• il y a 10 mois
Cours et échanges inter-lycéens franco-européens diffusés le 21/12/ 2023 sur la plateforme du Projet Europe, Éducation, École :
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Dossier pédagogique : https://projet-eee.eu/wp-content/uploads/2023/12/eee.23-24_Pourquoi_la_tyrannie_politique_Touchet_Ph.pdf

Agora européenne des lycées : programme 2023-2024 :
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Transcription
00:00 [Musique]
00:14 Bonjour à tous, soyez les bienvenus sur la plateforme du projet Europe éducation et école
00:21 pour cette matinée philosophique qui nous est proposée par Philippe Touchet,
00:27 professeur en classe préparatoire aux grandes écoles au lycée Gustave-Mono en Guindévin.
00:33 Nous sommes très heureux de l'accueillir et le remercions vivement d'avoir accepté notre invitation
00:40 pour nous proposer donc une réflexion sur une question toujours actuelle,
00:44 pourquoi la tyrannie politique, pourquoi un seul arrive-t-il à soumettre tout le monde à sa volonté ?
00:51 Voilà une question posée par la voie ici, mais Philippe Touchet va la développer et discuter avec vous.
01:00 Je suis très heureux de retrouver dans notre programme le lycée Jean-Pierre Vernon de Sèvres,
01:07 le lycée Sainte-Thérèse de Quimper, le lycée Maurice Genevois de Marianne,
01:12 sans oublier donc ceux qui évidemment nous suivent de manière anonyme sur notre chaîne Twitch
01:22 ou sur la chaîne Dailymotion.
01:25 Cher Philippe, je te passe la parole, on s'abandonne au plaisir de t'écouter
01:30 et vers la fin de la première partie, s'il vous plaît de nous réserver une quinzaine de minutes pour les questions,
01:36 nous t'en serions très reconnaissant.
01:38 Merci à la régie Jean-Luc Gaffard qui assurera tous ces échanges en direct.
01:46 C'est tout ça.
01:48 Coupez les micros s'il vous plaît, mais jamais les caméras.
01:54 Voilà.
01:56 Eh bien merci de me voir et de bien vouloir écouter cette petite réflexion.
02:10 Alors peut-être au préalable est-il nécessaire de dire que nous avons à travers ce texte de la Boétie
02:23 un véritable mystère, une véritable énigme,
02:29 puisque d'une façon générale, il s'agit d'un texte, le discours de la servitude volontaire,
02:38 que son auteur a écrit probablement vers 18 ans, on n'a pas la certitude,
02:47 il s'agissait probablement même d'un texte de dissertation, une sorte de dissertation.
02:58 Le texte d'ailleurs, comme vous le savez, sera recueilli par Montaigne,
03:07 qui est le grand ami de la Boétie,
03:10 et à cause notamment du rôle politique que la Boétie avait pu jouer dans le cadre du royaume,
03:18 notamment il a contribué par ailleurs à apaiser les tensions liées à ce qui allaient devenir
03:26 les guerres de religion en France.
03:29 Et donc Montaigne n'a pas voulu publier de son vivant, ni même après sa mort,
03:35 ce texte de la Boétie, la Boétie est morte très jeune,
03:39 et ce texte est donc resté impublié pendant toute une série de dizaines et de dizaines d'années,
03:48 mais plus tard, il va avoir une promotion et une célébrité très très grande,
03:57 puisqu'à partir du moment où d'autres éditeurs vont le faire paraître,
04:02 il va devenir un texte absolument central,
04:06 il va être repris notamment par toute une série de révolutionnaires en 1789,
04:11 parce que, alors que c'est un texte du XVIe siècle,
04:15 les révolutionnaires ou certains révolutionnaires y voient une véritable défense de la République
04:24 et une dénonciation de la monarchie.
04:28 Il sera repris également par les marxistes,
04:33 il sera repris à bien des niveaux,
04:38 encore en 1937 par exemple, où Simone Veil écrit un ouvrage,
04:45 cette philosophe française écrit un ouvrage sur l'oppression,
04:49 évidemment elle pense à l'oppression du régime nazi et des fascismes en Europe,
04:55 qui commencent à prendre leur importance,
04:58 et c'est encore le texte de la Boétie qu'elle commente dans ce petit article "Oppression et liberté".
05:07 Bref, c'est un texte qui a eu une extraordinaire promotion,
05:13 une vie fondamentale,
05:15 il a joué un rôle très très important dans la philosophie politique postérieure,
05:21 alors que c'est probablement, comme je le disais, le texte d'un jeune homme de 18 ans.
05:28 Un texte donc qui est en quelque sorte un miracle à lui tout seul.
05:35 Mais une fois que l'on a dit cela,
05:38 il faut que nous expliquions évidemment ce dont il est question,
05:42 et surtout quel est le problème qu'il pose.
05:45 Alors le problème qu'il pose en apparence,
05:49 discours de la servitude volontaire,
05:52 est un problème un peu plus important que cela,
05:55 puisqu'en fait il y a un sous-titre à ce texte,
06:00 ce sous-titre c'est le "contre 1",
06:04 et donc par conséquent,
06:07 il s'agit bien d'un texte philosophique qui dénonce la tyrannie,
06:14 et ici par tyrannie, on va y revenir bien sûr,
06:17 on entend la soumission de la totalité des pouvoirs,
06:22 et même de la totalité des rapports de pouvoirs à un seul.
