• il y a 9 mois
Postier à cheval, Andrian maintient le lien entre les villages isolés de la taïga sibérienne et le monde extérieur, malgré la dangerosité des chemins qu’il doit emprunter. Le portrait tout en sobriété de ce messager et des habitants qu’il croise au fil de sa tournée.

Dans la taïga sibérienne, de nombreux villages demeurent inaccessibles par la route. La poste fait donc appel à des facteurs à cheval pour livrer le courrier et les produits de première nécessité aux habitants isolés. Andrian Chromov, 53 ans, est l’un de ces messagers. Une fois par mois, il entreprend un voyage de 150 kilomètres à travers les marais. Sa tâche est d’autant plus périlleuse que les feux de forêts ont détruit les chemins. Mais cette fois-ci, le cavalier est confronté à une autre difficulté : Pyatak, son cheval qui évolue en liberté, s’est enfui.

Lien précieux

Attendu avec impatience dans les localités où il fait escale, Andrian relie les villageois – qui n’ont accès ni à l’électricité, ni au téléphone –au monde extérieur. Au fil de son épuisant périple, pendant lequel il s'embourbe avec ses chevaux dans les marécages, défilent devant la caméra des ruraux attachés à leurs terres et à leur tranquillité, malgré la rudesse de leur existence. Filmé au plus près de son personnage principal, le portrait feutré d’un aventurier des temps modernes.

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Transcription
00:00 La Sibérie. Dans le sud, par-delà les quelques rares agglomérations blotties le long de
00:16 la ligne du Transsibérien, la Taïga s'étend à perte de vue. Sauvage, déserte ou presque.
00:24 Ici, beaucoup de villages ne sont pas accessibles par la route. Aujourd'hui encore, les facteurs
00:33 de la poste russe font ici leur tournée à cheval. Pour la monture comme pour le cavalier,
00:41 ces trajets relèvent à chaque fois du défi.
00:42 Avec ses 7000 habitants, la ville de Kachouk est la dernière à être reliée au réseau
00:59 routier. Elle est située à quelques 200 kilomètres au nord d'Irkoutsk et à 120
01:05 kilomètres à l'ouest du lac Baïkal. C'est là que vit Andrian Romov, 53 ans, facteur.
01:17 C'était juste un job au départ. Je m'étais dit alors que j'allais faire ça trois ou
01:24 quatre ans. Je voulais vivre une nouvelle expérience. Ça fait aujourd'hui plus de
01:29 dix ans que je fais la tournée. J'ai pris l'habitude. Il commence sa tournée tous
01:36 les dix du mois. Juste avant de partir, il récupère le courrier des villageois au bureau
01:41 de poste. Les gens sont contents. Parfois, ils se mettent à lire leur courrier quand
01:48 je suis encore là. Quand on voit les gens qui ont les yeux qui brillent, c'est comme
01:52 si on faisait partie de leur famille. Ça fait chaud au cœur. Il n'y a pas de magasins
02:00 dans les villages de la Taïga. Alors, en plus du courrier, Andrian apporte aux habitants
02:06 des produits de première nécessité, comme par exemple des médicaments.
02:09 Au revoir, bonne tournée. A dans un mois. Andrian passe voir l'ancien facteur, Miraev
02:21 Khov. Autrefois, Miraev apportait aussi des films de cinéma aux villageois de la Taïga.
02:26 Bonjour. Salut. Tu vas où comme ça? Je repars distribuer le courrier. Il va encore y avoir
02:35 de la boue partout. Ça va être la gadoue. Il y a eu beaucoup d'eau. Il a pas mal plu.
02:40 Juste avant Hamon qui s'est inondé. Depuis les incendies, c'est un vrai champ de bataille.
02:45 Un bourbier pas possible. On peut presque plus passer. Même le cheval refuse d'y aller.
