Mardi 2 janvier 2024, SMART IMPACT reçoit Sylvain Nizou (Président, Hexana) et Erwan Benezet (Auteur, « Nucléaire : une catastrophe française » Éd. Fayolles)
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00:00 *Générique*
00:06 Smart Impact, le débat RSE, aujourd'hui le nucléaire du futur.
00:09 Des réacteurs plus innovants, plus sûrs, plus petits, plus compétitifs,
00:13 axés vers une logique de décarbonation du mix énergétique.
00:16 C'est la promesse de ces petits réacteurs modulaires SMR dont tout le monde parle.
00:21 Nos invités pour nous aider à comprendre l'intérêt de ces nouveaux réacteurs,
00:25 dit 4ème génération, sont Erwan Benezet, journaliste au Parisien au service économique du Parisien,
00:30 et auteur du grand bazar de l'énergie aux éditions Arto.
00:32 Bonjour Erwan.
00:33 Bonjour.
00:34 Merci beaucoup de nous accompagner aujourd'hui dans Smart Impact.
00:36 Sylvain Nizou nous accompagne également, président d'Exana, une start-up qui conçoit un réacteur nucléaire modulaire,
00:43 ancien chercheur au CEA. Bonjour Sylvain Nizou.
00:45 Bonjour.
00:45 Merci beaucoup à tous les deux d'être là.
00:48 Erwan Benezet, moi je me suis posé une question, un mot sur cette bascule.
00:51 Donc le débat, il tourne plus du tout autour du sortir du nucléaire,
00:55 mais bien sur la construction d'un nouveau nucléaire.
00:57 Ça, comment vous l'expliquez ? La bascule, elle s'est faite quand ?
01:00 Alors, effectivement, le mot de bascule illustre tout à fait ce qui s'est passé.
01:04 On a eu une sorte d'hiver nucléaire pendant une petite dizaine d'années, entre Fukushima en 2011
01:09 et le discours de Belfort, du président de la République, sur le site d'Alstom, le 10 février 2022.
01:18 Entre temps, il n'y avait pas... Alors en France, ce n'était pas une sortie du nucléaire comme le visait d'autres pays,
01:24 notamment l'Allemagne ou la Suisse, mais c'était effectivement un objectif d'une réduction de la production d'électricité.
01:31 On est les champions en termes de parts de production nucléaire d'électricité en France.
01:36 On produisait trois quarts sur la base du nucléaire et le quinquennat précédent, François Hollande, voulait réduire à 50%.
01:44 Donc on était sur ces objectifs-là. Emmanuel Macron arrive à la présidence en 2017.
01:49 Les choses commencent à bouger. Et au bout de quelques années, notamment 2022, on annonce qu'effectivement,
01:55 on repart sur une toute nouvelle ère. Le phénix nucléaire renaît de ses cendres
02:00 et avec un objectif de construction de nouveaux réacteurs. Et aujourd'hui, le premier jalon,
02:07 c'est la construction de six nouveaux réacteurs dits EPR2, avec sans doute la première mise de branchement sur le réseau
02:16 entre 2035 et 2040 à Penly, donc sur un site déjà existant. Et ça, c'est important de le préciser.
02:22 C'est important de préciser en effet les objectifs et les ambitions du gouvernement là-dessus.
02:26 Donc on repart dans le nucléaire, mais vers un nouveau nucléaire. Ce n'est pas exactement le même. On va en parler.
02:32 Bon, évidemment, je vous pose la question à vous, Sylvain Nizot, puisque vous êtes axé sur ce secteur-là.
02:37 Pourquoi il y a autant d'engouement aujourd'hui autour des SMR ?
02:40 La raison de l'émergence des SMR, c'est appelé par un besoin d'une certaine manière aujourd'hui
02:48 dans le défi de la transition énergétique qu'on doit engager, associé à la transition climatique.
02:54 Le choix des différentes stratégies de sobriété, d'efficacité énergétique, de développement des renouvelables
03:01 nécessite aussi d'être accompagné par le développement d'autres sources d'énergie bas carbone, qui émettent donc peu de CO2.
03:08 Et le nucléaire fait partie de ces solutions.