06:27 Donc le "contre 1" va poser la question de pourquoi la tyrannie politique ?
06:36 Alors pour comprendre la modernité et en même temps la difficulté de la question,
06:44 il faut revenir un petit peu en arrière dans l'histoire de la philosophie.
06:52 En effet, les anciens,
06:56 ce que d'ailleurs la Boétie appelle lui-même les anciens,
07:00 c'est-à-dire pour nous essentiellement Platon et Aristote,
07:04 ont bien sûr construit une philosophie politique,
07:09 et cette philosophie politique,
07:12 elle est fondée sur l'idée qu'une cité,
07:17 une communauté politique, qu'est-ce que c'est ?
07:20 Eh bien c'est précisément une construction d'unité,
07:25 il s'agit d'unir dans la cité,
07:28 vous savez que la cité, le mot c'est polis,
07:31 il s'agit d'unir dans la cité des hommes différents,
07:36 des hommes pluriels, des hommes multiples pour faire un,
07:41 et une fois que ce peuple se fait un,
07:47 et il ne peut se faire un en un certain sens,
07:51 que parce que le prince, celui qui gouverne ce peuple,
07:56 le roi ou quel qu'en soit le nom, le dirigeant,
08:00 est lui-même un,
08:03 c'est-à-dire que pour que la communauté soit une,
08:08 il faut que le pouvoir soit un,
08:11 et nous en trouvons par exemple,
08:15 l'exemple tout à fait manifeste dans la fameuse République de Platon,
08:20 la République de Platon c'est un dialogue que Platon écrit
08:24 sur la question de ce qu'est la cité idéale,
08:28 et donc Platon explique que le rôle du roi philosophe,
08:36 puisque Platon pense que c'est le philosophe qui doit être roi,
08:40 ou le roi qui doit être philosophe,
08:42 le rôle du roi philosophe c'est d'assurer l'unité du peuple,
08:47 malgré la diversité de ses composantes,
08:50 et en particulier du fait que tous n'y ont pas la même tâche,
08:55 qu'il y a d'un côté par exemple ceux qui travaillent,
08:59 il y a ceux qui gouvernent,
09:01 il y a ceux qui pensent,
09:03 et il y a ceux qui nourrissent, etc.
09:06 Donc il s'agit de faire un,
09:09 et donc le roi est celui qui percevant le sens de l'unité,
09:17 assure par la même l'unité du peuple.
09:21 Chez Platon ça va même plus loin,
09:25 puisqu'il pense que l'unité d'une cité
09:29 est la même chose que l'unité d'une personne.
09:36 Il pense que l'on doit pouvoir interpréter l'unité d'une cité
09:42 comme si c'était l'unité de l'âme d'une personne,
09:44 comme si au fond, gouverner un état,
09:47 c'était l'équivalent pour une personne de se gouverner elle-même,
09:54 comme si l'âme était comme un attelage
09:59 dans lequel il y aurait plusieurs chevaux,
10:02 et il fallait faire en sorte que le cheval noir et le cheval blanc,
10:08 c'est-à-dire le cheval du désir et le cheval de la raison,
10:12 puissent être gouvernés ensemble.
10:14 Donc vous voyez, il y a vraiment cette idée chez Platon
10:17 que gouverner c'est faire un.
10:21 Gouverner c'est faire un,
10:23 et on ne peut faire un par les philosophes antiques
10:27 que parce qu'on connaît la justice.
10:30 La justice c'est finalement la compréhension
10:34 de ce que doit être sous la gouverne de la raison,
10:38 l'unité de ce multiple.
10:42 Alors la Boétie, dans ce texte qui date du XVIe siècle,
10:47 remet profondément en cause cette interprétation de la politique
10:55 en écrivant le Contre-un.
10:58 Et vous voyez que le Contre-un
11:02 est donc un texte qui va beaucoup plus loin
11:07 que de naître que la dénonciation d'un tyran
11:13 ou de certains tyrans ou de certains abus de certains tyrans.
11:19 Il y avait déjà eu dans l'histoire de la philosophie
11:23 une dénonciation de la tyrannie
11:25 puisque Platon, à nouveau dans La République,
11:28 consacre un de ses ouvrages, à savoir le livre IX,
11:33 à la dénonciation de la tyrannie.
11:35 Il expliquait que le tyran, c'était celui qui,
11:38 d'une certaine façon, mettait au pouvoir le désir,
11:42 son désir de lui-même,
11:44 et soumettait l'ensemble de la communauté à son propre désir.
11:49 Voilà.
11:50 Et c'est pourquoi il employait ce terme assez étonnant
11:53 de l'héros tyran.
11:56 La tyrannie est au fond, chez Platon,
11:59 la tyrannie du désir.
12:01 C'est ainsi que, d'une certaine façon,
12:04 la pluralité, la multiplicité de la communauté se perd.
12:08 C'est ainsi que tout le monde est opprimé
12:11 lorsque le désir gouverne,
12:13 lorsque, finalement, le désir l'emporte.