02:52 M'en parle pas. Et toi, mon pauvre, tu y retournes. Bon, allez, bonne chance. Fais attention de
02:59 ne pas t'enliser. Mais tu vas y arriver. On verra bien. Quand je faisais la tournée,
03:05 il y avait encore des chemins. Mais depuis les incendies, tout a disparu. Les pistes
03:10 se sont effondrées. Elles ne sont plus praticables. Le pauvre cheval a de la gadoue jusqu'aux
03:16 oreilles sans rire. A la maison, Tamara, la femme d'Andrian, a déjà préparé le dîner.
03:27 Andrian part tôt demain matin. Tu vas arriver à attraper ton cheval cette fois? Je vais
03:34 essayer, mais je sais pas si je vais y arriver. C'est presque impossible d'y parvenir tout
03:39 seul. Ils vont pas être faciles à trouver. Oui, en ce moment, c'est l'époque où les
03:44 chevaux partent en forêt. Ça va pas être facile pour toi. La route est difficile.
03:53 En hiver, quand les marécages sont gelés, Andrian fait sa tournée en voiture. Pendant
04:00 ce temps là, il laisse Piatak, son cheval, en liberté. À partir du mois de mai, le
04:07 facteur fait à nouveau sa tournée à cheval. Mais il y a quelques mois, Piatak a rejoint
04:12 un troupeau de chevaux sauvages et Andrian n'a pas réussi à l'attraper. Depuis, le
04:19 facteur improvise. Cette fois, il veut aller en voiture jusqu'au dernier village encore
04:24 accessible par la route et emprunter un cheval à l'un de ses habitants. Allez, bon voyage!
04:31 Que Dieu te protège! Mais pas sûr que son vieux 4x4 soviétique des années 80 réussisse
04:40 à l'emmener jusque là bas. Qu'est ce qui se passe? T'as de l'essence? Comment? T'as
04:47 de l'essence? Elle n'a pas eu le temps de chauffer. On lui a de nouveau jeté un sort.
05:02 C'est bien possible. Pendant des heures, Andrian cherche d'où vient la panne. Des
05:16 amis arrivent à la rescousse et démontent le moteur. Elle est toujours en panne. À
05:21 chaque fois qu'il part, c'est la même chose. Et encore, heureusement que c'est arrivé
05:24 ici. Vous imaginez en forêt? Andrian reçoit un appel du bureau de poste. Sa chef commence
05:30 à s'impatienter. Allô? Pourquoi t'es pas encore parti? Tout le monde t'attend. Qu'est
05:37 ce que tu veux que je fasse? Vous n'avez qu'à m'acheter un nouvel allumage. Comment ça
05:44 un allumage? Pour ma voiture, elle est en panne. Ça, c'est pas mon problème. Tu parles?
05:51 Oui, je vais partir d'un moment à l'autre. Mais qu'est ce que je peux faire si le moteur
05:56 tombe de nouveau en panne? Comment voulez vous que je conduise? Quand est ce qu'ils vont lui
06:02 donner une voiture en bon état pour qu'il puisse travailler dans de bonnes conditions?
06:05 Pas de panique. Il suffisait de retirer quelques fils. Tu as vu tous ces câbles? Ils servaient à
06:11 quoi? Ils n'étaient même pas connectés. Visiblement, on n'en a pas besoin.
06:16 Andrian peut enfin partir. Il emmène ses chiens pour le protéger des animaux sauvages de la
06:27 Taïga. Le village de Chinonga est à 150 kilomètres. Il va lui falloir cinq jours.
06:33 Le facteur espère arriver ce soir à Bolshoi Ullun. Si toutefois son vieux 4x4 veut bien
06:40 tenir le choc sur les 60 premiers kilomètres.
06:41 Il y avait trop de monde qui me regardait, surtout ma voisine. Je l'aime pas. J'essaie
06:58 de pas traîner pour qu'elle me jette pas un sort avec son mauvais oeil. Bon, c'est vrai,
07:04 je veux pas reconnaître que c'est peut être de ma faute. Je préfère dire que c'est la faute des
07:08 autres. De ma voisine. Pour parer à toute éventualité, Andrian s'arrête au pied d'un
07:19 arbre sacré. Ici, c'est un lieu chamanique. Il y en a dans toute la Sibérie. C'est une sorte
07:31 de rituel. On prie pour que la chance nous accompagne, nous et nos compagnons de route.
