Rencontre croisée entre Chowra Makaremi, Leyla Dakhli et Hind Meddeb: Soulèvements révolutionnaires.
Un état du monde. «Femme ! Vie ! Liberté !», carte blanche à Chowra Makaremi.
Du Soudan au Liban, à l’Irak, au Chili, à l’Algérie, au Bélarus, à l’Iran : que veulent les soulèvements qui marquent notre contemporanéité ? Que dit la place qu’y prennent les femmes et le féminisme ? Comment façonnent-ils les subjectivités, en nous forçant à repenser les dramaturgies révolutionnaires ?
Dans le cadre du festival Un état du monde - 14e édition :
https://www.forumdesimages.fr/les-programmes/un-etat-du-monde-2024
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00:00:00 Merci beaucoup de m'avoir proposé de faire un débat qui, dans le point de départ, était
00:00:16 un petit peu aussi le livre "Femmes, Vies, Libertés" pour lequel moi j'avais envie
00:00:21 d'élargir et d'initier une conversation pour remettre en fait ce qui s'est passé
00:00:28 en Iran l'année dernière, donc le soulèvement "Femmes, Vies, Libertés" en perspective,
00:00:34 dans une séquence plus large et de relire un peu, enfin de regarder notre présent à
00:00:41 la lumière de ces soulèvements qui ont secoué les dernières années et qui plus largement
00:00:47 ont secoué toute une décennie qu'on vient de vivre et qu'on pense rarement tous ensemble.
00:00:55 Donc comme je pense qu'on est quand même dans des approches féministes, donc on va
00:01:02 éviter les grandes théories globales surplombantes qui arrivent et qui vont définir les choses,
00:01:07 donc ce n'est pas de ça qu'il s'agit, mais en repartant des situations révolutionnaires
00:01:13 et des expériences, et en nous appuyant aussi sur les images dont la circulation participe
00:01:20 maintenant pleinement, les répertoires d'action révolutionnaires, eh bien on voulait avec
00:01:26 Hind et Leïla interroger un peu ce que veulent ces soulèvements et si on pense à la séquence
00:01:35 la plus proche de nous, c'est une séquence qui commencerait au Soudan en décembre 2018
00:01:42 avec alors une autre question que l'introduction de Zineb a tout de suite, à laquelle l'introduction
00:01:48 de Zineb m'a fait penser, c'est est-ce qu'une révolution qui est presque immédiatement
00:01:56 écrasée dans une contre-révolution et une guerre, redevient une révolte ? C'est-à-dire
00:02:00 la révolution soudanaise était révolution jusqu'à il y a quelques mois, et donc est-ce
00:02:05 que maintenant il faut la rappeler révolte ? C'est-à-dire est-ce qu'on peut appeler
00:02:09 révolution un soulèvement qui n'a pas abouti, comme on le fait pour le Liban, comme on l'a
00:02:13 fait pour l'Iran ? Alors pas tout de suite Zineb, parce que je vais juste finir le...
00:02:17 Mais c'était...
00:02:18 Ouais je comprends, c'était une...
00:02:22 C'est juste une provocation de me dire est-ce qu'on peut...
00:02:29 Enfin, de quoi on parle et est-ce qu'on est d'accord sur le fait qu'on va assez lâchement
00:02:33 utiliser différents mots sans forcément prêter attention à l'étiquetage de révolution,
00:02:41 parce qu'on parle dès le début de soulèvement révolutionnaire pour cette table ronde,
00:02:45 mais en tout cas, il y a une révolution qui a eu lieu au Soudan en décembre...
00:02:49 Qui a commencé au Soudan en décembre 2018, et puis l'année 2019 a été marquée par
00:02:56 de multiples soulèvements au Chili, à Hong Kong, comme tu le rappelais, au Bélarus,
00:03:03 en Algérie, en Irak, au Liban, en Iran, les soulèvements de 2019 qui ont été réprimés
00:03:09 dans le sang en novembre, et puis il y a eu le Covid qui a congelé cette séquence-là,
00:03:16 mais sans faire disparaître aucunement les causes de ces soulèvements.
00:03:21 Et donc essayer de les voir aussi en interrogeant la place qu'y prennent les femmes et aussi
00:03:28 la place qu'y prend le féminisme dans sa puissance révolutionnaire.
00:03:32 Et y avait deux choses sur lesquelles aussi on était revenus en pensant justement cette
00:03:42 question-là, des soulèvements extrêmement contemporains.
00:03:45 C'est la façon dont on pourrait penser une première séquence 2011, avec les printemps
00:03:51 arabes, et puis une autre qui commence justement en 2018-2019, mais en fait, entre les deux,
00:03:59 ça a continué, il est difficile de faire un séquençage aussi clair, parce que quand
00:04:05 on repense aux années 2013-2014, y a eu Gezi, y a eu Podemos, y a eu Meïdan en 2014, y
00:04:12 a eu Black Lives Matter en 2013, initiée aussi par des féministes afro-américaines.
00:04:19 Donc en fait, c'est compliqué de séquencer les choses, et cette question de la durée
00:04:27 et du temps long des soulèvements, je pense, va être aussi au cœur de ce qu'on aimerait
00:04:32 mettre en conversation aujourd'hui, sur les terrains différents qu'on a vus.
00:04:36 Et l'autre chose à laquelle on avait pensé en mettant côte à côte ces expériences
00:04:44 de soulèvements, c'est la façon dont y viennent troublés, dans la façon dont la circulation
00:04:51 en fait des révoltes et des contestations, et les modes de réponse qui y sont apportés,
00:04:56 globalement la répression, viennent aussi interroger les dichotomies entre la mise en
00:05:02 cause ou la volonté de renverser un pouvoir autoritaire d'un côté, une dictature, et
00:05:05 de l'autre côté, des mouvements qui ont lieu dans des états de droit.
00:05:08 C'est-à-dire qu'on a à la fois, on met côte à côte Black Lives Matter, les Gilets
00:05:13 Jaunes, Podemos, on estime que ça participe d'une même séquence, et la révolution
00:05:20 qui a eu lieu au Liban en 2019, qui s'appelait "Révolution", et puis le soulèvement
00:05:24 en Femmes, Vies, Libertés, etc., avec des espaces un peu charnières qui seraient peut-être
00:05:31 Hong Kong, et surtout par exemple Chili, où le soulèvement a été réprimé en fait,
00:05:38 avec des méthodes qui ont renoué avec les usages de la dictature de Pinochet, et Chili
00:05:46 aussi où le soulèvement est venu réinterroger tout l'héritage néolibéral mis en place
00:05:50 par le régime de Pinochet, donc là où on était vraiment entre les deux.
00:05:54 Donc voilà, après cette brève introduction, je voudrais laisser la parole à Ine des Leïla
00:06:01 pour, dans un tout premier temps, revenir en fait, plus précisément, sur ces soulèvements
00:06:08 dont on voudrait parler, pour les recontextualiser, et juste pour les réévoquer, pour qu'on
00:06:11 sache tous de quoi on parle.
00:06:13 Donc peut-être on peut commencer avec toi, Ine, puisque chronologiquement c'est au
00:06:16 Soudan que débute la séquence, et du coup tu peux dire tout le mal que tu penses de
00:06:20 ma dichotomie révolte-révolution.
00:06:23 Oui, c'est comme si on disait que la révolution française, parce qu'ensuite il va y avoir
00:06:29 le directoire, la dictature de Napoléon et l'Empire, puis ensuite la restauration, etc.,
00:06:36 parce qu'il y avait eu cette contre-révolution juste après, elle n'était plus une révolution,
00:06:40 non, elle reste la révolution française.
00:06:42 Et elle est suivie par une contre-révolution extrêmement violente, une répression, une
00:06:48 disparition de la révolution pendant des décennies.
00:06:51 Donc je pense qu'il faut toujours regarder les choses sur le temps long.
00:06:54 Quand j'ai étudié la philo et j'ai fait mon mémoire de maîtrise, à l'époque
00:06:59 on disait mémoire de maîtrise, sur le concept de révolution chez Hegel, et je pense que
00:07:04 la manière dont il en parle, c'est-à-dire le négatif absolu, du négatif absolu, peut
00:07:10 sortir quelque chose qui va ensuite être pérenne.
00:07:13 Donc de la terreur, on va rentrer dans la période napoléonienne qui va être un des
00:07:20 fondements de l'état moderne français.
00:07:22 Donc voilà, c'est cette circulation, le concept de Aufhebung chez Hegel, c'est vraiment
00:07:27 ça, et on le retrouve aujourd'hui encore.
00:07:29 Et c'est vrai que dans le regard des Occidentaux, et beaucoup dans le regard des chercheurs
00:07:33 français avec qui je me suis souvent retrouvée comme ça dans des tables rondes, il y a cette
00:07:38 idée que les révolutions de 2011, qu'on a appelées le printemps arabe, ne sont que
00:07:43 des échecs.
00:07:44 Et moi je ne les vois absolument pas comme des échecs, je les vois comme des moments
00:07:50 très importants dans le cours de l'histoire de ces pays, et on est dans une étape quoi,
00:07:54 c'est-à-dire que l'échec ou la défaite fait partie du cours de l'histoire.
00:07:58 Et la répression, les contre-révolutions ont toujours fait partie du cours de l'histoire,
00:08:02 on a tendance à l'oublier, donc on est dans un regard qui est de l'immédiateté, moi
00:08:06 j'aime regarder cette histoire sur le temps long.
00:08:09 Donc cette révolution soudanaise, elle a été interrompue par la guerre, interrompue
00:08:16 par cette guerre notamment parce que, c'est mon analyse, parce que la résistance était
00:08:21 telle des Soudanais que même après le coup d'État d'octobre 2021, du 25 octobre 2021,
00:08:29 les militaires n'ont pas réussi à gouverner ce pays, et les gens ne se sont pas laissés
00:08:32 faire.
00:08:33 Donc c'était tellement fort la désobéissance civile et la manière avec laquelle les gens
00:08:38 ont résisté pour obtenir cette liberté, et obtenir ce qu'ils appelaient la madanie,
00:08:43 c'est-à-dire un État citoyen, un État pour les gens, pour les citoyens du pays,
00:08:48 que les deux militaires qui disputaient le pouvoir, la meilleure manière d'arrêter
00:08:54 cette révolution c'était de déclencher cette guerre, qui leur permet de continuer
00:08:57 à piller le pays en toute impunité, et effectivement la guerre a interrompu le combat de la société
00:09:04 civile soudanaise.
00:09:05 J'aimerais commencer en montrant un extrait d'une scène que j'ai tournée dans les
00:09:10 rues de Khartoum, juste après le coup d'État d'octobre 2021, où on voit un jeune homme
00:09:15 qui improvise un poème, ça vous donnera une idée de ce que les Soudanais attendent
00:09:24 du mouvement dans lequel ils étaient, et ce qu'ils attendent, leur désir de liberté.
00:09:28 Parce que le film que j'ai fait, qui est presque terminé, et qu'on verra avant la
00:09:32 fin de l'année, c'est un film sur le désir de liberté des Soudanais.
00:09:36 Et comment par la poésie et par la voix, ils expriment ce désir.
00:09:40 Peut-être qu'on peut lancer l'extrait numéro 2.