12:16 Mais chez la Boétie, il ne s'agit pas simplement,
12:18 en dénonçant la tyrannie,
12:20 de dénoncer une certaine corruption des systèmes politiques,
12:28 de dénoncer les régimes politiques qui dysfonctionnent,
12:33 de dénoncer les régimes politiques qui, d'une certaine manière,
12:37 se corrompent ou s'effondrent.
12:39 Pour lui, et ça c'est vraiment nouveau,
12:43 tout pouvoir politique est tyrannie.
12:48 Autrement dit, il y a dans tout pouvoir politique
12:53 cette idée qu'il y a la soumission de la multitude à un seul,
13:00 quelles que soient les formes du pouvoir,
13:03 que nous soyons dans une monarchie,
13:06 que nous soyons dans une aristocratie,
13:08 que nous soyons dans une démocratie,
13:10 et même la démocratie est peut-être le domaine
13:15 dans lequel la dimension tyrannique du pouvoir
13:18 est paradoxalement la plus forte, on y reviendra.
13:21 Et donc, pour lui, toute relation politique,
13:27 tout pouvoir politique est tyrannique,
13:32 c'est-à-dire tout pouvoir politique est un abus de pouvoir.
13:35 Il faut expliquer ça, parce que c'est évidemment contraire
13:39 non seulement à la tradition philosophique,
13:41 mais c'est même contraire à nos opinions les plus courantes.
13:46 On a tous tendance à penser qu'il faut bien que quelqu'un gouverne.
13:49 On a tous tendance à penser qu'il faut bien qu'il y ait un certain pouvoir,
13:53 et que tous ne peuvent pas avoir le pouvoir.
13:56 Alors, que veut-il dire par là ?
13:59 Eh bien, il part d'une idée qui, à l'époque,
14:02 est vraiment tout à fait nouvelle,
14:05 qui est l'idée de la liberté naturelle de l'homme.
14:11 L'homme est libre naturellement.
14:15 Et pourquoi, notamment, est-il libre naturellement ?
14:19 Pourquoi a-t-il, dit-il, des semences de vérité,
14:22 de liberté, pardon, en tout homme ?
14:25 D'abord, parce que la nature elle-même,
14:30 et notamment les animaux, nous montrent cette liberté.
14:34 Il prend plusieurs exemples de la protestation,
14:38 de la résistance, de la résistance à mort,
14:42 que les animaux eux-mêmes font quand on essaie d'entraver leur liberté.
14:48 Mais surtout, concernant les hommes,
14:50 eh bien, les hommes sont finalement libres
14:53 parce qu'ils sont tous frères.
14:56 Autrement dit, nous sommes tous issus d'une mère nature la même.
15:03 Nous sommes frères dans la nature.
15:06 Et par conséquent, lorsqu'un homme opprime un autre homme,
15:11 lorsqu'un homme fait d'un autre homme son esclave,
15:14 au fond, il contredit absolument à la nature.
15:19 Et en contredisant absolument à la nature,
15:23 il rend au fond le pouvoir politique,
15:26 voilà, le pouvoir politique,
15:28 en tant qu'il est la soumission d'un homme à un autre homme,
15:31 ou d'un homme, ou plutôt de tous les autres hommes à un autre homme,
15:35 eh bien, ce pouvoir politique est en fait, en quelque sorte, contre nature.
15:40 Mais il est aussi, et c'est plus intéressant encore,
15:44 il est aussi contre, pour ainsi dire, la nature des choses.
15:52 Et là, nous avons, d'une certaine façon,
15:59 une étude quasiment physique du pouvoir chez la Boétie.
16:04 En effet, la Boétie revient en permanence, dans son terme,
16:11 sur ce qu'il appelle l'énigme, l'énigme du pouvoir.
16:16 Comment une multitude, une multitude de fils,
16:21 une multitude d'hommes, comment des millions d'hommes
16:25 peuvent-ils se soumettre à un seul ?
16:29 Comment le plus grand nombre peut-il se soumettre au plus petit nombre ?
16:35 Il y a quelque chose qui contredit à la mécanique de la nature.
16:40 Dans la nature, le plus grand nombre, la plus grande force,
16:46 est une force précisément, et il en porte toujours.
16:50 Alors que dans la politique, le nombre, le grand nombre, est une faiblesse.
16:58 Le grand nombre est une source d'asservissement.
17:01 Il y a, d'une certaine façon, une contradiction, une énigme,
17:09 dans laquelle on a du mal à saisir ce qui se trame dans l'ordre politique.
17:15 Comment le plus faible peut-il gouverner le plus fort en nombre ?
17:21 Et notamment, la Boétie fait remarquer que bien souvent,
17:26 les tyrans ne sont pas du tout des hommes forts,
17:31 ne sont pas du tout des hommes virils,
17:34 ne sont pas du tout des hommes puissants physiquement,
17:38 qu'au contraire, dit-il, ce sont souvent des êtres très délicats,
17:42 souvent des femmelettes,
17:44 et que ce genre de personnage, cependant, a un pouvoir considérable.
17:50 Par conséquent, le pouvoir considérable dont il fait preuve,
17:55 ce pouvoir ne lui vient pas de sa propre nature,
17:58 ne lui vient pas de son propre corps,
18:01 ne lui vient pas, par exemple, de ses propres mérites.
18:04 Le pouvoir ne peut pas venir du tyran lui-même,
18:11 puisqu'il est ce pouvoir contre nature et contre la nature des choses.