07:35 Même si je n'y crois pas vraiment, je me dis qu'il y a peut être quelque chose. J'espère
07:47 que ça m'aidera. Je rencontrerai des embûches, c'est sûr. Il y en a toujours. L'important,
07:54 c'est d'y aller.
07:55 Le rituel semble avoir marché. Andrian arrive sans problème et avant la tombée de la nuit,
08:12 à Bolshoi Ouloun.
08:21 Il espère pouvoir emprunter un cheval qui lui permettra de poursuivre sa tournée.
08:25 C'est par là.
08:29 Kazbek, un petit cheval blanc, évolue en toute liberté autour de la ferme de son
08:37 propriétaire. Pour l'attraper, Ivan a prévu un saut d'avoine.
08:41 Il est bien calme là. Il a l'air détendu. Il n'y a plus de temps, ni de moustiques la nuit.
09:09 Il va bien.
09:11 Quand il m'a vu, il a compris ce qu'il attendait. Il sait parfaitement combien de pas il va devoir
09:27 faire. Il a déjà tout calculé. Ce n'est pas la première fois qu'Andrian emprunte Kazbek. Le
09:34 petit cheval connaît bien le trajet. Comme la réparation de son 4x4 lui a fait perdre beaucoup
09:40 de temps, Andrian passe la nuit chez Ivan. Le lendemain matin, Andrian se met en route aux
09:56 premières lueurs du jour. Le facteur compte arriver ce soir à Chevikane, à près de 38
10:16 kilomètres sur un petit chemin de terre, une chevauchée de 8 heures. On a déjà pris du retard,
10:30 mais qu'est ce que je peux faire ? Un cheval a son propre rythme. Je pourrais galoper sur
10:40 trois kilomètres peut-être, mais après il serait crevé. Qui veut aller loin, ménage sa monture.
11:06 Quatre heures après leur départ, Andrian et Kazbek font une pause au village abandonné de Yurta.
11:12 J'ai appris tout petit à monter à cheval parce que chez nous il n'y avait aucun autre moyen de
11:20 transport. J'aime me déplacer à cheval, comme mes ancêtres il y a 100 ans. Mais quand je vois
11:31 de simples ouvriers qui travaillent chez les nouveaux russes se balader sur des quad flambant
11:35 neufs, ça, ça casse un peu le moral. La poste russe ne met pas de quad à la disposition des facteurs.
11:47 Andrian gagne 12 000 roubles par mois, l'équivalent de 150 euros. Pour les
12:00 réparations sur son 4x4 et la nourriture de son cheval, il touche un forfait d'environ
12:04 9 euros. Le chemin est plutôt correct, mais Kazbek pose des problèmes.
12:10 Il avait la place de passer, mais il est allé se coller contre l'arbre. Je sais pas ce qui
12:27 lui est passé par la tête. Il voulait sans doute se débarrasser de sa charge. Il n'a plus envie c'est tout.
12:36 Juste avant d'arriver, Andrian croise un troupeau de chevaux. Bien qu'ils évoluent
12:55 librement dans la taïga, ils appartiennent tous à quelqu'un. Mais comme beaucoup de
13:01 propriétaires n'ont pas assez d'argent pour les nourrir, ils les laissent en liberté et
13:05 ne les capturent que lorsqu'ils en ont besoin. Au beau milieu du troupeau, Andrian aperçoit
13:15 son cheval, Piatak. Mais seul, il n'a aucune chance de l'attraper. Après huit heures de
13:21 chevaucher, Andrian arrive enfin à Chevikhan. Comme beaucoup de villages de la taïga à l'époque
13:27 soviétique, Chevikhan était aussi un kolkhoz, une exploitation agricole pour laquelle tous
13:33 les villageois devaient travailler. Plus personne ne vit à Chevikhan aujourd'hui. Le dernier habitant
13:40 est mort il y a quatre ans. Mais de temps en temps, des chasseurs viennent y passer la nuit.
13:47 Andrian est autorisé à s'installer dans la maison d'un ancien habitant.