00:09:44 [Extrait du film]
00:09:51 [Extrait du film]
00:09:56 [Extrait du film]
00:10:02 [Extrait du film]
00:10:07 [Extrait du film]
00:10:12 [Extrait du film]
00:10:17 [Extrait du film]
00:10:22 [Extrait du film]
00:10:27 [Extrait du film]
00:10:33 [Extrait du film]
00:10:37 [Extrait du film]
00:10:41 [Extrait du film]
00:10:45 [Extrait du film]
00:10:50 [Extrait du film]
00:10:53 [Extrait du film]
00:10:57 [Extrait du film]
00:11:01 [Extrait du film]
00:11:05 [Extrait du film]
00:11:09 [Extrait du film]
00:11:13 [Extrait du film]
00:11:18 [Extrait du film]
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00:11:25 [Extrait du film]
00:11:29 [Extrait du film]
00:11:33 [Extrait du film]
00:11:37 [Extrait du film]
00:11:41 [Extrait du film]
00:11:46 [Extrait du film]
00:11:49 [Extrait du film]
00:11:53 [Extrait du film]
00:11:57 [Extrait du film]
00:12:01 [Extrait du film]
00:12:05 [Extrait du film]
00:12:09 [Extrait du film]
00:12:14 [Extrait du film]
00:12:17 [Extrait du film]
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00:12:25 [Extrait du film]
00:12:29 [Extrait du film]
00:12:33 [Extrait du film]
00:12:37 [Extrait du film]
00:12:42 [Extrait du film]
00:12:45 [Extrait du film]
00:12:49 [Extrait du film]
00:12:53 [Extrait du film]
00:12:57 [Extrait du film]
00:13:01 C'est le premier poème que le jeune homme récite.
00:13:08 C'est un poème qui a été écrit par un garçon qui a été tué dans une manifestation.
00:13:13 Et quand il allait dans les manifs, il écrivait et il récitait des poèmes.
00:13:19 Et donc en hommage à ce jeune homme qui a disparu,
00:13:23 ses amis ont appris son poème par cœur et le récitent.
00:13:26 Donc c'est un de ses amis qui le récite.
00:13:28 Et le poème en gros dit que cette balle nous a réveillés.
00:13:32 En fait c'est comme si c'était quelqu'un qui était déjà mort et qui s'adressait à nous
00:13:37 pour nous dire qu'il parle de l'au-delà.
00:13:39 Donc c'est un jeune homme qui a été dans une manif et qui a été tué.
00:13:43 Il est mort et de l'au-delà, il nous écrit, il nous donne ce poème
00:13:48 qui dit que cette balle qu'il a reçue et qu'il a tuée,
00:13:51 c'est une balle qui les réveille tous et qui leur donne envie de lutter contre la tyrannie.
00:13:57 Et puis c'est aussi l'idée du dialogue avec la mère,
00:14:01 puisque dans ce poème il dit "je suis désolée maman,
00:14:05 je t'ai rompue le pacte que j'avais fait avec toi,
00:14:08 je t'avais promis, puisque nous vivons dans une dictature,
00:14:11 que je ne parlerai pas des puissants,
00:14:14 je ne briserai pas ce silence sur les injustices qu'ils nous ont faites,
00:14:19 et bien ce pacte je vais le briser et je vais parler".
00:14:22 Et donc la phrase qui est une phrase qui vient d'un autre poète,
00:14:29 qui est en fait une citation dans le poème de ce jeune homme,
00:14:31 c'est "la balle ne tue pas, c'est le silence qui tue",
00:14:34 qui vient d'un poème d'un poète soudanais très connu,
00:14:37 et cette phrase "la balle ne tue pas, c'est le silence qui tue",
00:14:41 en arabe soudanais c'est "tel gamab tokhtol yokhtol sokote zol",
00:14:45 et en fait ce que ça veut dire c'est que je préfère mourir,
00:14:49 prendre une balle, plutôt que de me taire.
00:14:51 Et je préfère mourir debout.
00:14:53 Donc quand on arrive à un point où la question de la liberté
00:14:57 et de l'absence de liberté est telle qu'il y a ce désir
00:15:03 de briser ce silence et de dénoncer la dictature, les injustices,
00:15:09 et donc de demander à ce que... de tout faire pour renverser la tyrannie.
00:15:15 Et puis le poème dit aussi quelque chose de très fort, il dit
00:15:19 "vous nous avez tués au nom de la religion",
00:15:24 c'est aussi une référence à un autre poème écrit par un autre poète,
00:15:27 et c'est le poème qui a été dit par Hala Salah,
00:15:32 qui est une jeune femme qui est devenue très célèbre
00:15:33 parce que l'image a été filmée pendant la révolution.
00:15:36 Cette femme qui récite un poème, en fait elle récite un poème qui dit
00:15:39 "vous nous avez tués au nom de la religion, vous nous avez brûlés au nom de la religion,
00:15:43 vous nous avez emprisonnés au nom de la religion".
00:15:46 Elle parle du régime d'Omar el-Bachir, qui était un régime à la fois militaire
00:15:49 et intégriste islamiste, avec une application stricte de la charia,
00:15:54 et avec un théoricien qui s'appelle Abdelhatour Abdi
00:15:56 qui avait pensé cette dictature.
00:15:58 Et donc elle monte sur ce capot de voiture,
00:16:01 elle récite ce poème, et le poème dit
00:16:02 "mais la religion n'y est pour rien, la religion dit combattre les tyrans
00:16:07 et combattre les tyrans pour la liberté".
00:16:12 Donc il y a toutes ces références, et ensuite quand il y a le travelling,
00:16:16 c'est un poète qui s'appelle, qui est un jeune poète qui s'appelle
00:16:21 Shaykhoun, qui aujourd'hui est exilé au Caire,
00:16:24 et c'est un poème où il se met dans la peau de la mère qui a perdu son fils.
00:16:29 Donc après avoir entendu la voix du fils qui est déjà mort
00:16:31 et qui nous parle de l'au-delà, on entend la voix de la mère
00:16:35 à qui on apprend que son fils a été tué pendant une manifestation.
00:16:39 Et donc il écrit ce poème qui s'appelle "La mère du martyr"
00:16:44 et qui est un poème qui a beaucoup beaucoup circulé,
00:16:47 qu'il a écrit en 2019, et où en fait il imagine cette mère
00:16:53 qui n'a qu'un fils unique, et qui apprend qu'il est mort,
00:16:57 et donc elle va voir la laveuse mortuaire, elle lui dit "mettez-lui de l'eau tiède"
00:17:01 comme s'il était encore là, parce que l'eau froide lui ferait mal.
00:17:04 - On s'est mis d'accord pour isoler cette séquence à partir de 2019,
00:17:08 alors à l'échelle de ce qui s'est passé dans le monde arabe
00:17:12 depuis fin 2011, c'est assez difficile de l'isoler complètement cette séquence,
00:17:18 même si je voudrais la recadrer par rapport à notre propos de ce soir
00:17:23 en quoi peut-être en ce qui concerne les luttes féministes et les luttes des femmes,
00:17:27 elle a un caractère un peu spécifique.
00:17:30 Donc ces trois séquences, disons, historiques,
00:17:33 je ne vais pas rentrer dans les terminologies et justement dans le séquençage chronologique,
00:17:39 mais disons qu'en Algérie au début de l'année 2019,
00:17:44 puis à l'automne en Irak et au Liban, on a vu des soulèvements
00:17:49 qui se réclament des révolutions qui ont eu lieu ailleurs dans le monde arabe.
00:17:56 Alors il y a plusieurs manières de le voir, certains disent voilà,
00:17:59 c'est les pays qui ne s'étaient pas encore soulevés qui à leur tour se mettent dans le bal.
00:18:06 Moi je vois plutôt comme une sorte de prise de relais
00:18:11 et qui notamment vient prendre le relais d'une devoir et de façon de faire
00:18:20 liée aux luttes des femmes ou héritée des luttes féministes ou des luttes de femmes dans la région.
00:18:25 Alors pour le voir peut-être, on a une image sous les yeux,
00:18:30 enfin vous avez une image devant vous et nous on l'a là,
00:18:32 c'est celle qui est tout à fait à la gauche, c'est celle des affrontements,
00:18:37 enfin du fameux coup de pied donné à un garde de la sécurité de la banque Raoudi à Beyrouth
00:18:43 par cette femme et qui est devenue aussi une icône de cette révolution.
00:18:49 Donc il y a cette façon de mettre au devant de la scène et de manière très affirmée
00:18:55 une violence réappropriée par les femmes et qui s'est vue à la fois à Beyrouth
00:19:03 mais aussi dans d'autres villes du Liban et aussi dans l'occupation de la place Tahrir,
00:19:08 elle s'appelle comme la place du Caire mais cette fois c'était Tahrir de Bagdad,
00:19:12 où les femmes ont joué un rôle aussi de défense des manifestants,
00:19:19 y compris des hommes ou des jeunes hommes qui étaient exposés à des violences très directes par la police.
00:19:25 Donc ça c'est peut-être une première, enfin une première je ne sais pas s'il faut les numéroter,
00:19:31 mais c'est une manière de faire entrer de manière un petit peu différente
00:19:35 de ce que ça a pu être dans la séquence précédente, disons, les présences des femmes.
00:19:42 La seconde a été évoquée dans le poème, là je dirais, et j'évoque simplement ce qui me semble frappant,
00:19:50 c'est l'invocation de la figure de la mère, ou des mères, au Liban il y a eu des manifestations de mères
00:19:58 qui se proclamaient comme telles, et la figure de la mère a été travaillée comme étant aussi porteuse de révolte
00:20:06 et de révolution, avec en arrière-plan, et c'est pour ça que les séquençages historiques sont toujours un peu compliqués,
00:20:13 un arrière-plan, une mémoire qui est une mémoire d'une autre violence, celle de la guerre civile,
00:20:18 c'est vrai au Liban, c'est vrai en Irak, et c'est vrai bien sûr aussi en Algérie,
00:20:25 pour venir dire que les femmes sont aussi porteuses de cette histoire transmise par les mères.
00:20:35 Donc on a vu des mères, notamment des mères de disparus, des mères de martyrs,
00:20:40 mais aussi tout simplement des mères qui venaient interpeller par exemple des soldats dans la rue,
00:20:44 en les appelant "mon fils", et en les disant "tu peux pas faire ça, c'est pas possible, t'es mon fils, t'es comme mon fils",
00:20:51 et cette image, qui est aussi pas tout à fait nouvelle, je dirais qu'elle a été investie de manière très très forte
00:20:58 dans ces différents exemples. Et puis l'autre chose qui me semble importante à dire, c'est l'espace,
00:21:06 c'est la manière dont les femmes se sont mises, ont construit des espaces pour les femmes,
00:21:12 et bien souvent en les nommant, le mot de révolution en français comme en arabe est féminin,
00:21:20 et donc cette féminisation de la révolte, elle s'est beaucoup marquée dans les espaces,
00:21:26 que ce soit sur les places occupées, où il y avait des espaces non-mixes, des espaces pour les femmes,
00:21:33 et puis aussi une sorte d'encerclement féminin et féministe d'une partie des révoltes.
00:21:40 Et ça je crois que c'est assez frappant dans le cadre des deux occupations d'espace
00:21:48 que sont celles de plusieurs, les nombreuses occupations d'espace au Liban, mais aussi en Irak.
00:21:53 Et pour ce qui est du cas algérien, là il y a vraiment quelque chose de très...
00:21:58 Alors c'était plutôt dans le cadre des marches, le travail qui a été fait sur les carrés féministes,
00:22:05 et qui ont pris petit à petit de l'ampleur à partir de la date du 8 mars,
00:22:10 qui arrive assez vite dans les différentes marches qui ont lieu.
00:22:16 Ce qui me semble qu'en effet, ces séquences révolutionnaires,
00:22:20 elles ont été portées par des choses qui ont, j'aimerais le rappeler, été préparées par d'autres moments de révolution en 2011,
00:22:29 particulièrement dans le cadre de la révolution syrienne, où là aussi les femmes,
00:22:35 alors que ce soit du côté de la révolution syrienne, disons celle qu'on appelle la révolution syrienne,
00:22:43 la révolution kurde du Rojava, des espaces très très fortement affirmés comme féminins,
00:22:49 et portant, disons, non seulement la parole, mais aussi la façon de faire la révolution aux féminins.
00:22:58 Voilà, donc je pense qu'on peut rentrer un petit peu ensuite dans la discussion.
