieux acheter, disons,
29:00 cinq pièces d'une mode plus bas de gamme par an
29:05 ou quinze pièces de luxe par an ?
29:07 Finalement, plus on achète, plus on entretient un cercle vicieux,
29:13 comme on en a parlé.
29:14 Et je pense qu'il faut apprendre à faire avec ce qu'on a déjà.
29:17 J'ai un peu d'espoir, honnêtement, sur les futures générations.
29:22 D'accord.
29:23 Parce que sur les réseaux sociaux, on voit en ce moment,
29:26 il y a une tendance qui est,
29:28 on n'achète que cinq pièces de vêtements par an.
29:32 Venons d'influenceuses mode ?
29:34 Pas encore.
29:35 Pas encore les influenceuses mode,
29:36 quoiqu'il y en a certaines qui commencent à y voir des influenceurs
29:41 qui sont tournés sur la mode responsable et anti-fast fashion.
29:48 Mais il y a quand même globalement, je pense, une prise de conscience
29:52 qui doit s'accompagner d'actes politiques et de mesures économiques,
29:56 parce que sinon, on ne peut pas reprocher aux gens
29:59 qui n'ont pas beaucoup d'argent à mettre dans la mode d'acheter à bas prix.
30:03 Mais il y a quand même un mouvement,
30:07 disons par exemple, Challenge, cette année, en 2024,
30:10 j'achète que cinq pièces de vêtements sur l'année,
30:13 si possible en seconde main et de bonne qualité,
30:16 où je m'interroge, je me pose toutes les questions avant de faire un achat.
30:19 Et ça, vous pensez que ça peut toucher tout le monde ?
30:23 Alors, je ne pense pas que ça puisse toucher tout le monde comme ça
30:25 et ça ne se fera pas en 2024,
30:27 parce qu'il y a une influenceuse qui a dit « on fait un challenge ».
30:29 Mais je pense que ça peut éveiller les consciences
30:31 et que, comme je le disais tout à l'heure,
30:33 je pense que ça va être un peu comme avec le véganisme,
30:36 où le fait de manger moins de viande, c'est quelque chose au début,
30:40 je me souviens quand j'avais 20 ans, j'en parlais à mes parents
30:42 et ils me disaient « mais n'importe quoi, il faut manger de la viande tous les jours ».
30:46 Et maintenant, ils me disent « on mange de la viande une fois par semaine ».
30:49 Donc je pense que c'est des choses qui, petit à petit, vont se mettre en place,
30:53 j'espère en tout cas.
30:53 Mais je pense aussi qu'il faut un cadre légal,
30:56 qu'il faut des impulsions qui doivent venir de gens
30:59 qui ont les moyens de changer les choses
31:00 et que c'est un cercle vertueux à la fin qui devrait se mettre en place.
31:04 – D'après Catherine Doriac, qui est pionnière de la mode éthique en France,
31:09 « nous avons produit assez de vêtements pour habiller la planète jusqu'en 2100 ».
31:13 C'est une phrase relativement récente.
31:14 Julia Fort, est-ce qu'il faut stopper la fabrication de vêtements ?
31:19 – En tout cas, il y a quelque chose qui est…
31:21 moi je suis à la tête d'une marque de fringues,
31:23 et il y a une chose qu'il faut avoir en tête, produire c'est polluer.
31:26 Produire un vêtement c'est polluer, même si on le produit bien.
31:28 Parce qu'on consomme des ressources naturelles, parce qu'on consomme de l'énergie,
31:31 ça émet des gaz à effet de serre.
31:33 Mais en fait, toute activité humaine pollue.
31:36 Le problème, c'est quand cette activité dépasse nos besoins.
31:40 Et en fait, c'est exactement ce qu'on a fait de la mode.
31:42 On a fait de la production textile, on achetait un vêtement,
31:45 c'était un peu cher, donc on le gardait longtemps, on le réparait et tout,
31:47 on le transmettait à ses enfants.
31:49 On a fait de cette consommation, qui est pour le coup une consommation slow,
31:52 une consommation durable, on l'a transformée en une consommation jetable.
31:55 Donc il y a cette fast fashion qui est arrivée et qui fait que,
31:58 oui, c'est n'importe quoi.
32:00 Mais c'est vrai que produire, c'est polluer.