13:52 -Andrian ! -Quoi ? -Il y a ton cheval qui veut te voir. -Piatak ? -Il vient de temps à autre par
14:04 ici. -Oh alors il va pas tarder à se montrer, ce soir ou demain matin.
14:08 -Il viendra quand il voudra. -Je l'ai lâché hier. -Bah tu vois. -Il a passé la nuit près de chez
14:22 moi. -Il va peut-être revenir. -Non non, il est déjà venu, il va pas revenir. -Il sait bien
14:29 qu'on va l'attraper. -Bon moi j'y vais. Andrian n'a pas pu attraper son cheval aujourd'hui. -Dès
14:42 qu'il me voit il se sauve, il me connaît bien, il va faire un écart et partir au galop. C'est pas
14:52 qu'il ait peur mon piatak, mais c'est un malin. Plus ils vieillissent plus ils sont rusés. Il m'en
14:59 veut parce que je le force à chaque fois à parcourir de telles distances et là il me dit vas-y sans moi.
15:04 Bon j'espère qu'il reviendra demain matin, il fait généralement un petit tour d'honneur
15:17 dans le village de Bonheur. Le lendemain Andrian se lève avant le soleil, il guette piatak.
15:31 Du pain avec du sel, c'est un cadeau de bienvenue, c'est comme des friandises pour eux. Ce serait bien
15:46 si quelqu'un pouvait le rabattre par ici. Je vais dire à Demidov de le ramener vers moi gentiment.
15:52 Stop stop, c'est bon il y va tout seul.
16:00 J'ai ouvert la barrière, il va peut-être rentrer, il voulait faire demi-tour. J'y vais tout doucement
16:18 pour pas les faroucher. Piatak, voilà voilà. Passe-lui la longe vite. Vous voyez tout s'est
16:39 bien passé grâce à ces gens formidables. Alors piatak arrête, tu vas aller où ? C'est fou non ?
16:54 J'en ai même rêvé la nuit dernière, ça doit être pour ça que ça a marché. N'aie pas peur.
17:04 Après avoir attaché piatak, Andriyan va chercher Kazbek.
17:16 Allez on se prépare. Je vais monter celui là pour l'instant, le temps que piatak
17:27 retrouve la forme après tous ces mois de repos. Demidov le chasseur doit retourner à Kachuk.
17:34 Comme personne ne peut s'occuper de piatak, Andriyan n'a pas d'autre choix que d'emmener
17:40 les deux chevaux avec lui. Aujourd'hui il compte rejoindre Tirka, son village natal.
17:48 35 km sur des chemins souvent marécageux.
18:04 Chacun va à son rythme et n'en fait qu'à sa tête. Parfois le cheval de devant ralentit,
18:12 celui derrière accélère, ou tire dans une autre direction. Bref c'est compliqué.
18:22 La plupart du temps, Andriyan doit passer par le bas côté et se frayer un chemin dans la
18:42 bonsaille. Mais là aussi le sol est mou et marécageux. Chevaux et cavaliers sont mis
18:54 à rude épreuve.
18:55 C'est
19:25 totalement épuisé qu'au bout de dix heures ils arrivent enfin à Tirka.
19:29 C'est mon village natal, l'endroit où je suis né et où j'ai grandi. 2, 3, 4, 5, 6,
19:44 malheureusement il n'y a plus que six maisons habitées.
19:47 La plupart des habitants ont quitté le village et pour cause. Ici les infrastructures sont
19:55 inexistantes. Pas de magasins, pas de réseau téléphonique, pas même un semblant de pont.