00:23:02 Petite chose sur tout ce que tu viens de nous dire Leïla, je voulais rappeler qu'au Soudan,
00:23:08 on dit que ce qui représente le Soudan, c'est Raza, et Raza est une femme,
00:23:15 et c'est une femme qui est connue parce que dans les années 1920, en fait,
00:23:20 il y a eu un militant contre la colonisation britannique qui a été emprisonné,
00:23:26 et sa femme s'appelait Raza, et elle allait tous les jours devant la prison pour demander sa libération,
00:23:31 pour réciter des poèmes, pour lui envoyer des messages, et donc Raza, c'est le deuxième nom du Soudan,
00:23:37 donc dans tous les poèmes révolutionnaires que j'entendais, au début je ne comprenais pas,
00:23:41 on entend toujours Raza, Raza, et l'évocation du pays, comme aussi le pays comme lieu de résistance,
00:23:49 ou comme représentation de la nation soudanaise, c'est une femme,
00:23:52 et il se trouve que quand il y a eu cette image qui est devenue virale sur Internet,
00:23:56 de "Hala Salar" qu'on a derrière nous, les artistes soudanais se sont amusés
00:24:00 à reprendre cette image et à en faire des peintures, et ils ont même fait un passeport soudanais,
00:24:06 sur lequel la représentation sur le passeport, c'était la silhouette de cette femme.
00:24:10 Et en fait au Soudan on dit aussi, cette tenue, cette manière traditionnelle dont elle habillait,
00:24:15 avec cette boucle d'oreille et le voile tel qu'elle le porte, on dit que ce sont les "Kandakas",
00:24:22 et pendant la révolution, les femmes étaient très présentes au Soudan, et on les appelait les "Kandakas",
00:24:28 et en fait les "Kandakas" ce sont ces reines de l'époque pharaonique,
00:24:33 puisqu'on sait maintenant qu'au Soudan il y a eu aussi des empires pharaoniques comme en Égypte,
00:24:39 ce qui était peu connu jusqu'à il y a peu de temps,
00:24:44 et donc c'est une immense civilisation qui s'est développée au Soudan,
00:24:50 qu'on connaît encore assez peu parce qu'il y a eu moins de fouilles qu'en Égypte,
00:24:54 et donc on sait qu'il y avait ces femmes, les "Kandakas", qui étaient des reines soudanaises,
00:25:02 et qui avaient donc le pouvoir politique, et qui étaient des femmes très puissantes,
00:25:06 et donc quand il y a eu la révolution en 2019, on a surnommé les jeunes femmes révolutionnaires
00:25:11 qui renvoyaient les bouteilles de gaz acrymogènes sur les militaires, on les a surnommées les "Kandakas".
00:25:18 Et donc "Ahla Salah" était une "Kandaka", et la réincarnation de "Azza" quelque part.
00:25:24 On peut aussi parler de ce qui s'est passé en Irak, avec le slogan, je ne sais pas le dire en arabe,
00:25:31 "Une voix de femme, c'est la révolution".
00:25:34 Et donc là c'était pareil, c'est essayer de s'opposer à la façon de genrer les espaces,
00:25:42 en réservant aux hommes l'espace de la révolte, mais au-delà,
00:25:47 je pense qu'il y a la façon dont ces soulèvements aussi produisent de nouvelles subjectivités,
00:25:57 et ça on l'a beaucoup vu aussi en Iran, il y avait toute une façon dont,
00:26:05 à travers les moments, l'expérience du soulèvement, et la circulation des images,
00:26:10 on avait de nouvelles références à une espèce de citoyenneté, ou une subjectivité politique
00:26:16 qui se renégociait avec des valeurs en situation, comme la solidarité par exemple,
00:26:20 qui serait affirmée, on pourra y revenir.
00:26:24 Et donc la question, justement, si on essaie de partir des micro-politiques du soulèvement
00:26:27 pour comprendre ce dont ils peuvent être porteurs, c'est la question de ces espaces de la révolte,
00:26:36 la façon dont la révolte redéfinit les espaces, quels espaces elle produit,
00:26:41 et à cet égard, en fait, ce qui est aussi intéressant, c'est qu'elle produit des nouveaux,
00:26:50 elle réinvestit les espaces urbains de façon assez créatrice,
00:26:54 et notamment au Liban et en Irak, à travers toutes ces occupations.
00:26:59 57 jours d'occupation de tout le quartier, donc c'est pas juste une place,
00:27:05 c'est une ville dans la ville, c'est une cité révolutionnaire,
00:27:08 autour du quartier général de l'armée, les gens vont venir de tout le pays, de tout le Soudan,
00:27:13 et il va y avoir des trains qui vont arriver, il y a tellement de monde qu'on ne voit plus le train,
00:27:19 donc des gens sont arrivés d'autres régions, et c'est ce qui a permis, d'ailleurs,
00:27:23 c'est ce qui a entraîné la chute d'Omar el-Bachir, c'est le début de ce seating révolutionnaire,
00:27:27 le 11 avril 2019, et cette occupation va durer 57 jours,
00:27:31 et pour demander justement, pas seulement la chute du dictateur,
00:27:35 mais le changement de régime, et l'instauration d'un nouveau régime,
00:27:38 qui sera un régime citoyen, l'Amadaniya.
00:27:40 Et comme ils ne sont pas arrivés à un accord avec les militaires,
00:27:43 au bout de 57 jours, les militaires et les miliciens ont attaqué le seating,
00:27:48 et ils ont tué des milliers de personnes en quelques heures,
00:27:50 et ils ont complètement détruit ce seating, qui était pourtant,
00:27:53 vraiment quand je dis une ville dans la ville, c'est que chaque association,
00:27:58 et puis tous les syndicats, les syndicats des avocats, les syndicats des médecins,
00:28:03 avaient sa tente, avec des... - Comme au Liban ?
00:28:06 - Oui, comme à Beyrouth, et il y avait aussi des énormes scènes artistiques,
00:28:09 tous les soirs, des concerts, des projections de films,
00:28:12 les artistes avaient créé leur QG, donc il y avait une ancienne école,
00:28:17 une école qui a été transformée en QG pour les artistes,
00:28:20 et puis des murs et des murs et des murs dans la ville recouverts d'oeuvres d'art,
00:28:25 donc ça a été extrêmement puissant, ce qui s'est passé à Kachourine.
00:28:29 - Alors cette dimension-là aussi, et distingue en fait ce qui s'est passé en 2022 en Iran,
00:28:35 des autres soulèvements antérieurs, parce qu'il y a tout un cycle de soulèvements
00:28:38 de 2017, de décembre 2017 jusqu'à novembre 2019, comme je le disais,
00:28:42 les classes populaires iraniennes, qui étaient la base historique du régime,
00:28:46 se sont soulevées contre ce régime, principalement pour des raisons économiques,
00:28:50 et ce qui distingue en fait le soulèvement Femmes, Vies, Libertés,
00:28:54 c'est aussi sa dimension de joie, festive, créatrice, qu'on retrouve au Soudan,
00:29:01 extrêmement productrice en fait, et ça aussi ça participe de cette resubjectivation,
00:29:08 de cette subjectivation politique qui a lieu à travers ces soulèvements-là,
00:29:14 et au niveau des... quand on repense à ces espaces, investis par beaucoup de bruit aussi,
00:29:21 les fêtes, les concerts, il y a la question de l'espace digital,
00:29:26 qui est à la fois une façon de transnationaliser ces soulèvements-là,
00:29:33 mais qui parfois devient un espace en lui-même, c'est-à-dire que dans le cas
00:29:38 du soulèvement en Iran, à des moments, on se délocalise en fait dans l'espace digital,
00:29:45 il y a des images qui sont produites, et c'est en produisant ces images-là
00:29:48 qu'on va continuer de manifester, quand les possibilités, les conditions de possibilité
00:29:52 de la manifestation sont impossibles, et donc on va produire des images,
00:29:56 et je pense que ça s'est passé aussi beaucoup en Syrie, dans les maisons,
00:30:00 et ça c'est... cette articulation en fait entre l'espace digital et l'espace de la ville,
00:30:08 l'espace urbain, est intéressant aussi dans ces points de jonction,
00:30:12 et je me souviens de ce texte écrit par une manifestante iranienne, anonyme,
00:30:19 mais c'est un texte qui a énormément circulé, qui a fait beaucoup de sens en fait,
00:30:22 qui a capté quelque chose de l'esprit du soulèvement Femmes, Vies, Libertés,
00:30:28 donc c'est un texte qui est écrit par une jeune manifestante qui habite une petite ville,
00:30:32 pas Téhéran, et qui réfléchit sur comment ça se fait qu'on regarde ces images
00:30:38 hyper galvanisantes, et à un moment on met son corps en jeu,
00:30:41 on décide de descendre et de mettre son corps en jeu dans la rue.
00:30:44 Comment ça se circule en fait entre le digital et le urbain,
00:30:49 j'ai pas envie de dire réel parce qu'en fait quelque part là,
00:30:52 ce qui se passe dans l'univers digital devient un peu réel aussi.
00:30:57 - Vous montrez des images, mais je voudrais que peut-être Leila réagisse aussi avant,
00:30:59 parce que c'est vrai que c'est un petit peu long mes images.
00:31:01 - Non mais c'est intéressant ce réel/pas réel, parce que ce qui s'est passé,
00:31:04 c'est en effet un point commun avec ce qui se passait en Syrie,
00:31:07 c'est aussi une façon de se filmer dans un endroit un peu safe,
00:31:11 et de projeter ça dans un univers numérique où ça va circuler,
00:31:16 que ce soit les manifestations dans les maisons,
00:31:18 ou ce qu'on a pu voir des jeunes femmes iraniennes qui se prennent en photo, etc.
00:31:23 Et je pense que c'est ce jeu-là aussi qui permet de naviguer avec des espaces un peu différents,
00:31:29 et puis de briser des frontières en fait, entre ce qui serait juste un espace intime,
00:31:33 ou un espace familial, ou un espace entre amis, et puis une participation politique.
00:31:38 Donc c'est sûr que c'est des pratiques qui se sont...
00:31:42 C'est pour ça que je dis qu'il y a un continuum aussi,
00:31:44 c'est que c'est des choses qui se sont transmises, je pense, de proche en proche,
00:31:49 en s'apprenant via les réseaux, les uns des autres, ou les unes des autres.
00:31:53 - Oui, alors par rapport à ça justement, il y a cette question du langage
00:31:57 et de la grammaire de la révolte, et de tous les répertoires qui se créent et qui circulent,
00:32:04 qui sont parfois très ancrés dans une culture, ou dans une langue,
00:32:09 et d'autres fois qui vont vraiment circuler mondialement.
00:32:14 Et peut-être... Alors en effet, moi j'ai préparé une série d'images
00:32:18 qu'on a presque toutes déjà vues, mais pour rappeler le soulèvement en Iran,
00:32:25 mais peut-être avant aussi, je pense que Insa, ça parle beaucoup à l'expérience soudanaise,
00:32:31 cette question du langage de la révolution, et des mots de la révolution en fait.
00:32:35 - Je ne sais pas quoi répondre. Je ne sais pas quoi dire.
00:32:38 - Poésie. - Oui, toute la poésie, je récite de la poésie.
00:32:42 En tout cas, ce qui m'a amenée au Soudan, c'est la poésie.
00:32:45 J'ai fait un film entre 2016 et 2018 qui s'appelle "Paris-Stalingrad",
00:32:54 où j'ai tourné autour du métro Stalingrad, avec un jeune homme qui s'appelle Suleiman,
00:33:02 Suleiman Mohamed. Et Suleiman, quand je l'ai rencontré, il avait 17 ans,
00:33:08 il arrivait du Soudan, il était originaire du Darfour, d'une région et d'un village
00:33:14 qui a été brûlé par les milices djandjaouides, qui sont donc des milices racistes
00:33:19 d'Omar al-Bashir, de cet horrible dictateur que les Soudanais ont renversé en 2019,
00:33:26 et qui avait instauré en fait une politique dans laquelle il y avait cette idée
00:33:30 que les Arabes seraient supérieurs aux autres ethnies africaines,
00:33:34 et qui a massacré des régions entières, des gens parce qu'ils étaient d'une ethnie autre,
00:33:40 ou parce qu'ils parlaient d'autres langues, et surtout parce qu'ils habitaient sur des terres,
00:33:44 c'est des agriculteurs qui sont très riches.
