Vendredi 9 février 2024, ART & MARCHÉ reçoit Solène Clément (Avocate au Barreau de Paris, Experte associée d'Eunomart) et Ernesto Ottone (Sous-Directeur général pour la culture, UNESCO)
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00:00 (Générique)
00:08 Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans Art et Marché,
00:10 votre émission hebdomadaire consacrée au marché de l'art.
00:13 Pour l'actualité de la semaine, l'Europe vient de se mettre d'accord
00:16 sur plusieurs règles renforçant la lutte contre le blanchiment d'argent.
00:20 L'objectif est surtout d'harmoniser les règles à l'échelle européenne.
00:24 Plus de détails dans un instant avec Solène Clément,
00:27 qui est avocate au Barreau de Paris
00:28 et experte associée de Nomart.
00:30 C'est une solution digitale de LCBFT,
00:33 c'est-à-dire lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme,
00:37 destinée aux marchands d'art.
00:39 Pour l'interview de la semaine, nous restons dans cette même thématique
00:42 avec notre invité Ernesto Ottone, sous-directeur général pour la culture pour l'UNESCO.
00:48 Nous verrons quelles sont les actions de l'organisation
00:51 pour lutter contre le trafic illicite de biens culturels.
00:54 Merci à vous qui nous rejoignez.
00:56 Tout de suite, c'est Art et Marché.
00:58 [Générique]
01:02 Le Parlement et le Conseil européen sont parvenus à un accord provisoire
01:06 concernant la lutte contre le blanchiment.
01:08 En visio avec nous, Solène Clément, qui est avocate au Barreau de Paris
01:12 et experte associée de Nomart,
01:14 une solution spécialisée en LCBFT pour les marchands d'art.
01:19 Merci d'être là pour nous détailler cet accord.
01:21 Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
01:22 Et surtout, en quoi est-ce que c'est une véritable avancée ?
01:26 Merci beaucoup de votre invitation.
01:29 Alors, la grosse avancée de cet accord, c'est qu'il va porter sur un règlement.
01:35 C'est-à-dire qu'avant, sur la réglementation de lutte anti-blanchiment
01:39 au niveau de l'Union européenne, ce sont des directives qui avaient été prises.
01:44 On en avait eu 4, plus une cinquième qui était venue modifier la quatrième.
01:49 Et les directives sont des véhicules législatifs
01:53 qui nécessitaient des États membres qu'ils prennent des mesures nationales de transposition.
01:58 Pour le dire simplement, les directives n'avaient pas d'effet direct sur le territoire de l'Union.
02:03 Et à la suite, d'un certain nombre de scandales de blanchiment d'argent
02:06 qui ont permis de voir que les règles que l'Union avait mises en place
02:11 n'étaient pas efficaces, n'avaient pas fonctionné, n'étaient pas suffisantes,
02:15 l'Union européenne a décidé d'avancer juridiquement au moyen, cette fois-ci, d'un règlement
02:21 qui, lui, contrairement aux directives, est d'effet direct.
02:24 Donc la première grande différence, la première grande avancée,
02:29 c'est le fait que d'ici quelques mois, à priori peut-être d'ici deux mois,
02:33 on va avoir dans l'Union européenne un premier véhicule législatif
02:37 qui sera d'effet immédiat et direct, et ce sur tout le territoire de l'Union.
02:42 Est-ce qu'il y a au sein de ce règlement quelques axes très importants
02:47 qui vont concerner directement le monde du marché de l'art, les marchands d'art ?
02:51 Tout à fait. Alors il faut savoir que les marchands d'art sont assujettis
02:55 à cette réglementation de prévention du blanchiment d'argent depuis déjà de nombreuses années,
03:00 et ce règlement vient tout à fait renforcer cet assujettissement,
03:05 et donc c'est-à-dire que toutes les règles qui vont être contenues de ce règlement
03:09 vont devoir être appliquées par les marchands d'art.