20:02 Pour avoir un minimum de courant électrique, les villageois ont recours à des groupes
20:09 électrogènes et des panneaux solaires. Andriyan est attendu avec impatience. Sergueï est abonné
20:18 au magazine chasse et pêche. Il est resté impeccable pendant tout le voyage. J'arrive
20:25 ici il est tout froissé. Avant de se reposer, Andriyan va à la pêche. Dès que j'arrive,
20:47 j'allume le poêle et je vais poser mes filets avant la nuit. Andriyan ne pêche pas pour
20:58 le plaisir, il va en garder pour ses provisions et aussi échanger quelques poissons contre
21:04 d'autres denrées et en vendre une partie. Avant de m'endormir, je regarde si le cheval
21:24 va bien. Et le matin au réveil, je regarde tout de suite par la fenêtre. Ça fait un
21:33 moment que je ne l'ai pas vu. J'ai toujours peur qu'il ait cassé sa longe ou son licole
21:38 et qu'il se soit sauvé. Andriyan va passer la journée dans son village natal. Les chevaux
21:50 vont souffler un peu et lui va en profiter pour préparer les poissons qu'il a pêchés
21:55 hier. Avant, il y avait un système agricole commun, le colcauze. Chaque habitant avait
22:04 ses objectifs à atteindre. On livrait le poisson tôt le matin. On pratiquait le troc.
22:11 On nous apportait de l'avoine et des granulés par camion. Aujourd'hui, cette pratique est
22:16 plus rare. J'ai un ami qui m'a commandé 50 kilos de poissons salés. Il me donne du
22:27 foin en échange pour mon cheval. Andriyan récupérera ses poissons sur le
22:39 chemin du retour. Une fois salés, ils se conservent trois mois. Après la salaison,
22:48 Andriyan part distribuer le courrier aux habitants du village. Il passe d'abord chez un couple
22:54 qui vit ici depuis 24 ans. Rosa et Sacha sont chargés de relever les données météorologiques.
23:00 Bonjour. Je préfère ne pas rentrer sinon je vais tout salir. Il me faut la signature
23:09 de Sacha. Sacha ? Oui. Voilà, c'est signé. Merci. Andriyan, pour les relever du mois
23:18 d'août, on verra à ton retour. Pour l'instant, voilà ceux de juin et juillet. Ça représente
23:26 deux mois de travail. Ces informations seront intégrées dans un rapport annuel avec des
23:33 données internationales. Notre facteur les récupère une fois par mois. L'ordinateur,
23:45 c'est pas pour nous. Ici, on a nos jambes, nos bras. Quatre pattes ou deux pattes.
23:49 Aujourd'hui, le météorologue ne travaille pas. Il part ramasser des canneberges dans
24:01 la Taïga. Ce n'est pas sans risque. Des chasseurs ont souvent été attaqués par
24:13 des loups et des ours en pleine Taïga. Un fusil ? S'il a envie de te manger, il te
24:18 mangera. Le seul danger, c'est s'il y a des oursons ou un ours blessé. Bien s'il y a
24:25 dans les parages une proie qu'un ours a laissée là pour qu'elle fesande un peu. Là, oui,
24:29 il y a un risque. Mais il suffit d'ouvrir l'œil, de regarder à 360 degrés et il n'y
24:34 a pas de problème. Il faut faire du bruit. Plus on fait de bruit, mieux c'est. Moins
24:51 c'est dangereux. C'est un animal curieux. S'il entend des craquements, son instinct
24:58 de chasseur se réveille. Qui s'introduit dans mon domaine ? Et si on fait beaucoup
25:04 de bruit, un bruit inhabituel, généralement il se tient à l'écart. Au début, je venais
25:15 voir mon frère. Je devais avoir 13 ou 14 ans. Je venais le voir travailler à la station
25:20 météorologique. J'observais et m'imprégnais de l'atmosphère. Finalement, ça m'a plu.
25:27 Et voilà, ça doit faire 35 ans que je n'ai pas quitté ma station météo. Comme disent
25:34 nos amis, si un jour la station brûle, je resterai encore assis sur ses cendres 10 ans
25:39 après. Sacha et Rosa ne sont pas les seuls météorologues
25:45 à Tircat. Andrian apporte sa retraite à Mirail, le frère de Sacha. Il a été le
25:52 premier à travailler comme météorologue ici. Attention, ils peuvent vous mordre à
25:57 travers vos bottes ces sauvages. Bonjour.