00:33:46 Et en réalité, ce que j'ai découvert bien plus tard en allant au Soudan,
00:33:49 c'est que ce qui s'était passé au Darfour était lié au vol des terres,
00:33:55 des terres qui ont ensuite été vendues à des Saoudiens,
00:33:58 et qu'il y a une forme de néocolonialisme au Soudan qui s'est passé pendant toutes ces années.
00:34:03 Pour revenir, c'est-à-dire que Souleiman que je rencontre à Paris, à Stalingrad,
00:34:06 et sur qui je décide de faire un film, de faire son portrait, de ce jeune homme qui arrive à Paris,
00:34:11 je découvre en cours de tournage qu'il écrit des poèmes,
00:34:14 et qu'il en écrit tout le temps, et que ces poèmes sont magnifiques,
00:34:17 et donc les poèmes deviennent le récit du film, enfin la voix-off du film,
00:34:22 ce sont les poèmes de Souleiman.
00:34:24 Et puis quand on termine ce film qu'on a présenté ici dans cette salle en mars 2019,
00:34:31 la révolution soudanaise était en plein dedans,
00:34:33 et un mois après avoir présenté le film ici, Omar El-Bachir tombe,
00:34:37 et là Souleiman et tous les amis soudanais que je me suis fait en tournant ce film,
00:34:41 dont beaucoup étaient des réfugiés politiques, me disent "il faut partir au Soudan".
00:34:44 Et quand j'arrive au Soudan, je vois que la poésie est partout,
00:34:47 que Souleiman n'est absolument pas une exception,
00:34:49 que c'est quelque chose de très commun d'écrire des poèmes,
00:34:53 et qu'énormément de gens écrivent des poèmes, improvisent de la poésie,
00:34:58 c'est toute une jeunesse, des gens qui ont entre 15 et 30 ans,
00:35:02 et qui connaissent par cœur tout le répertoire de poésie soudanais,
00:35:07 les poètes de résistance, parce qu'en fait la poésie a permis de résister
00:35:12 à la colonisation britannique et d'obtenir l'indépendance,
00:35:15 et ensuite ils ont continué à écrire des poèmes aussi pendant les différentes dictatures.
00:35:20 Parce que ce que j'apprends aussi en allant au Soudan,
00:35:22 c'est qu'en 2019 c'est la troisième révolution au Soudan,
00:35:27 il y a eu une première révolution dans les années 60,
00:35:29 qui a fait tomber une dictature militaire,
00:35:31 avec une expérience démocratique qui va durer 4 ans,
00:35:34 de nouveau un coup d'État militaire,
00:35:37 et une dictature qui va durer de 1969 à 1985,
00:35:41 et en 1985 de nouveau une révolution,
00:35:44 et 4 ans de démocratie entre 1985 et 1989,
00:35:47 avec vraiment un parlement, des élections, etc.
00:35:49 Et en 1989, Omar El-Bashir prend le pouvoir,
00:35:52 et en 2019 il tombe.
00:35:56 Donc en fait il y a eu une très très longue expérience de révolution,
00:35:59 et elle est toujours liée à la poésie,
00:36:02 et les poètes soudanais ont été en prison, ont été emprisonnés,
00:36:06 et en fait il y a aussi des correspondances,
00:36:08 parce que en réalité ces poètes soudanais,
00:36:11 ils ont leur équivalent en Égypte,
00:36:13 Cheikh Imam par exemple a aussi passé une grande partie de sa vie en prison,
00:36:18 il était très célèbre, et Ahmed Fouad Naghem,
00:36:21 qui était son parolier,
00:36:24 qui écrivait des poèmes que Cheikh Imam chantait,
00:36:26 donc ces figures de poésie et de résistance,
00:36:28 elles traversent en fait effectivement tous ces espaces.
00:36:32 Oui, alors après je peux lire un extrait de poème
00:36:34 dont on a parlé toutes les deux tout à l'heure,
00:36:36 qui était "Que les gens ne descendent pas dans la rue parce qu'ils ont faim,
00:36:39 mais ils descendent dans la rue pour la liberté",
00:36:41 et donc il y a un poème de nouveau de ce jeune qui s'appelle Moït Cheikhoun,
00:36:44 qui dans la vie est informaticien,
00:36:46 et travaille dans une banque quand je le rencontre,
00:36:49 et qui se met à écrire de la poésie,
00:36:53 et il sort comme ça, sur le seating,
00:36:55 parce qu'il est inspiré par ce qu'il voit,
00:36:57 et il écrit un poème que quasiment tous les jeunes connaissent par cœur,
00:37:00 qui est un poème qui dure dix minutes quand même,
00:37:02 c'est assez impressionnant,
00:37:04 et que les jeunes récitent comme ça et se répondent,
00:37:06 et j'ai rencontré Moït Cheikhoun,
00:37:08 j'étais chez lui,
00:37:10 je lui demande, je lui dis "est-ce que tu veux bien lire le poème,
00:37:13 je voudrais l'enregistrer", il me dit "mais je ne l'ai pas écrit",
00:37:15 je lui dis "comment ça tu ne l'as pas écrit ?"
00:37:17 il me dit "il est dans ma tête", je lui dis "ah bon",
00:37:19 donc on enregistre, et pendant dix minutes,
00:37:22 il a tout récompé,
00:37:23 et rien n'est écrit, c'est dans sa tête,
00:37:25 et donc je vous lis un extrait de ce poème,
00:37:27 il dit, bon alors après c'est traduit par moi,
00:37:29 et par des amis soudanais,
00:37:31 donc en français ce n'est plus vraiment de la poésie,
00:37:33 mais en arabe, malheureusement je ne vais pas vous le dire en arabe,
00:37:35 il dit "vous pensez que les gens ont faim,
00:37:37 qu'ils descendent dans la rue pour demander du pain et du sucre,
00:37:40 non, le peuple vous demande des comptes,
00:37:42 son cahier de doléances à la main,
00:37:44 il est descendu dans la rue pour dire non à la tyrannie,
00:37:47 non aux manœuvres militaires,
00:37:51 vous voilà prévenus, prenez garde à la révolution",
00:37:53 et ce poème ce qui est très beau,
00:37:55 c'est que c'est un dialogue entre le tyran et le peuple,
00:37:57 donc après il donne la parole à Omar el-Bachir,
00:37:59 et c'est un dialogue imaginaire entre le peuple,
00:38:03 le tyran, les religieux, et le martyr,
00:38:07 donc celui qui est déjà mort,
00:38:09 et qui nous parle de l'au-delà, et qui est mort pour la liberté.
00:38:11 Et ça m'a fait penser d'ailleurs,
00:38:13 toute cette poésie soudanaise m'a beaucoup rappelé Victor Hugo,
00:38:16 et un poème de Victor Hugo magnifique,
00:38:20 qu'il avait récité lors d'un procès,
00:38:21 qui commence comme ça, qui dit
00:38:23 "Car le mot qu'on le sache est un être vivant,
00:38:26 la main du songeur tremble et vibre en l'écrivant".
00:38:30 Et c'est vrai que c'est ce que j'ai ressenti en étant au Soudan,
00:38:32 j'ai ressenti que les mots étaient vivants,
00:38:34 et que la puissance des mots était telle,
00:38:37 que même si ça peut paraître dérisoire des poèmes contre des armes,
00:38:42 et bien si, en fait, à un moment donné ça impacte la réalité.
00:38:45 Et c'est ce que dit Narjes Mohammadi,
00:38:48 de la lettre qu'elle a écrite de prison,
00:38:50 à laquelle on m'avait demandé de répondre,
00:38:52 dans une soirée qui avait été organisée
00:38:54 pour les femmes iraniennes prisonnières.
00:38:56 Et j'avais répondu à cette lettre,
00:38:58 par des poèmes soudanais que je lui avais dédiés,
00:39:02 qu'on lui a envoyés, et qu'elle a reçus dans sa cellule.
00:39:05 - Merci, du coup, on reste sur la puissance des mots,
00:39:08 avec justement ceux de "Femmes, vie, liberté",
00:39:12 et là pour le coup, je voudrais,
00:39:14 parce que moi j'avais préparé,
00:39:17 aujourd'hui, du soulèvement iranien,
00:39:18 à travers des images de la révolte,
00:39:20 mises, voilà, une espèce de...
00:39:23 c'est pas vraiment un montage, mais c'est plutôt...
00:39:25 j'ai essayé de penser à tous les répertoires d'action,
00:39:28 toutes les différentes formes,
00:39:30 alors c'est pas du tout exhaustif, c'est pas complet,
00:39:33 mais c'est à la fois un déroulé chronologique,
00:39:36 qui va vous raconter l'histoire, un petit peu,
00:39:38 de ce soulèvement,
00:39:40 tout en déclinant, en fait, différentes dimensions,
00:39:43 et tous les répertoires d'action qui se sont inventés,
00:39:46 à travers ce soulèvement.
00:39:48 Donc peut-être on peut faire...
00:39:50 on peut jouer l'extrait numéro 1, maintenant ?
00:39:52 Alors, par souci de gain de temps,
00:39:56 voilà, c'est ça, je vais parler,
00:39:58 je vais commenter en même temps,
00:40:00 comme ça on va gagner du temps,
00:40:02 et on va pouvoir avoir un peu de temps pour le débat.
00:40:04 Donc là, la première image, c'est Fatemeh Sepehri,
00:40:08 qui est une militante des droits...
00:40:10 une activiste des droits humains iraniennes,
00:40:14 qui est vraiment une figure de la résistance
00:40:16 pour tous les Iraniens et les Iraniennes.
00:40:18 Donc vous voyez qu'elle est voilée, traditionnellement,
00:40:20 c'est une femme de martyr,
00:40:22 et elle parle, là, le soir de la mort de Massaï Amini,
00:40:28 et elle se réfère à George Floyd,
00:40:32 donc on voit bien comment est-ce qu'aussi,
00:40:34 comme Mohamed Bouazizi, c'est la mort de quelqu'un qui va...
00:40:37 et l'outrage, suite à la mort d'une personne
00:40:40 qui va mettre le feu aux poudres en Iran.
00:40:43 Avec "Djindjian Azadi",
00:40:44 donc la version kurde du slogan,
00:40:47 qui est repris en persan, en iranien,
00:40:51 en persan à Téhéran le lendemain.
00:40:53 Vous voyez les dates, en fait,
00:40:59 et cette vidéo est très intéressante.
00:41:03 Et vous voyez comment la grammaire, en fait,
00:41:04 s'invente en situation.
00:41:06 Tout à coup, on ne sait pas trop ce qui va se passer,
00:41:08 il y a une hésitation,
00:41:10 et puis ils font cette performance à deux,
00:41:13 et la foule dit "femme d'honneur",
00:41:15 parce qu'en fait, un homme qui coupe les cheveux d'une femme,
00:41:17 ça pourrait être pris autrement,
00:41:19 et ils sont en train de subvertir l'idée
00:41:22 que c'est une femme d'honneur,
00:41:24 et que c'est une femme qui est en train de se faire dénoncer,
00:41:26 et que c'est une femme qui est en train de se faire dénoncer,
00:41:28 et que c'est une femme qui est en train de se faire dénoncer,
00:41:31 et qui est en train de subvertir,
00:41:32 ou de créer de nouveaux gestes.
00:41:34 Moi, j'ai pas mal écrit sur la façon,
00:41:49 sur comment brûler le voile, en fait,
00:41:52 c'est montrer qu'on transgresse une ligne rouge,
00:41:55 c'est transformer ces lignes rouges
00:41:57 qui fondaient, en fait, le pacte entre Etat et société iranien,
00:42:00 en barricades sur lesquelles on va monter.
00:42:02 Et ici, on va réactiver, en fait,
00:42:08 une forme de contestation de la révolution de 79,
00:42:12 "Ah, bah le dictateur !"
00:42:14 "Ah, bah le dictateur !"