03:11 Et on va dire que des évolutions technologiques et puis l'identification de nouveaux usages de l'énergie nucléaire,
03:18 au-delà de la simple production d'électricité sur les réseaux,
03:22 permet de faire émerger justement ces technologies de petits réacteurs nucléaires, modulaires,
03:27 qui ne sont pas toujours si petits que ça, avec toute une gamme de réacteurs avec des niveaux de puissance différents,
03:33 et puis surtout des nouveaux services, des services de production de chaleur à plus ou moins haute température,
03:38 en plus de l'électricité, et à partir de ça aussi cette capacité à produire efficacement d'autres services industriels, énergétiques,
03:45 comme la production d'hydrogène.
03:47 Le vôtre, celui sur lequel vous, vous travaillez, à quoi il ressemble ?
03:50 Expliquez-nous ce que c'est cette faible puissance modulaire.
03:53 Alors, Exana, c'est une start-up, pour commencer, qui porte la conception d'un réacteur nucléaire modulaire de quatrième génération,
04:00 qui s'appuie sur une technologie qu'on connaît très bien dans le monde et très bien en France,
04:04 qui est la technologie des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium.
04:07 Cette technologie-là, c'est quelque chose, c'est un capital, un savoir-faire, un patrimoine technologique,
04:13 qui a fait l'objet déjà de réalisations dans le passé, des réacteurs expérimentaux,
04:17 comme le réacteur Phénix, qui a fonctionné pendant 35 ans, expérimental, qui s'est arrêté en 2009,
04:23 à la fin de sa vie expérimentale.
04:25 Le réacteur Superphénix, qui est un réacteur qui a pu démontrer, en fait,
04:28 la faisabilité à grande échelle et industrielle de cette technologie-là, qu'on a arrêtée dans les années 97, 96, 97.
04:35 Et puis, encore récemment, la recherche française et l'industrie ont travaillé sur un projet qui s'appelait le projet Astrid,
04:41 qui a permis de renouveler les compétences, qui a permis de développer des nouveaux moyens.
04:44 Et donc, c'est ce savoir-faire et cette technologie qu'Exana a décidé de reprendre,
04:49 de capitaliser sur ses acquis, sur ses savoir-faire, pour fabriquer un objet qui est complètement nouveau,
04:53 qui est plus petit, qui est moins puissant, mais qui va rendre des services nouveaux.
04:57 D'une, on va le fabriquer non plus directement sur un chantier, mais davantage dans une usine,
05:02 ramener des éléments et assembler des éléments pour essayer de maîtriser davantage les durées de chantier,
05:07 être plus compétitif aussi à l'arrivée.
05:09 Et puis, on va fournir ces différents services, en particulier de la chaleur à haute température,
05:14 parce que c'est finalement le principe élémentaire d'un réacteur nucléaire,
05:17 c'est de fournir de la chaleur qu'on va ensuite convertir d'habitude en électricité.
05:22 Et là, cette chaleur, on va pouvoir, à condition de s'approcher un peu du monde industriel,
05:26 la cheminer directement vers l'industrie pour pouvoir remplacer finalement ce qui servait à faire la chaleur dans l'industrie,
05:32 c'est-à-dire du pétrole, du gaz et du charbon.
05:35 Et donc, on va donc, avec de la chaleur et de l'électricité, remplacer les services qui étaient avant et toujours encore utilisés,
05:43 en tout cas assurés par les combustibles fossiles.
05:46 Erwann Benezet, vous n'étiez pas complètement d'accord tout à l'heure quand je disais que c'était un nouveau nucléaire,
05:49 c'est-à-dire est-ce que ces nouveaux réacteurs-là, ils posent finalement les mêmes questions ?
05:54 La question du déchet, la question de ce qu'on retrouve dans votre ouvrage, la question de la perte de compétence, la question de coût.
05:59 Est-ce que vous diriez que ces questions-là se posent toujours avec ces nouveaux petits réacteurs ?
06:05 Alors, la raison pour laquelle je hochais la tête, c'est que le nouveau nucléaire, ce n'est pas que l'ASMR.
06:12 En fait, on parle souvent de mix énergétique. Il y a quelque part, il va y avoir sans doute un mix nucléaire,
06:18 c'est-à-dire à la fois le nucléaire existant, c'est-à-dire que le parc nucléaire aujourd'hui,
06:22 qui est composé de 56 réacteurs réunis dans 18 centrales, depuis que Fessenheim et ses deux réacteurs ont été fermés.
06:30 Et puis, aujourd'hui, on cherche à prolonger la durée de vie, ce qui pose question,
06:36 mais en tout cas, c'est peut-être l'autorité de sûreté nucléaire qui, in fine, devrait l'accepter ou non technologiquement.