03:11 Alors pour rentrer peut-être un tout petit peu plus de manière concrète
03:15 dans l'aspect pratico-pratique de ces obligations,
03:20 la lutte anti-blanchiment et contre-financement du terrorisme,
03:23 ça repose sur deux grandes obligations.
03:25 C'est l'obligation de vigilance et c'est l'obligation de déclarer son soupçon.
03:29 Tout ce système, il est bâti pour que les professionnels,
03:33 donc les marchands d'art, mais tous les autres, les banques, les avocats, les notaires,
03:39 les experts comptables, les institutions, toutes les institutions financières,
03:43 ce sont ces professionnels qui sont le plus à même de détecter les opérations atypiques
03:49 qui pourraient être du coup du blanchiment d'argent ou du financement du terrorisme.
03:52 Donc on leur demande d'être vigilants, et en cas d'atypisme,
03:56 on leur demande de transmettre cette information à la cellule de renseignement financier nationale,
04:01 et en France elle s'appelle TRACFIN.
04:03 Et au titre de cette obligation de vigilance, la réglementation telle qu'elle est aujourd'hui,
04:09 mais telle qu'elle va également être issue de ce règlement,
04:13 elle va dans les détails, de manière très spécifique, sur ce qui est attendu,
04:17 et notamment sur l'entrée en relation, c'est-à-dire quand un marchand va faire une transaction avec un client.
04:24 Aujourd'hui, il est déjà assujetti au fait qu'il doit obtenir l'identification
04:30 et vérifier l'identification de son client.
04:33 Très concrètement, c'est obtenir la carte d'identité en cours de validité avec une photographie
04:39 pour s'assurer qu'elle correspond bien au client qui est en face de lui.
04:43 Si c'est une personne morale, on lui demande déjà de récupérer les statuts,
04:48 de déterminer qui sont les bénéficiaires effectifs, d'obtenir la carte d'identité des bénéficiaires effectifs.
04:53 Je vous passe tout le dispositif.
04:57 Mais tous ces éléments-là vont être sanctuarisés par le règlement.
05:03 Un autre élément, c'est que le Code monétaire et financier,
05:07 puisque c'est là où se trouve la réglementation pour les marchands d'art,
05:10 faisait une différence à l'époque entre un client occasionnel et un client connu en relation d'affaires.
05:17 Le client connu, on doit l'identifier dès le premier euro de la transaction.
05:21 Le client occasionnel, en France, à présent, il y avait du coup ce delta.
05:28 C'est-à-dire que si le client occasionnel faisait une transaction de moins de 15 000 euros,
05:33 il n'y avait pas d'obligation d'identification.
05:35 Et dans le projet de règlement européen tel qu'il avait été sorti en 2021 pour construction publique,
05:41 il y avait une proposition finalement d'abaisser ce seuil et d'étendre cette obligation d'identification à tous,
05:48 même au client occasionnel.
05:50 Donc très concrètement, ça voulait dire pour les marchands que ceux qui vendaient une œuvre à 3 000 euros pour un client de passage,
05:58 si jamais cette provision est maintenue, on va lui demander d'identifier et de faire toutes les investigations,
06:08 si on peut le dire comme ça, pour s'assurer de qui il est.
06:11 Donc très concrètement, ça voulait dire une inflation de diligence à effectuer.
06:18 Merci beaucoup Solène Clément. Je rappelle que vous êtes avocate au barreau de Paris et experte associée de Nomart.
06:23 Et puis tout de suite, nous allons passer à l'interview de la semaine.
06:26 Toujours dans cette thématique de lutte contre le trafic illicite de biens,
06:34 je suis maintenant avec Ernesto Ottone qui est sous-directeur général pour la culture à l'UNESCO.
06:39 Merci beaucoup d'être avec nous.
06:41 Il y a deux minutes, on parlait justement du Parlement et du Conseil européen
06:45 qui sont parvenus à un accord provisoire concernant la lutte anti-blanchiment.
06:49 J'imagine que c'est une très bonne nouvelle pour vous. Vous avez travaillé sur le projet ?
06:53 Oui, ça fait des années qu'on essaie de revoir ce qu'on a comme instrument.