00:42:15 Donc là, on a des manifestants qui ramassent les pierres,
00:42:42 et qui se préparent pour la confrontation.
00:42:45 Et c'était aussi une façon de...
00:42:47 Enfin, ce qui était important aussi, c'est le rythme du soulèvement,
00:42:50 qui continue jusqu'à très tard le soir,
00:42:52 et qui reprennent dès le matin,
00:42:55 avec des corps à corps.
00:42:57 Et d'ailleurs, les manifestants qui ont été exécutés depuis lors,
00:43:04 sont des manifestants qui sont accusés d'avoir tué des forces de l'ordre.
00:43:10 Alors, ah oui, je reviendrai sur cette question après.
00:43:13 Là, vous voyez la voix de la personne qui filme,
00:43:16 et dans la majorité des images, en fait,
00:43:18 on a l'émotion des personnes qui filment, qui est présente,
00:43:21 et on voit comment est-ce que cette figure du manifestant/reporter se constitue aussi.
00:43:39 Quand il y a quelques années,
00:43:41 je suis heureuse de pouvoir aller à la conférence,
00:43:44 et tout a changé.
00:43:47 Je suis heureuse de pouvoir faire partie de cette conférence.
00:43:49 Je suis heureuse de pouvoir faire partie de cette conférence.
00:43:52 Je suis heureuse de pouvoir faire partie de cette conférence.
00:43:55 Je suis heureuse de pouvoir faire partie de cette conférence.
00:43:58 Je suis heureuse de pouvoir faire partie de cette conférence.
00:44:01 Je suis heureuse de pouvoir faire partie de cette conférence.
00:44:04 Je suis heureuse de pouvoir faire partie de cette conférence.
00:44:07 Je suis heureuse de pouvoir faire partie de cette conférence.
00:44:10 Je suis heureuse de pouvoir faire partie de cette conférence.
00:44:14 Et cette joie-là, ces émotions, en fait,
00:44:16 vont circuler entre celles et ceux qui regardent les images,
00:44:20 et qui ensuite vont elles-mêmes et eux-mêmes descendre dans la rue
00:44:23 pour devenir ces corps-là.
00:44:25 Alors quand des feux ont lieu comme ça,
00:44:32 normalement il y a toute une file de voitures,
00:44:34 c'est-à-dire qu'on fait aussi des embouteillages qui sont créés.
00:44:37 Le massacre du 30 septembre 2022 à Zahedan,
00:45:02 où il y a plus de 90 morts,
00:45:05 c'est aussi un moment extrêmement important
00:45:07 de la micro-histoire de ce soulèvement-là,
00:45:10 et rappelle le rôle absolument fondamental
00:45:15 des revendications d'égalité politique
00:45:18 des minorités ethniques et nationales,
00:45:20 Balouches à l'Est et Kurdes, bien sûr, à l'Ouest,
00:45:24 d'où est partie la révolte,
00:45:26 et qui ont maintenu, en fait, c'était le poumon,
00:45:28 ils ont maintenu la révolte durant toute l'année,
00:45:31 également 2023.
00:45:34 Et notamment à Zahedan,
00:45:35 tous les vendredis, il y avait des manifestations
00:45:37 pour venir rappeler la mémoire de ce vendredi sanglant du 30 septembre.
00:45:45 Les slogans qui affirment la solidarité
00:45:52 entre le centre et les périphéries
00:45:54 ont émergé une valeur totalement nouvelle
00:45:59 dans la vie politique iranienne.
00:46:02 Alors ça, c'était une séquence assez longue,
00:46:04 mais je l'ai coupée pour faute de temps.
00:46:06 On voit totalement se former une micro-manifestation,
00:46:11 et puis comment est-ce qu'elle se dissout,
00:46:13 en quelques minutes.
00:46:15 Et comme ça, c'est des dizaines de manifestations
00:46:20 durant la nuit qui se délocalisent à travers la ville,
00:46:23 qui se forment dans un endroit
00:46:25 et puis qui se reforment dans l'autre,
00:46:27 comme ça, en se déplaçant,
00:46:30 et les gens se déplacent et circulent avec.
00:46:33 [Bruits de marches]
00:46:37 [Bruits de marches]
00:47:05 Oui, là, tu as raison, les klaxons, en fait,
00:47:07 ce n'est pas que les embouteillages,
00:47:09 ça fait partie de la révolte,
00:47:11 le bruit fait circuler la contestation.
00:47:13 [Bruits de marches]
00:47:30 On se souvient des écolières
00:47:32 et de la façon dont elles ont un moment
00:47:34 le visage du soulèvement.
00:47:36 Il y a une autre vidéo où elles mettent dehors,
00:47:39 littéralement, le ministre de l'Éducation nationale
00:47:41 qui est ému.
00:47:43 [Bruits de marches]
00:47:45 La chanson "Baroye pour"
00:47:47 qui a été énormément reprise,
00:47:49 qui est devenue un hymne de ce soulèvement,
00:47:52 [Bruits de marches]
00:47:54 et qui parle du désir d'une vie normale,
00:47:56 notamment, avec l'interrogation,
00:47:58 qu'est-ce qu'une vie normale, bien sûr.
00:48:01 [Bruits de marches]
00:48:26 Et donc là, avec, voilà.
00:48:29 [Bruits de marches]
00:48:31 Et les cérémonies du 40ème,
00:48:33 au 40ème jour de deuil,
00:48:35 il y a une nouvelle cérémonie
00:48:37 qui marque la fin de la première phase du deuil chiite.
00:48:39 Et ces cérémonies de 40ème,
00:48:41 pour les manifestants et les manifestantes tuées,
00:48:43 ont aussi rythmé beaucoup le temps du soulèvement,
00:48:45 comme ils l'avaient fait
00:48:47 pour les soulèvements révolutionnaires de 78-79.
00:48:50 [Bruits de marches]
00:48:59 Mais une des différences,
00:49:01 c'est la façon dont la figure du martyr,
00:49:03 qui était extrêmement présente en 79,
00:49:05 n'est pas mobilisée cette fois-ci.
00:49:07 [Bruits de marches]
00:49:10 Là, c'est intéressant, parce qu'ils filment à la fois,
00:49:13 ils sont en train de produire une image contestataire,
00:49:15 et à la fois, ils sont en train, dans la rue,
00:49:18 d'enlever les affiches de Khomeini.
00:49:19 Donc on voit bien comment c'est à double,
00:49:21 cette présence des caméras,
00:49:24 et à double destination,
00:49:26 c'était comme une double action.
00:49:28 [Bruits de marches]
00:49:34 Et à partir du mois de novembre,
00:49:36 les soulèvements n'étaient plus tous les jours
00:49:38 et toutes les nuits,
00:49:40 mais c'était par phase de trois jours.
00:49:43 [Bruits de marches]
00:50:06 Et en fait, à partir de janvier 2023,
00:50:09 la façon dont la communauté internationale
00:50:12 a normalisé, a renégocié avec le régime iranien,
00:50:16 est un élément absolument fondamental
00:50:18 pour expliquer comment est-ce que les...
00:50:21 justement, ceux dont la défection
00:50:26 pouvaient amener le soulèvement à une autre phase,
00:50:29 sont restés attachés à ce régime,
00:50:33 n'ont pas fait défection.
00:50:35 Et donc, cette prise de position de la communauté internationale,
00:50:37 presque non pas en sauvetage,
00:50:39 mais en normalisation, en reconnaissance
00:50:41 de la République islamique,
00:50:43 je pense que c'est un élément extrêmement important
00:50:46 pour comprendre le devenir du soulèvement de 2022.
00:50:50 Donc voilà ce que posent aussi ces images.
00:50:55 C'est pour moi une figure,
00:50:59 une forme de participation
00:51:03 qu'on retrouve beaucoup aussi aujourd'hui à Gaza,
00:51:07 qui est la façon dont ceux qui filment,
00:51:10 aujourd'hui, les Palestiniens qui filment à Gaza,
00:51:13 les journalistes,
00:51:15 le terrain de la guerre et du génocide
00:51:18 devenant trop dangereux pour les journalistes étrangers,
00:51:21 et puis trop dangereux pour les journalistes palestiniens eux-mêmes
00:51:24 qui se font tuer,
00:51:26 eh bien ce sont les Gazaouis qui deviennent
00:51:28 ceux qui filment leur propre...
00:51:31 cette propre guerre ou ce propre génocide,
00:51:35 et de la même façon que les Iraniens aussi,
00:51:38 c'était les manifestants qui produisaient les images
00:51:40 mais qui criaient et qui continuaient à manifester.
00:51:42 Donc je pense que là il y a quelque chose...
00:51:44 parce que j'avais essayé de réfléchir sur en quoi est-ce que,
00:51:46 finalement, l'usage des réseaux sociaux,
00:51:50 la façon de s'investir dans l'espace digital
00:51:53 ou la mobilisation de l'espace digital
00:51:55 avait connu aussi un changement
00:51:58 à partir de ces années 2019-2020
00:52:02 par rapport à la façon dont les réseaux sociaux
00:52:04 étaient déjà mobilisés en 2011.
00:52:07 Mais c'est encore différent cette fois-ci,
00:52:08 et je pense que cette question de filmer,
00:52:11 de devenir producteur des images
00:52:14 quand il n'y a plus de journalistes sur place notamment,
00:52:16 est importante.
00:52:18 La différence, les Iraniens, c'est que c'est du happening,
00:52:20 presque du happening artistique,
00:52:22 c'est-à-dire qu'ils inventent des nouvelles formes de résistance
00:52:24 et de manière très très créatrice et originale.
00:52:28 Donc c'est pas la même chose que juste du reportage de rue
00:52:31 ou de filmer, de documenter la violence
00:52:36 inversée par la police comme ça a pu être le cas aux Etats-Unis
00:52:38 avec Black Lives Matter et tout ça.
00:52:40 Mais là c'est encore autre chose,
00:52:42 ils inventent quelque chose.
00:52:44 Quand ils brûlent les foulards
00:52:46 et la manière dont ils le mettent en scène,
00:52:48 ils sont des metteurs en scène.
00:52:50 - Ça me fait penser, moi je pense que si on va au-delà des images,
00:52:52 moi c'est pas trop mon truc les images,
00:52:54 je pense rarement en images.
00:52:57 En revanche, je crois que les répertoires de lutte,
00:53:00 enfin c'est pour ça, ça permet de revenir presque
00:53:04 à la question précédente ou alors à la question sous-jacente
00:53:06 sur cette histoire de défaite ou cette histoire de temps des révolutions
00:53:09 et quand est-ce qu'une révolution arrête d'être une révolution.
00:53:12 Bon, sur notre deuxième partie de XXe siècle et début de XXIe,
00:53:17 en fait les deux paradigmes des révolutions,
00:53:20 ça a été la révolution palestinienne et la révolution iranienne de 79.
00:53:26 Et c'est intéressant de voir aussi comment ça a circulé
00:53:29 sous forme d'images, sous forme de discours, sous forme de littérature.
00:53:33 De poésie, etc. et de chansons.
00:53:36 Et comment ça produit quelque chose qui moi me fait dire aujourd'hui
00:53:40 que peut-être les révolutions de 2010, 2011 et suivantes
00:53:44 entrent dans un temps de révolutions longues,
00:53:48 comme la connaissent les palestiniens et les palestiniennes,
00:53:51 comme les connaissent les kurdes, comme ça a été travaillé aussi
00:53:54 sous une forme où en réalité, ton présent est toujours en train
00:54:00 de dire des choses qui sont épassées, qui sont les passés de la communauté, etc.
00:54:04 Et on additionne et en même temps on remobilise des formes
00:54:09 d'appropriation, de lutte, avec des symboles qui en effet se renouvellent.
00:54:14 Mais en même temps, cette histoire de happening créatif,
00:54:17 les palestiniens l'ont beaucoup fait, avec les cerfs-volants,
00:54:20 et ça aussi on l'a trouvé en Iran, travailler sur des façons
00:54:24 d'aller au-delà de la répression, ou simplement de travailler
00:54:29 sur des symboliques, de mimer la liberté, crier depuis son appartement
00:54:35 ou envoyer des messages, toutes ces choses-là, finalement,
00:54:39 on les retrouverait encore ailleurs, si on pouvait évoquer le Tchappas,
00:54:43 on pourrait évoquer plein d'endroits.
