Gilbert Cette, professeur d’économie à NEOMA Business School et ancien président du Groupe d’experts sur le SMIC, répond aux questions d'Alexandre Le Mer. Ensemble, ils s'intéresse à l'augmentation du nombre de salariés au smic en France.
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00:00 - Europe 1, il est 6h42. - C'est un sujet que Gabriel Attal va certainement aborder demain dans son discours de politique générale.
00:09 Le Premier ministre s'est dit inquiet la semaine dernière d'une smicardisation de la société, reconnaissant qu'il y avait là un énorme sujet,
00:17 ce sont ces termes, sur les trappes à bas salaire. Alors est-ce qu'on se dirige, oui ou non, vers une smicardisation des salaires ?
00:24 On en parle ce matin sur Europe 1. - Et on en parle avec votre invité, Alexandre Lemaire, c'est l'économiste Gilles Berset,
00:29 professeur à la Neoma Business School, spécialiste de la question des salaires, ex-président du groupe d'experts sur le smic.
00:35 - Bonjour Gilles Berset. - Bonjour. - Est-ce que cette inquiétude de Gabriel Attal vous la partagez ?
00:42 - Écoutez, oui et non. Oui et non parce qu'on a déjà connu des épisodes de forte augmentation du pourcentage des salariés payés au smic.
00:52 C'était le cas par exemple en 2005 où on a dépassé les 16%. Vous voyez, là on dépasse légèrement les 17%, on avait dépassé les 16% en 2005.
01:01 Et puis ensuite ça a diminué compte tenu de la croissance des salaires qui ont amené à une certaine distance d'une grande partie des salaires vis-à-vis du smic.
01:11 Il en ira de même cette fois-ci. Donc il n'y a pas d'inquiétude fondamentale à avoir, même si évidemment dans la période présente,
01:19 il y a une frustration de la part de beaucoup de salariés qui sont rattrapés par le smic.
01:23 - Rattrapés par le smic, c'est bien cela qu'il faut expliquer. C'est lié à l'indexation du smic sans l'inflation, Gilles Berset, c'est bien cela.
01:30 - Absolument, absolument. Depuis le 1er janvier 2021 inclus, le smic a été relevé à 8 reprises pour un total de près de 15%. Vous voyez, 14,7%.
01:44 On comprend comment beaucoup de salaires sont collés au smic maintenant, puisque les salaires ont évolué un petit peu moins que l'inflation en moyenne
01:54 du fait des gros chocs inflationnistes que nous avons connus sur les deux dernières années.
01:59 - Alors on rappelle le montant du smic, le montant mensuel net, 1 398,70 €. C'est presque un salarié sur cinq aujourd'hui, Gilles Berset.
02:10 En tout cas, on parle du secteur privé non agricole, et c'est d'autant plus important de le préciser actuellement.
02:17 - Oui, absolument. Néanmoins, il faut toujours faire attention à ce type de chiffre, puisque ça ajoute au smic de nombreuses prestations qui parfois sont très importantes.
02:26 Pour vous donner un seul chiffre, un salarié célibataire à temps plein au smic touche environ 240 € par mois de primes d'activité.
02:37 Vous voyez que ça augmente substantiellement son revenu mensuel. Donc les conditions de vie au smic sont évidemment difficiles,
02:46 mais ce qui est pire qu'au smic, c'est y rester. Il faut déployer tous les efforts pour que les salariés qui sont au smic puissent bénéficier de mobilité salariale ascendante,
02:58 qui leur permettent évidemment d'échapper à ce piège du smic.
03:02 - Oui, exactement ce piège du smic. Gabriel Attal parle de trappe à bas salaire. Lorsque l'on est au smic aujourd'hui, pour rebondir sur ce que vous disiez,
03:10 ça veut dire qu'on est condamné à y rester, à s'y enliser de plus en plus ?
03:16 - Si vous voulez, il y a divers mécanismes qui concourent à ça, en particulier l'empilement des dispositifs d'exonération de cotisations sociales qui sont dégressifs,
03:26 et puis de soutien en bas revenu, comme la prime d'activité, les aides au logement, etc.
03:31 Pour vous donner un seul chiffre ici encore, prenons toujours le cas de notre célibataire à temps plein au smic.
03:38 Pour que son revenu net augmente de 100 euros par mois, il en coûte près de 500 euros, 483 exactement, aux chefs d'entreprise.
03:48 Donc vous voyez, cette disproportion réduit les mobilités salariales des personnes au smic et explique qu'il est très difficile de sortir du smic quand on y est.
03:59 - Selon le ministère du Travail, 56 branches ne sont pas dans les clous, c'est-à-dire qu'elles appliquent des grilles de rémunération dont les minimas sont inférieurs au smic, Gilbert Sette.
04:09 56 branches, c'est une branche professionnelle sur trois tout de même !
04:12 - Oui, alors d'abord il faut souligner que personne n'est payé moins que le smic.
04:16 Les salariés qui sont dans des branches dont les minimas salariaux sont inférieurs au smic bénéficient de compléments salariaux qui leur permettent d'être payés au smic.
04:24 - Heureusement, c'est le minimum légal !
04:26 - Absolument, absolument, c'est une disposition d'ordre public.
04:29 Mais par ailleurs, on comprend que les branches soient assez surprises très souvent,
04:34 puisqu'elles ne connaissent l'augmentation du smic qu'elles vont subir, si j'ose dire, le premier d'un mois, que le 15 du mois précédent.
04:42 Elles n'ont que 15 jours pour se mettre en conformité avec les annonces de hausse du smic.
04:48 Quand on écoute la Direction Générale du Travail en France, elle nous dit qu'il n'y aurait que, si j'ose dire, c'est toujours trop bien sûr,
04:57 10 à 15 branches qui structurellement connaîtraient des minimas salariaux inférieurs au smic.
05:03 Néanmoins, à chaque hausse du smic, c'est logique, il y en a eu une au 1er janvier dernier,
05:07 à chaque hausse du smic, il y a des branches qui sont un peu surprises et à qui il faut quelques temps pour se rendre conformes à cette hausse du smic.
05:15 - G.Berset, pour éviter ce phénomène de trappe à bas salaire, les syndicats, en tout cas une partie d'entre eux,
05:20 demandent la réindexation de l'ensemble des rémunérations sur l'inflation. Est-ce que ça c'est faisable ?
05:26 - Alors, on peut s'en étonner d'abord, il faut dire que tous les syndicats ne sont pas sur cette ligne,
05:31 et que le 1er syndicat de France d'ailleurs ne demande pas cette réindexation des salaires sur le smic, sur les prix.
05:39 Ça c'est une 1ère chose. Une 2ème chose, c'est qu'on peut s'en étonner parce que la négociation salariale est au cœur de l'activité des syndicats.
05:47 Donc, il faut renvoyer les syndicats à leur travail, à leur fonction, à leur action sur le terrain.
05:55 C'est à eux de négocier avec les représentants patronaux les hausses de salaire.
06:00 On n'imaginerait pas dans d'autres pays, Pays Nordiques, Spandilab, Allemagne, Pays Bas,
06:05 les pays qui marchent bien, qui ont un bas taux de chômage, on n'imaginerait pas dans ces pays,
06:10 des syndicats demandaient l'indexation automatique des salaires sur les prix.
06:13 Ça fait partie du boulot des syndicats que de négocier les salaires.
06:17 - Merci Gilles Berset, professeur d'économie à la Neoma Business School.
06:21 Vous êtes aussi, je le précise, le nouveau président du Conseil d'orientation des retraites. Merci à vous.