18:18 Et donc, la Boétie fait l'hypothèse que, d'une certaine façon,
18:28 si on avait laissé la nature à son propre génie initial,
18:37 si on avait laissé les hommes être tous compagnons, dit-il,
18:42 on aurait peut-être pu se passer du pouvoir politique.
18:47 Et là, je voudrais faire un saut dans le temps à un moment donné,
18:54 très rapidement, mais ce n'est pas ce que lui en parle,
18:57 il y a un anthropologue du XXe siècle qui s'appelle Pierre Clastres,
19:05 qui, après avoir étudié les sociétés primitives d'Amazonie notamment,
19:15 a écrit un livre qui s'appelle "La société contre l'État".
19:21 Et dans ce livre, Pierre Clastres démontre,
19:27 avec une étude extrêmement fine, extrêmement précise,
19:32 du fonctionnement des sociétés dites primitives,
19:36 des sociétés qui ne se sont pas développées sur le mode
19:40 de nos sociétés européennes industrialisées,
19:43 il démontre que ces sociétés sont fondées sur le refus du pouvoir politique.
19:50 Par exemple, elles mettent à la tête de la tribu un chef
19:58 dont le caractère propre est de n'avoir aucun pouvoir.
20:03 Elles font en sorte, par exemple, que le chef ait le pouvoir de la parole
20:09 et que lorsque ce chef parle, nul et personne ne l'écoute.
20:16 Pierre Clastres donc prétend qu'il y a dans ces sociétés primitives
20:22 une attention particulièrement fine aux risques que le pouvoir politique
20:30 en général fait courir à l'unité de la société.
20:34 Loin que le pouvoir unisse, le pouvoir divise.
20:40 Par conséquent, ces sociétés ont créé des systèmes de hiérarchie
20:49 qui vont contre l'émergence possible du pouvoir.
20:53 Ils font par exemple en sorte que le chef qui est nommé chef
20:57 soit celui qui doit donner tous ses biens,
21:00 qui doit offrir toutes ses filles, qui doit offrir tout son avoir
21:04 et qu'il finisse pour ainsi dire ruiné.
21:07 Donc ces sociétés ont fait en sorte que l'émergence d'un personnage
21:13 qui est du pouvoir soit impossible.
21:15 Et Pierre Clastres, dans son texte, ou dans ses textes,
21:19 fait une allusion à la boétie.
21:23 Il fait allusion au discours de la servitude volontaire
21:27 et en le faisant, il démontre que d'une certaine façon,
21:33 la boétie a compris quelque chose.
21:35 Elle a compris que le pouvoir politique en général
21:39 est une réalité non seulement contre nature,
21:43 mais de nature à diviser toujours davantage le peuple
21:48 et donc par conséquent à agir à rebours de ce que devrait être
21:52 la mission de l'ordre politique, c'est-à-dire d'assurer la paix
21:56 et d'assurer l'unité de la communauté.
22:00 Donc après cette petite incidente, venons-en au deuxième point
22:06 de cette première partie.
22:08 Donc vous avez compris, il y a une énigme,
22:11 une énigme à la fois physique, politique et d'une certaine manière,
22:17 pour ainsi dire, philosophique, à savoir comment expliquer
22:23 la soumission d'un million d'hommes à un seul,
22:27 comment expliquer la tyrannisation d'un million d'hommes
22:32 et certainement pas au regard des bénéfices, dit-il,
22:38 dès le début du texte, que ces hommes soumis pourraient en tirer
22:42 puisque dans une certaine mesure et même dans une large mesure,
22:46 l'oppression n'apporte que du malheur, l'oppression n'apporte que du vol,
22:53 la rapine, la perte des plus chers.
22:58 Donc il n'y a aucun bénéfice matériel au fond à la tyrannie.
23:03 Le peuple tyrannisé est toujours un peuple malheureux,
23:08 le peuple tyrannisé est toujours un peuple affamé
23:12 et donc il n'obtient pas en tant que peuple,
23:18 en retour de sa soumission, quelque chose.
23:20 Donc il y a là une véritable énigme, une énigme qu'il essaye tout d'abord,
23:26 la Boétie, de résoudre avec les moyens que lui ont fournis
23:34 ces lectures, les lectures des anciens, et que l'on retrouve finalement,
23:39 ce sont des tentatives d'explication que l'on retrouve dans l'opinion commune.
23:46 D'abord il pense que peut-être la tyrannie viendrait de la ruse
23:54 et de la manipulation des tyrans.
23:57 Donc ce serait lui qui la Boétie allume à Kével,
24:01 il y aurait chez le tyran un pouvoir de mensonge,
24:06 de dissimulation, de corruption qui expliquerait la tyrannie.
24:11 Mais dit-il, ça ne peut certes expliquer la tyrannisation de quelques-uns,
24:16 mais certainement pas la tyrannisation de tout un peuple.
24:20 Ensuite il fait remarquer à juste titre que,
24:25 comme l'ont fait les empereurs romains et notamment les plus tyranniques,
24:30 il ait fait usage des jeux et des divertissements.
24:36 Nous connaissons nous encore bien ce pouvoir politique des jeux et des divertissements.