00:54:45 - Je ne sais pas si tu as vu d'ailleurs à Gaza, il y avait deux jeunes
00:54:49 cinéastes, Gazaoui, qui maintenant ne vivent plus à Gaza,
00:54:52 qui sont deux frères, Arabet Arzan, quand ils habitaient à Gaza,
00:54:56 ils faisaient une série d'affiches qui était inspirée des noms des attaques
00:55:00 israéliennes, c'est là qu'on se rend compte que le nombre d'attaques
00:55:04 est énorme, et à chaque fois, ils donnent un nom à l'attaque,
00:55:07 et eux, ils faisaient des fausses affiches de films, qu'ils mettaient en scène,
00:55:11 ils prenaient la photo et ensuite ils mettaient l'affiche de manière
00:55:14 justement à ironiser et à se moquer des noms que les Israéliens donnaient
00:55:18 à ces attaques, par exemple "Les raisins de la colère" et tout ça,
00:55:20 et ils faisaient des références aussi au cinéma, au cinéma Tarkovski,
00:55:24 au cinéma Clint Eastwood, et ils le faisaient sur leur terrasse,
00:55:27 ils faisaient toute la mise en scène, ils prenaient la photo,
00:55:29 et ensuite ils le faisaient circuler comme un tract, de manière à détourner
00:55:33 ce qui pour les Israéliens était un truc très sérieux, et eux, de s'en moquer.
00:55:37 - Ce que je voulais juste ajouter, c'est qu'une des pratiques qui accompagne
00:55:41 aujourd'hui les révolutions, et sur laquelle on travaille tous les deux,
00:55:43 c'est celle des archives, et de la mémoire, le fait que les révolutionnaires
00:55:47 eux-mêmes, et je dirais plus elles-mêmes la plupart du temps,
00:55:51 prennent en charge ce travail d'écrire l'histoire de leur propre révolte,
00:55:54 et d'accumuler les traces, d'accumuler ce que font les femmes,
00:55:58 certaines femmes aujourd'hui à Gaza, de garder des traces,
00:56:02 c'est pas simplement pour diffuser, mais c'est aussi pour que ça continue,
00:56:05 qu'on puisse se souvenir et travailler à partir de ce qui a eu lieu.
00:56:09 - Alors du coup, on avait pensé également à essayer de, à partir de ces
00:56:20 questions politiques, prendre un peu plus de recul pour interroger ce qu'apportaient
00:56:26 ces soulèvements, de quoi ils sont le nom, et notamment, une des questions,
00:56:30 c'était de savoir que veulent ces soulèvements, et la façon dont ils mobilisent
00:56:36 ce qu'on pourrait presque appeler des contre-slogans, c'est-à-dire la vie,
00:56:40 mais qu'est-ce que, voilà, "femme, vie, liberté", c'est assez poétique quand même,
00:56:47 ou la question de la dignité dont tu parles, Leïla, et donc la façon également
00:56:54 dont ces mots-là viennent remettre en cause ou interroger les frontières
00:56:58 de ce qui est politique et de ce qui ne l'est pas.
00:57:00 Et donc, notamment par rapport à cette question-là, se posait une autre,
00:57:09 enfin, nous est venue une autre question qui était celle de la dimension
00:57:16 de la défendication économique, qui était déjà présente dans la poésie que tu as lue, Hind.
00:57:20 - C'est le terme de "conscience de l'exploitation".
00:57:23 - Exactement. Enfin, la façon dont la conscience de l'exploitation,
00:57:27 la volonté de se battre contre des mécanismes d'exploitation,
00:57:31 sont, enfin, comment ils sont intégrés plus ou moins explicitement dans ces soulèvements,
00:57:37 comment est-ce qu'ils en deviennent le moteur, alors que, d'un autre côté,
00:57:42 il y a des soulèvements qui, apparemment, dans leur événementialité,
00:57:47 court-circuitent les lectures par classes sociales, puisqu'ils impliquent un peu tout le monde.
00:57:52 Ça, c'est un peu le propre aussi des révolutions, d'impliquer toutes les franges d'une société.
00:57:58 Mais on a à la fois des classes moyennes qui sont écrasées,
00:58:02 dont l'écrasement participe de tout le ferment de la révolte.
00:58:09 On a des crises économiques qui participent à ce ferment de la révolte.
00:58:14 Et en même temps, il est compliqué des fois de situer en quoi est-ce que la contestation ou la révolte
00:58:26 est liée à la lutte pour la fin de l'exploitation,
00:58:31 ou est-ce que ça va être une grille de lecture économique qui va pouvoir nous faire lire mieux
00:58:38 le soulèvement et son devenir ?
00:58:40 Et par rapport à ça, peut-être on peut regarder le film que tu as...
00:58:45 On va regarder juste la bande-annonce d'un film que j'ai tourné en Égypte entre 2011 et 2013,
00:58:51 un film qui s'appelle "Electro-Shahabi" et qui a été tourné dans les quartiers informels du Caire.
00:58:56 Les quartiers informels du Caire, ce sont des quartiers qui sont nés...
00:58:59 En fait, c'est l'exode rural vers le Caire, donc beaucoup de gens qui s'installent autour du centre du Caire,
00:59:07 mais qui n'ont pas les autorisations de construire.
00:59:09 Donc ce sont des quartiers qui se sont construits sur des terrains agricoles de manière totalement sauvage,
00:59:14 et où les gens se sont organisés eux-mêmes pour faire venir le tout à l'égout, l'eau, l'électricité, s'organiser.
00:59:21 Et ce sont des quartiers qui, très longtemps, n'étaient même pas sur la carte,
00:59:24 parce qu'il y avait toujours la menace de les détruire.
00:59:28 Puis à un moment, la dictature de Moubarak a décidé de ne pas les détruire et les laisser,
00:59:32 puisqu'il aurait fallu reloger tous ces gens, donc pour lui c'était plus simple de les laisser.
00:59:36 Et de ces quartiers est née une musique, qui mélange la musique shahabi,
00:59:42 qui est née dans les années 60-70 en Égypte, et l'électro, et en même temps aussi toutes sortes d'autres influences.
00:59:51 Et c'était une musique très politique, avec des textes très politiques.
00:59:54 Donc voilà, on va voir un petit extrait de deux minutes.
00:59:57 On peut regarder l'extrait numéro 3 ?
00:59:59 [Extrait de la musique]
01:00:03 [Rires]
01:00:05 [Extrait de la musique]
01:00:10 [Sirène de police]
01:00:14 [Extrait de la musique]
01:00:31 [Rires]
01:00:32 [Extrait de la musique]
01:00:39 [Extrait de la musique]
01:00:53 [Extrait de la musique]
01:00:58 [Rires]
01:01:01 [Extrait de la musique]
01:01:04 [Extrait de la musique]
01:01:08 [Extrait de la musique]
01:01:18 [Extrait de la musique]
01:01:27 [Extrait de la musique]
01:01:30 [Cris]
01:01:32 [Extrait de la musique]
01:01:43 [Extrait de la musique]
01:01:55 [Rires]
01:01:57 [Extrait de la musique]
01:02:03 [Extrait de la musique]
01:02:11 [Extrait de la musique]
01:02:26 [Rires]
01:02:28 [Extrait de la musique]
01:02:31 Je voulais juste dire un mot sur le fait qu'il n'y a aucune femme, je ne sais pas si vous avez remarqué.
01:02:37 Donc en fait, quand j'ai tourné ce film, toutes les filles que j'ai rencontrées, elles sont là les filles en fait,
01:02:43 elles viennent aux fêtes et celles qui font de la musique, elles le font sans que leur famille le sache et en changeant de quartier.
01:02:50 Elles vont dans les quartiers où personne ne les connaît et c'est le poids en fait de la religion, du candiraton,
01:02:58 c'est-à-dire que si on veut pouvoir se marier, il ne faut surtout pas être vu en train de participer à ces fêtes,
01:03:04 ce genre de musique etc. Donc elles ne voulaient pas être dans le film.
01:03:08 Il y avait des femmes mais elles n'ont pas souhaité être dans le film parce que ça les aurait mis en danger par rapport à leur famille
01:03:14 et par rapport aussi à leur futur puisque la plupart avaient envie de se marier à un moment.
01:03:19 Et c'est terrible parce que c'est effectivement le conservatisme qui est patriarcal, qui est très très présent,
01:03:26 dans ces quartiers en particulier mais en Égypte en général.
01:03:31 - C'est intéressant que tu dises ça parce que justement j'allais dire que c'est important de voir tous ces jeunes hommes.
01:03:35 Non, c'est pas une affaire de liberté, c'est une affaire de voir ce que représente cette...
01:03:40 On en a vu plein des jeunes hommes en fait, on a dit voilà, les femmes, leur place dans les révoltes etc.
01:03:46 Mais on a aussi bien sûr en tête que les jeunes hommes sont allés au devant de toute cette violence,
01:03:53 que c'est martyr, c'est beaucoup des jeunes hommes, qu'il y a eu les chanteurs, les supporters de foot.
01:04:00 Et je trouve que, c'est aussi pour ça que j'évoquais les mères tout à l'heure,
01:04:02 parce qu'il y a quelque chose dans l'empêchement à vivre de certaines masculinités arabes
01:04:12 qui relèvent aussi, enfin qui expliquent aussi la place des femmes dans ces révolutions.
01:04:17 Et je crois que c'est dans cette tension-là aussi qu'il faut les comprendre
01:04:21 parce que ce qui vient convoquer cette idée de la dignité, c'est aussi ça.
01:04:29 C'est-à-dire une affaire d'humiliation permanente qui touche,
01:04:33 on le sait, les femmes par le patriarcat installé etc.
01:04:37 mais aussi les hommes et qui vient du coup retomber sur les femmes.
01:04:42 Donc cette circulation de la "hogra" comme on dit en algérien,
01:04:46 c'est-à-dire du mépris, de l'humiliation permanente, de la gifle de Mohamed Bouazizi,
01:04:53 donc ce geste ouverture, il est me semble-t-il à prendre aussi dans une perspective féministe.
01:04:58 Qui permet aussi de s'emparer de ça.
01:05:01 Oui, en plus c'est une femme policière qui le gifle,
01:05:05 mais de s'emparer de ça aussi pour comprendre les logiques à l'œuvre
01:05:10 dans l'enfermement, en particulier des jeunesses, mais pas seulement,
01:05:14 dans l'empêchement à accéder à...
01:05:17 Il y a une anecdote que j'aime bien, juste après la révolution tunisienne,
01:05:21 j'avais un ami qui était allé à Al-Ampedouza, vous savez, tout le monde était parti,
01:05:24 et les gens disaient "mais c'est très bizarre, ils ont fait la révolution et puis ils partent".
01:05:27 Et donc ils partaient massivement, tous ces jeunes garçons et tout.
01:05:30 Et Al-Ampedouza a dit "mais pourquoi vous êtes là, vous étiez il y a deux jours dans les rues".
01:05:35 Et le mec répond "c'est à cause du prix du fer".
01:05:39 Alors, qu'est-ce que ça signifie ?
01:05:42 Ça signifie en fait, tant que j'ai pas assez d'argent pour utiliser le fer,
01:05:47 vous savez, c'est ces attaches qu'on met pour construire des maisons,
01:05:50 qui sont en fer, et donc qui coûtaient très très cher à l'époque,
01:05:54 et tant que j'ai pas assez d'argent pour construire une maison,
01:05:56 et donc pour pouvoir me marier, et donc pour pouvoir avoir une vie,
01:05:59 ça pour dire que pour moi c'est pas un contre-slogan "vie",
01:06:02 "vie" c'est très sensiblement quelque chose qui est au centre de ces révolutions,
01:06:07 et bien c'est pas la peine que je reste là, parce que même si je vais tomber de régime,
01:06:10 de toute façon, j'ai pas la vie que j'estime digne, qui sera la mienne, etc.