26:04 20, 21, 22 et 23. Je vis presque toute l'année ici, sauf un mois que je passe en ville. La
26:20 ville, c'est bien quand on a de l'argent plein les poches et qu'on n'a rien à faire. On
26:28 dépend de la civilisation. Mais les Norvégiens ont un dicton. Un bon voisin, c'est celui
26:33 qui ne vit pas dans ton fjord. Avec la civilisation, c'est pareil. C'est bien qu'elle existe,
26:39 mais pas trop près. Quand son frère ne travaille pas, Mirail le
26:45 remplace à la station météo et arrondit ainsi ses fins de mois.
26:50 La station météo est chargée de suivre le temps qu'il fait. Elle fait partie d'un
26:54 réseau international qui relève un certain nombre de données sur une certaine distance.
26:59 Le vent, les phénomènes atmosphériques, c'est l'instrument le plus important pour
27:04 mesurer l'ensoleillement. Ça s'appelle un héliographe. On place une petite bande de
27:10 papier et une lentille. La bande de papier est graduée selon les heures. Le soleil trace
27:19 progressivement sa trajectoire en brûlant le papier. On récupère la bande à la fin
27:24 de la journée. Si les données de l'héliographe ne sont consignées qu'une fois par jour,
27:32 celles des autres appareils doivent être relevées toutes les trois heures, de jour
27:36 comme de nuit, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige.
27:39 C'est vrai, c'est dur et ennuyant. Mais je dis toujours que ce n'est pas pire que la mine
27:46 avec un marteau-piqueur. Et puis j'ai mon indépendance. Pas la liberté, mais l'indépendance.
27:52 Au-dessus de moi, il n'y a que le ciel et le soleil.
27:56 Tu t'es embourbé ou quoi ? T'as loupé un virage ?
28:12 C'est ma voiture qui a chauffé. Il a fallu que je m'en occupe.
28:16 Ça alors ! J'ai une lettre de ta caisse de retraite. Ça
28:20 fait deux mois que je l'ai. Tiens.
28:23 Ils veulent encore la réduire. Je ne sais pas.
28:26 Qu'est-ce que c'est que ça ? Qu'est-ce que la Russie-Unie a encore mijoté ?
28:34 C'est quoi ? Oh, mais ils me donnent de l'argent. Un
28:42 versement unique de 883 roubles correspondant au solde de mes droits de retraite.
28:48 Des clopinettes. Même pas de quoi acheter une cartouche de
28:53 cigarette. Je suis né à Chinonga. Mes parents ont ensuite
29:03 décidé de s'installer à Tirka. On avait une vache. Le Colcose avait pris
29:10 nos rennes pour nous donner une vache en échange. Tout ce que nous avions,
29:16 nous l'avons transporté sur le dos d'un cheval. Et ma vieille grand-mère était assise sur tout ça.
29:24 Comme il n'y avait plus de place pour moi, on m'a mis sur le dos de la vache.
29:30 Dans les années 1950, les Tungus ont été rebaptisés Evenks.
29:37 Ce peuple de nomades a été sédentarisé à l'époque soviétique et contraint,
29:43 entre autres, d'élever des vaches plutôt que des rennes.
29:46 Dans le sud de la Sibérie, leur mode de vie a été presque entièrement détruit.
29:52 Bien peu de traditions Evenks ont été conservées. En souvenir de la yourte de son enfance,
29:59 Semyon a construit une hutte qu'il utilise pour fumer les poissons.
30:03 Il y avait toujours du feu. On ne laissait jamais s'éteindre pour qu'il y ait toujours
30:12 à manger du poisson fumé. Les enfants vivaient et grandissaient là-dedans.
30:18 On chassait, mais on était sédentaires. On ne bougeait pas, on ne nomadisait plus.
30:27 "Tchoma, un peu de fumée s'il te plaît." J'ai essayé d'apprendre la langue à mes enfants,
30:38 mais ça les faisait rire. Ils trouvaient ça drôle de m'entendre parler. Ils n'ont rien retenu.
30:44 Et ma femme est russe. Je n'ai personne avec qui parler ma langue maternelle.
30:48 Sacha confiait à son épouse les canneberges qu'il a ramassés dans la Taïga.