24:42 Il s'agit en somme d'offrir des divertissements vulgaires au peuple
24:49 de façon à ce qu'il détourne son regard de la liberté politique
24:54 et que détournant son regard de la liberté politique,
24:58 il est alors prêt à abandonner sa propre liberté.
25:03 Et puis il évoque également l'usage,
25:08 alors ça c'est plus original déjà, de ce qu'il appelle le manteau de la religion.
25:13 Donc on recouvre le tyran d'une aura religieuse,
25:19 on le fait passer pour un dieu parmi les hommes,
25:22 on le fait croire être un représentant de la divinité sur terre,
25:27 mais ce n'est là bien sûr qu'un manteau,
25:30 et là encore cela n'expliquerait pas non seulement la tyrannie elle-même,
25:35 mais surtout la durabilité de la tyrannie, on va y revenir.
25:40 Il évoque enfin, et c'est assez intéressant compte tenu de sa modernité,
25:47 ce qu'il appelle l'usage politique de la dévotion.
25:53 Il s'agit chez certains tyrans de se montrer très peu
25:59 et se montrant très peu,
26:02 ils font croire qu'ils sont plus importants que les autres hommes.
26:07 Il y a en quelque sorte un retrait du pouvoir,
26:11 le pouvoir se cache derrière les murs,
26:14 derrière les albardiers, derrière les soldats,
26:20 derrière les voiles, il se cache, il ne se montre pas,
26:24 il ne se montre pas parmi le peuple,
26:26 le peuple finit par croire qu'il est comme une espèce de puissance jupitérienne, dit-il.
26:33 Donc voilà quelques-unes des explications
26:36 qui pourraient expliquer momentanément la tyrannie,
26:42 mais ce qu'elle n'explique pas, c'est la perpétuation de celle-ci.
26:48 En effet, si l'on peut admettre que certains de ces travers
26:52 aient pu, en tant qu'ils sont dans la psychologie
26:57 ou dans l'activité corruptrice du tyran,
27:00 en tant qu'ils sont donc la cause de la soumission de certains hommes,
27:05 on ne comprend pas que cette soumission devienne une seconde nature.
27:14 On ne comprend pas que les enfants,
27:16 les descendants de ces premiers hommes soumis,
27:20 puissent d'une certaine manière se soumettre à leur tour.
27:24 On ne comprend pas que la soumission devienne une coutume.
27:29 On ne comprend pas que, d'une certaine manière,
27:33 l'homme puisse, par la durée de cette soumission,
27:38 devenir durablement contraire à sa nature,
27:41 puisse perdre radicalement sa nature.
27:45 On le comprend d'autant moins que, vous le voyez,
27:53 il y a un début d'explication que va nous donner la Boétie,
28:01 qui est que, puisque la seule force du tyran,
28:06 la seule force des armes, la seule manipulation tyrannique
28:12 ne suffit pas à expliquer la grandeur de la soumission,
28:18 c'est qu'il n'y a pas d'autre explication
28:23 que le désir d'être soumis du peuple lui-même.
28:28 Le désir de domination du tyran
28:33 rencontre nécessairement un désir de soumission du peuple.
28:40 Il n'y a pas d'autre explication au fait de la tyrannie.
28:49 Ce désir est un désir de servitude.
28:53 Et donc, en disant que ce désir de soumission
28:58 rencontre un désir de servitude, qu'est-ce que veut dire la Boétie ?
29:02 Il veut dire que, imaginons dit-il,
29:05 simplement qu'un peuple, non pas se révolte contre le tyran,
29:13 il n'est pas nécessaire pour qu'une tyrannie cesse
29:18 que le peuple se révolte contre le tyran dans des bains de sang rebutables,
29:24 il suffirait du tel que le peuple renonce à servir.
29:29 Il suffirait que le peuple manifeste soudainement son désir de liberté,
29:34 c'est-à-dire soudainement manifeste sa volonté de revenir à sa nature,
29:41 pour que d'une certaine manière la tyrannie tombe d'elle-même.
29:45 Du jour où un peuple entier cesserait de servir,
29:50 la tyrannie tomberait d'elle-même.
29:53 Ce qui prouve bien que la tyrannie n'est pas le produit des armées,
29:59 n'est pas le produit des rapports de force,
30:03 n'est pas le produit de la puissance des armes,
30:06 mais qu'elle tient à une représentation,
30:10 à un pouvoir de représentation.
30:12 La tyrannie trouve finalement sa véritable raison d'être
30:19 dans la représentation que le peuple lui-même se fait de lui-même.
30:28 Et d'une certaine façon, là aussi,
30:35 la Boétie fait une analyse assez précise
30:40 de cet état de servitude volontaire,
30:44 car il explique qu'il faut faire une distinction
30:48 entre l'état de servitude et, d'une certaine façon, l'esclavage.
30:56 Dans l'état de servitude, il peut arriver en effet
30:59 que suite à une guerre, suite à une guerre civile par exemple,
31:05 un peuple soit soumis par la force des armes,
31:09 ou par la pauvreté et la misère, ou par l'épidémie,
31:15 qu'il perde toutes ses forces.
31:18 Ça, c'est une situation de servitude.
31:23 La servitude est conscience de l'oppression.