06:58 Et effectivement, après la Covid, après la pandémie, on a des chiffres alarmantes vis-à-vis de ce qui se passe,
07:06 non pas seulement au trafic illicite, mais ce qui en découle.
07:09 Donc c'est un très bon signe de l'Union européenne de renforcer tout le système sécuritaire vis-à-vis de ce sujet.
07:18 Parce que Covid, autant que ensuite tous les événements géopolitiques qui sont arrivés,
07:23 Ukraine, Israël, Palestine, tout ça ce sont des événements qui nécessitent une vigilance d'autant plus forte ?
07:30 Oui, pendant la pandémie, ce qui s'est produit, c'est que les réseaux sociaux ont été utilisés
07:35 d'une manière accrue vis-à-vis du trafic illicite de biens culturels.
07:39 Vous avez des plateformes où il y a moins de contrôle.
07:43 Et donc ce n'étaient plus tellement des réseaux organisés physiquement de vente, mais plutôt en ligne.
07:49 Et c'est là où il y a moins de régulation.
07:54 Et aujourd'hui, on essaye de travailler avec les plateformes pour mettre des blocages face à ce qui pourrait être du trafic illicite.
08:03 Parce qu'aujourd'hui, le lieu où il faut avoir la vigilance la plus accrue, c'est sur les plateformes ?
08:11 C'est vraiment Internet, les échanges en ligne ?
08:15 Oui et non. C'est-à-dire, je vous dirais, à partir de 2021, Interpol nous donne les chiffres.
08:22 Effectivement, il y a un marché qui s'est accéléré.
08:26 Mais depuis deux ou trois ans, surtout dans les zones de crise que vous avez mentionnées,
08:30 mais on continue à parler de la Syrie, de l'Afghanistan surtout,
08:34 on se retrouve aussi avec un marché physique et des pays où on circule les biens culturels.
08:41 C'est ça qui est important. Et peut-être on va en parler sur ce qui est l'instrument normatif que l'UNESCO a depuis 1970,
08:48 qui est justement la Convention contre le trafic illicite de biens culturels.
08:52 Juste avant de revenir sur cet instrument, est-ce qu'on peut quantifier ou avoir quelques ordres de grandeur sur ce trafic illicite ?
09:01 Les chiffres sont assez contestés par le marché de l'art, principalement par les associations qui sont derrière.
09:08 Interpol a des chiffres, mais on essaye de ne pas donner de chiffres parce que c'est très difficile à mesurer.
09:14 Par contre, les chiffres qu'on a, c'est qu'en 2020, vous avez eu plus de 800 000 saisies.
09:21 800 000, c'est-à-dire on parle d'un chiffre dans le monde, et c'est énorme.
09:25 Et vous avez certains marchés, comme c'est le cas de l'Asie, entre 2019 et 2020, qui a augmenté de 1 300 %.
09:33 Donc ça vous montre un peu l'ampleur. L'Amérique latine, c'était plus de 180 %, et en Europe, c'était plutôt de 45 %.
09:40 Donc quand on parle de flux, c'est énorme. Seulement un chiffre, il y a deux ans,
09:47 nous sommes allés à Washington, au Smithsonian, pour le retour et la restitution de plus de 15 000 objets à l'Irak,
09:57 qui avaient été soustraits du pays pendant plus de 20 ans. Donc on parle de chiffres énormes de biens culturels.
10:04 Et justement, l'UNESCO, c'est en 1970 qu'il y a eu cette convention qui était un acte majeur dans la lutte.
10:11 Que dit cette convention, et aujourd'hui, est-ce que ça a évolué ?
10:14 Effectivement, il y a quelques années, nous avons essayé de commémorer les 50 ans de cette convention.
10:21 C'est une convention qui est née à un moment où on voulait pousser les États membres.
10:28 L'UNESCO compte avec 194 États membres. Les États-Unis sont revenus l'année dernière,
10:33 justement pour assurer que ce n'était pas seulement un sujet bilatéral, comme c'est souvent les accords qui sont menés,
10:41 mais c'était une préoccupation intergouvernementale. C'est-à-dire que tous les États membres ratifiaient cette convention
10:48 et signaient des accords pour qu'il y ait une vigilance au niveau des douanes, au niveau des polices et au niveau des magistrats.