06:45 Donc, prolonger la durée de vie des réacteurs au-delà d'une quarantaine d'années qui était la durée de vie initiale qui avait été programmée.
06:51 Et puis, à côté de ça, il y a effectivement, éventuellement, les SMR, les petits réacteurs, les small modular reactors,
06:57 qui ont l'intérêt aussi de pouvoir être produits en usine. C'est cet aspect modulaire et non pas directement sur le chantier.
07:06 Et donc, de faciliter à la fois, sans doute, la production, en tout cas, c'est ce qui est espéré, et puis de mutualiser...
07:12 Ça, vous l'avez dit tous les deux. Ça, c'est un point important. C'est un point intéressant, celui-là.
07:15 Oui, c'est important. Ça change beaucoup les choses, en particulier la capacité à qualifier, à valider certains assemblages,
07:21 certaines pièces dans l'usine et finalement réduire les incidents, les risques qui pourraient intervenir sur un chantier.
07:30 Et ainsi, ne pas retarder le chantier, valider un maximum d'éléments en usine, avoir des stratégies de production, en fait,
07:36 celles qu'on a sur l'aéronautique, par exemple. On fait des gros objets, mais en très grande série.
07:40 Donc, c'est un peu aller s'inspirer aussi de ce qu'on sait très bien faire dans d'autres industries pour pouvoir essayer de l'appliquer aussi au nucléaire.
07:46 Donc, c'est un vrai défi. C'est un vrai défi. Néanmoins, on pense aujourd'hui que c'est vraiment l'opportunité et le moyen pour pouvoir rendre
07:54 encore plus compétitif et déployer plus rapidement ces technologies SMR en parallèle des autres.
07:58 Et dans ce nouveau nucléaire, il y a aussi les prochains... J'ai commencé à en parler au début.
08:03 Les prochains réacteurs dits plutôt classiques qui, aujourd'hui, continuent à être des réacteurs de troisième génération.
08:09 Donc, sur le modèle de l'EPR qui est fabriqué actuellement à Flamanville, on parlait de l'importance de maintenir à la fois de contenir les coûts
08:19 et la durée des chantiers. L'EPR de Flamanville, pour rappeler, c'était 3,3 milliards d'euros au départ quand il a été lancé au mi-temps des années 2000.
08:28 Et aujourd'hui, on en est à plus de 20 milliards. Il devait être mis en service en 2012. Et a priori, là, ça vient d'être annoncé.
08:35 Il serait mis en service mi-2024 à une plus faible puissance que ce qui avait été prévu. Mais donc il y a la prochaine génération, ce qu'on appelle les EPR2.
08:44 Et là, ce que justement Emmanuel Macron a lancé à Belfort, c'est le projet de construire 3 paires, donc 6 réacteurs, à Panly tout d'abord, puis à Gravelines et à Buget.
08:59 Non, pas Buget. J'ai un trou de mémoire. Donc 3 paires de réacteurs. – En tout cas, c'est tout ça qui va coexister.
09:05 – Voilà, exactement. Donc vous avez à la fois le nucléaire existant, le nucléaire de demain, mais sur un modèle déjà connu,
09:12 et les réacteurs modulaires, sans parler d'autres technologies. Mais alors là, on est sur un horizon encore sur plusieurs décennies, par exemple de fusion nucléaire,
09:20 c'est-à-dire ce qui se passe dans le soleil. – Sur les questions que je vous posais tout à l'heure, Erwann Benezet, c'est à l'avenir, ces questions-là,
09:26 elles vont finir par se résorber, parce qu'on va avoir des réponses à cette question. Moi, j'aimerais revenir après sur l'aspect compétitif,
09:32 parce qu'on a vu qu'aux États-Unis, ces petits réacteurs, ils ont plutôt essuyé un revers pour l'instant. Peut-être qu'on aura le temps d'en parler.
09:38 En tout cas, voilà, sur la question de la sécurité, sur la question... – Alors, vous l'aviez soulevée tout à l'heure, puis je vous laisserai aussi répondre.
09:44 En fait, ce qui est très très important pour se relancer dans cette aventure, sans prendre part pour ou contre la technologie,
09:52 en tout cas, ce qui est très important, c'est d'éviter les écueils du nucléaire passé. J'en verrai au moins deux, voire trois.