31:28 Je peux savoir que je suis par exemple sous l'occupation,
31:33 prenons à nouveau l'exemple des Français sous l'occupation allemande,
31:37 je peux savoir que je suis sous l'occupation,
31:40 et donc je suis sous la servitude, mais je sais que c'est une servitude.
31:45 Donc l'état de servitude n'est pas en lui-même aliénant,
31:50 si je sais que c'est une servitude.
31:52 Ce qui est aliénant, c'est la façon dont la servitude volontaire
31:57 devient un état dans lequel je ne prends plus conscience
32:03 que la servitude est une servitude,
32:05 que j'appelle d'une certaine façon « liberté »,
32:09 ce qui est en réalité une servitude,
32:12 et que je finis par trouver juste la servitude qui s'exerce à moi
32:20 en oubliant totalement qu'elle est servitude.
32:23 C'est ça la véritable servitude.
32:25 Et cela ne fait qu'agrandir d'une certaine façon
32:30 l'énigme explicative ou l'impasse explicative.
32:36 Si la soumission est volontaire, il faut expliquer comment elle est possible,
32:43 comment est-ce qu'un peuple peut-il se soumettre
32:46 alors que d'une certaine façon ce n'est pas la force,
32:51 ce n'est pas le pouvoir qui le soumet.
32:54 Je lis là un extrait du discours de la servitude volontaire
33:00 et nous allons ensuite nous arrêter là pour la première période.
33:06 « Pauvres gens misérables, dit-il, peuples insensés,
33:11 nations opiniatres à votre mal et aveugles à votre bien,
33:19 vous laissez enlever sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu,
33:25 vous laissez piller vos champs,
33:28 volez et dépouillez vos maisons des meubles de vos ancêtres,
33:32 vous vivez de telle sorte que rien n'est plus à vous. »
33:37 Autrement dit, je commente un instant,
33:42 le peuple est traître à lui-même dans ce désir qui est un désir de soumission.
33:49 Il est d'une certaine manière dans une maladie mortelle
33:54 puisque le désir de servitude est à la fois contre nature
33:59 mais qu'il est aussi nuisible.
34:02 Vouloir la servitude, c'est d'une certaine façon vouloir se nuire,
34:08 c'est vouloir souffrir.
34:11 Et par conséquent, cela ne s'explique pas, cela reste incompréhensible.
34:21 La Boétie conclut le début de son texte en disant
34:24 « Il ne peut entrer dans l'esprit de personne que la nature ait mis,
34:31 quiconque en servitude, puisqu'elle nous a tous mis en compagnie.
34:36 Comment est-ce que l'homme a-t-il pu, à travers la politique,
34:40 inventer quelque chose qui aille contre l'égalité
34:44 et la compagnie naturelle des hommes ?
34:46 Comment la servitude est-elle possible ? »
34:49 Nous allons arrêter là un instant cette exposée
34:53 avant de passer bien sûr à la solution de cet énigme
34:56 donc nous en restons à ce stade, à une relative incompréhension,
35:02 à un paradoxe qui lui-même donne beaucoup à penser.
35:06 Merci beaucoup cher Philippe.
35:08 Je me tourne vers les élèves des différents lycées
35:11 qui ont suivi cette première partie du cours.
35:14 Est-ce que je peux compter sur les élèves de Marignane ?
35:18 Ont-ils une question ?
35:20 Il suffit de lever la main et je vous passe l'antenne si vous voulez bien.
35:25 Madame Traci Christophe souhaite-t-elle se manifester ?
35:35 Sinon, je reviendrai vers vous dans la deuxième partie.
35:40 Ça y est, il y a une élève qui arrive.
35:42 La parole est à vous.
35:43 Approchez-vous donc du micro et de la caméra, s'il vous plaît.
35:54 Activez votre micro s'il vous plaît, Madame Christophe.
35:59 Merci. On vous écoute.
36:03 Bien le bonjour. Alors j'aurais une petite question.
36:07 Comment le peuple peut-il être conscient
36:10 qu'il soit soumis à une autorité
36:17 s'il a été endoctriné dès le début de son enfance, de sa naissance ?
36:24 Merci beaucoup.
36:26 Oui, alors merci de cette question.
36:32 Donc la question de l'endoctrinement est évidemment une question très complexe
36:42 parce que c'est une question que la Boétie pose avec un volontier paradoxe.
36:53 À savoir qu'on pourrait comprendre que dès l'enfance,
36:59 les hommes se soumettent au pouvoir
37:04 parce qu'ils sont de toute façon par nature soumis au pouvoir de leur père.
37:13 Donc il est vrai que par nature,
37:17 on pourrait croire que dans la nature, il y ait une sorte de structure de soumission
37:24 dans la mesure où nous sommes dépendants de notre père
37:31 et où étant dépendants de notre père,
37:35 on ne peut pas être primitivement libre.
37:40 Mais ce que la Boétie va dire,
37:44 c'est que justement la dépendance à l'égard du père,
37:50 donc on va dire la relative dépendance naturelle,
37:59 n'est pas une servitude.
38:02 Car si je dois obéir au père,
38:06 je dois obéir à celui qui en réalité contribue et contribuera à ma liberté.
38:14 Donc la dépendance n'est pas la servitude.
38:21 Nous dépendons d'une certaine façon,
38:27 la Boétie va même plus loin,
38:29 il dit nous dépendons les uns des autres.