10:57 Aujourd'hui, on travaille très fort avec les magistrats, c'est-à-dire les peines autour du trafic illicite de biens culturels.
11:03 C'est quelque chose de préoccupant parce que, comme c'est dans le rang des différents trafics qu'il y a,
11:11 de marché illicite, c'est celui-là qui a les peines les moins fortes pour ceux qui incursionnent dans ce domaine.
11:20 Donc effectivement, aujourd'hui, on essaye non seulement de mettre tout le monde autour de la table.
11:25 En ce moment, il faut que vous sachiez, il y a 144 pays qui ont ratifié cette convention.
11:29 Donc le problème, c'est qu'on a encore un défi avec les 50 pays qui n'ont pas encore ratifié,
11:33 qui sont souvent utilisés comme faisant partie d'un circuit, puisque les réglementations internationales ne sont pas en accord avec ce qu'il y a.
11:45 Donc rien que pour donner un exemple, en Afrique, vous avez encore 16 pays qui n'ont pas encore ratifié.
11:49 On travaille comme des fous, je dois le dire, pour assurer qu'effectivement tous ces pays se mettent d'accord et ont des normatives communes contre ce trafic.
11:59 Quels sont les leviers de l'UNESCO ? Le but, c'est surtout d'aller voir chaque pays pour ratifier cet accord.
12:07 C'est du lobbying, c'est de la pédagogie ? C'est ça les leviers de l'UNESCO ?
12:11 Non, d'un côté, vous avez effectivement, quand vous avez une convention, dans le secteur de la culture à l'UNESCO,
12:16 on a six conventions, la plus connue c'est le patrimoine mondial, donc c'est le bien tangible.
12:21 Mais cette convention, ce qu'elle fait, c'est non pas seulement faire un plaidoyer, assurer une ratification,
12:26 mais c'est surtout faire ce qu'on appelle le "capacity building", c'est-à-dire comment on forme des militaires, des agents de police, des douanes.
12:37 On parle de plus de 1000 agents qui ont été formés des 20 dernières années, et aujourd'hui, par exemple, on a une concentration très forte sur les militaires femmes.
12:45 En Afrique notamment, mais aussi dans les Balkans, où effectivement, une des choses qu'on demande,
12:51 c'est de créer des polices spécialisées dans la lutte contre le trafic illicite.
12:56 Le meilleur exemple, c'est les "cadabinieri" en Italie, qui sont les grands maîtres, mais vous en avez en France, au Mexique, en Argentine dernièrement.
13:03 Et c'est comment on forme une police et les douanes pour pouvoir détecter quand vous avez des objets qui sont transférés d'un pays à l'autre.
13:14 On a des exemples très vivants, dernièrement au Kyrgyzstan.
13:18 De l'Afghanistan, Interpol a pu intercepter un cargo énorme de biens volés, surtout dans des fouilles archéologiques.
13:28 Et là, le problème se pose parce qu'il n'y a pas d'inventaire.
13:31 Quand vous volez un objet d'un musée, il est enregistré dans un inventaire.
13:36 Dans la plupart des sites archéologiques, qui se découvrent tous les jours, il n'y a pas cet inventaire.
13:42 Donc après, c'est très difficile de savoir ce qu'il y avait, comment tu récupères.
13:46 Et vous avez besoin d'un champ d'expertise pour pouvoir analyser d'où proviennent ces objets.
13:52 Merci beaucoup Ernesto Ottone, sous-directeur général pour la culture à l'UNESCO.
13:56 Merci d'être venu démocratiser, parler des enjeux de lutte contre le trafic de biens culturels dans le monde.
14:04 Quant à nous, on se retrouve la semaine prochaine pour un nouveau numéro d'Art et Marché.
14:07 En attendant, vous pouvez retrouver toutes les émissions sur le site de Bismarck.
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