09:59 Mais deux, c'est ne pas mettre de côté, ne pas se reposer sur ces lauriers, une fois qu'on... Il faut le rappeler quand même, les 56, à l'époque 58 réacteurs,
10:08 voire un peu plus de 60 en parlant des réacteurs expérimentaux qui ont été construits, c'est la plus grande aventure industrielle française de toute notre histoire.
10:17 Donc, une fois que ça, ça a été accompli, on s'est un peu reposé sur nos lauriers et on a mis de côté deux aspects fondamentaux qui sont le stockage
10:25 et le stockage des déchets et le démantèlement. Et ça, si on relance une filière aujourd'hui, il faut absolument la prendre en compte tout de suite
10:34 et ne pas mettre sous le tapis la poussière nucléaire qui nous reviendrait plus tard. Ça, ce sont deux écueils.
10:40 Alors, est-ce que c'est le cas ? Est-ce qu'on prend en compte ça aujourd'hui ?
10:42 C'est une question fondamentale. C'est-à-dire que le nouveau nucléaire et ses technologies SMR ont tout intérêt, parce qu'on va repartir pour des décennies,
10:49 voire des siècles de technologies, de répondre à ces enjeux de sûreté, mais également vis-à-vis des déchets nucléaires.
10:55 C'est pour ça que dans les stratégies qu'on va adopter, quand bien même on appelle ça du nouveau nucléaire et des réacteurs avancés ou de quatrième génération,
11:02 beaucoup de ces technologies s'appuient sur des acquis du passé. Et en particulier sur la sûreté, on va avoir des solutions qui vont par exemple être des réacteurs qui n'ont plus de pression.
11:11 Les réacteurs qu'on connaît aujourd'hui sont des réacteurs dits à eau pressurisée. Donc il y a 150 barres de pression dans un réacteur.
11:16 Et bien aujourd'hui, on a des technologies comme sur celle d'Exana qui est à pression atmosphérique. Donc on va réduire ces défauts, ces risques associés.
11:23 On va aussi avoir des stratégies qui permettent, grâce à des réacteurs qui vont être plus petits, moins puissants, d'avoir cette capacité,
11:29 quand bien même en cas d'incident où il n'y a plus d'eau, d'électricité, de blackout général, ce sont des réacteurs qui ont cette capacité à pouvoir se refroidir spontanément,
11:37 on va dire naturellement, sans avoir besoin d'apport extérieur. Donc on va répondre à ces enjeux sans oublier l'enjeu des déchets ou même de la ressource.
11:45 Parce que finalement, on le voit très bien, une technologie nucléaire dépend d'un réacteur mais également d'un combustible.
11:51 Et la question du combustible est fondamentale. La ressource, la disponibilité, la durabilité de la stratégie qu'on emploie sur le combustible nucléaire est clé.
11:58 La stratégie d'Exana, c'est de dire arrêtons d'exploiter de l'uranium naturel qu'on va enrichir, qu'on va chercher très loin,
12:06 et davantage mobilisons et utilisons les ressources qui sont déjà disponibles, valorisons ces matières.
12:11 On parle des combustibles usés de la filière EDF, on parle d'uranium impauvri.
12:16 Et grâce à ces matières-là, qui représentent des équivalents de milliers d'années d'énergie, grâce à cette technologie, on va les mobiliser, on va les utiliser.
12:23 On pourrait dire qu'on va recycler des matières ou valoriser ces matières au bénéfice d'une technologie et de notre énergie, et je dirais de notre souveraineté industrielle et européenne.
12:34 Ces questions-là, elles se posent pour le nucléaire, mais en fait elles se posent pour toutes les technologies de production à venir, y compris pour le renouvelable,
12:42 y compris pour la voiture électrique par exemple. Il faut prendre absolument en compte le recyclage, le déchet, les démantèlement.
12:49 Sinon, même ces nouvelles technologies dites renouvelables, dans 20 ans, on se les reprendra dans la figure malheureusement.
12:56 Le message est passé. Merci beaucoup à tous les deux d'être venus nous voir aujourd'hui sur le plateau de Smart Impact.
13:00 Erwan Benezet, merci beaucoup d'être venu. Journaliste au Service économique du Parisien, auteur du Grand Bazar de l'énergie aux éditions Artaud, Sylvain Nizou, président d'Exana.
13:09 Merci beaucoup à tous les deux d'être passés nous voir. On termine cette émission avec la bonne idée du jour.