38:33 Nous sommes tous compagnons.
38:34 Nous avons tous besoin des autres hommes pour vivre.
38:37 Et l'enfant a besoin de tous les autres hommes pour vivre.
38:40 Mais pour autant, la dépendance n'est pas la servitude.
38:43 Par exemple, moi j'ai dépendu de mes professeurs pour devenir professeur.
38:47 Par exemple, vous vous dépendez de mes professeurs,
38:49 mais à aucun moment, me semble-t-il,
38:51 en tout cas vous ne diriez que votre dépendance à l'égard du professeur
38:55 n'est pas une servitude.
38:57 Donc, ça veut dire qu'en fait,
39:02 l'endoctrinement n'est possible que parce que l'individu servile
39:09 croit qu'il est seul face au pouvoir,
39:15 qu'il est désormais isolé face au pouvoir,
39:19 qu'il est dans l'isolement face au pouvoir,
39:22 qu'il n'a plus ses compagnons,
39:25 qu'il est d'une certaine façon victime de tous.
39:29 Donc, à l'endoctrinement s'ajoute en fait,
39:33 et on y reviendra dans la deuxième partie,
39:36 cette espèce d'isolement des individus.
39:40 Ce n'est pas parce que tu as des compagnons
39:44 que tu es asservi à eux.
39:46 Au contraire, par contre,
39:48 si tu crois que tu n'as plus de compagnons,
39:51 si tu crois que les compagnons ne te sont pas égaux,
39:56 alors la servitude peut naître.
39:59 L'endoctrinement part de cette espèce d'illusion qui est créée
40:05 que nous serions chacun pour chacun seulement un
40:10 et que nous ne serions pas égaux.
40:13 Merci. Merci, cher Philippe.
40:16 Je me tourne vers les élèves du lycée Féléric Joliot-Curie.
40:21 Ont-ils, ont-elles une question ?
40:24 On vous écoute. Activez votre micro, s'il vous plaît,
40:27 et recadrez un peu votre position par rapport à la caméra.
40:31 Merci beaucoup pour cette possibilité de pouvoir participer aux discussions.
40:36 En effet, nous voudrions vous poser quatre questions.
40:39 La première est d'après la BOESI,
40:45 les hommes ont perdu la mémoire de leur liberté naturelle.
40:48 À quel moment de leur existence les humains ont-ils été libres ?
40:54 Et puis, liberté par rapport à qui ? Par rapport à quoi ?
40:58 Vous pouvez regrouper vos questions peut-être,
41:01 parce que si vous en avez quatre, vous avez…
41:06 D'après la BOESI, les hommes ont perdu la mémoire de leur liberté naturelle.
41:13 À quel moment de leur existence les humains ont-ils été libres ?
41:20 Et puis, liberté par rapport à qui ? Par rapport à quoi ?
41:24 D'accord, merci. J'ai compris.
41:27 Alors, à quel moment la liberté est-elle oubliée ?
41:32 La liberté est oubliée au moment de la coutume.
41:36 C'est-à-dire qu'on suppose que les hommes, dans l'état de nature…
41:43 La BOESI fait effectivement l'hypothèse, lui aussi,
41:49 ce sera repris beaucoup plus tard par d'autres philosophes,
41:53 d'un état de nature.
41:54 C'est-à-dire d'un état où les hommes ne connaîtraient pas encore
41:59 la constitution de l'état civil.
42:03 Mais la coutume, c'est qu'un premier homme se soumet, d'accord ?
42:13 Et ensuite, parce que le premier homme se soumet,
42:19 un second homme, et par exemple le fils de cet homme-là,
42:25 considère la soumission comme une chose naturelle,
42:33 parce qu'il n'a pas connu la liberté naturelle.
42:39 Il n'a connu que la soumission de son père.
42:42 Donc, en réalité, la coutume, c'est-à-dire le seul fait
42:50 que les choses soient comme elles sont,
42:52 comme elles sont actuellement, suffit à rendre raison
42:57 de la naissance de la servitude.
42:59 Non, pas la cause de la servitude, mais de l'état de servitude.
43:04 En réalité, par exemple, vous le voyez bien,
43:07 nous sommes tous comme ça.
43:09 Lorsqu'il s'agit d'essayer de recouvrer notre liberté,
43:13 nous avons tendance toujours à nous dire
43:15 « Pourquoi faire ça alors que personne ne le fait,
43:20 et on finit par oublier qu'en réalité,
43:25 la liberté, elle est en nous. »
43:27 Donc, ce qu'il faut bien comprendre,
43:31 c'est que la servitude, elle est dans notre pensée.
43:37 C'est nous qui pensons servilement.
43:41 C'est nous qui avons cette idée de la servitude.
43:45 C'est une représentation.
43:47 Et donc, toute la tâche de la Boétie,
43:50 ça va être de démonter cette représentation,
43:52 de montrer que justement, la servitude n'est qu'une représentation,
43:56 qu'elle est un désir d'un certain genre, un désir dévoyé.
44:00 Et pour la deuxième question,
44:02 liberté par rapport à qui ?
44:04 Liberté par rapport à quoi ?
44:06 Liberté par rapport à qui ?
44:08 Liberté par rapport à soi-même.
44:11 Être un homme, pense déjà la Boétie, c'est être libre.