32:03 Pour autant, est-ce qu'il faut que…
32:05 C'est beaucoup quelque chose qu'on nous dit parce que
32:07 ma marque, elle prône justement le fait de consommer moins.
32:09 Du coup, les gens me disaient,
32:11 consommez moins, t'as qu'à arrêter de produire des vêtements.
32:13 Et donc pendant longtemps, on a eu, et c'est surtout une attaque des gens de la fast fashion,
32:16 ils disent, si vous êtes si contents avec la sobriété,
32:18 les petites marques, vous n'avez qu'à arrêter de produire.
32:20 Ce que je me suis rendu compte, c'est que
32:23 il faut continuer à produire des vêtements de qualité.
32:25 Parce que sinon, l'essentiel du marché,
32:27 il est engrainé par ces vêtements en polyestérate.
32:30 Donc vous êtes en paix avec votre conscience ?
32:31 Moi, je suis en paix avec ma conscience parce qu'il y a aussi quelque chose qui est intéressant.
32:34 C'est qu'à chaque fois qu'une marque fait des vêtements de qualité ferme,
32:37 il y a plus de vêtements qui sont mis sur le marché.
32:39 C'est vraiment la tendance qui se passe.
32:41 Là, vraiment, le made in France, c'est 3% des vêtements qui sont vendus en France.
32:47 Le coton bio, c'est 1% du coton utilisé.
32:50 C'est-à-dire que le produire bien est tellement minoritaire
32:54 qu'il ne faut surtout pas que les marques qui produisent bien s'arrêtent.
32:56 Ce serait une catastrophe, par exemple pour la consommation de pulls,
32:59 qu'une marque comme Saint-James mette la clé sous la porte.
33:01 Donc c'est paradoxal, mais pour qu'on puisse collectivement consommer moins,
33:06 il faut qu'il y ait des marques qui produisent de la meilleure qualité
33:08 et qui produisent dans des meilleures conditions.
33:10 Et il faut qu'il y ait des marques qui utilisent du coton bio
33:12 parce que sinon, elles ne mettent pas le niveau pour les autres marques.
33:15 Il faut qu'il y ait des marques qui produisent dans des conditions qui soient décentes,
33:18 le Portugal, la France, l'Italie, etc.
33:20 Parce que sinon, on considère que c'est la norme de produire à l'autre bout du monde.
33:24 Donc je suis d'accord avec ce que dit Catherine,
33:28 même si, là sur les 100 millions de fringues qui sont mises sur le marché,
33:31 vous n'avez pas envie de les porter toute votre vie.
33:32 Parce qu'un t-shirt en polyester, celui que vous gagnez dans un marathon,
33:35 celui que vous balancez direct après, allez-y pour le transmettre à vos enfants.
33:38 Ils vont être condamnés du cadeau que vous leur faites.
33:40 Un mot de conclusion ?
33:41 Oui, ce qui est intéressant, ce qu'on voit là,
33:44 c'est qu'en fait il y a besoin d'actionner plusieurs leviers.
33:47 Il y a besoin de faire du plaidoyer réglementaire, législatif.
33:51 Il y a besoin de transformer notre modèle économique.
33:53 Il y a besoin aussi de sensibilisation, de connaissance.
33:56 Vous l'avez dit, vous avez été surprise par ce documentaire.
33:59 Nous, chez Oxfam, on organise le second hand September,
34:02 où on va inciter à acheter deux secondes mains
34:05 et faire de la sensibilisation sur pourquoi,
34:08 quelles sont les marques durables, etc.
34:10 Donc on a besoin en fait d'activer plusieurs leviers.
34:13 Vous avez raison, il n'y a pas de solution simple.
34:15 On le demandait tout à l'heure, quelle est la solution ?
34:16 Il n'y a pas une baguette magique.
34:17 En fait, il y a besoin d'activer ces différents leviers
34:20 pour venir répondre, pour que la mode réponde à notre besoin
34:24 et pas à l'envie de certaines marques de se faire du fric
34:28 sur le dos de la population et de l'environnement.
34:31 Mais on sort quand même avec de l'espoir de cet échange
34:33 et quelques pistes d'avenir.
34:35 Merci infiniment à tous les quatre d'avoir participé à ce débat.
34:37 Merci à vous de nous avoir suivis comme chaque semaine.
34:39 Documentaires et débats à retrouver sur notre plateforme publicsena.fr.
34:44 À très vite, merci.
34:45 [Musique]