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CJUE : protection des œuvres des arts appliqués avec Sandra Strittmatter, associée, Franklin.

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00:00On continue ce Lex Inside, on va parler de la protection des œuvres des arts appliqués
00:15avec mon invité Sandra Strittmatter, associée au sein du cabinet, Franklin, Sandra Strittmatter,
00:21bonjour.
00:22Bonjour.
00:23On va s'intéresser ensemble à la protection des œuvres des arts appliqués à l'aune
00:27de la jurisprudence du 24 octobre 2024, mais avant d'aborder cette jurisprudence, que
00:33sont les œuvres des arts appliqués ?
00:35Alors, l'expression œuvres des arts appliqués, elle renvoie aux arts appliqués à l'industrie.
00:41C'est-à-dire que ce sont des œuvres qui ont une finalité particulière, industrielle
00:46et plus largement commerciale.
00:47Ce sont des œuvres qui sont vouées à être fabriquées en un nombre d'exemplaires assez
00:51important pour ensuite être commercialisées.
00:53On les oppose traditionnellement aux œuvres d'art plastique qui, elles, regroupent
00:58au fait toutes les œuvres architecturales, picturales et sculpturales et qui ont pour
01:03seule préoccupation l'esthétisme sans aucune démarche commerciale a priori.
01:08Alors, on va s'intéresser à leur protection.
01:11Comment sont protégées ces œuvres des arts appliqués ?
01:14Alors, les œuvres des arts appliqués peuvent être protégées par plusieurs droits de
01:18propriété intellectuelle.
01:19D'abord, le premier auquel on pense, c'est le dessin et modèle.
01:22Ils protègent l'apparence d'un produit, donc plus largement les contours, la forme
01:27et également les couleurs.
01:28C'est tout à fait adapté pour les œuvres d'art appliqué qui sont notamment les objets
01:32de design.
01:33Pour être protégée, il y a des conditions à remplir, il faut notamment que le dessin
01:37et modèle soit nouveau et qu'il ait un caractère propre.
01:40En ce qui concerne la nouveauté, un dessin et modèle est nouveau si aucun dessin ou
01:45modèle identique ou quasi identique n'aura été divulgué avant la date de protection
01:51accordée qui est la date de dépôt.
01:52Il aura un caractère propre s'il ne suscite pas l'impression de déjà-vu dans son ensemble
01:59par rapport à un dessin et modèle qui a déjà été divulgué.
02:02Il est protégé par un dépôt, il peut être français, international ou communautaire.
02:07Il est protégé pour une durée de 5 ans, renouvelable tous les 5 ans et pour une durée
02:11maximale de 25 ans.
02:12On peut aussi avoir des droits sur un dessin et modèle non enregistré.
02:16C'est une protection qui est un peu plus, on va dire, limitée, qui s'applique surtout
02:20pour les objets ou l'industrie du textile où on n'a pas besoin d'une protection.
02:27Après, on a le droit d'auteur, bien évidemment, qui lui protège les œuvres de l'esprit,
02:32quel qu'en soit le genre, le mérite ou la destination.
02:35Les œuvres d'art appliquées peuvent tout à fait être protégées par le droit d'auteur.
02:39Il n'y a pas de dépôt, c'est-à-dire que là, le droit d'auteur naît avec la
02:44création et il va durer jusqu'à 70 ans après la mort de l'auteur.
02:49Il y a des jurisprudences constantes que pour qu'un droit d'auteur naisse, il faut que
02:54l'œuvre soit originale, c'est-à-dire qu'elle reflète l'empreinte de la personnalité
02:59de son auteur.
03:00Et donc, les œuvres d'art appliquées peuvent être protégées aussi bien par le droit
03:04d'auteur que le dessin et le modèle.
03:06C'est ce qu'on appelle, au fait, le principe de cumul de protection.
03:09En France, il est consacré depuis très longtemps.
03:11Il est également consacré dans la législation communautaire et la France a toujours, c'est
03:17comme le pays où le droit d'auteur est né, il ne faut pas oublier, elle a toujours accordé
03:20la protection par le droit d'auteur à des œuvres d'art appliquées de façon assez
03:24simple, assez facile, contrairement à d'autres pays comme l'Italie ou le Portugal, qui ont
03:30toujours exigé jusqu'à présent qu'il y ait également une valeur artistique.