44:17 Et liberté aussi par rapport à l'autre homme.
44:21 Être un homme, c'est être libre par rapport à l'autre,
44:26 parce que c'est d'une certaine façon constater l'égalité.
44:32 Être opprimé ou opprimé.
44:35 Donc, non seulement être opprimé, mais opprimé.
44:39 C'est toujours perdre de vue le fait, dit-il, que nous sommes tous frères,
44:45 que nous sommes tous compagnons.
44:47 Nous sommes libres parce que nous sommes compagnons.
44:50 Donc, l'idée même d'un pouvoir,
44:53 et il ne faut pas ici seulement penser au pouvoir politique,
44:57 mais au pouvoir y compris moral,
45:00 au pouvoir de la parole,
45:02 au pouvoir du harcèlement,
45:04 au pouvoir physique,
45:06 toutes les formes de pouvoir sont d'une certaine manière
45:10 la perte du compagnonnage initial des autres hommes.
45:16 Donc, liberté pour qui ? Pour soi.
45:19 Mais ce « soi », ce n'est pas un être isolé,
45:22 ce n'est pas un être qui ne serait là que pour cohabiter
45:26 dans son égoïsme avec l'autre homme.
45:30 La liberté pour soi est en même temps la liberté pour l'autre homme.
45:34 Nous sommes libres parce que nous sommes tous hommes et tous frères.
45:39 Merci beaucoup, Philippe.
45:41 J'aurais aimé encore donner la parole au lycée Jean-Pierre Vernon à Sèvres
45:46 si les élèves de madame Christine Coste souhaitent poser une question très rapidement.
45:52 Et puis, je n'oublie pas, le lycée Saint-Thérèse à Quimper
45:55 qui prépare éventuellement une question d'ici deux ou trois minutes.
45:59 Merci.
46:02 Activez votre micro à Sèvres, s'il vous plaît.
46:05 Bonjour, merci beaucoup pour votre conférence.
46:11 Je m'appelle Louise, dans la caisse de madame Coste.
46:14 Je me demandais s'il y avait une explication quant au désir de soumettre du tyran
46:18 et justement pas de soumission naturelle.
46:21 Pourquoi lui, il a ce désir de soumettre ?
46:23 Merci.
46:30 Alors, le tyran est au fond, et c'est ça le paradoxe de l'analyse de la Boétie,
46:41 c'est que le tyran est au fond, comme tous les autres hommes,
46:46 c'est-à-dire que le désir, c'est difficile à comprendre,
46:52 mais c'est que le désir de soumission est en même temps que le désir d'oppression.
46:58 Le désir de servitude est la même chose que le désir d'oppression,
47:03 c'est-à-dire c'est le désir, dans un sens comme dans un autre,
47:08 de rompre l'égalité.
47:14 Alors, il y a des bénéfices à rompre l'égalité.
47:20 Le tyran a plus de biens, il a plus d'avoir,
47:26 il a plus de reconnaissance,
47:29 les plus belles choses lui sont données, c'est vrai,
47:34 mais vous remarquerez qu'il n'en a jamais assez.
47:39 Le tyran n'a jamais assez des bénéfices de la tyrannie.
47:45 Pourquoi ? Parce que ce que le tyran veut fondamentalement,
47:51 ce n'est pas simplement les bénéfices de la soumission des autres,
47:57 il ne veut pas seulement que les autres le payent,
48:03 il veut que les autres lui rappellent qu'il est le maître.
48:10 Il ne veut pas seulement que l'esclave le serve,
48:15 il veut que l'esclave renonce devant lui à sa propre liberté.
48:21 C'est la raison pour laquelle la Boétie dit,
48:26 ce qui peut paraître curieux,
48:28 du jour où nous refusons de servir,
48:32 c'est-à-dire du jour où nous décidons de recouvrer notre liberté,
48:37 nous sommes libres.
48:38 Nous sommes libres à l'instant où nous décidons de recouvrer notre liberté.
48:43 Nous n'avons pas besoin d'avoir les armes,
48:46 nous n'avons pas besoin d'avoir le pouvoir,
48:48 nous n'avons pas besoin seulement de nous révolter.
48:50 Du jour où nous décidons de ne plus nous soumettre
48:56 à la représentation de notre propre servitude,
49:00 du jour où nous décidons de ne plus vouloir servir,
49:04 nous sommes libres.
49:06 Donc le tyran lui aussi est dans la représentation,
49:11 le tyran est lui aussi dépendant de ce qu'il soumet,
49:15 d'une certaine manière.
49:17 Merci beaucoup, Philippe.
49:19 S'il n'y a pas d'autres questions,
49:21 nous allons faire une brève pause de 3-4 minutes au maximum
49:25 pour régler quelques problèmes techniques.
49:28 Nous aurons le plaisir de vous retrouver pour la deuxième partie de ce programme.
49:33 Je rappelle à ceux qui nous suivent actuellement
49:35 que l'émission de ce matin sera disponible d'ici quelques jours
49:39 en différé sur le site du projet Europe Éducation et École,
49:42 aussi bien en vidéo qu'en podcast sur plusieurs plateformes.
49:47 Merci de votre attention et au plaisir de vous retrouver dans quelques instants.
49:51 À tout de suite.
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