01:06:17 Donc là, je pense que dans ces circulations, c'est parfois aussi un peu piégé,
01:06:22 parce que les femmes, on les voit ou on les voit pas,
01:06:24 ils le disent dans leur texte, et tout à l'heure dans les poésies que t'as citées,
01:06:29 tu vois toujours d'aller chercher leur mère, d'aller chercher...
01:06:32 dans quoi est-ce qu'on peut se projeter comme avenir digne, comme possibilité de...
01:06:37 donc "femme vit liberté" aussi, ce qu'ont dit par les hommes,
01:06:40 moi en tout cas je l'interprète aussi un peu comme ça.
01:06:43 - De toute façon Véronique Agago aussi, elle explique en Amérique du Sud,
01:06:47 elle décortique extrêmement bien ce mécanisme par lequel
01:06:50 l'empêchement économique, l'exploitation économique
01:06:54 va remettre en cause des modèles de masculinité,
01:06:56 qui du coup se répercutent sur une volonté d'aller contrôler les femmes,
01:06:59 et de punir les corps qui circulent, les corps désirants,
01:07:03 et encore une fois, quand on parle de corps qui circulent et de corps désirants,
01:07:07 il y a cette question toujours, dans le soulèvement,
01:07:10 on parle de la dimension de désir, quand on descend dans la rue,
01:07:15 quelque chose qui est mis en oeuvre, un envoûtement,
01:07:18 les émotions de la révolte et d'être là, et d'y être,
01:07:22 et ce qui s'est passé d'intéressant aussi en 2022,
01:07:25 c'est la façon dont des manifestantes sont venues regenrer ce désir-là,
01:07:30 c'est-à-dire, et elles l'ont écrit, elles l'ont dit,
01:07:33 qu'on parle du désir dans l'insurrection, mais souvent c'est un désir qui est neutre,
01:07:38 et là elles l'ont reféminisé complètement,
01:07:41 en disant que ça passait par ces images de femmes qui se dévoilaient,
01:07:44 et qui poussaient d'autres femmes à descendre.
01:07:48 Tu parlais de la Tunisie, peut-être que, pour finir,
01:07:52 parce qu'on avait encore plein d'autres choses à dire,
01:07:54 mais il faut quand même qu'on ait un minimum de temps pour le débat,
01:07:58 donc peut-être qu'on peut juste finir avec la bande-annonce de ton film
01:08:03 qui vient interroger, fait sur la Tunisie, sur la musique encore une fois,
01:08:07 et qui vient vraiment interroger la question de la désillusion,
01:08:13 de "est-ce qu'on peut parler de défaite, et quand,
01:08:15 et pourquoi défaite ne serait peut-être pas le bon paradigme,
01:08:19 mais de l'après de la révolution, et du devenir de la révolution".
01:08:23 [Musique]
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01:10:58 Écoutez, on va sans transition, pour faire...
01:11:07 On aura la parole à la salle, c'est ça ?
01:11:11 On va ouvrir aux questions, parce qu'il nous reste dix minutes.
01:11:15 Je veux juste dire que ça a été tourné en 2013.
01:11:17 Merci beaucoup à toutes les trois.
01:11:20 Je voulais juste revenir sur les Soudanais,
01:11:24 et la poésie, la force.
01:11:28 Moi je suis allée dans les manifestations,
01:11:32 tous les samedis, après-midi, place de la République.
01:11:35 Je parle pas arabe, j'ai été accompagnée d'une amie qui est arabophone,
01:11:39 et qui a vécu au Soudan, et qui me traduisait les slogans
01:11:43 et qui scandait les gens, et c'était totalement improvisé,
01:11:46 et d'une richesse, d'une poésie absolument incroyable.
01:11:50 Et je trouve que c'est un message très fort,
01:11:55 parce que la Révolution là-bas, elle est pas finie.
01:11:59 D'abord, elle dure depuis les années 60,
01:12:02 mais il y a ces germes-là qui sont très forts.
01:12:05 C'est extrêmement impressionnant, et j'ai jamais,
01:12:08 dans aucune manifestation,
01:12:12 entendu des slogans d'une telle poésie.
01:12:14 Parce que c'est souvent des slogans beaucoup plus agressifs.
01:12:20 C'est vraiment une expérience tout à fait incroyable,
01:12:24 et ça m'a marquée.
01:12:26 Et j'ai vu des images que Yn Bendeb a faites au Soudan aussi.
01:12:31 Je suis sûre que le film qu'elle va nous sortir
01:12:33 sera absolument magique, et très important.
01:12:36 Merci beaucoup.
01:12:41 Moi, ce qui m'a surpris dans ce qui s'est passé au Soudan,
01:12:43 qui est une vision française,
01:12:45 c'est que toutes ces révoltes sont nées à des époques
01:12:48 où il n'y a pas de guerre civile.
01:12:50 Et il me semble, de mon point de vue,
01:12:52 le Soudan est sans cesse en guerre.
01:12:54 C'est mon point de vue de Français.
01:12:56 C'est ça qui m'a toujours perturbé,
01:12:58 parce qu'en Iran, ça fait longtemps qu'il y a des révoltes,
01:13:00 ou d'autres pays, mais le Soudan, pour moi,
01:13:02 c'est un pays qui est perpétuellement en guerre.
01:13:04 Je voulais savoir ce que vous en pensez.
01:13:07 Non, non, il n'est pas perpétuellement en guerre.
01:13:10 Il y a des moments de guerre.
01:13:11 Et les moments où il n'y a pas la guerre,
01:13:13 il y a des révolutions.
01:13:15 Ça paraît curieux.
01:13:17 Non, mais après, si vous voulez vraiment savoir en détail,
01:13:19 la chronologie depuis les années 60 jusqu'à aujourd'hui,
01:13:24 il y a d'excellents livres.
01:13:26 C'est un peu compliqué en deux minutes de vous expliquer.
01:13:29 Mais le Soudan a été séparé en 2011,
01:13:33 entre le Soudan dans lequel moi, j'ai tourné ce film,
01:13:38 entre 2019 et 2023.
01:13:41 Et donc, en 2011, le pays a été coupé en deux.
01:13:44 Donc, le Soudan du Sud, c'est un pays maintenant.
01:13:50 Et puis le Soudan, Soudan tout court, où j'ai tourné.
01:13:54 Et effectivement, il y a eu 30 ans de guerre civile.
01:13:58 À partir du moment où Omar El-Bashir ne va survivre
01:14:02 qu'en fomentant des guerres qu'il a lui-même créées de toutes pièces,
01:14:07 et qui sont des guerres qui étaient principalement des guerres...
01:14:10 Enfin, j'ai essayé de vous expliquer, c'était un État raciste.
01:14:14 En fait, la dictature d'Omar El-Bashir, c'est une dictature
01:14:17 qui impose la langue arabe à tout le monde et l'islam à tout le monde,
01:14:20 dans un pays où les gens parlent 117 langues différentes
01:14:23 et où il y a 500 ethnies différentes autres que des Arabes.
01:14:27 Et c'est un pays qui est profondément africain,
01:14:30 et donc avec toute sa diversité, comme je disais, 500 ethnies différentes.
01:14:35 Et donc quand Omar El-Bashir prend le pouvoir en 1989,
01:14:38 toute la théorie qu'il amène au pouvoir et ce qu'il met en place,
01:14:43 c'est l'idée qu'il n'y a qu'une seule religion, qu'une seule langue,
01:14:47 et que les Arabes sont supérieurs aux autres.
01:14:50 Donc à partir de là, il va y avoir des guerres et des résistances très fortes
01:14:54 de la part des régions dans lesquelles il essaye de s'accapérer les richesses,
01:14:58 parce qu'en réalité, ce pouvoir raciste qui se met en place
01:15:03 est identitaire et avec cette idée.
01:15:05 En fait, il n'a qu'un seul but, c'est de piller les régions les plus riches,
01:15:10 et les régions les plus riches ne sont pas...
01:15:12 Donc il va monter les tribus arabes contre certaines ethnies,
01:15:15 et il va y avoir des massacres.
01:15:17 Quand on parle du génocide d'Arafour, c'est le massacre de différentes ethnies.
01:15:21 Et Darfour, ça veut dire la maison des Fours, les Fours c'est une ethnie,
01:15:25 et donc c'est une région, le Darfour,
01:15:27 et c'est une des régions les plus riches du pays,
01:15:31 parce qu'il y a de l'or, et il y a également les terres agricoles les plus riches,
01:15:35 ce que j'ai découvert en allant au Soudan, c'est que énormément de ces terres
01:15:40 ont été vendues par le dictateur, par l'État, enfin ce gouvernement voyou,
01:15:45 ont été vendues à des très riches Saoudiens, Émiratis,
01:15:49 et que le Soudan est devenu, par la force des choses et avec toutes ces guerres,
01:15:53 le grenier, il était le grenier pour les Britanniques,
01:15:57 pendant la colonisation britannique,
01:16:00 ils appelaient le Soudan le grenier de l'Afrique,
01:16:01 puisque c'est un des pays les plus riches en termes d'agriculture,
01:16:04 et puis il est devenu le grenier de l'Arabie Saoudite et des Émirats Arabes Unis,
01:16:07 et la guerre actuellement, c'est une guerre pour s'accaparer les richesses du pays,
01:16:12 avec d'un côté le chef d'une milice qui est soutenue par les Russes,
01:16:16 et qui s'est accaparé pendant le génocide de Darfour,
01:16:20 les zones où il y avait l'or,
01:16:22 donc il échange de l'or contre des armes,
01:16:24 donc il envoie de l'or en Russie et puis Poutine lui donne des armes,
01:16:28 et puis le parti qui est l'armée régulière est soutenu par les Etats-Unis et l'Egypte,
01:16:31 et après l'Arabie Saoudite joue un rôle assez trouble,
01:16:34 puisqu'en fait elle est alliée plus ou moins avec les deux,
01:16:37 et l'Europe a aussi énormément soutenu ce milicien,
01:16:40 qui aujourd'hui est soutenu par les Russes,
01:16:42 mais qui a énormément aidé les Européens sur les questions d'immigration,
01:16:45 il y a eu un scandale justement sur les frontières du Soudan avec la Libye,
01:16:53 ont été gardées par ce milicien,
01:16:55 et gardées d'une manière assez terrible,
01:16:57 puisqu'en fait il torturait, il mettait en prison,
01:16:59 et il torturait les gens qui essayaient, qui arrivaient d'éritrer de tous les pays,
01:17:03 en guerre, la Somalie etc., qui passent par là,
01:17:06 pour les empêcher d'accéder à la Libye,
01:17:08 et ensuite évidemment de traverser et d'arriver en Europe,
01:17:11 donc voilà c'est extrêmement complexe,
01:17:13 et de toute façon toutes ces guerres,
01:17:16 elles n'ont qu'un seul but,
01:17:18 c'est de piller les richesses et de ne pas redistribuer les richesses aux populations,
01:17:21 et aux gens à qui elles reviennent,
01:17:23 le Soudan est dans la liste,
01:17:26 parce que l'ONU a créé une manière de calculer un ratio de 0 à 100,
01:17:32 sur comment un pays reçoit,
01:17:34 comment une population reçoit,
01:17:36 combien elle reçoit des richesses qui sont produites chez elle,
01:17:40 donc un ratio de 0 à 100,
01:17:42 le Soudan c'est quasiment 0,
01:17:44 c'est à dire que c'est un pays qui peut être totalement indépendant,
01:17:46 qui n'a pas besoin d'importer de fruits, de légumes,
01:17:50 et qui a aussi un énorme cheptel,
01:17:52 donc il n'y a pas besoin non plus d'importer de viande,
01:17:55 d'un point de vue alimentaire,
01:17:58 et ce n'est pas le cas,
01:18:00 parce que les gens qui font du business,
01:18:02 c'est beaucoup moins cher,
01:18:04 ils rapportent beaucoup plus d'argent de vendre à l'étranger,
01:18:07 plutôt que de vendre aux gens du pays,
01:18:09 ensuite Omar El-Bashir a tenu pendant toutes ces années,
01:18:12 parce qu'il avait le pétrole qui est au Soudan du Sud,
01:18:15 et quand il y a eu la séparation en 2011,
01:18:17 il a été affaibli,
01:18:19 et la révolution de 2019 en Soudan a été précédée d'une révolte en 2011,
01:18:22 d'une révolte en 2013,
01:18:24 donc il y a eu plusieurs étapes,
01:18:27 et puis d'autres révoltes en 2006 aussi,
01:18:30 et des résistances immenses à travers tout le pays,
01:18:33 contre lui, avec des luttes armées, des rébellions,
01:18:37 moi ce qui me peine beaucoup,
01:18:41 dans la vision occidentale de l'Afrique,
01:18:44 c'est qu'il y a cette idée que l'Afrique est pauvre,
01:18:46 alors l'Afrique est très riche,
01:18:48 et elle est pillée,
01:18:50 notamment par nous,
01:18:53 qui détestent les Africains,
01:18:54 et financent les campagnes d'Éric Zemmour,
01:18:57 qui parlent des migrants comme si ils étaient la source de tous les problèmes dans ce pays,
01:19:02 alors qu'en fait les migrants viennent des pays qui ont été pillés,
01:19:05 et qui ont permis à des gens comme Bolloré de s'enrichir.