03:33Et donc, c'était très compliqué d'obtenir une protection par le droit d'auteur.
03:37Et justement, on a une décision de la Cour de justice de l'Union européenne en date
03:41du 12 septembre 2019, dans une affaire Cofemel contre Gestard, qui est justement venue donner
03:47des précisions sur le critère d'originalité pour des œuvres des arts appliqués.
03:53D'accord.
03:54Dans cette affaire, c'était des modèles de vêtements, des t-shirts, des jeans, donc
03:56des modèles utilitaires, et les tribunaux portugais avaient saisi la Cour d'une question
04:01préjudicielle concernant les critères de protection de modèles utilitaires.
04:05La Cour a jugé, c'est de jurisprudence constante, que le droit d'auteur, pour qu'un droit d'auteur
04:11il faut que la création soit originale, c'est-à-dire qu'il reflète l'empreinte de la personnalité
04:16de son auteur en manifestant des choix libres, libres et créatifs.
04:20Donc, c'est les critères de protection que l'on connaît et rien de plus.
04:23Et c'est pour ça que cette décision est très importante, parce qu'elle a invalidé
04:27toute initiative nationale, comme on l'espère, sur le droit portugais, qui exigeait en plus
04:31un critère esthétique.
04:33La Cour de justice va encore plus loin dans ce fameux arrêt que vous avez évoqué du
04:3824 octobre dernier dans l'affaire Quantum Vitra.
04:41Alors justement, dans cet arrêt, la CGE renforce la protection des œuvres des arts appliqués.
04:47Qu'est-ce que ça change avec cet arrêt au niveau de la protection des œuvres des arts appliqués ?
04:53Je pense que ce qui est important, c'est déjà d'expliquer le contexte.
04:56Au fait, cette affaire concerne l'application de la Convention de Berne dans l'Union européenne.
05:00La Convention de Berne, c'est quoi ? C'est une convention internationale pour la protection
05:03des œuvres littéraires et artistiques.
05:05Elle date de 1886, donc c'est un outil législatif conventionnel très ancien et a été signée
05:11par plus de 180 pays.
05:13Elle repose sur plusieurs principes fondamentaux et contient une série de dispositions pour
05:18renforcer la protection par le droit d'auteur.
05:21L'un des principes fondamentaux de cette convention, c'est le principe du traitement national.
05:26C'est-à-dire que dans tous les pays signataires de cette convention, les auteurs étrangers
05:29vont bénéficier des mêmes droits que les auteurs nationaux.
05:32Il y a une exception et elle concerne les œuvres des arts appliqués.
05:37Que dit cette exception ? Cette exception, c'est la fameuse règle
05:41de réciprocité matérielle qui dit que lorsque les œuvres d'art appliquées originaire
05:47de pays dans lesquels elles sont uniquement protégées par les dessins et modèles, dans
05:51ce cas-là, elles ne pourront pas bénéficier dans les autres états signataires du cumul
05:55de protection avec le droit d'auteur.
05:57La raison de cette clause, c'est cette règle de réciprocité, c'est-à-dire qu'on va
06:01appliquer le traitement national, mais seulement si le pays d'origine l'applique aussi.
06:06Et cette différence de traitement a été réglée pour les œuvres dont le pays d'origine
06:11est un état membre de l'Union européenne, car la Cour de justice a considéré que cette
06:16règle de réciprocité matérielle était totalement contraire au principe de non-discrimination
06:21dans une affaire du 30 juin, du 19 juin, pardon, excusez-moi, 2005, dans une affaire Todt.
06:27Mais par contre, là où on se posait la question, on s'est dit ok, pour les objets en provenance
06:32de pays de l'Union européenne, c'est réglé, mais quid alors des pays en dehors de l'Union
06:38européenne ? Et c'est là où justement la Cour de justice va apporter une réponse
06:42dans son arrêt du 24 octobre 2024.
06:45Elle concernait la fameuse chaise Dining Saatchiarwood, la DSW, c'est une très, très
06:51belle chaise de design qui a été créée par le célèbre couple de designers américains
06:56Charles et Ray Eames.
06:57A l'époque, c'était dans le cadre d'un concours organisé par le Museum of Modern
07:00Art de New York en 1948.
07:02Et après, elle a été exposée dès les années 50.
07:04Elle est devenue iconique et le fabricant suisse de mobilier Vitra est devenu titulaire
07:10des droits d'auteur sur cette chaise.