30:55 Rosa utilise un souffleur pour les débarrasser grossièrement des feuilles et des brins d'herbe.
31:01 On les met là-dedans. Voilà. On remplit bien. Toutes les petites saletés sont tamisées. Et à
31:12 la fin, il n'y a plus que les baies. Vous savez, on n'a pas le temps de s'ennuyer. On lit beaucoup.
31:23 Il y a la maison à entretenir. Je tricote. On a un potager. On a même une serre pour les
31:32 poivrons et les tomates. On a de tout. Les météorologues sont ravitaillés au printemps,
31:40 quand les chemins sont encore gelés et donc praticables. Pour eux,
31:44 comme pour tous les villageois, cultiver la terre et élever un peu de bétail est une nécessité vitale.
31:49 On est mieux ici, loin de tout. Ce n'est pas pour rien que les gens de la ville viennent se reposer
32:06 chez nous. Ici, on peut complètement se ressourcer. Aujourd'hui, Andriane va porter le courrier au
32:17 dernier village de sa tournée. Mais avant, il accompagne Miraël à la rivière. Vous avez
32:25 droit à un spectacle. Salut à tous mes amis et à tous ceux qui nous regardent.
32:36 Avant de partir, Andriane va chercher une lettre. Zinaïda, 93 ans, écrit à sa sœur qui vit à
33:03 Saint-Pétersbourg. La dernière fois que je l'ai vue, c'était il y a huit ans. Elle s'occupe du fils
33:14 de sa fille. C'est pour ça qu'elle ne peut pas venir. Et moi, je ne peux pas y aller. Avec l'âge,
33:25 on ne fait plus ce qu'on veut. Vous vouliez lui envoyer une lettre ? Tenez, la voilà. D'accord,
33:45 au revoir. C'est avec Kazbek qu'Andriane va parcourir les derniers kilomètres. Il laisse
33:59 Piatak au bon soin des météorologues et le récupérera dans trois jours sur le chemin du
34:03 retour. Le trajet qu'il attend est difficile, impossible de le faire avec deux chevaux.
34:09 Alors Piatak, tu es content ? Tu vas pouvoir te reposer. Profites-en jusqu'à ce que je revienne.
34:20 Au début, je l'en voulais un peu, mais après bon, c'est mon cheval. Je préfère regarder les bons
34:28 côtés. Je l'ai à nouveau attrapé, on est venu ensemble jusqu'ici.
34:34 Le facteur a devant lui l'étape la plus pénible. 18 kilomètres en plein marécage. Il n'y a pas de
34:47 sentier et il ne sait jamais à quoi s'attendre d'une tournée à l'autre. La plupart du temps,
34:57 Andriane marche pour éviter que son cheval ne s'enlise sous son poids. En ce moment, l'herbe
35:05 stabilise le sol, mais en juin, au dégel, il n'y avait pas encore d'herbe. On marchait
35:10 juste dans la gadoue. C'était l'horreur. Mais le trajet reste encore éprouvant. Andriane
35:21 et Kazbek s'enfoncent régulièrement dans le sol spongieux, ce qui peut être très dangereux pour
35:26 le cheval. En octobre dernier, mon cheval est tombé dans le marécage. Il s'est complètement
35:39 enfoncé dans la vase. J'ai essayé de le tirer, mais il n'arrivait plus à en sortir. J'ai pensé
35:45 devoir lui tirer une balle pour qu'il ne souffre pas. Finalement, je suis allé en forêt, j'ai
35:51 coupé deux branches de bouleau que j'ai glissé sous son ventre pour l'aider à s'extraire de la
35:56 boue. Il avait envie de vivre, il s'en est sorti. Andriane traverse une région qui a été très
36:05 touchée par le feu en 2016. Le sol tourbeux a entièrement brûlé, des trous remplis de
36:11 boue se sont formés, transformant le marécage en une zone infranchissable. Après les incendies,
36:21 l'herbe n'a recommencé à pousser qu'en été. Elle avait complètement brûlé,
36:26 le sol était liquide, le cheval ne pouvait pas avancer.