01:19:08 Même si vous allez sur l'île Saint-Louis,
01:19:10 il y a de très très beaux hôtels particuliers sur l'île Saint-Louis,
01:19:13 et quand vous regardez qui les a construits,
01:19:15 ils ont été construits avec le sang de l'esclavage,
01:19:18 par exemple le gouverneur de Cayenne au XVIIIe siècle,
01:19:20 qui est un des plus beaux hôtels particuliers de l'île Saint-Louis,
01:19:22 donc il l'a construit avec cet argent.
01:19:24 Donc voilà, c'est intéressant de voir comment cette circulation,
01:19:27 ces guerres dont vous parlez, que vous regardez de loin,
01:19:29 et qui ne nous intéressent si peu,
01:19:31 elles ont pourtant à voir avec nous.
01:19:33 - Je dirais même, moi je...
01:19:35 Merci Hélène de faire tout ce rappel,
01:19:37 je dirais même qu'avoir l'impression que ces pays sont toujours en guerre,
01:19:41 que ces pays d'Afrique sont toujours en guerre,
01:19:43 c'est le cadre cognitif qui permet à nous d'être des citoyens,
01:19:47 sans aucun problème,
01:19:50 d'un des pays qui est un des plus grands exportateurs d'armes au monde.
01:19:52 - Ces pays ne sont pas que en guerre,
01:19:54 ces pays sont en lutte pour la liberté.
01:19:56 Et cette lutte pour la liberté,
01:19:58 elle est au Burkina Faso avec le Ballet Citoyen,
01:20:00 elle est au Sénégal avec le mouvement Yen Amar,
01:20:02 qui est porté d'ailleurs par des rappeurs au début,
01:20:05 et il y a eu un très beau film qui s'appelle "Revolution won't be televised",
01:20:09 réalisé par une réalisatrice sénégalaise qui s'appelle Ramatio,
01:20:12 qui est magnifique, que je vous conseille,
01:20:14 si vous voulez comprendre un peu les dessous de la lutte des Sénégalais
01:20:17 pour conserver leur démocratie.
01:20:19 Ces luttes, elles sont partout sur le continent africain,
01:20:23 lutte pour la liberté,
01:20:25 et les Africains sont des passionnés de liberté,
01:20:29 tout autant que nous, Français,
01:20:31 qui inspirons le monde avec la révolution de 1789.
01:20:35 Et ils ont en tête cette révolution de 1789,
01:20:37 ils la connaissent, ils l'ont étudiée, et ils s'en inspirent.
01:20:41 - Moi j'ai une question,
01:20:43 ne pensez-vous pas que les pays dont vous avez parlé,
01:20:47 que ce soit les pays en Moyen-Orient,
01:20:50 ou la Perse,
01:20:52 où les civilisations sont connues depuis des millions d'années,
01:21:00 où il y a une très forte civilisation,
01:21:02 simplement, après la colonisation,
01:21:06 il n'y a eu que des dictatures,
01:21:08 où la population a souffert,
01:21:12 que ce soit en Iran, que ce soit en Syrie,
01:21:16 que ce soit en Irak,
01:21:18 où ces pays, les gens luttent justement à travers la poésie,
01:21:24 quand on écoute ce qu'il y a, on a envie de pleurer,
01:21:28 ce que le Soudanais a dit, en général,
01:21:30 ces poésies sont très tristes, sont très mélancoliques,
01:21:34 c'est le peuple qui souffre, c'est leur sang qu'on entend.
01:21:38 Mais après la colonisation, il n'y a eu que des dictatures,
01:21:42 et les peuples souffrent toujours, malgré tout.
01:21:45 Il n'y a pas eu que des dictatures, j'ai donné l'exemple du Soudan,
01:21:49 entre 1965 et 1969, une démocratie,
01:21:53 et entre 1985 et 1989, et puis là, en 2019,
01:21:57 au Sénégal, il y a eu des moments de démocratie.
01:22:03 Je veux dire, même le Soudan, depuis Nîméri,
01:22:11 il y a quelques années où le peuple commence à respirer,
01:22:15 et après, il y a un dictateur qui vient anéantir tout ça.
01:22:19 Et la même chose, par exemple, l'Iran,
01:22:22 le peuple a beaucoup souffert sous l'empereur,
01:22:26 et puis la même chose en Syrie, la même chose en Irak.
01:22:31 Je veux dire que, un, la poésie est fondamentale pour ces peuples,
01:22:36 d'ailleurs, qu'ils soient africains ou arabes ou perses,
01:22:40 mais c'est une façon de lutter.
01:22:43 Je voudrais juste avoir votre opinion sur cela.
01:22:46 Merci beaucoup, mesdames.
01:22:48 - Il y a une chose avec laquelle je suis très d'accord,
01:22:51 mais qui est en lien avec ce que tu as dit sur les effets de la colonisation.
01:22:55 Je pense qu'une des choses qui me semblent marquantes
01:22:58 dans ces cycles de révolte et ces luttes,
01:23:02 c'est qu'elles se pensent dans un contexte décolonisé,
01:23:09 ou en apparence décolonisé.
01:23:11 C'est-à-dire qu'en fait, la promesse de la décolonisation
01:23:14 est fondamentale pour comprendre le niveau de rage qui habite,
01:23:21 comme je disais tout à l'heure, le paradigme palestinien,
01:23:24 le paradigme de la révolution iranienne, c'est aussi ça.
01:23:27 C'est-à-dire que Sisile fait l'idée de se battre tant pour se libérer
01:23:33 et de récolter des dictatures, mais des dictatures soutenues
01:23:39 par un système capitaliste qui les nourrit, etc.
01:23:42 Il faudrait sortir de l'idée selon laquelle il y a une espèce de destin
01:23:47 déprimant, ou je ne sais pas quoi, ou le fait qu'on ne mériterait que ça,
01:23:53 pour penser au contraire, en effet, une sorte de ferment de lutte
01:24:01 pour nourrir de cette rage-là. Pourquoi le slogan majeur des révolutions
01:24:06 arabes, en tout cas, était "le peuple veut la chute du système",
01:24:10 ni d'arabe, non arabe, c'est un système, c'est pas le dictateur.
01:24:14 En fait, le dictateur, on peut éventuellement le faire tomber,
01:24:18 mais le système, il a des ramifications plus importantes.
01:24:22 Et il me semble que, en tout cas, c'est comme ça que je le vois
01:24:25 à l'échelle de simplement une étude historique, c'est qu'il y a des moments,
01:24:30 notamment au moment des ajustements structurels, lorsque le FMI a imposé
01:24:34 des normes pour normaliser ces pays, où on a arrêté de développer
01:24:41 les pays avec une inspiration plutôt de répartition sociale, etc.,
01:24:46 y compris faite par des dictateurs. C'est des tournois qui sont importants
01:24:50 à regarder, parce que c'est à ce moment-là qu'aussi cette colère,
01:24:53 elle se développe, parce qu'en réalité, comment se dépêtrer quand on est
01:24:58 en France et qu'en réalité, on vend pour presque rien ce qu'on produit,
01:25:01 et en plus, même pas à son peuple. J'allais le dire, on en entend.
01:25:07 Après, on ne va pas discuter des paysans français tout de suite,
01:25:10 c'est compliqué. Mais voilà, je pense que c'est ça que ça veut dire aussi
01:25:14 ce que vous dites, c'est-à-dire qu'en réalité, cette impuissance-là,
01:25:17 elle est un peu le ferment de ces révoltes et elle concerne la plupart
01:25:22 des gens du monde, en réalité, dans ce système capitaliste.
01:25:27 Et bien sûr, avec le Soudan, où il y a une forme de néocolonialisme.
01:25:30 Ce néocolonialisme, c'est celui des voisins soudanais,
01:25:33 c'est-à-dire l'Arabie saoudite et les Émirats, qui sont des déserts,
01:25:37 et l'Égypte, bien sûr, et qui ont besoin des richesses du Soudan.
01:25:43 Et donc, ils vont magouiller pour pouvoir se les accaparer.
01:25:48 - Merci beaucoup d'être resté jusqu'au bout et merci énormément,
01:25:54 Madame Delayla, pour avoir... Vous êtes prêtée au jeu de cette conversation
01:25:58 sur les soulèvements révolutionnaires actuels.
01:26:01 - C'est un livre qui raconte de l'intérieur la contre-révolution en Égypte.
01:26:11 Pourquoi est-ce que la révolution a échoué en 2011 ?
01:26:14 Et donc, c'est un livre qui se passe entre 2011 et 2013.
01:26:17 Et tous les personnages du livre sont inspirés de personnages réels.
01:26:22 Et ça se lit, mais vraiment, vous allez le lire, mais d'une traite, c'est incroyable.
01:26:26 Enfin, moi, j'ai adoré ce bouquin et ça m'a permis de comprendre plein de choses.
01:26:29 C'est-à-dire comment la contre-révolution a été menée par les médias,
01:26:32 les hommes d'affaires et l'armée.
01:26:34 Et en même temps, il y a des personnages révolutionnaires sublimes dans ce bouquin,
01:26:37 des histoires d'amour et tout, c'est trop beau.
01:26:39 Ça se lit comme une série américaine, parce qu'à la fin de chaque chapitre,
01:26:43 il n'y a pas le dénouement et on est obligé d'attendre encore le chapitre,
01:26:47 pas celui d'après, mais celui encore d'après.
01:26:50 C'est génialement fait.
01:26:52 Voilà, Alas, Wany, qui malheureusement ne peut plus vivre en Égypte.
01:26:55 Et la dernière fois que je l'ai rencontrée, c'était au Caire,
01:26:58 au moment où il y avait des élections truquées de Sisi.
01:27:01 Et puis, en fait, il avait ce bouquin qui allait sortir,
01:27:04 qui a été interdit en Égypte, qui est sorti, édité par un éditeur au Liban.
01:27:08 Et ensuite, il a été traduit en français.
01:27:10 Et puis, il est venu à Paris donner des interviews.
01:27:12 Et alors, les interviews qu'il a données, je ne sais pas, à la radio à Paris et tout ça,
01:27:16 n'ont pas du tout plu.
01:27:19 Et puis, il sera emprisonné, donc il n'est pas retourné.
01:27:20 Et donc, depuis la sortie de ce livre, il n'a pas pu retourner en Égypte.
01:27:24 Voilà, je vous le conseille vraiment.
01:27:26 Il est passé inaperçu parce qu'il est sorti pendant le Covid, alors qu'il est génial.
01:27:29 Voilà.
01:27:31 [Applaudissements]