07:12Vitra a constaté qu'une société Quantum, qui commercialisait du mobilier en Belgique
07:17et aux Pays-Bas, vendait des chaises sous la délimitation Chaises Paris, qui copiaient
07:21quand même cette chaise DSW.
07:23Elle a donc assigné Quantum en contrefaçon aux droits d'auteur et le tribunal de la
07:27haie a estimé que Quantum n'enfreignait pas les droits d'auteur.
07:31Pour quelle raison ? Tout simplement parce qu'elle appliquait la clause de réciprocité
07:35matérielle. Ces chaises sont uniquement protégées par le design modèle aux Etats-Unis,
07:41qui est le pays d'origine, et pas par le droit d'auteur.
07:43Donc, au béné luxe, elles ne pourront pas bénéficier de la protection par le droit
07:46d'auteur. L'affaire est montée jusqu'à la Cour suprême des Pays-Bas, qui a décidé
07:51de poser plusieurs questions préjudiciables.
07:53Que dit la CGE pour avancer ?
07:54La CGE, elle explique que l'objectif de la directive sur le droit d'auteur de 2001 est
07:58justement là pour harmoniser le droit d'auteur.
08:02Et donc, elle prend en compte l'intégralité des œuvres dont la protection est demandée
08:07dans l'UE. Donc, elle ne va pas faire de différence de traitement, on va dire, par
08:10rapport aux conditions d'origine du pays ou de nationalité des auteurs.
08:16Et justement, c'est la raison pour laquelle la Cour de justice a estimé qu'un État
08:21membre de l'UE ne peut pas, par dérogation aux dispositions du droit de l'UE, appliquer
08:25cette clause de réciprocité matérielle contenue dans la Convention de Berne à une
08:30œuvre dont le pays d'origine n'est pas l'UE.
08:31Donc, ça, c'est vraiment une disposition très importante et ça montre la volonté de
08:36la Cour de justice de poursuivre l'harmonisation du droit d'auteur dans l'UE, dans la
08:39lignée de la règle couffiamelle.
08:41Ce qui est intéressant aussi, c'est que pourquoi il y a cette volonté d'harmonisation de
08:44la Cour de justice ? Parce que contrairement à des droits de propriété intellectuelle
08:47enregistrés comme les marques, le dessin et le modèle ou le brevet, où on peut avoir
08:52des titres unitaires qui sont valables dans toute l'Union européenne, en droit d'auteur,
08:56on n'a pas ça. Ce n'est pas déposé.
08:58Donc, on n'a pas cette harmonisation qui puisse être faite.
09:01Et en France, on était dans quelle situation jusqu'à présent ?
09:04Eh bien, écoutez, en France, les juridictions françaises ont jusqu'à présent toujours
09:08appliqué la clause de réciprocité matérielle, notamment dans un arrêt assez récent
09:13d'octobre 2020, qui concernait le même type de mobilier.
09:17C'était une chaise tulipe qui avait été créée par Eero Saarinen.
09:21Pour finir, quelles sont les conséquences pratiques de cette décision ?
09:25C'est une avancée très importante, vraiment, cette décision, parce que finalement,
09:28l'existence de cette clause de réciprocité matérielle, elle conduisait vraiment à des
09:32situations totalement aberrantes parce que des icônes de design, comme les icônes dont
09:36je vous ai parlé précédemment, ne pouvaient pas bénéficier de la protection par le droit
09:40d'auteur en France, au simple motif qu'elles étaient originaires des États-Unis.
09:44Elle permettra donc aux titulaires de droit sur des œuvres en provenance de pays tiers
09:49de mieux s'armer contre des contrefaçons qui pululent vraiment dans le domaine du design.
09:54Et elle permettra aussi, et ça, c'est très important, d'avoir accès à des actions qui
09:58sont réservées aux titulaires de droit de propriété intellectuelle, comme par exemple
10:02les saisies douanières ou les saisies contrefaçons.
10:05C'est donc une immense avancée et cette décision ne peut être qu'applaudie.
10:09On va finir là-dessus.
10:10Merci, Sandra Strittmatter.
10:12Je rappelle que vous êtes associée au sein du cabinet, Franklin.
10:15Merci.
10:16Merci à toutes et à tous pour votre fidélité.
10:18Je vous retrouve très bientôt sur Bismarck for Change.
10:20Restez curieux et informés.

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