36:29 Aujourd'hui, Andriane a de la chance. Les jours derniers ont été ensoleillés. L'herbe a bien
36:45 poussé et elle est relativement sèche. Au bout de six heures seulement, il arrive au village de
36:52 Chinonga. Même avant les incendies, aucune route n'a jamais mené à ce village. Les rares fois où
37:03 ses habitants doivent le quitter, ils le font par la rivière Kirenga. C'est le terminus,
37:11 tout s'est bien passé. On est arrivé, c'est le principal, et on a été gâté avec le temps.
37:18 Je vais prendre un thé avant de distribuer les retraites et le courrier.
37:22 Andriane livre aussi les commandes personnelles, des piles, des médicaments et des cigarettes.
37:51 Alors que la journée est déjà bien avancée, beaucoup sont encore au lit. La veille,
38:05 les habitants du village se sont réunis pour une soirée plutôt arrosée.
38:19 Mais Vladimir, le retraité, est bien réveillé. Il s'apprête à partir en forêt.
38:29 C'est la période de rute chez les serfs. On chasse juste ce qu'il nous faut pour notre
38:40 consommation. Personne ne nous apporte de la viande, on se la procure donc nous-mêmes.
38:45 En général, les villageois se partagent la viande des animaux abattus. Une grande partie
38:53 est salée. Comme ici non plus il n'y a pas d'électricité, les habitants n'ont pas de
38:58 congélateur pour la conserver. Avant de se mettre en chasse, Vladimir s'arrête au cimetière.
39:06 C'est une croyance locale. Quand on va à la chasse, on apporte des offrandes pour que les
39:13 esprits soient propices. Après avoir versé un peu de thé sur la tombe, Vladimir offre une
39:19 cigarette au défunt, un membre de sa famille. Il est mort jeune, d'un empoisonnement ou je
39:26 ne sais quelle maladie. C'est le foie qui a lâché. Une ambulance a certes été appelée grâce au seul
39:37 et unique téléphone du village, mais à leur arrivée, après douze heures de trajet sur des
39:42 chemins verglacés, les infirmiers n'ont pu que constater le décès. Arrivé au terrain de chasse,
39:54 Vladimir guette sa proie. Pas de chance aujourd'hui, je rentre bredouille. Dommage
40:06 pour lui. Le dernier magasin a fermé en 2015. Sur le chemin du retour, Vladimir fait une halte
40:21 à l'ancienne salle des fêtes. Elle date de l'époque où il y avait encore de la vie dans
40:26 le village. Aujourd'hui, elle n'est plus utilisée. - Bien sûr, il y avait plus de monde. Les gens
40:38 se retrouvaient le soir pour regarder un film ou pour jouer au billard. La salle était pleine.
40:43 Puis il y a eu la perestroïka et ça a été le début de la fin. Sur les 60 habitants que
40:55 Tchinnonga comptait autrefois, il n'en reste plus que 18. La plupart sont des retraités. Pour faire
41:03 revivre le village, une route devait être construite il y a plusieurs années. - C'est
41:10 nous qui avons refusé. Si une route avait été construite, on aurait été envahi par les voitures,
41:16 par les pêcheurs. On en a déjà assez qui arrivent en barque. On n'est plus tranquille comme ça.
41:23 Mais il y a fort à parier que cette décision va conduire Tchinnonga à se transformer en
41:32 village fantôme. En attendant, quelqu'un doit apporter le courrier aux villageois.
41:40 - Quand je me mets en route au début, que je n'arrive pas à attraper mon cheval et qu'en
41:46 plus ma voiture est en panne, ça me décourage. Je me dis j'arrête, c'est la dernière fois.
41:52 Mais quand tout s'est bien passé à la fin de la tournée, je me dis que c'est pas si mal.
41:59 - Allez salut ! A la prochaine !
42:06 Andrian repart pour Kachuk, à 150 km et cinq jours de marche. A Tirka,
42:15 il espère récupérer Piatak et tous les poissons qu'il a pêchés là-bas.
42:19 - La route est longue et on ne sait jamais ce qui va se passer.
42:26 - Je t'en prie, mon amour.
42:27 Musique douce. …
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